mercredi 23 mai 2012

Conflit étudiant: sortez vos dictionnaires!

En voyant le titre de TV5 Monde (La loi spéciale, on s'en câlisse!), ce matin, et ayant constaté l'omniprésence des «crisse» et «câlisse» en général ces derniers jours, je me suis demandé si on n'assistait pas - au-delà de la vulgarité des propos - à une démonstration internationale de l'appauvrissement de notre langage.

À n'en pas douter, vu nos traditions religieuses, l'effet de tels jurons sur des affiches et dans des titres est considérable... la première fois. La deuxième un peu moins. Après ça devient banal, et tout simplement vulgaire. Quelle impression cela laisse-t-il au reste de la planète?

Certains étudiants, et plusieurs de ceux et celles qui les appuient, auraient avantage à ressortir un outil pré-Internet fort utile en de telles circonstances : le dictionnaire. Ils y trouveraient toute une série de mots et d'expressions pour exprimer de manière percutante leur indignation face à cette loi spéciale.

Voici quelques exemples de qualificatifs simples et connus qui pourraient diversifier les dénonciations de la Loi 78, un texte législatif qui mérite bien qu'on le décortique avec toute l'énergie des Larousse, Robert et Multi...

Crapulerie, ignominie, indignité, odieux, ordure, saleté, sordide, souillure, déshonneur, flétrissure, honte, iniquité, horripilant, arbitraire, oppression, provocation, abominable, exécrable, minable, perfide, sinistre, pervers, abject, honteux, infâme, méprisable, inéquitable, inquisitorial, vexatoire, déchéance, spoliateurs... voilà déjà une trentaine de mots susceptibles d'orner des pancartes d'universitaires et de collégiens.

Personnellement, je trouve qu'on « se câlisse » trop souvent de la qualité de la langue...


Pierre Allard

lundi 21 mai 2012

Journée nationale des patriotes. Louis-Joseph Papineau.


Réponse de Louis-Joseph Papineau à Lord Durham après l'insurrection de 1837-1838.

« Ce n'est plus à moi à me porter l'accusateur du gouvernement anglais, comme il a été de mon devoir de le faire pendant trente ans de ma vie publique. Ce gouvernement s'est lui-même confessé coupable dans les cent vingt pages in-folio que vient de publier Lord Durham. Corruption systématique, péculats honteux, antipathies contre les peuples, exemples révoltants d'irresponsabilité dans les agents du pouvoir, accaparement du domaine public, rien ne manque à ce tableau des misères du Canada, tableau tellement hideux que son pendant ne pourra être fourni que par l'histoire d'une autre possession anglaise, l'Irlande.

« Et pourtant, l'auteur a uniformément adouci ses formules accusatrices contre l'autorité dont il est l'organe, et à laquelle il veut conserver son sceptre de plomb sur les colonies par de si pitoyables moyens, qu'il s'est perdu de réputation comme homme d'état.

« Voulant prouver que sa race favorite, la race saxonne, est seule digne du commandement, lord Durham l'a mensongèrement peinte en beau, et il a assombri par les plus noires couleurs le faux portrait qu'il a tracé des Canadiens français. Mais malgré cette avilissante partialité, je renvoie avec confiance les lecteurs équitables à cet étrange rapport, bien convaincu qu'ils en tireront cette conclusion, que les Canadiens n'ont aucune justice à espérer de l'Angleterre; que pour eux, la soumission serait une flétrissure et un arrêt de mort, l'indépendance, au contraire, un principe de résurrection et de vie.

« Ce serait plus encore, ce serait une réhabilitation du nom français terriblement compromis en Amérique par la honte du traité de Paris de 1763, par la proscription en masse de plus de vingt mille Acadiens chassés de leurs foyers, enfin, par le sort de six cent mille Canadiens gouvernés depuis quatre-vingts ans avec une injustice incessante, aujourd'hui décimés, demain condamnés à l'infériorité politique, en haine de leur origine française.

