dimanche 31 août 2014

De Mosaika aux montgolfières… Une semaine de fin d'été à Ottawa et Gatineau...

Le Parlement vu du Musée de la guerre

Vendredi soir, au Festival de montgolfières de Gatineau, en entendant Paul Piché, Michel Rivard, Zachary Richard et Patrick Norman entonner l'un des hymnes de Beau Dommage, Le blues de la métropole, j'ai repensé à la semaine qui s'achevait. Mon épouse ayant décidé de s'offrir quelques jours de vacances en fin d'été, nous voulions, sans quitter la région, faire plus que de la télé, du ménage ou lire sur la balançoire (météo permettant) en sirotant une limonade…

Nous avions entendu parler de Mosaika, un «son et lumière» sur la Colline parlementaire, à Ottawa. Ayant eu la chance de voir une magnifique projection audiovisuelle sur la cathédrale de Rouen, à l'automne 2013, on s'est dit qu'il y avait là, sans doute, un projet intéressant. Et la publicité de Patrimoine canadien semblait à prime abord prometteuse: «Par la magie du son et de la lumière, ce saisissant spectacle nous fait vivre un voyage inoubliable à la découverte des paysages, de l'histoire et de la culture (une seule, oui…) du Canada. Ne manquez pas ce spectacle bilingue gratuit.»

Alors hop! Ce beau lundi soir, 25 août, en route vers le quartier du vieux Marché By, adjacent au secteur des édifices du Parlement canadien. On en profitera pour souper au coeur du Marché, là où, sur certaines rues, on trouve un resto et une terrasse presque à chaque porte… Et me voilà (avec mon épouse, mon frère et son épouse) attablé au bord du trottoir, rue Clarence, sous l'enseigne Cornerstone Bar and Grill, à étudier le menu et zieuter le va-et-vient incessant des passants.

Pour ceux et celles qui connaissent peu Ottawa, la rue Clarence, c'est dans la Basse-Ville, jadis le quartier francophone par excellence de la capitale fédérale. La communauté canadienne-française s'est largement disloquée dans ce quartier devenu touristique et ceinturé de tours de condos, mais on y entend parler français - dans la rue et dans une grande partie des commerces - tout le temps. Pas majoritairement, mais assez pour attester d'une forte présence… S'il y a un coin de la ville où on devrait pouvoir s'attendre à être servi en français, c'est bien celui-là…

Mais ce soir-là, dans ce restaurant où, par ailleurs, nous avons très bien mangé, j'aurais pu m'adresser en ourdou, en magyar ou en chinois et on m'aurait peut-être répondu par l'habituel Sorry, I don't speak French… Quand la jeune serveuse a voulu prendre nos commandes, j'ai pourtant prononcé bien lentement «Boeuf et brocoli», mais comme réponse, j'ai eu droit à un regard vide… Il a fallu que je dise Beef and broccoli pour que ses yeux s'allument… Heureusement, le plat état savoureux…

Après une coupe glacée à la crèmerie Piccolo Grande (où cette fois, culture latine aidant, on nous sert dans notre langue), c'est le kilomètre à pied, chaise sous le bras, jusqu'au sommet de la Colline parlementaire où un auditoire pour le moment clairsemé s'installe peu à peu, à une heure du spectacle (qui commence à 21 h 30). La dernière fois que je m'étais retrouvé ici au milieu d'une foule, c'était en février 1965 pour le dévoilement officiel du nouveau drapeau canadien (l'unifolié)… Près de 50 ans, un demi-siècle…
L'illumination du Parlement pendant Mosaika

J'aurais pu choisir une occasion plus mémorable pour y revenir, parce que Mosaika ne remplit pas les promesses de sa pub… L'oeuvre est sans doute professionnelle, mais après avoir vu les tableaux de Monet sur la façade de la cathédrale Notre-Dame de Rouen, mes attentes étaient élevées et en dépit de quelques colorations très réussies, dont celle des coquelicots rappelant les morts de la Première Guerre mondiale, l'ensemble parfois nébuleux laissait à désirer. Peut-être étais-je un peu moins bien disposé, également, en entendant la description soi-disant «bilingue» où, de fait, l'anglais dominait très nettement…. et où l'histoire du pays avait trop souvent un arôme de propagande!

Nous sommes retournés le surlendemain à Ottawa, cette fois pour visiter en long et en large le Musée de la Guerre, situé à quelques centaines de mètres des chutes Chaudière sur les Plaines Lebreton, un ancien quartier pauvre d'où le gouvernement fédéral avait expulsé tous les résidents au milieu des années 1960… Une véritable découverte pour mon épouse et moi! Dans ce musée qui ne célèbre pas, mais pas du tout, la gloire militaire et la guerre (on insiste beaucoup plus sur les horreurs de ces grands conflits), les deux langues officielles du pays sont rigoureusement respectées et j'ai eu la conviction d'un souci réel de raconter les événements historiques avec exactitude.

Oh bien sûr, nous sommes ici en terre fédérale et il ne faut pas s'attendre à trop d'insistance sur les grandes controverses qui ont opposé francophones et anglophones au cours de conflits armés (1812, 1837, 1918, 1942), quoiqu'on ne les passe pas sous silence. Mais au-delà d'un froncement de sourcils quand j'ai constaté que les Acadiens avaient été «expulsés» plutôt que déportés, il est difficile d'espérer beaucoup mieux. On peut passer une journée entière au Musée de la guerre sans risquer de s'ennuyer… Vous pouvez même, dans la boutique de souvenirs, acheter des tee-shirts avec le symbole de la paix, comme à l'époque peace and love de la fin des années 1960… Il n'y avait pas de drapeau des Patriotes de 1837, cependant…

Deux visites fort différentes dans ma ville natale… une première où l'on se sent un peu étranger dans cette capitale d'un pays pourtant officiellement bilingue,  et une seconde qui démontre que l'égalité des deux langues est possible avec un peu de volonté et des ressources. On n'a pas besoin d'aller bien loin pour en avoir la preuve… il suffit de franchir le pont des Chaudières (ou l'un des autres ponts) et de traverser à Gatineau. Les anglophones y sont à peine 10 à 15% de la population mais n'ont aucune difficulté à s'y faire servir dans leur langue dans les restos, les commerces et les institutions publiques…

Un matin, cette semaine, en entendant un Anglo plutôt bourru aboyer sa commande impoliment - en anglais - à la préposée d'un Tim Hortons de mon quartier de Gatineau, j'ai songé à ma dernière expérience à un Tim du secteur Orléans d'Ottawa (un quartier à forte proportion de francophones) où, m'adressant poliment en français à la préposée, on m'a vite fait savoir qu'on ne me servirait pas ici dans ma langue… Des cas comme ça, ici, c'est la vie quotidienne…

Retour à la semaine de vacances de mon épouse, que nous avons terminée vendredi au Festival de montgolfières de Gatineau, assistant à une magnifique envolée de ballons, dégustant un excellent repas offert sous la tente par le restaurant St-Estèphe et nous régalant d'un spectacle intitulé Une scène - Quatre voix, une prestation unique préparée spécialement pour le Festival avec, sur la même scène, Patrick Norman, Zachary Richard, Michel Rivard et Paul Piché. Quatre grandes vedettes réunies… un peu comme les Traveling Wilburies, mais au Québec…
Paul Piché (image du Festival)

Du coin de l'oeil, au parc de La Baie (site du Festival de montgolfières de Gatineau), on voit le centre-ville d'Ottawa et le Parlement, à quelques kilomètres, mais on pourrait croire certains jours qu'ils ne sont pas dans le même pays… À Gatineau, on se sent davantage chez nous. On se fait accueillir et servir en français, et les dizaines de milliers de personnes qui nous entourent près de la grande scène chantent en choeur Le phoque en Alaska avec Michel Rivard, Quand on est en amour avec Patrick Norman, L'arbre est dans ses feuilles avec Zachary Richard et Mon Joe avec Paul Piché. Deux heures inoubliables, trop vite passées et un spectacle qui sera, je l'espère, offert en album pour l'ensemble du Québec et de la francophonie canadienne-française et acadienne.

La morale de cette semaine? À chacun de conclure… Quand on a vécu ici toute sa vie, les différences entre le Marché By d'Ottawa et le parc de la Baie à Gatineau, l'un presque en face de l'autre, sur les rives opposées de l'Outaouais, nous paraissent presque normales… Mais d'autres, venus d'ailleurs, gagneraient à en faire l'expérience… disons pendant une semaine de vacances à la fin de l'été…





mardi 26 août 2014

Les soi-disant «réalistes» constitutionnels...


