mardi 11 décembre 2012

Le français est-il ou non en danger au Québec? Le recensement 2011 répond «oui»!

Quand on dépasse le stade primaire du vieux fond de racisme anglo-canadien, l'objection que je trouve la plus percutante au renforcement de la Loi 101 est la suivante : le français se porte bien au Québec, et il n'y a donc aucun besoin de légiférer davantage pour le protéger. C'est, entre autres, l'un des arguments employés récemment par le Globe and Mail de Toronto dans sa page éditoriale, et même par des commentateurs francophones à l'occasion, au Québec.

Le français est-il ou non en danger?

La question clé est donc la suivante : le français est-il ou non en danger ? On sait qu'il l'est à l'extérieur des frontières du Québec où les minorités canadiennes-françaises et acadiennes mènent un combat acharné pour assurer la survie et le développement de leur langue et leur culture. Les chiffres ne sont guère encourageants et malgré les discours optimistes officiels, tout le monde constate l'érosion - plus ou moins rapide selon les régions - de l'effectif francophone hors-Québec.

Au Québec, le débat a principalement ciblé la région montréalaise, à tort et à raison. À tort parce que les situations sont beaucoup plus claires ailleurs que dans la métropole, mais à raison parce que - veux, veux pas - Montréal est le seul grand centre urbain du Québec. Si le français décline et cède  un jour devant l'anglais sur l'île de Montréal, ce sera la « folklorisation » de notre langue à plus ou moins long terme sur l'ensemble du territoire québécois.

Mais qu'en est-il, exactement? De part et d'autre, on a utilisé les statistiques linguistiques récentes du recensement de 2011 à toutes les sauces. On y retrouve des statistiques sur la langue maternelle, sur la langue la plus souvent parlée à la maison, sur les autres langues parlées régulièrement à la maison, sur la première langue officielle parlée (la PLOP...), sur la connaissance des langues officielles (permettant d'établir des indices de bilinguisme), ainsi que sur la langue de travail.

En maniant habilement différentes combinaisons, on peut sans doute tracer des scénarios qui finiront par plaire aux tenants de toutes les options politiques. Mais comme je suis originaire de l'Ontario (d'un ancien quartier francophone d'Ottawa, aujourd'hui disparu) et que j'ai milité dans des mouvements franco-ontariens avant d'élire domicile pour de bon au Québec (à Gatineau), je propose d'utiliser la même méthode, fort simple, que l'on emploie le plus souvent pour mesurer la persistance du français chez les minorités hors-Québec.

Un portrait de la dynamique linguistique

Il suffit de comparer les statistiques sur la langue maternelle à celles sur la langue d'usage (la langue le plus souvent parlée à la maison). Malgré toutes ces imperfections, et elles sont appréciables, cette méthode d'analyse permet de brosser un tableau que je crois valable de la dynamique linguistique dans une région ou une localité données.

Par exemple, dans ma ville natale d'Ottawa, le recensement de 2011 indique la présence de 123 925 personnes de langue maternelle française (sur une population totale de 872 000), mais de seulement 86 035 personnes dont la langue la plus souvent parlée à la maison (la langue d'usage) est le français. En divisant la langue d'usage par la langue maternelle, on obtient un taux de persistance de 69,4%. Cela indique un taux d'assimilation supérieur à 30%. Ce n'est pas parfait comme image, mais si on fait le même calcul partout, au moins on compare des pommes avec des pommes.

Analyse de 132 subdivisions de recensement

J'ai donc fait le même exercice (dans chaque subdivision de recensement) pour l'ensemble de l'Outaouais; pour les régions riveraines entre l'Outaouais, l'Est ontarien et Montréal; pour le sud-ouest de Montréal (le triangle Longueuil, frontière américaine-fleuve Saint-Laurent-Longueuil); et l'île de Montréal ainsi que Laval. Les résultats dans ces 132 subdivisions de recensement (certaines n'ont que quelques centaines d'habitants, d'autres comme celle de Montréal en ont plus de 1 600 000) ont confirmé mes appréhensions et j'en ai tiré quatre catégories :

1) Recul du français. Dans certaines régions et localités, l'anglais domine tellement que les effectifs de langue maternelle française régressent (ou, au mieux, restent stables) dans la colonne de la langue d'usage. Il y là a une assimilation active des francophones. Pas moins de 66 (la moitié des 132) subdivisions de recensement - y compris tout l'ouest de l'île de Montréal, la couronne sud-ouest de Montréal, ainsi que le Pontiac, une partie de la vallée de la Gatineau et une région à l'ouest de Lachute - tombent dans cette catégorie!

