dimanche 31 mai 2015

Adieu Philippe Gagnon !

Loin de moi de croire que la presse - écrite ou électronique, régionale ou nationale - doive inclure automatiquement dans ses actualités le décès d'un journaliste. Certains ne font que passer dans la profession, d'autres y font carrière. Dans l'univers de l'imprimé en particulier, la plupart des scribes piochent toute une vie derrière un clavier (ou un appareil photo) dans un relatif anonymat, la célébrité durable étant réservée à quelques-uns...

Pour le grand public, la mort d'un ancien journaliste se limitera donc, le plus souvent, au traditionnel avis de décès dans les pages nécrologiques d'un hebdo ou d'un quotidien. Cet avis sera vu par ses proches et par les lecteurs et lectrices d'une seule région, à moins d'être publié dans un grand quotidien urbain. Mais qu'en est-il des autres membres de la profession qui l'ont connu, qui l'ont côtoyé, qui ont été ses collègues et amis? À moins d'être restés en contact ou de faire partie des mêmes réseaux, ils n'en sauront rien…

En fin de semaine j'ai reçu un courriel d'un ancien collègue du Droit, Michel Beauparlant, m'annonçant tout simplement: «Philippe est décédé». Ouvrant le lien au site Web du salon funéraire Lépine Cloutier (région de Québec), je trouve cet avis: «À l'Hôtel Dieu de Québec, le 26 mai 2015, à l'âge de 72 ans, est décédé monsieur Jean-Philippe Gagnon, fils d'Anita Bouchard et de feu Joseph-Édouard, époux de Lyne Desharnais. Il demeurait à Fossambault-sur-le-lac.» On peut visionner l'avis à http://bit.ly/1K3nRqc.

J'ai fait le tour de l'Internet, espérant glaner ça et là des textes sur les carrières de Philippe, d'abord comme reporter, éditorialiste et courriériste parlementaire au quotidien Le Droit dans les années 1960 et 1970 (et par la suite à La Presse et au Soleil?), puis sur ses nombreuses années au service de l'État québécois. Malheureusement, ce collègue d'une autre génération a oeuvré dans l'ère pré-électronique et le Web ne semble guère avoir conservé de trace de ses réalisations.

Heureusement, sur la plate-forme Facebook, une page de retrouvailles des anciens de la rédaction du Droit, créée en 2012 à la veille du centenaire du journal, existe toujours (http://on.fb.me/IYkxwM) et accueille près d'une centaine de membres actuels et passés de la salle des nouvelles. J'y ai relancé le lien au salon funéraire, pour rappeler aux abonnés de la page que Philippe était l'un des nôtres. (Dans l'édition du lundi 1er juin, Le Droit en a tiré un court texte.) Mais cette page Facebook n'a aucune permanence, tout comme ses rares contributeurs...

Quand je suis entré à la salle des nouvelles du Droit en juin 1969, Philippe était déjà dans le cercle des vétérans de notre rédaction même s'il n'avait que trois ans de plus que moi et moins de cinq années d'expérience. Il faut savoir cependant qu'à cette époque, la rapidité du roulement de personnel donnait le vertige et ceux (pas beaucoup de celles) qui avaient réussi à accumuler quelques années de service en imposaient aux p'tits nouveaux…

La salle des nouvelles du Droit était située à cette époque sur la rue Rideau, dans la Basse-Ville d'Ottawa, mais le quotidien avait un bureau de quatre ou cinq journalistes en sol québécois, à Hull, et Philippe Gagnon en était le chef. Un poste convoité. Par la suite, il est devenu courriériste parlementaire à Québec et éditorialiste, toujours au Droit.

J'ai eu l'occasion de travailler en étroite collaboration avec lui durant la campagne électorale québécoise d'avril 1970. Le directeur de l'information nous avait confié une mission particulière, nous libérant de nos tâches pour couvrir la campagne sur la route, Philippe dans la région de Québec, moi dans la grande région montréalaise. Nos péripéties durant ces trois semaines mouvementées, avec l'occasionnelle navette entre la métropole et la Vieille capitale, mériteraient un chapitre à part…

La campagne électorale de 1973 devait nous amener de nouveau à collaborer, mais cette fois comme collègues syndicaux, Philippe étant éditorialiste syndiqué et moi président du syndicat des journalistes. Un bon matin, tôt, on m'appelle à la maison pour m'annoncer que des employés du Droit (pas de la rédaction) avaient débrayé pour protester contre un ou plusieurs éditoriaux de Philippe Gagnon, que certains jugeaient - à tort selon moi - trop sympathiques aux thèses souverainistes.

Je me revois encore sur le trottoir de la rue Rideau, devant l'édifice du Droit, en train de discuter avec des employés d'autres services pour tenter de désamorcer l'affaire… Finalement tout est rentré dans l'ordre mais Philippe avait acquis une notoriété certaine au sein de l'entreprise. Une chose est sûre. Philippe avait une excellente plume, et ses textes étaient lus!

Quand il a quitté le journal, nous nous sommes perdus de vue. Je l'ai rencontré par la suite une ou deux fois seulement. Mais son départ me touche comme celui de bien d'autres collègues du Droit de la même époque, décédés trop jeunes après une carrière dans ce métier usant… les Marcel Desjardins, Guy Béland, Jean-Guy Bruneau, Hubert Potvin, Murray Maltais, Pierre Tremblay, Michel Gratton, François Roy, Jean-Pierre Haineault et j'en passe…

Il est regrettable que dans une profession entièrement dédiée à l'information et aux communications, nous ayons si peu de moyens pour suivre - jusqu'au décès - la vie de ceux et celles qui ont été les artisans des page de nouvelles de nos quotidiens, de nos hebdos, de nos bulletins de nouvelles et, désormais, de nos réseaux d'information sur le Web.

Serait-ce une tâche pour la FPJQ, pour les fédérations et organisations syndicales, pour un organisme de presse quelconque? Le décès de Philippe Gagnon, et de milliers d'autres comme lui, devrait circuler dans tous les réseaux. J'espère que d'anciens collègues jugeront bon d'offrir un témoignage ou quelque anecdote pour combler mes immenses trous de mémoire et rompre le silence du Web.




vendredi 29 mai 2015

Pontiac, la suite… Fascistes et ségrégationnistes?

La page éditoriale du 20 mai 2015 du Pontiac Journal du Pontiac

Dans le cadre du conflit qui l'oppose à l'Office québécois de la langue française (OQLF), le «Journal du Pontiac» a lancé une campagne publique pour obtenir le soutien de ses lecteurs. Le noeud de l'affaire porte sur la conformité (ou pas) du placement de textes et publicités anglaises ou bilingues dans ce journal régional, mais le ton du débat a dégénéré dès le début, et on n'épargne rien pour nourrir les préjugés répandus de séparatistes fascisants arrivant de Montréal avec leurs gros sabots, cette fois pour imposer à une société bilingue et heureuse «la ségrégation linguistique» dans le journal local.

L'emploi du mot ségrégation, certainement voulu, ne peut manquer d'évoquer le racisme. Il rappelle la lutte pour les droits civiques par les Noirs des États du sud des États-Unis, ou le combat contre l'apartheid en Afrique du Sud. S'ajoutant aux «wannabe goose-steppers» (apprentis Nazis), il ne leur manque plus que d'habiller les inspecteurs de l'OQLF en uniformes noirs avec des croix gammées pour compléter le portrait… Ce serait comique, tout ça, si depuis 150 ans, l'histoire - la vraie - ne dépeignait pas un portrait tout autre - celui de collectivités francophones persécutées et assimilées de force par une élite anglophone souvent haineuse et raciste.