Au début des années 1960 a pris forme une vision moderne d'un Québec français autonome dont le fer de lance a été - jusqu'à maintenant - le projet d'indépendance. Mais deux défaites référendaires doublées d'un matraquage politique et médiatique constant ont brisé l'élan, laissant de douloureuses cicatrices au sein de l'opinion publique et sapant le moral d'un grand nombre de vétérans de la cause souverainiste. Ce découragement en dit malheureusement plus sur l'âge avancé d'une forte tranche des troupes indépendantistes que sur les chances - minces mais toujours réelles - d'atteindre le but.

Le politicologue Guy Laforest, de l'Université Laval (tenant du Oui en 1995) l'exprimait assez clairement dans les pages du Devoir, la semaine dernière. «À 59 ans, disait-il en entrevue, j'ai un sentiment d'urgence que je n'avais pas à 30 ou 40 ans. À mon âge, tu ne peux pas être juste idéaliste, t'essayes de connecter à des idées réalistes, qui peuvent se réaliser sur l'horizon des 20 prochaines années.» Si j'ai bien compris le sens de cette intervention - et on me corrigera sans doute si je me trompe - être indépendantiste c'est être idéaliste, être fédéraliste c'est davantage réaliste, et il existerait des cibles «réalistes» pouvant être visées et atteintes dans un délai de moins de 20 ans… Vraiment?

Des projets comme quoi? Le professeur Laforest propose au gouvernement Couillard de rouvrir le dossier constitutionnel, en tentant notamment de modifier la Charte canadienne des droits et libertés de manière à reconnaître l'asymétrie du fédéralisme canadien, la suprématie du français au Québec et l'existence d'une société distincte, également au Québec. L'ancien premier ministre Jean Charest évoquait pour sa part un recours possible au Conseil de la fédération comme levier pour obliger Ottawa, avec l'aide des autres provinces, à faire des compromis dans des dossiers majeurs à incidence financière (p. ex. les transferts fédéraux en santé)… On en entendra d'autres du même type…

S'il y a une chose de sure dans cette fédération parfois tout croche, c'est que même les propositions constitutionnelles les plus modestes des fédéralistes québécois (si jamais ils en mettaient de l'avant, ce qui paraît peu probable), n'iraient nulle part. Elles seraient rejetées du revers de la main. Comme le gouvernement Couillard ne semble pas prêt à lever le petit doigt en matière constitutionnelle, la question reste hypothétique, mais si Québec, en 2014, avait le goût de relancer à Ottawa et au Canada anglais une demande minimale - disons genre Meech - il subirait très vite un sort pire que celui de Robert Bourassa en 1990…

Ouvrez le jeu «constitutionnel» actuel et abattez les cartes, une à une… L'opinion publique… à plat au Québec et gonflée à bloc, mode French-bashing et Québec-bashing, ailleurs au pays… La volonté politique… nulle partout (y compris à Québec) quand il s'agit de modifier la constitution… Les enjeux mobilisateurs au Québec… la société distincte, le caractère français, l'autonomie, la souveraineté, l'indépendance, tous à bout de souffle (du moins pour le moment)… Les médias… à l'exception du Devoir et des réseaux sociaux, les grands empires ne s'éloignent guère (sauf exception) du statu quo… Les tribunaux… à mesure que l'effet des nominations Harper s'amplifie, les anciens alliés occasionnels basculeront fermement dans le camp fédéral…

Faites-nous rire avec le Conseil de la souveraineté, M. Charest… Il y a aura toujours des provinces anglophones pour tirer à boulets rouges sur Ottawa quand des sous sont en jeu, mais dans toutes les questions identitaires Québec-Canada, ce sera une succession de nuits des longs couteaux… Les dirigeants des provinces du Rest of Canada sont peu sympathiques au départ à une reconnaissance du caractère distinct du Québec mais en supposant qu'ils l'aient été, ces gens lisent les sondages et connaissent bien l'état d'esprit de leurs concitoyens.

En 2012, à l'occasion du 30e anniversaire du coup d'État de 1982 (aussi appelé rapatriement de la Constitution) qui a laissé le Québec orphelin constitutionnel, un sondage pancanadien révélait que près de 70% des Québécois favorisaient l'augmentation des pouvoirs du Québec au sein de la fédération canadienne, mais que près de 80% du Rest of Canada s'y opposait. Et pire, 80% de ce bloc de 80% se disait carrément intransigeant! Pour ceux qui l'auraient oublié, les anglophones sont près de quatre fois plus nombreux que les francophones au Canada, et ils contrôlent neuf provinces ainsi que le gouvernement fédéral… Alors ce que nous pouvons vouloir n'a pas grand poids…

La semaine dernière, Philippe Couillard et son homologue ontarienne, Kathleen Wynne, se sont rencontrés… Tous deux libéraux, tous deux majoritaires pour quatre ans… Ils ont les coudées franches… Et Mme Wynne a été très claire… «La place du Québec dans le Canada ne figure pas à l'écran radar des Canadiens (comprendre Anglo-Canadiens)», juge-t-elle. Les questions à régler selon Mme Wynne avant même de songer à ruminer la possibilité d'étudier la formation d'un comité consultatif chargé d'évaluer l'opportunité de réunir des experts pour formuler des suggestions de nature constitutionnelle? Il y a l'économie, la reprise économique, les emplois, l'éducation de notre jeunesse, les changements climatiques… Et ça, ça vient d'un «allié» du Québec…

De fait, il ne reste au Québec qu'un outil «réaliste» pour s'extirper du bourbier constitutionnel: l'arme référendaire, que le gouvernement Couillard évitera comme la peste… Mais si nos dirigeants, même les fédéralistes, avaient un peu d'imagination et s'ils prenaient vraiment au sérieux leur engagement envers le bon fonctionnement d'une fédération asymétrique reconnaissant le caractère distinct du Québec, ils se rendraient compte de l'avantage de recourir au référendum (jumelé à la prochaine élection générale pour éviter la plus grande partie des coûts…).

La Cour suprême, en 1998, a jugé que si une «majorité claire» des Québécois répondait «oui» à une «question claire», le reste du pays serait dans l'obligation de s'assoir à la table constitutionnelle et d'en arriver à une entente qui respecte la volonté de cette majorité. Qui dit que la question au référendum doit porter uniquement sur l'indépendance? Pourquoi pas sur un nouveau pacte comportant des pouvoirs accrus pour le Québec dans le cadre fédéral? Je ne crois pas que M. Couillard aurait le courage politique de s'engager dans cette voie, mais elle serait «réaliste» et un résultat clair lui assurerait de bonnes chances de réussite, au grand désespoir du reste du pays...

C'est la seule stratégie «réaliste» avec un haut potentiel d'efficacité. Mais comme personne ne s'intéresse au dossier constitutionnel (Philippe Couillard veut même détruire la société distincte avec son bilinguisme mur à mur), cela restera un voeu obscur… et d'ici la prochaine élection, les véritables défenseurs du Québec et de la langue française n'auront pas la tâche facile…

















jeudi 21 août 2014

À la recherche de Séraphin Marion...

Séraphin Marion, 1896-1983

Est-ce ma curiosité naturelle ou l'instinct du vieux journaliste? Les questions sans réponse m'irritent… Dans un texte de blogue du 29 mai (la veille de mon «congédiement» comme éditorialiste au Droit), j'abordais la question de la francophonie dans la ville d'Ottawa, sujet à la mode ces jours-ci avec la campagne en faveur d'une désignation bilingue de la capitale canadienne.

Partant d'un texte plus que soixantenaire de Séraphin Marion (revue Vie française, 1951), dans lequel le patriarche ottavien prédisait un avenir rayonnant à la communauté franco-ontarienne locale, alors en plein essor, je ressassais mes souvenirs d'une conférence du même M. Marion vers 1963 ou 1964… où le ton était devenu sombre, pessimiste (http://bit.ly/1tU5A4W). Et je m'interrogeais - sans trop de succès - sur les motifs réels d'un contraste si saisissant en une douzaine d'années à peine…

Une recherche sur Internet n'ayant rien dévoilé de concluant, Séraphin Marion étant mort en 1983, soit une bonne décennie avant l'explosion numérique du Web, j'ai vite orienté mes fouilles ailleurs. J'avais redécouvert la trace de la biographie de M. Marion, rédigée par le père Paul Gay (Oblat) et publiée en février 1991 aux Éditions du Vermillon. Les chances de trouver un volume vieux de 23 ans dans les librairies locales étant presque nulles, je résolus de communiquer avec l'éditeur.