« Vrai quand il accuse le pouvoir, faux quand il accuse le peuple, le rapport de Lord Durham servira aussi à prouver que l'indépendance du Canada est un événement voulu par l'intérêt de l'ancienne comme de la nouvelle France, et par l'intérêt de l'humanité tout entière. »


Extrait de l'« Histoire de l'insurrection au Canada » (1839), par Louis-Joseph Papineau
Éditions Leméac, 1968.

dimanche 20 mai 2012

Journée nationale des patriotes. Chevalier de Lorimier.


Testament politique de Chevalier de Lorimier



« Je meurs sans remords. Je ne désirais que le bien de mon pays dans l’insurrection et l’indépendance, mes vues et mes actions étaient sincères et n’ont été entachées d’aucun des crimes qui déshonorent l’humanité et qui ne sont que trop communs dans l’effervescence de passions déchaînées.


« Depuis 17 à 18 ans, j’ai pris une part active dans presque tous les mouvements populaires, et toujours avec conviction et sincérité. Mes efforts ont été pour l’indépendance de mes compatriotes; nous avons été malheureux jusqu’à ce jour. La mort a déjà décimé plusieurs de mes collaborateurs. Beaucoup gémissent dans les fers, un plus grand nombre sur la terre d’exil avec leurs propriétés détruites, leurs familles abandonnées sans ressources aux rigueurs d’un hiver canadien.

« Malgré tant d’infortune, mon cœur entretient encore son courage et des espérances pour l’avenir, mes amis et mes enfants verront de meilleurs jours, ils seront libres, un pressentiment certain, ma conscience tranquille me l’assurent.

« Voilà ce qui me remplit de joie lorsque tout est désolation et douleur autour de moi. Les plaies de mon pays se cicatriseront après les malheurs de l’anarchie et d’une révolution sanglante. Le paisible Canadien verra renaître le bonheur et la liberté sur le Saint-Laurent; tout concourt à ce but, les exécutions même, le sang et les larmes versés sur l’autel de la liberté arrosent aujourd’hui les racines de l’arbre qui fera flotter le drapeau marqué des deux étoiles des Canadiens.


......


« Quant à vous, mes compatriotes, puisse mon exécution et celle de mes compagnons d’échafaud vous être utiles. Puissent-elles vous démontrer ce que vous devez attendre du gouvernement anglais!... Je n’ai plus que quelques heures à vivre, mais j’ai voulu partager ce temps précieux entre mes devoirs religieux et ceux dus à mes compatriotes : pour eux je meurs sur le gibet de la mort infâme du meurtrier, pour eux je me sépare de mes jeunes enfants et de mon épouse sans autre appui, et pour eux je meurs en m’écriant: Vive la Liberté, Vive l’indépendance! »

Chevalier de Lorimier
14 février 1839, à 11 heures du soir
Extrait du livre « Les patriotes 1830-1839 »
Les Éditions Libération, 1971.

samedi 19 mai 2012

Face à la Loi 78, que faire?

« Les Forces armées canadiennes obligent leurs membres à obéir aux ordres légitimes des supérieurs. En revanche, le fait de refuser d'obéir un ordre illégal ne constitue pas une infraction. » Ce texte, publié par le gouvernement canadien, indique que même au sein de la structure militaire, un individu peut être amené à s'interroger sur la légitimité, voire la légalité, d'exécuter l'ordre de son supérieur. Cette règle vaut aussi pour le citoyen quand il est confronté à une loi injuste qui viole ou entrave des libertés fondamentales reconnues par la Charte québécoise des droits et libertés de la personne ou par la Charte canadienne des droits et libertés.