Enfin, la campagne du Pontiac Journal du Pontiac semble avoir connu le décollage escompté, et sans trop savoir combien de lettres, de courriels et autres communications l'équipe de rédaction a reçus, les messages publiés sont favorables, très favorables mêmes, à la position du bihebdomadaire. Ceux et celles qui s'intéresseraient à les lire peuvent le faire, en anglais et en français, sur le site Web du Pontiac Journal du Pontiac (www.pontiacjournal.com). Une analyse de leur contenu est tout aussi révélatrice que la lecture des textes éditoriaux du journal.

De toute évidence, les lecteurs et lectrices dont les lettres ont été publiées auraient bien besoin de cours d'histoire. Quelques exemples? Dans sa lettre au député libéral André Fortin (qui avait prudemment prêté serment dans les deux langues à Québec), une résidente de Clarendon, un coin très anglophone et largement unilingue anglais, Janey Orr MacDougall, écrit au sujet de l'intervention de l'OQLF («a Gestapo-like opération», selon elle): «Why are they trying to drive a wedge between the French and English communities when none exist and when for a hundred years, the people of the Pontiac have had a wonderful existence?» Le pire, c'est qu'elle le croit, sans doute…

Dans la même page de lettres d'opinion, une autre correspondante (Rose Marie Paquette), francophone et résidente d'un secteur (Mansfield) où les francophones sont majoritaires, s'adresse elle aussi dans des termes aussi hallucinants à M. Fortin: «Ici nous sommes bilingues et nous resterons bilingues même si l'OLF essaye d'éliminer la langue anglaise.» Si son «ici» évoque Mansfield, sa localité, elle a raison parce que les francophones sont massivement bilingues dans le Pontiac. Mais si elle parle du Pontiac tout entier, faudrait qu'elle se renseigne. Une forte majorité des anglos sont unilingues!

Et elle ajoute, faisant fi de toute réalité: «Il y a 400 ans, il n'y avait pas de Français au Canada. Ils ont immigré ici, ils ont regroupé les petits Indiens d'ici et ils les ont empêché de parler leur langue ou les petits étaient punis. Ils sont en train de faire la même chose aujourd'hui et le gouvernement les appuie.» Non mais par où commencer, tellement elle invente. Suffit de dire qu'en 2015, les langues autochtones ont survécu mieux au Québec que dans toute région anglophone du pays. Elle devrait visionner le film L'empreinte.

Je passerai vite sur cette lettre de K. Vogel, de l'Isle-aux-Allumettes, destinée à tous les bilingues du pays (en passant, la majorité des Anglos du Pontiac ne la comprendront qu'à moitié…), pour ne retenir qu'une seule phrase: «We chose to raise nos enfants bilingue.» Je n'ai rien contre le fait de choisir d'élever un enfant dans un contexte bilingue ou multilingue, cela se fait partout sur la planète. Mais dans le Pontiac, les francophones n'ont jamais vraiment eu ce choix. Ils ont été largement forcés, à l'école, au travail, dans leur milieu, à se débrouiller en anglais. Les anglophones, quant à eux, avaient ce choix. Et ils ont majoritairement décliné l'opportunité d'apprendre «notre» langue…

Je veux mentionner aussi cette lettre sympathique de Wayne Johnson, de Quyon, jadis unilingue anglais  (et originaire de l'extérieur du Québec). Il se dit fier de connaître aujourd'hui les deux langues, comme d'ailleurs plus de 2 millions d'Anglo-Canadiens de toutes les provinces. Mais il a appris la seconde en travaillant en Mauricie, un milieu où la connaissance du français est passablement essentielle. S'il avait travaillé dans le Pontiac, je ne suis pas si sûr qu'il aurait appris la langue de Molière. Il n'en aurait pas vraiment eu besoin…

Une autre lettre, d'une francophone de Clarendon (où le taux d'assimilation des francophones très minoritaires frise le 50%), lance cette question: «En tant que Québécois, sommes-nous si insécurités qu'il faille harceler une minorité anglophone ouverte aux francophones et un petit journal?» Si cette minorité était tellement ouverte aux francophones, elle apprendrait leur langue. Mais sur le fond, comment un conflit sur le placement de publicité est-il devenu tout à coup un harcèlement de l'ensemble des anglophones du Pontiac? Faudrait voir qui, depuis longtemps, harcèle qui…

Et cette lettre de Shawville, coeur anglophone du Pontiac. Paul Stanworth tonne: «We don't need nitpicking, separatist, language police in the Pontiac or anywhere else in Quebec. Let's not forget that Quebec is part of Canada… a multi-cultural society from ocean to ocean».  Un de nos Rhodésiens qui nous rappelle qu'au Canada, les francophones restent une minorité et que c'est la majorité canadienne qui dicte les règles du multiculturalisme (une variété de cultures coexistant dans un univers où la langue commune est l'anglais). 

On pourrait continuer… enfin lisez-les vous-mêmes si cela vous en dit, et tirez-en vos propres conclusions. Quant à moi, rien de ce que j'ai lu ne m'a surpris. J'avais déjà entendu tout cet argumentaire fallacieux dans mes années de militantisme franco-ontarien… et à bien des points de vue le Pontiac est une extension de l'Ontario anglophone… Je termine avec cet avertissement d'un interlocuteur anglophone anonyme sur mon blogue, qui traduit - je crois - l'esprit qui règne chez de nombreux anglos du Pontiac «Get used to the idea of partition because that's where this is headed.»

En 1955, Pierre Laporte, alors reporter au Devoir, avait écrit que les francophones du Pontiac étaient «des Canadiens français qui comptent parmi les plus délaissés du Canada». En 2015, ils le sont toujours, et le reste du Québec reste largement indifférent à leur sort. Vivement le jour où les gens de Mauricie, du Saguenay, de la Gaspésie, de l'Estrie, de la métropole, entendront cet appel lancé par Luc Bouvier, auteur du livre Les sacrifiés de la bonne entente (2002):

«Quant aux Québécoises et aux Québécois des autres régions, qu'ils ne se dissocient pas de cette histoire. Nous sommes tous Pontissois et Pontissoises. Tous et chacun, nous avons régulièrement gardé le silence pour sauvegarder la bonne entente.»




mercredi 27 mai 2015

Dans le Pontiac, des francophones ont peur...

Un nouveau conflit linguistique prend forme, cette fois dans le Pontiac, entre le journal bilingue de la région (Pontiac Journal du Pontiac) et l'Office québécoise de la langue française (OQLF). En invoquant l'effet de deux articles plutôt mineurs de la Loi 101 (art. 58 et 59) sur les publicités bilingues ou anglaises, l'OQLF veut obliger le «Pontiac Journal du Pontiac» à séparer sa publication en deux sections distinctes, une française et une anglaise. Sur le mérite, il y a sûrement matière à discussion. Mais sur le ton, notamment celui employé par la direction du journal et par ceux qui, parmi ses lecteurs, affirment publiquement leur soutien à l'équipe de rédaction et à sa philosophie, le dérapage a été immédiat et typique du climat sociopolitique de ce coin anglo-dominant du Québec.

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Voir aussi mon texte de blogue du 21 mai sur cette question. http://bit.ly/1Hwaw7d
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La une du Devoir du 4 juillet 1955…  «Visite dans le comté de Pontiac. Cinquante délégués des SSJB découvrent la misère des nôtres».

