À mon âge, les avis de décès font partie des incontournables du journal quotidien... Ce matin, dans Le Droit, un tout petit avis - le plus petit de l'abondante nécrologie du samedi - a retenu mon attention. Ce fut d'abord le nom, peu commun en Amérique du Nord. Puis la brièveté du texte de l'avis de décès d'un enfant unique et d'une lignée qui s'éteint, presque dans l'anonymat.
Mais ce Jean-Louis Fujs, je l'ai connu, jadis. Quand je suis entré à l'Université d'Ottawa, à la faculté des sciences sociales, en septembre 1963, il fut mon professeur de littérature française. On s'amusait cette année-là à noter que l'âge moyen de nos profs oscillait autour de la mi-vingtaine. Mais Jean-Louis Fujs était le plus jeune... Il n'avait que 21 ans !
Évidemment, à l'époque, en pleine Révolution tranquille, en science politique par surcroit, la littérature était le dernier de nos soucis et les enseignements, sans doute excellents, de M. Fujs sont depuis longtemps effacés de mes souvenirs. Quand j'ai vu l'avis de décès ce matin, j'ai donc voulu me rafraîchir la mémoire et suis allé voir ce qu'Internet avait conservé de lui.
Le résultat fut presque aussi bref que l'avis en section nécrologique du Droit. J'ai d'abord trouvé l'avis de décès de sa mère Laure Grahovac, née en Croatie, morte en 2006, et de son père Jean Fujs, né en France, décédé en 2003. Pour le reste, je n'ai trouvé que deux mentions d'importance: la lecture de poèmes de Nelligan par Jean-Louis Fujs, et un hommage à Hedwidge Herbiet du département de théâtre de l'Université d'Ottawa, où son nom est inclus parmi les connaissances de Mme Herbiet.
Et c'est tout. Il a sans doute été professeur et comédien, actif dans le théâtre français d'ici (que je ne connais guère), mais je n'ai trouvé aucune référence dans le site Web du Droit. Ni sur sa vie, ni à l'occasion de sa mort, survenue à la mi-décembre 2013 mais annoncée seulement à la fin de janvier pour inviter les amis et amies de M. Fujs à une cérémonie commémorative, le 28.
Je trouve ça un peu triste, qu'une vie sans doute bien remplie se termine dans un oubli relatif, et se résume à un avis de décès de quelques lignes. « Il laisse dans le deuil ses ami(e)s. » J'espère qu'ils sont nombreux, ces ami(e)s, et qu'à cette ère des médias tous azimuts, quelque connaissance ou chroniqueur voudra transmettre aux générations actuelles et suivantes un portrait de mon premier (et seul) prof de lettres françaises à l'université...
Adieu, M. Fujs. Sachez que je me suis souvenu de vous et que je vous salue une dernière fois.
Et bien moi, la mort de Jean-Louis, et surtout l'absence de témoignages m'ont touché. J’ai fouillé l’Internet pour en savoir davantage et force m’a été de reconnaître que vous aviez vu juste. Jean-Louis Fujs ne laisse aucune trace ou presque. Je suis retourné au temps ou, partageant les planches avec lui (j’avais tenu le rôle du garde dans Le roi se meurt d’Ionesco), je l’admirais beaucoup. Nous n’étions pas vraiment des amis, plutôt des compagnons du hasard pour quelques moments intéressants, mais je ne l’avais jamais invité chez moi ni lui chez lui. En cherchant un peu j’ai retrouvé tous les acteurs de cette pièce qui m’a marqué, Edwige Herbiet, la reine Marguerite, Pierette Vachon (dont le mari, Michel (?) L’Heureux était mort d’un accident de voiture la nuit en percutant une vache qui traversait la chaussée), la reine Marie, Hélène Beauchamp, Juliette, la servante, et Gérard Gravelle, le médecin-astrologue. Et Jean-louis, bien sûr, tenant le rôle de Béranger 1er, le roi. Il tenait toujours les premiers rôles dans les pièces mises-en-scène par Jean Herbiet. Edwige, Jean et Jean-louis sont morts. Hélène a publié des livres et des articles sur le théâtre de l’Outaouais, et Pierette est devenue linguiste. Je n’ai même pas pu retrouvé Gravelle, un esprit fin et un peu moqueur, que j’admirais aussi et dont je m’attendais pour lui comme pour Jean-Louis à une carrière éblouissante. Je crois me souvenir de ma surprise quand j’ai appris que Jean-Louis était devenu traducteur pour le gouvernement, ce qui me semblait une curieuse bifurcation de carrière pour un homme qui avait autant de talent pour les arts de la scène. Je l’aurais plutôt imaginé dans des séries télévisées ou, à mon avis, il aurait pu faire un tabac. Ce qui m’a tenu éveillé, ce n’est pas tant le regret d’une mort qui, vue de mes 70 ans, me paraissait prématurée, mais plutôt ce retour inopiné sur plus de 50 ans d’existence hyperactive qui commençait là sur la scène d’une petite université, dans l’innocence du “sans-dessein” que j’étais et qu’au fond je suis resté. Si les survivant(e)s du Roi se meurt, lisent ce commentaire, je les salue, je les embrasse et j'ose croire que je partage avec eux un souvenir véritablement ému.
RépondreSupprimerDerrick de Kerckhove