M'étant aperçu que Vermillon avait pignon sur rue à Ottawa, au 305 de la rue St-Patrick, j'y suis allé directement. L'éditeur occupe une vieille maison à pignon dans la Basse-Ville, là où battait jadis le coeur francophone de la capitale. Sans la bannière rouge «Les Éditions du Vermillon», on pourrait imaginer une maison ouvrière typique fin 19e siècle. Ne sachant trop à quoi m'attendre, je frappe et un individu entrouvre la porte d'un air quelque peu méfiant, semblant plutôt surpris de ma visite inattendue…

L'ayant informé de mon désir d'obtenir la biographie de Séraphin Marion, le sourire lui revient vite. C'était, dit-il, un des premiers livres publiés par Vermillon, presque oublié aujourd'hui, et il s'étonne que je sois le deuxième en deux jours à en faire la demande… Le temps qu'il en déniche un exemplaire, j'ai la chance d'observer la pièce (et ce n'est pas la seule) où les livres sont empilés sur des étagères, du plancher au plafond. La vie entière de Vermillon s'étale pèle-mêle devant le visiteur... un véritable trésor d'oeuvres sans doute irremplaçables. Est-ce ainsi à l'étage supérieur? Sans doute…

Dans cette ambiance livresque d'une époque menacée, celle de l'imprimé, il n'y a pas de caisse enregistreuse ou de connexions débit/cartes de crédit… Avez-vous la monnaie exacte, me demande le responsable. Un vingt, un cinq, il me manque un huard et 25 cents, que j'avais heureusement dans la voiture garée sur la rue voisine. Il faudra que je revienne ici un jour, juste pour voir… j'apporterai au cas où quelques billets de vingt dollars et de la monnaie… Enfin, me voilà avec mon exemplaire de la biographie de Séraphin Marion…

Voilà certes un volume qui porte la marque de son auteur. Ancien professeur de lettres françaises à l'Université d'Ottawa, le père Paul Gay livre ici Séraphin Marion comme s'il s'agissait d'un cours à ses étudiants et étudiantes de la faculté des Arts… Et voilà, la réponse… Le parcours essentiellement littéraire ce cet érudit change tout à coup en 1960 avec l'aube de la Révolution tranquille. Séraphin Marion découvre avec un certain enthousiasme la nouvelle génération de rédacteurs indépendantistes québécois.

À noter: ce Franco-Ontarien d'Ottawa alors âgé de 64 ans fait connaître ses opinions par l'intermédiaire d'une chronique dans l'hebdomadaire franco-américain(!) Le travailleur, de Worcester (Massachusetts). Le cheminement tortueux d'un Ontarien francophone qui s'engage en faveur du Québec dans une publication des États-Unis est en soi un phénomène d'une autre époque, témoignant de l'ancienne fraternité et solidarité issue de liens tissés depuis le 19e siècle entre les différentes collectivités francophones de l'Amérique du Nord.

Le père Gay mentionne qu'en décembre 1961, Séraphin Marion «appuie hautement» le livre de Marcel Chaput, Pourquoi je suis séparatiste. Un an plus tard, en décembre 1962, toujours dans les pages du Travailleur, il observe «que les tenants de l'indépendance ont servi le Québec, puisque tous les partis fédéraux font des "mamours" au Québec»… Plus tard dans la décennie, il applaudira le général De Gaulle et l'arrivée de René Lévesque et du Parti québécois, sans jamais pour autant renier son combat en faveur des droits linguistiques des minorités francophones hors-Québec, les Franco-Ontariens en particulier.

C'est ainsi qu'au-delà de la découverte du merveilleux capharnaüm de la vieille maison des Éditions du Vermillon, à Ottawa, ma quête d'un chaînon manquant dans la vie de Séraphin Marion m'a permis de trouver la réponse à une autre question qui ne chicotait sans doute que moi dans cet univers… Ainsi le grand casse-tête prend forme avec une importante pièce bien placée… Je comprends mieux les paroles douces-amères prononcées par le vieux patriarche en 1963 ou en 1964…

Ce qui pourrait sembler contradictoire à plusieurs - la sympathie pour la cause indépendantiste d'un Franco-Ontarien enraciné - ne l'est pas vraiment. Il est loin d'être seul dans son bateau… Je termine avec cet hommage de sa fille Colette Marion, rendu en 1984, l'année après sa mort: Séraphin Marion était, écrit-elle, «fidèle à ses croyances de jeunesse, fidèle à ses traditions ancestrales, entièrement donné à sa famille immédiate comme à la grande famille canadienne-françase où il avait plongé ses racines; un homme voué à un idéal apparemment inaccessible, exigeant toutes les ressources de son cerveau et de son coeur, et qui, vers la fin de sa vie, loin de s'éteindre, brilla de ses plus beaux feux».

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J'oubliais… une question reste sans réponse… Qui était cette personne qui avait demandé, un jour avant moi, un autre exemplaire du livre du père Gay sur la vie de Séraphin Marion? Ça me chicote…




mardi 19 août 2014

150 000 francophones à Ottawa? Presque 20%? Vraiment?

Les médias et les universitaires ont, il me semble, une obligation éthique de bien vérifier les chiffres et les termes qu'ils emploient, particulièrement dans leurs domaines de spécialité. Or, dans le débat autour d'un éventuel statut bilingue pour la ville d'Ottawa, les textes médiatiques nous présentent trop souvent un portrait statistique inexact de la collectivité francophone d'Ottawa, alors que des chiffres précis sont disponibles d'un recensement à l'autre.

Dans deux textes récents, l'un dans Le Droit, l'autre dans Le Devoir, on cite la professeure Linda Cardinal, de l'Université d'Ottawa, selon laquelle les francophones représentent «presque 20%» de la population de la capitale. Dans deux autres articles du Droit, les auteurs avancent le chiffre de 150 000 francophones à Ottawa. D'où provient cette information? J'ai beau chercher...

Selon le recensement de 2011, dont les données linguistiques ont été publiées en octobre 2012, il y a à Ottawa 123 925 personnes de langue maternelle française. Quand on considère que la population totale est de 872 450, cela fait une proportion de 14,2%. Quand les médias et les professeurs se servent du mot «francophones», utilisent-ils comme référence les personnes «de langue maternelle française»? Il y en a, moi inclus, qui considèrent la langue d'usage (la langue la plus souvent parlée à la maison) comme meilleur indice du nombre de «francophones». Et, à Ottawa, le recensement de 2011 fait état de 86 025 personnes dont la langue d'usage est le français, soit 9,9% de la population.

Certains ont parfois recours aux statistiques du recensement sur la connaissance des langues officielles. Si, pour Ottawa, on additionne les personnes qui ne connaissent que le français (12 915) et celles qui connaissent l'anglais et le français (324 690), on arrive à un total de 337 605 personnes (38,8% de la population d'Ottawa) qui sont en mesure de comprendre et de s'exprimer en français. Ce total inclut donc les anglophones et les allophones bilingues ou plurilingues, qu'on peut difficilement, sur le plan identitaire, compter comme francophones.

Alors qui sont les francophones, et combien sont-ils dans la capitale? Les personnes de langue maternelle française (première langue apprise et encore comprise) ou celles qui parlent principalement le français à la maison, ou autre chose? Une combinaison des deux, peut-être un peu plus que la proportion de 9,9% (langue d'usage) mais moins que les 14,2% de langue maternelle? Pas sûr, mais il n'y en a pas 150 000, et d'aucune façon on s'approche de 20%…

Et n'oubliez pas que chaque recensement est une photo de la population à une date précise. Ces proportions sont en baisse constante depuis plus d'un demi-siècle. Selon le critère de la langue maternelle, les «francophones» représentaient 22,9% de la population d'Ottawa-Carleton (territoire correspondant plus ou moins à celui de la grande vole fusionnée actuelle) en 1961, et 20,7% en 1971. Les taux d'assimilation oscillaient autour de 17% en 1971, mais dépassent le seuil des 30% en 2011. Il faut prévoir de nouvelles baisses en 2016…

Il ne manque pas d'arguments pour faire la promotion d'un statut bilingue dans la capitale d'un pays officiellement bilingue. Utiliser des chiffres gonflés à l'appui de la thèse ne servira à rien, et risque de la discréditer. Le maire Watson lui-même déclarait récemment que le débat sur un éventuel statut bilingue de la capitale était entretenu par les médias et que la question «importe peu pour la grande majorité de la population ottavienne, y compris les francophones. La plupart, probablement 99% des questions sont des médias, pas de la population francophone. (…) Cette année, j'ai visité près de 20 000 maisons dans tous les coins. Aucune personne ne pose la question è savoir si je suis en faveur du bilinguisme officiel.»