Dans sa campagne contre l'Office québécois de la langue française (OQLF), j'ai la quasi-certitude que le «Pontiac Journal du Pontiac» aura l'appui total de la majorité anglophone des environs et le soutien très majoritaire des francophones, depuis longtemps persécutés et victimes d'un taux d'assimilation inquiétant. J'ai d'autre part la quasi-certitude que les rares dissidences dans les îlots de résistance francophone (il en reste quelques-uns) vont largement garder le silence parce dans le Pontiac, il est souvent plus prudent d'agir ainsi…

Ce qu'on entend le plus fréquemment dans ce coin du Haut-Outaouais, c'est que la région est bilingue, que francophones et anglophones s'entendent merveilleusement bien… et que les défenseurs du français sont le plus souvent des séparatistes - d'ailleurs - qui viennent bouleverser la paix idyllique de la région. Et gare à ceux qui oseraient prétendre le contraire, ou qui, comme l'OQLF diabolisée, viendraient se mettre le nez dans les affaires internes de cette région quasi ontarienne…

De inspecteurs de l'Office de la langue française avaient littéralement été chassés de la bourgade anglophone de Shawville il y a une quinzaine d'années. On parle ici d'une région où la commission scolaire n'osait même pas hisser le drapeau québécois devant des écoles primaires, comme l'exige la loi! Et le président du mouvement «Action francophone Pontiac», soupçonné faussement d'être à l'origine de la plainte au sujet de ces écoles, a démissionné de son poste peu après. Selon lui, rapportait le quotidien Le Droit en 2002, «tout avait été fait pour l'intimider». Et, ajouta-t-il pour confirmer le climat social, «beaucoup de francophones ont peur de se défendre»…

Le mot est lâché. Des gens ont «peur». Ont-ils raison de craindre d'être intimidés, ostracisés, voire de subir des violences, verbales ou physiques? Peut-être, peut-être pas. Une chose est sûre: il faut être brave, parfois, pour arborer le fleurdelisé dans le Pontiac (et ailleurs en Outaouais, y compris la Basse-Gatineau et quelques quartiers de la ville de Gatineau). Les réactions des franges les plus extrémistes chez les anglophones - et même chez certains francophones - sont souvent hystériques et haineuses à l'endroit des défenseurs des droits des francophones, surtout s'ils ont des teintes «séparatistes».

Les faits n'ont aucune importance pour ces gens. Leurs prétentions sur le bilinguisme de la région sont pure fantaisie, et les recensements fédéraux sont là pour le prouver. Les seuls qui sont massivement bilingues sont les francophones parce qu'ils n'ont pas le choix. La grande majorité des anglophones du Pontiac reste unilingue. Et le pire, c'est qu'un nombre impressionnant de ces unilingues portent des noms de familles français, témoignage de générations précédentes francophones, puis bilingues, et enfin entièrement assimilées! Les francophones seraient-ils majoritaires dans le Pontiac s'ils n'avaient pas été forcés de s'angliciser depuis la seconde moitié du 19e siècle? Peut-être bien.

Le principal facteur d'anglicisation? Le fait que les écoles, confessionnelles de la Confédération jusqu'aux années 1960, étaient contrôlées par le diocèse catholique anti-francophone de Pembroke, Ontario. Les paroisses francophones du Pontiac sont toujours, en 2015, sous l'autorité de ce diocèse ontarien, les seules au Québec dans cette situation aberrante, et l'Église catholique ne fait rien pour les réunir à l'archidiocèse de Gatineau, auquel elles devraient appartenir. La persécution des francophones du Pontiac pendant le premier siècle de la Confédération a été décrite avec force détails dans le livre «Les sacrifiés de la bonne entente» de Luc Bouvier, publié en 2002.

Je vous laisse ici quelques extraits de ce livre - et les exemples ne manquent pas - pour illustrer la façon dont les droits de ces francophones québécois ont été piétinés, et en même temps pour mieux comprendre comment l'esprit de combat a été extirpé des collectivités francophones :

* «Parmi tous les facteurs géographiques, politiques, économiques, sociaux qui ont joué en faveur de la population d'origine anglaise, l'école et l'Église (catholique) ont été déterminantes dans l'espèce de génocide culturel dont le Pontiac a été le théâtre, lequel explique la situation actuelle.» p. 57

* En 1896 dans le secteur Chichester, des francophones qui avaient déposé une plainte sont l'objet de fortes pressions qui illustrent «l'atmosphère vindicative qui règne dans le Pontiac», où «la bonne entente entre francophones et anglophones dépend de la soumission des premiers». p. 74

* En 1911, les francophones forment 56% de la population catholique du Pontiac, mais dans les écoles «on donne à des maîtres qui ne connaissent pas le français des écoles où les neuf dixièmes des élèves ne comprennent pas l'anglais.» p. 71

* Un des instruments d'anglicisation, la communauté des soeurs de St-Joseph, de Pembroke, «inspirent à leurs élèves (francophones) le mépris de tout ce qui est français». p. 98

* En 1921, à Portage-du-Fort, «les élèves francophones qui fréquentent l'école du village ne reçoivent qu'une demi-heure de français par semaine. Toutes les matières sont enseignées en anglais.» Après deux ans de patience, les parents ont déposé une plainte mais la commission scolaire a réembauché la même enseignante de langue anglaise… p. 104

* Au début des années 1940, le Département québécois de l'Instruction publique est saisi de la situation qui perdure mais semble tout à fait «impuissant à assurer le maintien du français dans le Pontiac». p. 137

* Encore dans les années 1940, le point de vue du curé McNally de Campbell's Bay. «Angliciser à outrance, faire du comté de Pontiac le comté le plus anglais de la province de Québec, voilà ce à quoi nous travaillons.» p. 138

* Au sujet de l'inspecteur d'écoles Maltais, en poste de 1920 à 1957: «Son désir de maintenir la bonne entente lui fait accepter "la longue voie des relations cordiales" pour "faire prévaloir la juste reconnaissance" du français, et a comme conséquence que, pour des générations, le français à l'école pontissoise restera trop souvent une langue seconde. Le système scolaire devient ainsi, pour les francophones, un important facteur d'assimilation.» p. 91

* À la fin des années 1940, l'inspecteur Maltais avoue: «En somme, l'école bilinguisme les élèves francophones et maintient l'unilinguisme des anglophones». p. 139

Au milieu des années 1950, le quotidien Le Devoir dépêcha l'un de ses journalistes vedettes, le futur politicien Pierre Laporte, qui signa des reportages dramatiques sur le sort des francophones abandonnés du Pontiac et sur les ravages de l'assimilation. Il serait temps que les médias francophones y retournent en force parce qu'au rythme où vont les choses, à l'exception du secteur de Fort-Coulonge, très majoritairement de langue française, il ne restera plus grand chose de la présence francophone dans la plupart des secteurs du Pontiac. Et il ne faudra pas compter sur le Pontiac Journal du Pontiac pour redresser les injustices du passé…

L'auteur Omer Latour, parlant dans son livre Bande de caves (Éditions de l'Université d'Ottawa  1981) de l'anglicisation de ses compatriotes de Cornwall, Ontario, écrivait: «L'assimilation totale apporte enfin le repos et la paix». Depuis 150 ans, des francophones ont mené dans le Pontiac un combat inégal, abandonnés par Québec, soumis à un diocèse catholique raciste, et les générations d'aujourd'hui en sont le fruit. Anglophones et assimilés vantent la paix et la bonne entente qui règne avec ce qui reste d'une francophonie épuisée…

Les francophones hors-Québec ont lutté et continuent de lutter en minoritaires contre des gouvernements trop souvent hostiles qu'ils ne pourront jamais contrôler. Mais les francophones du Pontiac faisaient et font toujours partie de la majorité québécoise de langue française. Et ça n'a rien donné pendant très longtemps. Et même encore aujourd'hui… Est-ce pire de mourir à petit feu aux mains d'une majorité anglophone hostile, ou par l'inaction d'une majorité francophone indifférente?