La loi spéciale que vient d'adopter l'Assemblée nationale nous oblige à nous questionner sur le comportement à adopter. Faut-il obéir à cette loi tout en sachant qu'elle porte atteinte à la liberté d'expression, au droit de réunion pacifique et au droit d'association - des droits constitutionnels reconnus dans les deux chartes - pendant que l'on conteste sa constitutionnalité devant les tribunaux, dans l'espoir d'un jugement rétroactif favorable? Ou faut-il envisager une désobéissance civile pacifique, prenant le risque d'être accusé pour la bonne cause, encore une fois en espérant que la Loi 78 soit jugée inconstitutionnelle par les tribunaux et que la peine soit annulée?


L'histoire regorge de mouvements de désobéissance civile. Jadis, avant que la liberté d'association ne soit reconnue, des travailleurs ont fondé des syndicats illégaux et déclenché des grèves illégales. Aux États-Unis, avant la reconnaissance du droit à l'égalité, des Noirs ont refusé d'obéir aux lois ségrégationnistes. En Ontario, des institutrices ont enseigné illégalement en français après que le gouvernement provincial l'eut interdit. Quand des droits fondamentaux sont mis en péril par des gouvernements, on peut en arriver au point où des citoyens soucieux de protéger la démocratie, la constitution et la primauté du droit, doivent poser des gestes de désobéissance.


En sommes-nous là? J'ai la conviction que la désobéissance civile doit constituer l'ultime recours. J'ai lu la loi à quelques reprises ainsi que les opinions des juristes. Il me semble assez clair qu'elle ne résistera pas à l'examen des tribunaux mais la question est de savoir si les tribunaux auront le temps de trancher l'affaire avant que n'expire la loi en 2013. Pendant ce temps, le gouvernement québécois s'est arrogé le pouvoir d'entraver la liberté d'association (étudiante et syndicale), le droit de manifester pacifiquement et la liberté d'expression de tous les citoyens du Québec. Peut-être des juristes rusés pourront-ils trouver des brèches permettant de mener une guérilla légale en frôlant, sans les dépasser, les sévères limites imposées par la Loi 78.


Ce qui est sûr, c'est qu'il faut agir vite, et de façon responsable. Pour les casseurs masqués, je n'ai aucune sympathie. Ce sont des criminels en ce qui me concerne. Leurs actions jettent le discrédit sur la cause étudiante et tournent l'opinion publique en faveur du gouvernement. Le débat sur les droits de scolarité, et sur une éventuelle gratuité scolaire universitaire, doit se poursuivre. Les étudiants doivent tirer des enseignements de la lutte actuelle, et le premier, c'est de se prévaloir de leur droit de vote au prochain scrutin provincial. Mon instinct me dit qu'il faut trouver un juste milieu entre la contestation, obligatoirement pacifique, et le respect de cette loi (votée par des députés que nous avons élus), du moins pour le moment. Mais je poursuis ma réflexion...


Pierre Allard

vendredi 4 mai 2012

Désignation partielle?

Publié dans Le Droit du vendredi 4 mai, page éditoriale.

Finalement, il apparaît que l’Université d’Ottawa ne protégera que certains programmes de baccalauréat, ainsi que les services aux étudiants, en vertu de la Loi sur les services en français de l’Ontario. Rien ne sera désigné au niveau de la maîtrise et du doctorat. Il est difficile, à ce stade, de savoir quelle forme prendra le tout et de quelle façon la direction entrevoit son évolution dans un avenir prochain, mais la première impression n’est guère rassurante. On semble procéder de façon hésitante et craintive.

Que l’Université ait ou non raison d’agir ainsi reste à déterminer. Ce qui est sûr, c’est qu’encore une fois, les francophones ne sont pas maîtres de leur destin dans cette institution universitaire qu’ils ont le plus souvent vue comme étant la leur et qui leur échappe peu à peu depuis un demi-siècle. De toute évidence, la question du contrôle et de la gestion des institutions d’enseignement, réglée aux niveaux élémentaire, secondaire et collégial, se pose toujours avec acuité au palier universitaire.

Pierre Allard