Je n'ai pas vu de réponse à cette objection du maire, ni de tollé au sein de la population. Quand le gouvernement Harris avait voulu fermer l'hôpital Montfort en 1997, il y avait 10 000 personnes au centre municipal et une ferveur palpable dans la rue. Le maire Watson, qui est loin d'avoir brillé dans ce dossier, ne voit rien d'une telle ferveur. Moi non plus, malheureusement. J'espère me tromper, mais dans l'état actuel des choses, je vois peu d'indices hors-médias, hors-université, hors-quelques-organisations, d'une mobilisation populaire francophone autour de cet enjeu.

Au cours des prochaines semaines et des prochains mois, plus que l'appui des médias, les promoteurs d'un statut bilingue officiel pour Ottawa ont besoin d'un soutien populaire visible. Ils doivent montrer qu'ils ne sont pas déconnectés de leur collectivité. Si même une petite fraction des 14,2% de gens de langue maternelle française se faisait entendre, le maire Watson ferait moins la fanfaron et réévaluerait ses positions. Mais pour le moment, c'est presque le calme plat…

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Lien à mon texte de blogue précédent sur le bilinguisme à Ottawa:  http://bit.ly/1s792sq. Et en voici un extrait:

«Qu'Ottawa ne soit pas officiellement bilingue s'explique peut-être par le contexte dans lequel la ville a évolué et notamment, par l'hostilité historique des anglophones à l'endroit des Canadiens français. Mais avouons-le: que la capitale d'un pays bilingue ne soit pas elle-même officiellement bilingue est difficile à justifier. Et pour que cet état de fait persiste ici en 2014, il doit y avoir de la mauvaise foi quelque part…»





lundi 18 août 2014

La «nation» et le «nous»...


«Comment chanter ce qu'on ne sait pas dire?» Ces paroles lancées par Louise Forestier dans Pourquoi chanter?, une des meilleures offrandes musicales québécoises des années 1970, sont les premières qui me sont venues à l'esprit en m'embourbant dans la collection incontournable d'écrits rassemblée par Serge Cantin, prof à l'UQTR et expert (disciple?) de Fernand Dumont, sous le titre La souveraineté dans l'impasse  (Presses de l'Université Laval, 2014).

Comme bien d'autres intellectuels, dans le sillage des échecs référendaires de 1980 et 1995, Serge Cantin décortique l'évolution du nationalisme chez les parlant français du bassin du Saint-Laurent. La plupart de ceux et celles que ce phénomène intéresse - philosophes, historiens, sociologues, politicologues, journalistes, etc. - passent et repassent sur la décennie des années 1960, celle de la Révolution dite tranquille, celle où, selon la lecture la plus répandue des évènements, le «nationalisme» canadien-français est devenu québécois.

Douloureuse pour certains, salutaire pour d'autres, complexe pour plusieurs, cette transition préoccupe Serge Cantin comme, avant lui, Fernand Dumont. Dans sa compréhension traditionnelle, la nation «canadienne-française» avait eu longtemps pour ancrages la langue française et la religion catholique, dans un territoire plutôt flou. La nouvelle nation «québécoise» regroupe en principe tous les résidents, francophones ou autres, d'un territoire défini par les frontières du Québec. Cela pose un problème à des intellectuels comme Dumont et, par ricochet, Cantin qui cite ici Fermand Dumont:

«Si nos concitoyens anglais du Québec ne se sentent pas appartenir à notre nation, si beaucoup d'allophones y répugnent, si les Autochtones s'y refusent, puis-je les y englober par la magie du vocabulaire? L'histoire a façonné une nation française en Amérique; par quelle décision subite pense-t-on la changer en une nation québécoise?» Cette citation extraite de Raisons communes, volume publié en 1995, quelques années avant la mort de son auteur, pose une question sans doute pertinente. Il aurait pu ajouter: et que faire des francophones hors-Québec qui, eux, sentent toujours une appartenance au foyer national québécois?

Un problème d'intellectuels

Je persiste à croire qu'il y a là un faux problème largement créé par les «penseurs» de la nation, tant indépendantistes que fédéralistes. Ceux qui écrivent et interprètent notre histoire sont, en tout ou en partie, des intellectuels (qu'ils se considèrent comme tel ou pas)... et leurs écrits resteront. Dans deux, trois ou quatre cents ans, quand, au rythme où vont les choses, nous ferons partie d'un passé éteint, ce sont leurs volumes, leurs articles, leurs mémoires qui expliqueront aux générations très futures ce qui s'est passé à la fin du 20e et au début du 21e siècle dans notre coin de l'Amérique du Nord. Et s'ils se trompent, leurs erreurs seront éternelles…

Comme j'ai passé ma vie à écrire, principalement comme journaliste, je dois m'estimer - plus qu'un peu - intellectuel. Mais le journalisme n'est pas qu'un métier de l'esprit: il est à mi-chemin entre la démarche philosophique et la cueillette des ordures. Et quand, de plus, on est issu d'un modeste quartier ouvrier coincé entre un vieux chemin de fer du CP et la rivière des Outaouais, les bruits sacrés de nos rues et ruelles nous suivent jusque dans les couloirs des universités. «Nous vivons trop près des machines et n'entendons que notre souffle au-dessus des outils», écrivait Michèle Lalonde en 1968 dans son célèbre poème Speak White.

La rue ressent ce que l'intellectuel écrit. De façon confuse, moins ordonnée, mais réelle. L'université et la profession journalistique - et que dire de mon épouse - n'ont jamais réussi à faire de moi une personne dont la devise serait «ordre et méthode». J'ai mon petit coin de désordre, mes piles de documents, des chemins tortueux vers l'objectif. Dans les feuilles éparpillées sur mon bureau, dans les entrailles de l'Internet, dans mes bibliothèques, dans les méandres de mon vécu, dans les lectures et conversations quotidiennes, dans mes observations, il y aura réponse aux questions. Il suffit de chercher, de trouver…

Comme le Petit Poucet...

Revenons au débat. Faute d'être un habitué de termes comme «heuristique» ou «herméneutique», je vais m'engager dans la forêt un peu à l'aveuglette, mais en laissant derrière moi, comme le Petit Poucet, des morceaux de pain dans l'espoir de retrouver le point de départ si je me perds. Donc la rue ressent, l'intellectuel décrit, et pour décrire, il faut des mots, des définitions. Pour expliquer la réalité d'une population habitant un territoire donné (disons le bassin du Saint-Laurent et affluents), parlant largement la même langue, ayant jadis pratiqué la même religion, chantant les mêmes chansons, partageant une mémoire commune, on a employé le mot «nation».

Mais le terme «nation» et ses nombreux dérivés restent le plus souvent l'apanage des cercles intellectuels. Ce n'est pas vraiment un mot de la rue. Mon grand-père franco-ontarien Joseph Allard disait qu'il y avait, au pays, des Canadiens et des Anglais… Ma mère, également franco-ontarienne, au retour d'une visite dans la ville de Québec dans les années 1990, m'avait dit spontanément: «on se sent chez nous là-bas». Elle n'aurait pas dit ça de Toronto…

Il y a une dizaine d'années, mon épouse et moi sommes allés aux Îles-de-la-Madeleine. Attablés dans un resto, nous, de Gatineau, avons entamé une conversation avec des gens de la table voisine, de la Mauricie je crois… En quelques minutes, la salle tout entière participait à la conversation, certains de l'Estrie, d'autres de la Gaspésie, de Québec, de Montréal et même de l'Abitbi… Comme une grande famille, comme des cousins éloignés qui se retrouvaient… Même langage, même vécu historique, mêmes références…

À l'automne 2013, mon épouse et moi sommes allés nous promener en voiture en Bretagne, en Normandie et dans la région de La Rochelle, en France. À chaque fois que nous avons rencontré d'autres Québécois, c'était la jasette avec des gens de «chez nous». Et nous avons remarqué que les Français nous reconnaissent à notre accent, à nos expressions, à nos comportements… Non seulement nous reconnaissons-nous entre nous, mais notre existence est perceptible aux autres…