Le débat actuel sur le sort d'un petit journal bilingue peut paraître insignifiant, mais il permet de lever le voile sur un visage du Québec que la quasi-totalité des Québécois et Québécoises n'ont jamais vu. Si nous ne nous y intéressons pas, nous aurons collectivement sur notre conscience l'achèvement du génocide culturel des nôtres dans le Pontiac. Et je vous le prédis: dans quelques générations, le sort des Franco-Pontissois sera celui d'autres francophones du Québec, dans l'Outaouais, dans la métropole…


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Dans mon prochain texte de blogue, des exemples de réactions d'anglophones et francophones à la querelle entre le Pontiac Journal du Pontiac et l'OQLF...

Éthique: l'impasse PKP...

Je ne voudrais surtout pas qu'on m'accuse d'être l'auteur «d'une action ou d'une parole destinée à tromper sur mes sentiments ou sur mes intentions véritables» (extrait du dictionnaire Larousse, provenant de la définition d'un mot que je vous laisse deviner…).

Allons donc droit au but, sans détour. Le principe en cause - le seul - m'apparaît être le suivant: personne ne veut, avec raison, qu'un baron de la presse puisse à la fois contrôler le gouvernement (ou même un parti politique) et un empire médiatique, et surtout que ce même baron de la presse puisse utiliser son empire médiatique pour appuyer ses projets politiques et manipuler l'opinion publique.

Mais pourquoi cette question se pose-t-elle avec tant d'acuité, alors que les enjeux entourant les liens - ouverts ou occultes - entre presse et politique font l'objet de débats parfois intenses depuis près d'un demi-siècle? Trois lettres majuscules: PKP. Hier patron de l'empire Québecor, aujourd'hui chef du Parti Québécois, Pierre-Karl Péladeau pourrait devenir en 2018 premier ministre du Québec.

La question devrait pourtant être simple: comment faire en sorte que M. Péladeau (ou tout autre grand propriétaire de médias d'information) ne puisse, advenant son élection au gouvernement, exercer un contrôle sur ses organes de presse. Le code d'éthique de l'Assemblée nationale prévoit cette situation et exige qu'un député devenu ministre place ses intérêts d'entreprise dans une fiducie sans droit de regard, ce que M. PKP accepte de faire. Question réglée? Non…

Ce n'est pas suffisant, disent ses adversaires (ainsi que quelques amis politiques) et nombre de commentateurs et analystes, qui disent craindre que cet écran puisse être perméable… Hier encore, les porte-paroles des autres formations politiques étaient tranchants. Pierre Moreau, ministre libéral, et Amir Khadir, de Québec solidaire, affirment que le chef péquiste doit vendre son entreprise ou quitter la politique! François Legault lui permettrait tout au plus de conserver Vidéotron…

C'est donc dans cette ambiance de positions tranchées et apparemment irréconciliables que l'Assemblée nationale entreprend l'étude du cas PKP au regard des exigences du code d'éthique. Le problème c'est qu'en matière d'éthique, nos députés - de toutes formations - jouent dans la boue depuis tellement longtemps que tous, toutes sont éclaboussés, soit parce qu'ils, elles en ont lancée, soit parce qu'ils, elles en ont reçue (ou les deux)…

Voici ce qui me chicote le plus dans cette affaire, et je fais ici un effort surhumain pour croire que les porte-parole libéraux, caquistes, solidaires et péquistes sont le moins souvent possible auteurs «d'actions ou de paroles destinées à tromper sur leurs sentiments ou sur leurs intentions véritables»:

* Un magnat de la presse qui se lance en politique, sur la place publique, aux yeux de tous, toutes, me semble bien moins dangereux sur le plan de l'éthique que celui ou celle qui reste dans ses conseils d'administration, tire en coulisses les ficelles d'un gouvernement formé d'amis ou d'alliés, et l'appuie dans ses publications.

* Nous avons en place un conseil de presse, des chercheurs, des fédérations professionnelles et syndicales, le personnel des médias et leurs conventions collectives, ainsi que des médias concurrents - traditionnels, alternatifs, sans oublier les réseaux sociaux. PKP (ou tout autre) sera scruté à la loupe.

* Ceux et celles qui soupçonnent PKP d'être une menace pour l'éthique risquent de ne jamais être satisfaits, même s'il se départit de ses actions dans Quebecor. Il se trouvera toujours quelqu'un pour croire qu'il existe toujours des liens occultes avec les nouveaux propriétaires…

* Pierre-Karl Péladeau reste à la base un citoyen comme les autres, en dépit de sa fortune. Sur le plan juridique, tous les citoyens doivent être traités également, même s'ils sont propriétaires d'entreprises médiatiques et siègent à l'Assemblée nationale. Les règles d'éthique doivent être façonnées en fonction de principes et non pour viser un seul individu. Et si la règle à respecter est celle de la fiducie sans droit de regard, alors ainsi soit-il.

* Le PQ a demandé de convoquer d'autres patrons de presse, y compris les frères Desmarais de Power/Gesca, pour parler d'éthique et d'indépendance journalistique devant les députés de l'Assemblée nationale. En dépit de l'évidente stratégie politique derrière cette manoeuvre (en réponse à l'évidente stratégie politique des autres), elle a du mérite. J'ai eu l'occasion de tester le droit d'expression sous Gesca…

Pour le moment il ne semble y avoir aucun terrain d'entente possible entre les partis. Le potentiel de crise est élevé. Et la démocratie de notre demi-État, déjà malmenée, risque d'en sortir perdante...







vendredi 22 mai 2015

Facebook et l'Ontario français...


Les réseaux sociaux, Facebook en particulier à cause de son très grand nombre d'abonnés, se prêtent admirablement bien à la communication entre Franco-Ontariens. Ailleurs aussi bien sûr… Mais pour ceux et celles qui peinent à s'imaginer la vraie réalité de l'Ontario français, on n'insistera jamais trop sur l'immensité du territoire couvert par une minorité dont les effectifs varient entre 300 000 et 600 000 selon les sources que l'on choisit… Entre Hawkesbury et Hearst, c'est 1000 km de route… Comme aller de Valleyfield à Gaspé…

Faut-il ajouter qu'à l'extérieur de grands enjeux communs d'ordre provincial ou national, les individus et collectivités francophones du sud, de l'est et du nord ontariens se connaissent peu et ont rarement l'occasion de se rencontrer… Or, voilà qu'avec l'Internet, et encore davantage avec l'explosion des médias sociaux, le Web permet à tous, toutes de s'écrire, de se parler, de se voir, de se comparer, d'entamer des discussions et des débats. Ce potentiel a été, jusqu'à maintenant, sous-utilisé mais en ce début du 21e siècle, l'histoire évolue en accéléré…

L'an dernier, une nouvelle page intitulée «Fier d'être Franco-Ontarien/Fière d'être Franco-Ontarienne» est apparue sur le réseau Facebook, et après avoir trouvé graduellement son erre d'aller, connaît ces jours-ci une croissance stupéfiante. Le nombre de membres est passé d'environ 2600 (c'est déjà impressionnant) à plus de 3100 entre le 22 avril et aujourd'hui, 22 mai 2015. Peu de carrefours franco-ontariens - physiques ou virtuels - peuvent s'enorgueillir d'accueillir autant de visiteurs de tous les coins de la province.

Cette semaine, Jean-Pierre Monette, un résident d'Embrun (maintenant un secteur de la municipalité de Russell), à l'est d'Ottawa, a utilisé cette page Facebook pour «décompresser» comme il dit… en dénonçant trois situations qu'il avait lui-même constatées dans son patelin et sans doute ailleurs dans cette région traditionnellement franco-ontarienne. Je le cite ci-dessous:

1. «De nos jours, j'ai de la difficulté à me faire servir dans la langue (le français) qui avait une dominance forte dans l'est de l'Ontario. Que s'est-il passé?»
2. «Je me balade de temps à autre sur la rue St-Jacques et je passe devant l'école secondaire d'Embrun où les élèves prennent leur pause… à chaque fois que je passe, ils se parlent en anglais… tout le temps.»
3. «Les jeunes employés de notre épicerie parlent seulement en anglais quand je m'adresse en français et je sais en effet qu'ils sont francophones. C'est complètement inouï de voir ce comportement.»