2) L'anglais avantagé. À certains endroits, francophones et anglophones enregistrent des gains, mais les chiffres de la langue d'usage indiquent un pouvoir d'attraction supérieur de l'anglais (c'est le cas de Montréal, Laval et Gatineau, 3 des 4 plus grandes villes du Québec). Ici, la dynamique linguistique favorise l'anglais à moyen/long terme. Dans cette catégorie (la plus peuplée de toutes), il y a 19 subdivisions de recensement, y compris Montréal, Laval, Brossard, St-Lambert, Gatineau, Châteauguay, Candiac et Mont-Royal. 

3) Le français avantagé. Dans certains coins, les chiffres sur la langue d'usage indiquent un pouvoir d'attraction supérieur du français. Ici, la dynamique linguistique favorise le français sans toutefois qu'il n'y ait d'assimilation perceptible du groupe anglophone. Cette catégorie regroupe 26 subdivisions de recensement, pour la plupart des petites localités à l'exception de Longueuil.

4) Recul de l'anglais. Enfin, dans certaines régions et localités, le français domine tellement que les effectifs de langue anglaise régressent dans la catégorie de la langue d'usage. On trouve dans cette catégorie 21 subdivisions de recensement, y compris Valleyfield, Beauharnois et plusieurs secteurs ruraux dans la Haute-Gatineau, dans la Petite-Nation de l'Outaouais, ainsi qu'au sud-ouest de Montréal.

Des minorités anglaises assimilent des majorités francophones

Je développerai davantage le détail des portraits de ces catégories et des régions dans de futurs blogues, mais une chose m'a particulièrement frappée. Dans les secteurs de l'Ontario où les francophones sont majoritaires, la minorité anglaise assimile tranquillement la majorité française. Prenons le cas d'Alfred-Plantagenet, entre Ottawa et la frontière du Québec. Sur un total de 9 025 personnes, 6795 sont de langue maternelle française et 1680 de langue maternelle anglaise. Quand on regarde les chiffres de la langue d'usage, le nombre d' « anglophones » grimpe à 2 300 et le nombre de « francophones » diminue à 6495. Cette situation est généralisée.

Eh bien, ce phénomène, quoique moins accentué, est également perceptible au Québec. Quand plus de 10 ou 15% de la population d'une localité est anglophone, elle semble avoir tendance à se renforcer et à accroître ses effectifs. En Ontario, dans une situation similaire, une minorité de 10 à 15% de Franco-Ontariens disparaîtrait en quelques générations, à toutes fins utiles.

La conclusion principale : la dynamique linguistique actuelle favorise l'anglais dans 85 subdivisions de recensement (du sud-ouest québécois et de la grande région montréalaise) et elle favorise le français dans 47 subdivisions de recensement comportant peu de régions urbaines. C'est plus qu'inquiétant !

À suivre...

dimanche 2 décembre 2012

Les Anglo-Canadiens face au bilinguisme

À entendre le Commissaire fédéral aux langues officielles et à voir les documents du gouvernement canadien, notamment le « Rapport sur les Consultations du gouvernement du Canada sur la dualité linguistique et les langues officielles » de 2008, on a l'impression que la vaste majorité des Canadiens - d'un bout à l'autre du pays - sont favorables au bilinguisme dans l'ensemble du Canada, et même dans leur province. Selon ce document, le soutien au bilinguisme oscille autour de 65%, soit près des deux tiers, au sein de la population anglophone du Canada. L'appui est beaucoup plus élevé chez les francophones, tant au Québec que dans les provinces où ils sont minoritaires.

Et pourtant, à chaque fois qu'un différend linguistique se manifeste (comme la cause Thibodeau au sujet des services en français à Air Canada, ou n'importe quelle proposition visant à renforcer la situation du français au Québec), on constate dans les médias anglo-canadiens - et pas seulement dans les foyers traditionnels d'hostilité, cela s'étend aux pages plus élitistes et tolérantes du Globe and Mail - des débordements de colère haineuse, avec parfois des milliers de commentaires souvent violents et racistes contre les francophones en général et les Québécois en particulier, mais aussi contre le bilinguisme.

Durcissement de l'opinion ?