J'ai laissé ma piste de miettes de pain et ne semble aboutir nulle part. Mais suffit de dire que dans toutes ces expériences, ces exemples, et dans notre vécu en général, dans la famille, entre amis, dans nos rues et ruelles, j'ai rarement entendu le mot nation… Les gens qui se disaient canadiens il y a 100 ans, canadiens-français il y a 50 ans et québécois aujourd'hui n'ont pas le sens de la rupture «nationale» qui torture tant de nos intellectuels… La référence géographique a toujours été la même, le bassin du Saint-Laurent, ses affluents et les régions périphériques. La référence linguistique et culturelle n'a pas changé, le «nous» a toujours été et reste (pour le moment) francophone…

Un «nous» ressenti

Enfin, ce que je ne peux chanter faute de pouvoir le dire clairement, c'est qu'au sein de la population, ce «nous» est ressenti plus qu'il n'est dit. Les gens d'ici se voient surtout québécois maintenant, quoiqu'on entende encore canadiens-français, francophone, ou même à l'occasion canadien, mais le «nous» qu'ils emploient si souvent, ils le comprennent. Pas besoin d'un intellectuel pour le définir. Et ce qu'ils comprennent, sur le plan sociologique et géographique, n'a pas changé depuis le 19e siècle. La question de savoir dans quel pays ce «nous» va évoluer, le Québec ou le Canada, ça c'est une autre histoire.

Pour moi, donc, le passage de l'appellation canadienne-française à québécoise s'est fait en douce, sans heurt, parce que le contenu géographique du qualificatif canadien-français, du moins pour la population vivant ou issue du bassin du Saint-Laurent et affluents, avait toujours été «québécois». J'en ai déjà parlé dans un texte de blogue dont voici le lien (http://bit.ly/1p8iEnj). C'est un peu ce que me disait mon grand-père quand il parlait des Canadiens et des Anglais. C'est ce qu'évoquait ma mère quand elle disait se sentir «chez nous» dans la ville de Québec. C'est ce que disaient un groupe de parfaits étrangers dans un resto des Îles-de-la-Madeleine, se reconnaissant comme membres de la même grande famille…

Des «nous» comme le nôtre, il en existe partout dans le monde… La situation de chaque «nous», sa langue, ses traditions, ses références, varient d'un continent à l'autre, d'une région à l'autre. La réalité de leur vécu, pour les journaux, pour les livres, pour les études savantes, doit s'exprimer en mots et en jargon d'intellectuel. Et c'est souvent là que les problèmes commencent. Les mots nous divisent aussi souvent qu'ils nous rassemblent. Et politiquement, il faut ajouter à cela que la réalité du vécu collectif de ces «nous» correspond rarement aux frontières politiques de ce qu'on a appelé «l'État-nation»… Les causes de l'éclatement de la Première Guerre mondiale, il y a 100 ans, sont éclairantes à ce sujet.

Un débat de grande importance

Je ne dis pas que les débats des intellectuels au sujet de notre «nation» et des autres n'a pas de valeur. Au contraire, ils ont une grande importance pour la compréhension du passé, du présent et pour les décisions d'avenir. Mais j'ai parfois l'impression que ces dialogues se déroulent à trop haute altitude. Dans les rues, dans les campagnes, dans les villes et villages du bassin du Saint-Laurent et de la périphérie, il y a un «nous» depuis le 18e siècle. Tous ceux et celles qui s'y identifient - francophones, de souche ou venus d'ailleurs - s'y sentent chez eux. Que les définitions savantes de «nation», de «québécois» ou de «canadien-français» ne cadrent pas parfaitement avec cette réalité ne change rien à cette réalité. Ça devient un problème pour intellectuels… que ces derniers n'ont de toute évidence pas encore résolu…

La question du cadre politique actuel et futur du Québec concerne ceux qui s'identifient au «nous» et ceux qui ne s'y identifient pas, qui y sont hostiles même, à l'intérieur et à l'extérieur des frontières du Québec.  Si on choisit d'appeler «nation» tous les résidents du Québec, il m'apparaît évident que la nation telle que définie ne correspond pas au «nous» ressenti, celui de mon resto des Îles… On fait alors de nation et État des synonymes. Je n'ai rien contre. Mais il faudra utiliser des termes et expressions qui ne porteront pas à confusion et qui, dans la mesure du possible, traduiront la réalité de la rue.

Voilà, il me semble, un véritable défi pour bien des intellectuels… Cela étant dit, il faut lire La souveraineté dans l'impasse de Serge Cantin. C'est du solide! Et il faudrait le lire avant qu'il ne soit trop tard...






jeudi 14 août 2014

Le Québec est souverain...

Extrait de mon texte de blogue du 6 août 2014.
Lien: http://bit.ly/1mnsk89

«Après plus de cinquante ans de débats où le choix des mots a souvent été au coeur de la discorde, nous n'avons pas réglé grand-chose… Sur le plan constitutionnel, avec le rapatriement unilatéral de 1982, le Québec a même reculé… La reconnaissance du Québec comme «nation» par la Chambre des communes à Ottawa a une valeur essentiellement symbolique… Le seul véritable gain a été la reconnaissance - juridique et politique - du droit du Québec à l'autodétermination, c'est-à-dire de sa souveraineté.


En participant aux deux référendums, les partisans du «non» ont reconnu la légitimité du processus et accepté, en votant, de s'y soumettre. Le Québec est souverain, la Cour suprême l'a reconnu en 1998. Il peut exercer cette souveraineté en faveur de l'accession à l'indépendance, ou en faveur d'un maintien du lien fédéral. Même s'il cède au pouvoir central des pouvoirs importants, même s'il confie à la fédération une partie de sa souveraineté, il a toujours le droit d'obliger ses partenaires fédéraux à renégocier en tout ou en partie avec l'assentiment d'une majorité "claire" à une question "claire".»

mercredi 13 août 2014

Constitution: la balle est dans le camp fédéraliste...


«Ah non… encore parler de constitution… C'est plate… personne s'intéresse à ça… et pis j'haïs la politique…» Depuis un demi-siècle, à travers 17 élections fédérales, 15 élections provinciales, trois référendums et Dieu sait combien de crises fédérales-provinciales, il doit sembler à plusieurs que tout a été dit… À la simple mention d'un repas constitutionnel de plus, c'est la nausée…

Et pourtant… S'il y avait moins d'éteignoirs dans la classe politique et dans les grands empires médiatiques, la table pourrait être mise pour un excellent dialogue sur les différents moyens de s'assurer que la constitution canadienne reflète les aspirations des collectivités et nations qui partagent le territoire de la fédération. Entre le noble mais improbable projet d'indépendance du Québec et l'inertie du statu quo, il existe une gamme de compromis que seul un manque d'imagination chronique continue de voiler.

Évidemment, on objectera à juste titre que les Anglo-Canadiens forment une forte majorité de plus de 70% et que dans leur esprit, le Québec et les francophones sont déjà gâtés. À ce stade, pour la plupart d'entre eux, un compromis de plus serait un compromis de trop. Et comme l'imminente menace d'une sécession du Québec, le seul pétard qui risquerait de les faire bouger, n'est plus sur le radar, pourquoi s'essayer? Question pertinente, mais il nous reste une arme que même les fédéralistes peuvent utiliser…

Nous avons eu tendance à associer le mot «référendum» aux propositions souverainistes de 1980 et de 1995, mais l'outil référendaire a aussi servi en 1992 (Accord de Charlottetown) lors d'une tentative infructueuse d'un renouvellement du fédéralisme. En 1998, dans son avis sur la sécession du Québec, la Cour suprême a déclaré que le «oui» d'une majorité «claire» à une question «claire» obligerait le reste du pays à s'assoir avec le Québec et à négocier! Mais qui dit qu'au Québec, une question «claire» ne peut porter que sur l'indépendance? Pourquoi pas sur moins que l'indépendance? La règle édictée par la Cour suprême demeurerait la même...