La présence d'unilingues anglais dans les commerces de localités à majorité franco-ontarienne, l'assimilation d'une partie importante de la jeune génération de francophones et les difficultés de maintenir une ambiance francophone dans les écoles primaires et secondaires ont déjà été documentées, et ont même à l'occasion été dénoncées dans quelques grands médias. Puis rien… on revient vite à la ligne officielle et dominante des lunettes roses… C'est plus plaisant de dire que tout va bien…

Mais le cri du coeur de M. Monette n'a pas noirci les pages du Droit ou les ondes de Radio-Canada ou de TFO… Il est tombé comme une pierre lourde dans les eaux calmes du matin du 19 mai, sur la page Facebook «Fier d'être Franco-Ontarien/Fière d'être Franco-Ontarienne»… et a fait des vagues. Le jour même, le lendemain et le surlendemain, au-delà de 85 mentions «J'aime» et 11 partages, une quarantaine de commentaires se sont empilés à la suite du texte de Jean-Pierre Monette. La preuve que ce dernier avait touché une corde sensible…

Cette discussion, entretenue par environ 25 personnes qui, pour la plupart, ne se connaissent pas et ne se rencontreront peut-être jamais, faisait le tour du problème soulevé par M. Monette en y ajoutant des exemples d'ailleurs dans l'Est ontarien, et même de l'extérieur de l'Ontario, ainsi qu'un diagnostic des causes de l'anglicisation et l'ébauche de pistes de solution et d'actions. Le tout témoignait d'une volonté d'en discuter, d'une conscience de la réalité, et du désir de faire quelque chose pour protéger la langue et la culture française dans cette région de l'Ontario.

La qualité du dialogue amorcé par ce groupe d'abonnés Facebook valait bien les propos savants de chercheurs et les discours de politiciens et dirigeants… D'ailleurs les chercheurs, dirigeants et politiciens auraient avantage à suivre les échanges dans les réseaux sociaux… où on décortique sans gêne la vie quotidienne… Une chose m'apparaît sure: l'éveil de groupes franco-ontariens dans les réseaux sociaux (REFO, Franco-Ontariens du Nord, Les Elles du Nord, et d'autres sans doute) ne peut qu'être positif, surtout s'il ne craint pas d'identifier les vrais bobos et d'en tirer des stratégies en conséquence sur le terrain.

Certains, certaines, participent fréquemment à de tels échanges sur Facebook. Mais pour d'autres, ce peut être une première, et il peut en résulter une prise de conscience. Je termine avec ce commentaire d'un intervenant, lourd de sens quant au passé vécu de l'individu, qui a vécu au Manitoba et en Saskatchewan… «En passant, écrit-il, je suis maintenant un fier Franco-Ontarien.» Et celle-ci, qui lance au groupe: «C'est jamais trop tard, faut continuer à foncer!»

À 3000 membres et plus, la page «Fier d'être Franco-Ontarien/Fière d'être Franco-Ontarienne» peut désormais être considérée comme un phénomène social… À 10 000 membres, elle deviendrait un phénomène social d'envergure… Reste à voir comment ces carrefours de plus en plus fréquentés des réseaux sociaux pourraient transformer la réalité à Embrun, Hawkesbury, Ottawa, Sudbury, Timmins, Kapuskasing ou Hearst… 








jeudi 21 mai 2015

Le Pontiac et les «gangsters de Montréal»...


Les francophones de la région du Pontiac ont été persécutés plus souvent qu'à leur tour depuis la Confédération. Et leur taux d'assimilation reste aujourd'hui comme une cicatrice à vif. C'est la seule région du Québec où les paroisses francophones sont soumises à l'autorité d'un diocèse anglophone et anglicisant de l'Ontario. Cela est important quand on tient compte du rôle primordial que l'Église catholique a joué dans les milieux scolaires jusqu'aux années 1960…

C'est le territoire québécois où la maladie du bilinguisme collectif a grugé le plus l'identité francophone. Les chiffres du recensement de 2011 en témoignent crûment. Pas besoin d'avoir un doctorat pour comprendre le sens des données suivantes: 40% de la population du Pontiac est de langue maternelle française, mais seulement 34% utilisent le plus souvent le français à la maison. Comparez aux anglos: ils forment 56% de la population selon la langue maternelle, mais plus de 63% quand on utilise le critère de la langue la plus souvent parlée à la maison…

Ici le bilinguisme anglicise, comme chez les minorités francophones à l'extérieur du Québec. Preuve? La grande majorité des anglophones du Pontiac sont unilingues (près de 75%) alors que les francophones sont massivement bilingues (près de 80%).

Vous n'avez qu'à regarder les annonces de mariage ou les avis de décès pour voir ce qui se passe. Des anglophones aux noms français, dont les parents et grands-parents étaient bilingues, et dont les ancêtres étaient francophones! Ce bilinguisme, celui qu'on nous sert en Outaouais sous les yeux complaisants de nos députés et conseils municipaux, permet depuis toujours aux anglos de vivre en anglais pendant qu'on oblige trop de francophones à se débrouiller dans les deux langues…

Alors retour au Pontiac où, souvent, on a peine à croire qu'il s'agit bel et bien d'une région du Québec… soumise (en principe) à la Loi 101. Dans un des fiefs les plus anti-francophones du coin, Shawville, des résidents avaient littéralement chassé des inspecteurs de l'Office de la langue française en 1999… La bonne entente, dans le Pontiac, cette bonne entente que les élites donnent en exemple au reste du Québec, n'existe que parce que l'immense majorité des francophones accepte (ont-ils le choix?) de communiquer en anglais avec les anglophones…

Mais un nouveau conflit surgit ces jours-ci, alors que l'Office québécois de la langue française a décidé de sévir contre le «Pontiac Journal du Pontiac», l'hebdo bilingue de la région. Une injonction demandée et obtenue par l'OQLF en vertu de la Loi 101 obligerait le journal à avoir une section française du journal, avec sa propre publicité en français, et une section anglaise du journal, avec sa pub en anglais. Présentement tout est mêlé. La Loi 101 est plutôt obscure en cette matière et les articles invoqués ne portent, de fait, que sur le placement de la publicité.

Quoiqu'il en soit, et même s'il pourrait y avoir un débat intéressant sur le mérite et l'effet des publications bilingues dans différentes régions (pas seulement le Pontiac), ce qui frappe le plus dans cette affaire, c'est le ton qu'elle prend, surtout dans les textes anglais (reportages et éditorial) du Pontiac Journal du Pontiac. Notez la différence à la une. Le titre français? «L'OLF sévit contre le Journal». Le titre anglais? «Language police clamp down on The Journal»… L'OLF en français, la language police dans la langue de Shakespeare…

En page éditoriale, dans l'édition du 6 mai 2015, le titre de langue française parle d'inquisition et affirme, comme le texte anglais, que l'OLF «adopte des pratiques réglementaires proches de celles du Moyen-Âge»… affirmant que le bilinguisme «nous définit, nous enrichit et nous accompagne dans notre vie quotidienne même si cela déplaît à certaines personnes à Québec». Une fausseté évidente étant donné que seuls les francophones sont massivement bilingues et que l'anglais reste la langue dominante du Pontiac… Et le journal se lamente qu'on remet en question ses efforts «à établir une harmonie entre nos deux langues communautaires»…

Voilà pour le texte modéré… Le ton s'enlaidit quand l'éditeur du journal, Fred Ryan, prend la plume dans la page d'opinion. Sous le titre A sorry day, il commence par s'en prendre à l'auteur de la plainte à l'OLF, qu'il traite de vipère et de froussard, et à qui il reproche d'avoir appelé à l'aide «les gangsters de Montréal», ces «wannabe goose-steppers» (traduire par: ces apprentis Nazis)…

La conflit ne semble pas proche d'un règlement, les négociations entre le journal bilingue et l'OLF étant rompues depuis la mi-avril. Chez les 40% de francophones du Pontiac, peu de voix s'élèveront publiquement pour défendre l'Office de la langue française. Ils ont de bonnes raisons d'avoir peur des réactions de la majorité anglophone. Quand le reste du Québec s'intéressera-t-il aux Pontissois francophones abandonnés? Ce qui se passe ici se passera ailleurs au Québec d'ici une génération ou deux, si la tendance se maintient…

vendredi 15 mai 2015

L'odeur suspecte d'un jugement...