S'agit-il d'une frange extrémiste plus volubile que la majorité silencieuse, ou assiste-t-on depuis quelques années à un durcissement de l'opinion publique anglo-canadienne à l'endroit de tout ce qui est, en partie ou en totalité, francophone? Des bribes d'information glanées ça et là dans l'actualité récente laissent croire que derrière un appui très mou, et peut-être toujours majoritaire, au principe même du bilinguisme, il se dresse présentement un sentiment croissant et agissant d'intolérance fondé à la fois sur le vieux fond de racisme anti-français au Canada anglais et sur une exaspération devant les demandes incomprises de droits linguistiques et de pouvoirs accrus, principalement en provenance du Québec.

Les deux solitudes

La semaine dernière, alors qu'on nous lançait de façon plutôt tendancieuse quelques résultats d'un sondage Léger Marketing de l'Association d'études canadiennes, et notamment l'allégation que les deux tiers des Québécois considèrent le drapeau canadien comme source de fierté, peu de gens se sont donnés la peine de lire l'ensemble des résultats du sondage et de comparer les différences souvent marquées entre les « deux solitudes » du pays.

Les sondeurs interrogent notamment les gens sur la politique des langues officielles et le bilinguisme comme source de fierté au Canada, et donnent pour l'ensemble du pays un « indice de fierté » de 84% chez les francophones...mais de seulement 51% chez les anglophones. Cet indice baisse par ailleurs à 43 ou 44% dans les provinces des Prairies (Manitoba, Saskatchewan et Alberta). J'avoue que les questions du sondage me paraissent au départ mal formulées et ambiguës et que cela pourrait déformer jusqu'à un certain point les conclusions, mais les résultats peuvent toujours servir à quantifier l'écart entre anglos et francos, ainsi qu'entre le Québec et le reste du pays.

Le bilinguisme, pas très important...

Le sondage Léger Marketing demande notamment aux répondants d'indiquer quels symboles, institutions ou enjeux sont considérés comme « très importants ». Or, seulement 16% des anglophones disent considérer la politique des langues officielles et le bilinguisme comme très importants (contre 44% des francophones). Par contre le multiculturalisme est jugé très important par 30% des répondants anglophones (seulement 15% chez les francophones). Et ces écarts déjà impressionnants deviennent énormes quand on regarde l'indice de fierté envers des institutions comme la monarchie (48% chez les anglos - c'est pas féroce, M. Harper, mais beaucoup « mieux », selon votre point de vue, que l'appui de 14% des francophones), ou la guerre de 1812 (73% chez les anglophones, 30% chez les francophones).

Et dans la région de la capitale fédérale...

Récemment, la même association (Association d'études canadiennes) a réalisé un sondage sur la situation linguistique dans la région d'Ottawa et Gatineau (la région de la capitale fédérale). Ici, contrairement, à Saskatoon ou Victoria, les anglophones sont en contact fréquent avec des francophones et avec la langue française (le tiers de la région est francophone, et plus de la moitié de la population de 1 200 000 connaît le français). Or, dans cette région « privilégiée », au dire de certains, sur le plan linguistique, seulement 42% des anglophones considèrent le bilinguisme de la capitale comme une source de fierté (contre 85% des francophones). On se croirait dans les Prairies...

Le sondage de la région de la capitale fait par ailleurs ressortir les erreurs de perception ou le déficit d'information de la population anglophone. Seulement 22% des répondants anglophones croient le français est en situation de déclin dans la région d'Ottawa (alors qu'il est facile de démontrer, sur le plan démographique, la régression du français) et à peine 23% se disent préoccupés par la condition de la langue française. Ces perceptions et attitudes sont sans doute conditionnées par les médias anglophones de la capitale, peu sympathiques aux francophones et au Québec.

Gratter sous la surface

Quoiqu'il en soit, quand on gratte un peu sous la surface, on s'aperçoit que l'appui de principe donné au bilinguisme n'est que ça... un  appui de principe. Quand vient le temps de passer aux actes, quand vient le temps de prendre des mesures efficaces pour protéger le français, les appuis s'effritent. Déjà, en 1990, il y a plus de 20 ans donc, dans un sondage CBC Globe and Mail, plus de 67% des Ontariens anglophones et plus de 75% des anglophones des trois provinces des Prairies estimaient qu'on en avait assez fait ou même trop fait pour protéger les droits linguistiques des francophones hors-Québec. Quand on considère toutes les injustices subies par ces derniers et l'ampleur des dégâts à réparer, l'attitude des répondants anglophones est révélatrice...

Il existe sans doute un fort contingent d'anglophones francophiles au Canada, heureusement, mais quand ça compte, ils sont rarement majoritaires.