Peut-être un jour réussira-t-on a bâtir un pays à notre image, mais en attendant des tas de choses sont possibles sans faire éclater le cadre fédéral. Le grand défaut des fédéralistes, tel que je le perçois, c'est de ne pas connaître grand chose au fédéralisme et de rester des acteurs plutôt neutres au sein d'une dynamique canadienne qui, sous l'impulsion d'une majorité anglophone de plus en plus intégrée, évolue vers une centralisation bientôt irréversible. Pour assurer au Québec tout au moins la reconnaissance constitutionnelle de sa «nation ou société distincte», rien n'empêche un parti fédéraliste comme le PLQ ou la CAQ de solliciter un mandat référendaire…

Bien sûr, un référendum coûte cher mais il serait possible de minimiser les coûts en faisant coïncider la ou les questions référendaires avec la prochaine élection générale de 2018. Un bulletin de vote de plus, c'est tout. Et si Stéphane Dion et Bernard Drainville peuvent sembler s'entendre sur une éventuelle question à l'écossaise, il y a sûrement moyen de trouver un terrain commun à l'Assemblée nationale délimitant un seuil minimum de réintégration du Québec dans la famille constitutionnelle canadienne (sans pour autant renoncer au droit à l'autodétermination, déjà reconnu par la Cour suprême). Avec un mandat de 65 ou 70% ou plus d'appuis au sein de la population, le Québec serait en mesure d'obliger Ottawa et les provinces de négocier une nouvelle entente.

Cependant, si tous, toutes s'y mettaient, on pourrait faire bien mieux que le contenu de l'Accord du Lac Meech… Avec un peu d'imagination et un bon remue-méninges, un ensemble cohérent de demandes susceptibles d'affirmer le caractère politique, culturel, juridique et national distinct du Québec pourrait être mis sur la table, laissant du même coup les autres provinces libres de centraliser à Ottawa certaines de leurs responsabilités provinciales si elles le désirent… 

Voici quelques exemples d'éléments pouvant être inclus dans un projet constitutionnel québécois sans pour autant remettre en question le caractère fédéral du lien avec le reste du pays :

1. La reconnaissance du Québec comme État-province laïc à caractère républicain. Tous les partis peuvent s'entendre sur la laïcité, du moins en principe, et aucun parti du Québec n'est en amour avec la monarchie britannique. La constitution québécoise pourrait affirmer la souveraineté du peuple (plutôt que celle d'un monarque), le lieutenant-gouverneur (désormais nommé par l'Assemblée nationale) devenant un chef symbolique qui émane du peuple et non d'un roi ou d'une reine héréditaire.

2. L'extension des pouvoirs du Québec sur le plan de la politique extérieure, dans les domaines de sa compétence. En Belgique, la constitution fédérale accorde aux communautés wallonne et flamande le droit de négocier des traités internationaux séparément… Dans le domaine sportif, le Québec pourrait avoir ses propres équipes à l'étranger (comme l'Écosse, le pays de Galles, Hong Kong et d'autres). Deux anciennes républiques de la fédération de l'ex-URSS avaient même leur siège à l'ONU.

3. La reconnaissance d'une Loi 101 renforcée, qui s'appliquerait même aux entreprises sous juridiction fédérale et à la fonction publique fédérale au Québec. Si le reste du Canada est prêt enfin à reconnaître que seule la langue française est menacée au pays et qu'elle doit être protégée, cela devrait être possible. Dans le même esprit, on pourrait ajouter dans la Constitution, hors-Québec, des zones unilingues françaises en Acadie et dans quelques coins de l'Ontario, en plus de zones bilingues protégées là ou le nombre le justifie.

4. L'interdiction à Ottawa d'utiliser son pouvoir de dépenser pour violer les champs de compétence du Québec.

Après la déroute du Bloc en 2011 et la défaite du PQ en avril 2014, la balle est clairement dans le camp fédéraliste. Si Philippe Couillard et François Legault ne la saisissent pas au bond, vous pouvez être assuré qu'Ottawa (sous Harper, Trudeau ou Mulcair peu importe) continuera à gruger l'autorité du Québec et des autres provinces (avec l'assentiment de ces dernières cependant) dans un cadre constitutionnel d'exclusion et d'arbitraire. On le voit d'ailleurs, ces jours-ci, avec une nouvelle intrusion dans le domaine provincial des valeurs mobilières.

Mais rien n'est de bon augure ces jours-ci. Le PLQ n'a aucun appétit constitutionnel et semble même disposé à renoncer à l'objectif d'un Québec français… Pendant ce temps, en face, Québec Solidaire sabote le Parti québécois (qui ne fait rien pour s'aider) d'élection en élection… et le public, à l'exception de quelques minorités bruyantes, semble nettement amorphe… Misère…








mardi 12 août 2014

Robots journalistes et chiens écrasés...

Ainsi, selon le patron de l'agence américaine Associated Press, Lou Ferrera, la rédaction de courts textes factuels sera graduellement confiée à des «robots-journalistes», pour que les vrais journalistes - les humains, en chair, en os et en cerveau - puissent se consacrer davantage «à des reportages en profondeur» (voir l'article de Marie-Claude Ducas, Les robots journalistes, dans le Journal de Montréal du dimanche 10 août - offert en ligne aux abonnés seulement).

On me pardonnera mon scepticisme - mon incrédulité totale, de fait - parce qu'en 45 ans de journalisme, à peu près tous les progrès technologiques dont j'ai été témoin (et j'en ai vu plusieurs) ont eu pour principal effet ou objectif de réduire l'apport humain (coupes d'emploi) et d'augmenter les marges de profit des entreprises. S'il y en a qui croient encore que les empires médiatiques ont comme priorité la qualité de l'information et à coeur le noble sentiment d'incarner le droit constitutionnel d'une presse libre, je leur dirais comme Zachary Richard: «Réveille! Réveille!»

Dans le New York Times du même jour (10 août), le chroniqueur David Carr évoquait la décision récente de trois grandes chaînes médiatiques américaines de larguer leurs divisions de presse écrite, moins rentables, et de les laisser évoluer seules dans la tempête financière - laissant ainsi à leurs autres divisions (télévision, etc.) des marges de profit plus conformes aux attentes des sangsues financières de Wall Street. Les journaux imprimés «continuent de mobiliser des fonds et de solides revenus, écrivait-il, mais ces résultats ne sont pas suffisants pour satisfaire les investisseurs».

L'analyse note au passage qu'au fil des ans, dans un effort de maintenir les marges désirées, la presse écrite a réduit ses contenus pour sauver des sous, mettant dans les kiosques et livrant à domicile un produit inférieur. Et après on s'étonne que les revenus publicitaires et les abonnements baissent, et que le produit soit plus difficile à vendre. «C'est un peu comme vandaliser une maison en brûlant tous les meubles pour se réchauffer, pour ensuite inviter les gens à la visiter pour voir s'ils veulent l'acheter», écrit M. Carr.

Le silence des journalistes

Pire, note-t-il, bien des gens n'ont pas remarqué ou ne s'inquiètent pas que les journaux de leur municipalité aient effectué des coupes de personnel, de livraison et de couverture. «En deviendront-ils conscients quand ces journaux fermeront leurs portes», se demande-t-il sans optimisme… Mais comment pourrait-il en être autrement quand les journalistes eux-mêmes, sur la ligne de front, se terrent le plus souvent dans un silence assourdissant… Ce sont eux qui, les premiers, devraient sonner l'alarme… mais ces jours-ci, ce devoir, cette responsabilité, plusieurs semblent l'avoir abdiqué…

Les robots journalistes seront encore plus dociles, si la chose est possible. Ils vont exécuter aveuglément leur programme, sans rouspéter, sans convention collective, sans salaire et sans avantages sociaux. Que le produit n'ait rien d'humain ne dérangera en rien les actionnaires assoiffés de profits. Je n'ai rien contre les robots, mais l'intelligence artificielle la plus sophistiquée ne leur conférera pas d'âme, de conscience, d'éthique, de jugement ou de flair journalistique. Et il est faux d'affirmer que les courts textes factuels peuvent se passer de la touche humaine, qu'il s'agisse de résultats sportifs, de données financières ou de chiens écrasés (faits divers).

Les chiens écrasés

Il fut un temps où les jeunes journalistes apprenaient leur métier/profession en rédigeant justement ces courts textes factuels, y compris des avis de décès. L'heureuse époque. Le scribe débutant s'imagine invariablement courriériste parlementaire, chroniqueur vedette, éditorialiste, rédacteur en chef… tout sauf reporter aux chiens écrasés ou aux petites affectations «bidons». Or ces petits textes et ces affectations faussement jugées «bidons» permettent de maîtriser la base du métier: on apprend comment rédiger de façon correcte et concise, rapidement et en bon français, un texte sur un évènement (un match sportif, un bilan financier, un accident de la route, etc.). L'essentiel, quoi!