Ce jugement de la Cour suprême au sujet des droits scolaires des Franco-Yukonnais a une odeur suspecte. Toute l'affaire des droits scolaires des francophones du Yukon, qui traîne depuis une quinzaine d'années, a une odeur suspecte. On me dira que je n'ai pas de preuves pour formuler des allégations dans ce dossier qui se déroule à des milliers de kilomètres de chez nous, mais mon instinct d'ex-Franco-Ontarien formé aux querelles linguistiques dans un milieu anglo-dominant hostile me dit que mes cousins culturels du Yukon viennent de se faire passer un sapin…

Je dois avouer que c'est l'un des jugements les plus étranges que j'aie eu l'occasion de lire… La majeure partie de la décision de la Cour suprême ne porte pas sur le fond des droits scolaires mais sur la contestation - par le Yukon - de l'impartialité du juge du premier procès, Vital Ouellette, qui, de toute évidence, avait paru favoriser les Franco-Yukonnais jusque dans son comportement au tribunal. Sa décision subséquente, largement favorable aux francophones, a sans doute fait déborder le vase chez les autorités du Yukon qui ont interjeté appel…

Le fait que le juge Ouellette ait été gouverneur de la Fondation franco-albertaine a dû immédiatement le rendre suspect à de nombreux anglophones qui n'appliqueraient sans doute pas des critères similaires pour juger de la partialité des leurs… La Cour suprême affirme d'ailleurs que ce lien avec la Fondation franco-albertaine ne peut être retenu contre lui et rejette, pour cette raison (officiellement du moins), l'allégation de partialité qu'a retenue contre le juge d'instance la Cour d'appel. Mais nos grands juristes de la rue Wellington (à Ottawa) ont estimé tout de même que certains des comportements du juge Ouellette au tribunal auraient ou faire naître une «crainte raisonnable de partialité».

Dans ces «incidents» où l'impartialité du juge de procès francophone est remise en question, les autorités du Yukon (par l'entremise de leur avocat) ont été rabroués en cour. Je n'étais pas là, et peut-être ont-ils raison de se sentir lésés, mais je pose la question: et si le juge Ouellette avait raison? Il a accusé le Yukon de «jouer un petit jeu» et de vouloir retarder indûment le procès… Est-ce possible? Ce procès, terminé en 2011, constitue l'aboutissement de refus et de conflits avec le gouvernement du Yukon qui remontent à au moins 2002… Je dirais qu'il y a matière à croire que les Franco-Yukonnais ont été indûment patients et que le juge pouvait «raisonnablement» conclure que le Yukon ne faisait rien pour accélérer les procédures ou régler le dossier…

Même si la Cour suprême finit par rejeter la conclusion de la Cour d'appel, notamment par rapport aux liens entre le juge Ouellette et la Fondation franco-albertaine, elle le fait du bout de la langue et tout le ton de l'argumentaire… enfin si j'étais le juge Ouellette je n'aimerais pas du tout ces passages plus amers que doux de la décision de la plus haute instance judiciaire canadienne…

Quoiqu'il en soit, s'il fallait qu'on passe au peigne fin tous les jugements défavorables aux francophones depuis la Confédération - de la pendaison de Riel à la Loi 101 - pour y déceler des manifestations de partialité et de préjugés anti-canadiens-français ou québécois, je suis prêt à gager ma chemise qu'on trouverait là matière à rédiger une encyclopédie...

Mais revenons aux Franco-Yukonnais. Après avoir péniblement évacué la question de l'impartialité, la Cour suprême revient sur le noeud de l'affaire - les critères d'admission aux écoles de langue française et la langue de communication entre la Commission scolaire francophone et le gouvernement territorial.

Encore là, il y a une drôle d'odeur. Après avoir reconnu, comme la Cour d'appel du Yukon, que la Commission scolaire francophone n'avait pas le droit de déterminer seule les critères d'admission à l'école française (pour les élargir bien sûr), les augustes juristes d'Ottawa suggèrent une stratégie aux Franco-Yukonnais pour leur prochain procès et leur proposent un argument majeur (par rapport à l'article 23 de la Charte canadienne) auquel ils pourraient éventuellement - à la Cour suprême - réserver un accueil plus chaleureux…

Comme je vois cela, la Cour suprême dit aux Franco-Yukonnais: on vous renvoie entre les griffes d'une Cour d'appel qui n'aimait pas trop le comportement de votre juge franco-albertain, qui vous refusera presque certainement les droits que vous réclamez, qui vous fera perdre une autre année ou deux ou trois et vous fera dépenser des tas de sous pendant que votre minorité se débat pour sa survie… mais n'ayez crainte, au bout du tunnel, vous aboutirez sans doute chez nous… et on vous attendra avec de chaudes couvertures, un bon café, et peut-être une reconnaissance de droits scolaires qui vous sont refusés depuis toujours…

Patience les amis…. «Justice n'a pas été rendue» mais soyez doux avec vos maîtres anglophones… n'utilisez plus de juges trop combatifs… célébrez bien fort les 150 ans de la Confédération… et on verra ensuite!

C'est ce que mes tripes ex-franco-ontariennes ressentent… Je me trompe sûrement…


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Déclaration officielle de l'Association franco-yukonnaire après le jugement de la Cour suprême:

« Depuis le dépôt du recours judiciaire en 2009, temps, énergie et argent ont été investis en vain. Demander à une petite communauté comme la nôtre de s'engager dans un deuxième procès n'est pas réaliste et freine son développement. Des millions ont été dépensés et justice n'a pas été rendue. »


mardi 12 mai 2015

Vous souvenez-vous de la Déclaration de Sherbrooke?

Finalement, après quatre ans de présence à Ottawa comme opposition officielle avec une majorité de Québécois francophones dans sa députation, le Nouveau Parti démocratique (NPD) s'est comporté comme la plupart des grandes formations pan-canadiennes face au Québec et à la francophonie. Ce parti avait pourtant l'opportunité, grâce à la fenêtre ouverte par Jack Layton au printemps 2011, d'amorcer un dégel de l'ère glaciaire constitutionnelle laissée en héritage par les libéraux et consolidée par l'inaction des gouvernements Harper depuis 2006.

Pour remplacer le Bloc comme porte-voix de la nation québécoise, le NPD arrivait armé d'une vision des relations Québec-Canada adoptée en 2006 par son conseil fédéral et intitulée «Déclaration de Sherbrooke». À ce que je sache, même si cela ne paraît guère depuis l'élection du 2 mai 2011, c'est toujours la position officielle du NPD fédéral… Cette vision, pour résumer, est fondée sur un fédéralisme asymétrique où Ottawa devient la capitale «nationale» des neuf provinces à majorité anglophone, pendant que Québec renforce son statut de capitale «nationale» des Québécois.

Cela équivaut à laisser au NPD le champ libre de centraliser encore plus de pouvoirs provinciaux à Ottawa, mais seulement pour le Canada anglais. À chaque fois, le Québec a droit de retrait avec pleine compensation. La solution à long terme serait donc, au-delà d'une série de compétences clairement attribuée au gouvernement fédéral, le développement d'une fédération avec deux capitales nationales, au sein de laquelle le Québec verrait son «statut particulier» devenir «très particulier»…

La Déclaration de Sherbrooke est très claire quant à cette vision: «la construction de l'État moderne et d'un projet de société pour les Québécoises et les Québécois s'est faite principalement autour de l'État québécois. (…) Le rôle de l'État fédéral était plus souvent qu'autrement vu comme étant secondaire ou périphérique. Cette vision contraste évidemment avec celle portée par une majorité des gens des autres provinces, qui voient le gouvernement fédéral comme étant leur gouvernement "national", avec un rôle secondaire aux provinces.»

Et la déclaration du NPD fédéral ajoute que ce «nationalisme québécois peut être une force, et non une menace, pour le Canada». En page éditoriale du Droit, quelques semaines après l'élection de mai 2011, j'écrivais: «Voilà le Canada que Jack Layton s'est engagé à construire. Un pays avec un fédéralisme de plus en plus centralisateur, sauf pour le Québec. Un pays où Ottawa devient le gouvernement "national" de neuf des dix provinces. S'il veut faire avaler ça au Canada anglais, il aura bien du monde è convaincre. Il doit s'atteler à la tâche tout de suite et marteler son message sans répit pendant quatre ans», jusqu'aux élections de 2015…

On ne saura jamais ce que M. Layton aurait fini par faire. Il est décédé quelques mois après. Ce qu'on sait, cependant, c'est que son successeur Thomas Mulcair a rangé le message central de la Déclaration de Sherbrooke sur une tablette bien cachée… Il n'a pas sorti son bâton de pèlerin pour aller prêcher aux anglophones de Hamilton, Brandon, Saskatoon, Red Deer, Kelowna, Fredericton ou St. John's les vertus d'un fédéralisme asymétrique et la valeur d'une coexistence bi-nationale constitutionnelle…

Au contraire, dans certains grands dossiers concernant le Québec et la francophonie, il s'est positionné comme chef typique d'un parti pan-canadien soucieux de ne pas être trop identifié au fleurdelisé… même si (ou parce que?) la majorité de sa députation provient du Québec… Dans le débat sur la Charte, durant l'intermède Marois, il a surpassé bien des collègues d'ailleurs au pays par son zèle multiculturel, allant jusqu'à proposer de puiser dans les fonds du NPD pour défendre les personnes ou organismes qui contesteraient la charte québécoise des valeurs devant les tribunaux.

Et en 2013, quand le gouvernement néo-démocrate de Nouvelle-Écosse a mis fin au statut protégé de quelques circonscriptions acadiennes, décision dénoncée par l'ensemble de la francophonie canadienne,  la direction fédérale du NPD n'est pas montée au front pour défendre la minorité acadienne contre cette ultime persécution… On tasse ses principes quand des «amis» politiques sont en cause… mais inventer une discrimination inexistante pour taper sur le PQ, ça, c'est permis…

La semaine dernière, le chef néo-démocrate Tom Mulcair a ouvertement proposé de créer un ministère fédéral des Affaires urbaines… un envahissement évident d'un champ de compétences des provinces étant donné que les municipalités relèvent de la juridiction exclusive de ces dernières… Et il n'a pas fait cette proposition pour plaire à Toronto, Calgary ou Vancouver… C'était pour Montréal… Une violation flagrante du coeur de la Déclaration de Sherbrooke, de ses propres politiques officielles…

Tom Mulcair a sans doute compris ce que tous les chefs politiques fédéraux finissent par comprendre: que la francophonie n'est jamais très populaire au Canada anglais et que la moindre concession constitutionnelle au Québec est toujours une concession de trop… Et, faut-il le rappeler, nos représentants à Ottawa seront toujours en minorité dans un parti au pouvoir, avec les conséquences que l'on connaît: une fois qu'on accepte cette évidence, on se réconcilie vite avec le principe d'un Bloc Québécois, qui nous représente dans la dignité sans espoir d'exercer un pouvoir qui nous est, de toute façon, collectivement inaccessible à Ottawa .

Je reviens à ma conclusion de novembre 2011, formulée après quelques mois d'absence du Bloc et son remplacement par 59 députés néo-démocrates québécois… «Sur la scène fédérale, le Bloc correspond le mieux aux aspirations pacifiques et social-démocrates de notre petite nation en devenir et en péril. Sans lui, qui "nous" représentera à Ottawa en attendant, comme peuple, de pouvoir faire mieux?»


vendredi 8 mai 2015

Langues officielles: un rapport inutile, incompréhensible...


J'ai commenté au fil des ans, de ma tribune d'éditorialiste au quotidien Le Droit, un certain nombre de rapports annuels du Commissaire aux langues officielles, Graham Fraser (voir quelques liens à la fin du texte). Je suis soulagé de ne pas avoir à le faire cette année, parce que j'aurais eu de la difficulté à rédiger un texte que la direction du journal aurait accepté de publier…

De fait, si j'étais prof et qu'un étudiant me remettait ce rapport annuel 2014-2015 comme projet de dissertation, je le mettrais à la poubelle en lui ordonnant de préparer un texte que je peux comprendre sans avoir à lire entre les lignes, et sans être obligé de me mettre en quête de renseignements essentiels qui en sont omis… Je lui dirais surtout de brosser un tableau linguistique qui se rapproche de la réalité… et non les rosâtres teintes d'un quelconque beau-et-bilingue pays des merveilles…

J'indiquerais à M. Fraser, qui n'a aucune excuse de ne pas savoir ces choses, une série d'éléments dans son rapport qui - faute d'être corrigés - le rendent inutile, voire nuisible.

1. Au coeur du problème, il y a cette manie récurrente de présenter en parallèle, ou comme un reflet dans un miroir, la dynamique linguistique des minorités francophones hors-Québec et celle de la minorité anglophone du Québec. Seule la langue française est menacée dans l'ensemble du pays, y compris au Québec, et seul l'anglais est florissant partout, même au Québec: cela n'apparaît jamais clairement dans ce document d'une quarantaine de pages. Il n'y a aucune symétrie entre la francophonie hors-Québec et les collectivités anglo-québécoises.

J'offre à cet égard deux citations du rapport annuel du Commissaire, qu'on croirait tout droit extraits d'un livre de contes: «Quoique la vitalité des communautés francophones varie fortement d'une région du Canada à une autre, celles-ci ont réalisé d'importants progrès au cours des dernières décennies.» C'est à s'étouffer! La «vitalité»? Parlez-en à Marie-France Kenny, qui vient de crier son désespoir aux Communes. Des «progrès»? Les seuls grands gains depuis les années 1980 ont été des droits arrachés devant les tribunaux, de peine et de misère… contre des gouvernements francophobes et hostiles.

Et la deuxième: «Les communautés anglophones (du Québec) sont aux prises avec (des) défis (et) situations qui entravent leur renouveau et nuisent à leur vitalité…» Renouveau et vitalités «entravés»? Non mais… ça prend du culot! Les chiffres cités dans ce même rapport de Graham Fraser démontrent que la part de 10% d'anglos de souche au Québec continue d'engraisser avec l'apport de 36% des immigrants au Québec qui - même avec la Loi 101 - choisissent l'anglais comme première langue officielle (contre 2% seulement qui choisissent le français hors-Québec). Le Commissaire lit-il les recensements?