Le journaliste qui maîtrise le court texte factuel peut tout faire, y compris des reportages de fond, des analyses, des chroniques et des éditoriaux. Celui ou celle qui ne juge pas ce type de rédaction digne de sa plume devrait changer de profession. Lou Ferrera, d'Associated Press, reconnaît que «la rédaction de courts textes factuels et techniques est loin d'être la tâche la plus populaire chez les journalistes». Pour certains, c'est sans doute du snobisme. Mais plus souvent qu'on pense, c'est parce que ces rédactions présentent un haut degré de difficulté. Comme réduire sa pensée à 140 frappes sur Twitter…

De l'encre noire dans les veines...

J'ai en tête le célèbre poème du pasteur allemand protestant Martin Niemöller. Quand les Nazis sont venus chercher les communistes, écrivait-il, je n'ai rien dit, je n'étais pas communiste. Quand ils sont venus pour les syndicalistes, je n'ai rien dit, je n'étais pas syndicaliste. Même chose pour les juifs, puis pour les catholiques. Quand finalement ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester… Les empires financiers, fussent-ils médiatiques, n'ont rien de l'époque nazie, mais ils n'ont pas non plus de conscience. Ils l'ont prouvé à Wall Street à maintes reprises. Ce n'est pas du sang rouge qui coule dans leurs veines, mais de l'encre noire…

Alors avis aux journalistes… nous sommes le dernier maillon de la chaîne de production du contenu de la presse écrite… Quand mon ancien quotidien, Le Droit, appartenait aux Oblats, c'était une entreprise largement autosuffisante avec son imprimerie commerciale, son service de typographie, son équipe de pressiers et une administration complète. En passant aux mains d'Unimédia, puis de Hollinger et enfin de Gesca, la dynamique interne s'est disloquée. Les décisions prises ailleurs, principalement à Montréal, n'avaient plus comme but principal la qualité du produit d'information.

Des coupes partout...

Tout était désormais soumis aux impératifs financiers de la chaîne. Ils sont venus chercher service après service. Quand l'imprimerie commerciale a disparu, les journalistes n'ont rien dit, ils n'étaient pas imprimeurs. Quand les typographes ont perdu leur emploi, la plupart des journalistes n'ont rien dit, ils n'étaient pas typographes. Quand la chaîne a vendu les presses et la bâtisse, les journalistes n'ont rien dit, ils n'étaient pas pressiers et ont retrouvé un nouveau toit. Même scénario avec certains services administratifs. Les journalistes ont eux aussi subi des coupes importantes depuis les années 80, et, faut-il s'en surprendre, pas grand monde ne s'est levé pour les défendre…

J'ai ressorti un exemplaire du Droit de 1987 hier. Un journal typique d'une quarantaine de pages grand format (presque le double du tabloïd actuel). Il y avait donc deux fois plus d'espace rédactionnel et de nouvelles. J'y ai répertorié la signature de 25 journalistes maison (Roger Clavet, Paule La Roche, Andrée Poulin, Jocelyne Richer, Jacque Lefebvre, Alain Dexter, Pierre Tremblay, Philippe Landry, Jean-Guy Arsenault, Mario Lemoine, Michel Gauthier, France Simard, Edgard Demers, Marie Martin, Claude Lévesque, France Pilon, François Brousseau, Carole Landry, François Drapeau, Murray Maltais, André Archambault, Germain Dion, Régis Bouchard, Marcel Fortin et Denis Arcand), contre neuf seulement dans l'édition du 12 août 2014…

Les miettes de la table montréalaise...

À la mi-mai, les frères Desmarais ont annoncé crûment la fermeture éventuelle des quotidiens régionaux de la chaîne Gesca, avec possibilité de leur intégration numérique - sans doute sous forme amputée - dans la Presse plus… Il y a fort à parier que le nombre de signatures de journalistes dans Le Droit diminuera de nouveau, et qu'il ne restera à peu près personne pour défendre la poignée de scribes survivants. Et tout en haut, au sommet de la pyramide de l'empire, il se trouve probablement des gens pour croire que le public de l'Outaouais et de l'Est ontarien avalera avec appétit les miettes qu'on laissera tomber par Internet de la table montréalaise…

J'espère qu'ils ont tort et qu'un débat salutaire pour la survie de l'information régionale et pour l'avenir du Droit s'animera bientôt. Pour l'instant, c'est le calme plat. Comme le soulignait le journal français Boulevard Voltaire en parlant des robots journalistes, la résistance «humaine» est pour le moment confinée à des réseaux sur les médias sociaux et à quelques journaux libres qui «tant qu'ils ne seront pas censurés, pourront permettre à l'humanité restante et contestante de réagir».

Entre-temps, conclut ironiquement le rédacteur, «on souhaite aux robots journalistes beaucoup de lecteurs robots»...



vendredi 8 août 2014

SOS...


Hisser un drapeau à l'envers est reconnu comme un signal de détresse. Ce matin, j'ai inversé mon fleurdelisé. Pour une journée seulement. Chacun a droit à sa journée de détresse une fois l'an…
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Certains jours, je crains que notre trajet comme peuple, comme nation, ne tire à sa fin. Jadis une présence active un peu partout en Amérique du Nord, nous en sommes réduits aujourd'hui à défendre, tant bien que mal, notre «brave petit village encerclé». Depuis des siècles, nous avons été conquis, soumis, dominés, et semblons avoir raté nos chances de prendre place au sein du concert des nations. La langue française a été notre seul rempart solide, et voilà que notre demi-État est aux mains d'un parti qui veut que tous les Québécois apprennent l'anglais…

Les recensements successifs, depuis un siècle, brossent un tableau cru de nos reculs, de l'effet des persécutions linguistiques hors-Québec, d'un effritement qui se fait sentir désormais jusque dans la métropole et en Outaouais. Le plurilinguisme volontaire est enrichissant mais le bilinguisme tel qu'on nous l'impose gruge l'identité culturelle et précède l'assimilation à l'anglais. La jeune génération, en particulier, semble davantage perméable aux assauts d'un franglais plus agressif qu'autrefois, surmultiplié par les nouvelles technologies…

Ce qui nous rend unique, intéressant, utile, c'est notre culture originale, issue de la vieille France et enrichie des multiples apports du vécu nord-américain. Elle a donné de brillantes oeuvres littéraires, une richesse musicale incontestée, et une abondance d'écrits qui témoignent en français de notre présence ici comme peuple. Mais cela s'arrêtera net si des générations peuplées de bilingues en voie d'anglicisation finissent par nous succéder. L'Amérique du Nord regorge déjà d'exemples probants… en Louisiane et ailleurs au pays.

L'anglais intensif mur à mur en sixième année n'est que la pointe de l'iceberg. À écouter plusieurs de nos dirigeants politiques, il faudrait presque arrêter d'enseigner l'histoire, de peur que les jeunes en tirent quelque enseignement «dangereux»… Et pendant ce temps, à Ottawa, le gouvernement conservateur réécrit l'histoire à son image royaliste et militariste… Nous finirons par avoir un «peuple» qui connaît mal ou pas son passé, plus ou moins bilingue, qui lira moins, qui écrira moins… un terreau fertile pour ceux qui n'ont que faire de la démocratie…

Face à la puissance de gouvernements aveuglés ou aveuglants, il ne reste que les médias et la rue en attendant les élections. Parlons-en des médias. À l'exception du Devoir et de quelques chroniqueurs ou blogueurs dans d'autres quotidiens, le rouleau compresseur est en marche contre tout ce qui voudrait renforcer le dynamisme politique et culturel d'un Québec français. Un bon jour, il faudra qu'on enquête sur le rôle joué par les grands médias dans diverses situations de crise identitaire au Québec. Pour le moment, suffit de dire que les plumes éditoriales sont souvent trop dociles et les salles de rédaction silencieuses… Il ne reste que les médias sociaux, anarchiques et fragmentés… Et la rue? N'y pensons pas...

Au moment où le Québec pourrait faire entendre sa voix - notre voix - dans les grands débats mondiaux  sur l'environnement, sur le Moyen-Orient, sur les conflits en Afrique et en Ukraine, sur les grands enjeux de la francophonie et bien d'autres, une voix qui n'est surtout pas celle du gouvernement Harper,  nous déclinons et risquons de nous désagréger comme peuple. Le poète Paul Chamberland aura-t-il eu raison, finalement, quand il écrivait dans L'afficheur hurle il y a 50 ans (en 1964) : «Nous n'aurons été qu'une page blanche de l'histoire», «un peuple jamais né, une histoire à dormir debout, un conte qui finit par le début»… 

Ce matin, je vois mal la lumière au bout du tunnel. Mais ça, c'est l'affaire d'un matin. Les humeurs, les perceptions, c'est un peu comme la météo… Les nuages s'amoncellent, le ciel s'obscurcit, le tonnerre gronde au loin, l'orage éclate… puis le beau temps revient. Demain je repasse en mode résistance!







mercredi 6 août 2014

Question claire… L'effet écossais...