2. Le chapitre sur les plaintes au Commissaire des langues officielles est totalement dépourvu de sens. Les tableaux de chiffres qu'on y aligne ne veulent absolument - disons presque absolument - rien dire. Que faut-il comprendre quand on nous indique que 126 plaintes ont été reçues concernant la langue de travail? Sont-ce des francophones qui se plaignent de ne pas pouvoir travailler en français ou des anglophones qui se lamentent à cause de leur environnement de travail unilingue français? Poser la question c'est presque y répondre mais on n'en sait rien en regardant ces mornes statistiques…

On fait état de 320 plaintes concernant les services au public… en anglais ou en français. Non, mais combien de gens vont croire que des citoyens de ce pays ont eu des problèmes à se faire servir en anglais au sein de l'appareil fédéral, même au Québec? Le contraire est plutôt la norme. Mais le rapport n'en dit rien. Des 12 plaintes reçues de l'extérieur du Canada, huit mettent en cause Air Canada. Pensez-vous qu'il s'agit d'anglophones aux prises avec un équipage unilingue français quelque part au-dessus des États-Unis?

Les médias sont beaucoup à blâmer ici. Les journalistes ne se donnent pas la peine d'insister pour savoir si les plaintes concernent la pénurie de services en français ou de services en anglais, ou encore s'il s'agit surtout des francophones qui dénoncent des situations d'unilinguisme anglais au travail… L'an dernier, un texte du Ottawa Citizen indiquait que 85% des plaintes (au moins) provenaient de francophones… Cette année, rien… Personne ne semble s'être informé (si j'ai mal lu je m'en excuse). Mais ce sont là des renseignements essentiels que le Commissaire devrait obligatoirement inclure dans son rapport. S'il ne le fait pas, il faut conclure qu'il ne veut pas le faire…

3.  Un dernier point à soulever. Le cas d'Air Canada, immortalisé par la plainte du couple franco-ontarien Thibodeau qui n'avait pas réussi à commander un 7up en français… La cause, qui a fait le tour des tribunaux, a valu aux Thibodeau un torrent de colère haineuse de milliers d'anglophones (et même de francophones colonisés) du pays… Quoiqu'il en soit, le Commissariat aux langues officielles avait fait sa propre enquête et formulé 12 recommandations à Air Canada pour que celle-ci se conforme davantage aux exigences de la Loi sur les langues officielles.

Encore une fois, ce petit chapitre du rapport du Commissaire est écrit dans un langage Nixonspeak qui ne permet pas, à celui ou celle qui n'est pas au courant de la situation, de comprendre que les services en français sont seuls en cause… Ce qui ressort, cependant, c'est qu'Air Canada n'a «mis en oeuvre de façon satisfaisante qu'une seule de ces 12 recommandations». Et vlan! La réponse d'Air Canada est claire: Take that, Mr. Fraser…  Et la conclusion? «Résultat: les problèmes qui ont été cernés en 2010 persistent encore aujourd'hui…». 

Je pourrais aussi aborder les thèmes de l'immigration (que le Commissaire a ciblé de façon exagérée dans ce rapport et où plane, par rapport au Québec, l'esprit de Lord Durham…), de la langue et de l'identité, mais c'est assez pour le moment.

Un seul mot pour résumer tout ça. Misère...


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- «Notre» Commissaire… - Éditorial Le Droit, octobre 2013 - http://bit.ly/1Rhjafl
- Le Commissaire à la langue officielle - Éditorial Le Droit, octobre 2012 - http://bit.ly/1bB9uLy


mercredi 6 mai 2015

Mauviettes s'abstenir...

La politique, au Québec comme partout, est un sport extrême. Mauviettes s'abstenir… Nous somme ici dans une arène où les coups bas, l'intimidation et la tricherie sont presque toujours au menu. Je n'aime pas beaucoup ça… Je le constate, tout simplement. Peu de politiciens seront canonisés. Personne n'est autorisé à lancer la première pierre dans la classe politique, parce que tous, toutes ont péché. Tous, toutes ont égratigné. Tous, toutes portent des égratignures. Certain(e)s plus que d'autres...

Alors quand on vient me lancer en manchette, à la une, les sautes d'humeur attribuées à un certain Pierre-Karl Péladeau (http://bit.ly/1OY0CCa) qui ambitionne de devenir chef du Parti québécois et premier président d'une république québécoise, je ne m'en fais pas trop. En politique, je me méfie bien plus des sourires que des colères. Les premier sont souvent hypocrites, les secondes bien plus franches. Et depuis 45 ans, j'en ai vu des tas de «sautes d'humeur» dans tous les partis, dans toutes les législatures, dans toutes les luttes électorales. Ça fait partie du quotidien.

Quand je scrute la faune politique, je ne cherche pas les saints, les Gandhi ou les peace and love avec des fleurs dans les cheveux… Ils n'y sont pas… Le truc, c'est de déceler dans la bagarre ceux et celles qui (au-delà d'objectifs auxquels je peux souscrire) apparaissent les plus intègres, ceux et celles dont les actions se conformeront le plus aux discours et aux programmes qu'ils présentent. Ceux et celles qui ne nous passeront pas un «Couillard» au prochain scrutin…

Fin avril, au dîner annuel de la presse à Washington, le président américain a utilisé les services d'un comédien pour lui servir de «traducteur de colère» (http://bit.ly/1by2izR)… Après un énoncé calme de M. Obama, le «traducteur» relançait le même message sur un ton de colère, pour marquer la différence entre ce qu'un politicien peut dire et ce qu'il ressent… À la fin, sur le thème des changements climatiques, le président s'emporte lui-même et, en haussant le ton, traite avec véhémence les climato-sceptiques de stupides et d'irresponsables… Le message était clair. Le véhicule de sa franchise était la colère…

Là-bas comme chez nous, les politiciens sont de plus en plus «fabriqués», dressés et formés selon les exigences de la rectitude politique telle que comprise par des experts en marketing politique et des sondeurs chargés d'assurer leur élection, leur réélection ou le maintien de leur cote de popularité. Alors quand arrive dans le lot celui ou celle qui s'éloigne de temps en temps du scénario des dresseurs, qui fait à l'occasion des sorties controversées (p. ex. sur l'immigration) ou qui «saute dans la face» d'un collègue ou d'un adversaire dans l'intensité d'un débat, il faut le conserver précieusement.

Je ne sais pas qui a inventé la maxime suivante mais je l'ai souvent entendue: «Qui a du caractère, a rarement bon caractère.» Il y a du vrai là-dedans. Cela peut paraître à certains comme un défaut, mais dans la gestion des affaires publiques, j'aurais tendance à y voir une qualité. Les défis que nous devons relever comme peuple, comme nation ne doivent pas être confiés à des mauviettes mais à des battants, des élus capables de lever le poing quand il le faut. Pierre-Karl Péladeau semble être de cette trempe.

Souvent, des gens comme PKP arrivent en politique avec un bagage d'ennemis. Il traîne un passé antisyndical et je compte parmi ceux qui n'auraient pas hésité à l'affronter jadis. Mais la politique n'est pas le syndicalisme. L'entreprise privée n'est pas une démocratie (j'en sais quelque chose…) et la hiérarchie inhérente aux droits de propriété y favorise la confrontation avec les employés quand ceux-ci deviennent conscients de leur valeur, tant humaine qu'économique.

Se faire élire à une législature par les citoyens ou devenir chef d'un parti où règne la diversité, c'est bien autre chose. Dans l'arène publique, l'autorité ultime reste l'électorat. Pierre-Karl Péladeau doit accepter des règles du jeu différentes. Que dis-je, de fait... il y ici a peu de règles entre les scrutins. À peu près tout est permis en politique, et ses adversaires lutteront souvent à forces égales ou supérieures. Son héritage médiatique ne l'aide pas. Ça se voit. Il finira par s'y faire. Par contre, il apporte avec lui une aura de réussite en affaires et d'efficacité. Ce qui m'apparaît sûr, c'est que ses écarts occasionnels de comportement ou de langage ne lui nuisent pas. Ils sont la marque de tous les grands politiciens…