«Tout est question de mots», me lançait récemment un ami et ancien collègue journaliste au quotidien Le Droit, Marc-André Joanisse, en réponse à l'une de mes incessantes interrogations sur le monde et la vie. Sur le coup, je n'ai pas trop réfléchi à la portée de son commentaire, mais à bien y penser, il y a beaucoup de vrai là-dedans. «Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement. Et les mots pour le dire viennent aisément», écrivait Nicolas Boileau-Despréaux dans L'art poétique en 1674.

La clarté d'une idée, et la clarté des mots pour l'exprimer demeurent aujourd'hui au coeur des projets individuels et collectifs. J'ai repensé à tout ça quand j'ai lu, ces derniers jours, les propos tenus par un des ténors du Parti québécois, Bernard Drainville, à son retour d'Écosse, et les réactions d'un des ténors du Parti libéral du Canada, Stéphane Dion. M. Drainville applaudissait, à la grande satisfaction de son «collègue» Dion, le libellé ainsi que la clarté de la question référendaire écossaise qui se lit comme suit (traduction): «L'Écosse devrait-elle être un pays indépendant?»

Les Québécois ont vécu deux référendums de ce type (1980 et 1995), et tout en ne doutant pas une seconde que chacun, chacune ait parfaitement compris le sens de son «oui» ou son «non», les énoncés n'avaient pas la limpidité de celui de l'Écosse. Voici notre question référendaire de 1980, qu'il est impossible de lire à voix haute sans avoir eu à reprendre son souffle à quelques reprises :

«Le Gouvernement du Québec a fait connaître sa proposition d'en arriver, avec le reste du Canada, à une nouvelle entente fondée sur le principe de l'égalité des peuples; cette entente permettrait au Québec d'acquérir le pouvoir exclusif de faire ses lois, de percevoir les impôts et d'établir des relations extérieures, ce qui est la souveraineté, et, en même temps, de maintenir avec le Canada une association économique comportant l'utilisation de la même monnaie; aucun changement de statut politique résultant de ces négociations ne sera réalisé sans l'accord de la population lors d'un autre référendum; en conséquence, accordez-vous au Gouvernement du Québec le mandat de négocier l'entente proposée entre le Québec et le Canada?»

Ouf… En 1995, après un début plus clair, la question - plus courte - se terminait dans la confusion si le citoyen appelé à voter n'avait pas lu un projet de loi et une entente… Voici le libellé : «Acceptez-vous que le Québec devienne souverain, après avoir offert formellement au Canada un nouveau partenariat économique et politique, dans le cadre du projet de loi sur l'avenir du Québec et l'entente signée le 12 juin 1995?» On notera dans les deux questions que le PQ avait préféré le mot «souveraineté» à «indépendance» ou, pire, «séparation» (une préférence fédéraliste…), espérant sans doute au sein du public une perception plus favorable du mot «souveraineté»… et de l'expression «souveraineté-association», encore plus rassurante…

Le gouvernement Chrétien avait eu la frousse, le «oui» raflant près de la moitié des voix. Il s'en était fallu de peu… Ottawa a demandé l'avis de la Cour suprême, avec la quasi certitude que le plus haut tribunal du pays (où tous les juges sont nommés par le premier ministre fédéral) jugerait à la fois illégal et illégitime le principe même d'un référendum sur la «sécession» du Québec ou de toute province de la fédération. J'ai la conviction qu'on a dû lâcher quelques jurons dans les officines du premier ministre Chrétien en lisant le paragraphe qui suit, tiré de l'avis juridique de 1998:

«Nos institutions démocratiques permettent nécessairement un processus continu de discussion et d'évolution, comme en témoigne le droit reconnu par la Constitution à chacun des participants à la fédération de prendre l'initiative de modifications constitutionnelles. Ce droit comporte l'obligation réciproque des autres participants d'engager des discussions sur tout projet légitime de modification de l'ordre constitutionnel. Un vote qui aboutirait à une majorité claire au Québec en faveur de la sécession, en réponse à une question claire, conférerait au projet de sécession une légitimité démocratique que tous les autres participants à la Confédération seraient dans l'obligation de reconnaître.»

Le ministre Stéphane Dion avait beau avoir répondu à l'avis de la Cour suprême avec sa Loi sur la clarté référendaire en 2000, loi d'ailleurs outrancière et inapplicable, le principe était établi. Le Québec, avec un mandat clair, avait le droit légitime d'obliger Ottawa et les provinces de négocier son accession à l'indépendance. Comme il fallait s'y attendre, le mot «clair» est devenu le mot clé. Une majorité claire? Le débat se poursuit là-dessus, quoique le seuil de 50% plus un paraît recueillir le plus d'appuis, au Québec du moins. Un des grands partis fédéraux, le NPD, accepte le 50% + 1 comme majorité claire… Justin Trudeau propose les deux tiers… un seuil qu'il sait impossible à atteindre… On ne fera pas consensus là-dessus de si tôt…

Sur le libellé d'une future question référendaire, cependant, une lueur semble apparaître au bout du tunnel avec la similitude des propos tenus par deux adversaires acharnés, Stéphane Dion et Bernard Drainville… Une question à l'écossaise rallierait sûrement les Bernard Landry et le nouveau chef du Bloc québécois, Mario Beaulieu. Et qui sait, les choses étant ce qu'elles sont depuis l'élection du 7 avril, si d'autres indépendantistes ne seront pas séduits pas cette approche plus directe, sans détours? Un «oui» collectif (hautement improbable dans le contexte actuel) à une question sur laquelle fédéralistes et indépendantistes se seraient mis d'accord aurait plus de poids auprès d'Ottawa et du Canada anglais… 

C'est peut-être le moment idéal de tenter de «clarifier» les enjeux et les mots pour les définir. On est loin de 1961, quand Marcel Chaput avait lancé sa première campagne en faveur de l'indépendance. Son manifeste, publié aux Éditions du Jour, s'intitulait Pourquoi je suis séparatiste. Ayoye… ça ne passerait pas aujourd'hui… «Le monde est fait de séparatistes. L'homme maître chez lui est séparatiste. Les cent nations de la terre qui cherchent à conserver leur identité nationale sont séparatistes. (...) Et même vous qui souhaitez le rapatriement de la Constitution canadienne, vous êtes séparatiste», écrivait Marcel Chaput dans son avant-propos. Ce discours n'a pas duré très longtemps…

Quand le RIN a pris du galon dans les années qui ont suivi et lancé son journal, il l'a appelé L'indépendance et non La séparation… Indépendantiste faisait plus positif que séparatiste… Et vers la fin de la décennie, avec l'arrivée de René Lévesque, on a troqué largement l'indépendance pour la souveraineté… et même la souveraineté-association. On a dilué encore davantage dans les années 1970 avec Claude Morin et son étapisme, pour aboutir à la monstrueuse question de 1980… avec les résultats que l'on connaît.

Après plus de cinquante ans de débats où le choix des mots a souvent été au coeur de la discorde, nous n'avons pas réglé grand-chose… Sur le plan constitutionnel, avec le rapatriement unilatéral de 1982, le Québec a même reculé… La reconnaissance du Québec comme «nation» par la Chambre des communes à Ottawa a une valeur essentiellement symbolique… Le seul véritable gain a été la reconnaissance - juridique et politique - du droit du Québec à l'autodétermination, c'est-à-dire de sa souveraineté.

En participant aux deux référendums, les partisans du «non» ont reconnu la légitimité du processus et accepté, en votant, de s'y soumettre. Le Québec est souverain, la Cour suprême l'a reconnu en 1998. Il peut exercer cette souveraineté en faveur de l'accession à l'indépendance, ou en faveur d'un maintien du lien fédéral. Même s'il cède au pouvoir central des pouvoirs importants, même s'il confie à la fédération une partie de sa souveraineté, il a toujours le droit d'obliger ses partenaires fédéraux à renégocier en tout ou en partie avec l'assentiment d'une majorité «claire» à une question «claire».

Si Bernard Drainville et Stéphane Dion pouvaient s'entendre sur une question comme Le Québec devrait-il être un pays indépendant?, quelque chose d'important aurait bougé...