vendredi 29 mai 2015

Pontiac, la suite… Fascistes et ségrégationnistes?

La page éditoriale du 20 mai 2015 du Pontiac Journal du Pontiac

Dans le cadre du conflit qui l'oppose à l'Office québécois de la langue française (OQLF), le «Journal du Pontiac» a lancé une campagne publique pour obtenir le soutien de ses lecteurs. Le noeud de l'affaire porte sur la conformité (ou pas) du placement de textes et publicités anglaises ou bilingues dans ce journal régional, mais le ton du débat a dégénéré dès le début, et on n'épargne rien pour nourrir les préjugés répandus de séparatistes fascisants arrivant de Montréal avec leurs gros sabots, cette fois pour imposer à une société bilingue et heureuse «la ségrégation linguistique» dans le journal local.

L'emploi du mot ségrégation, certainement voulu, ne peut manquer d'évoquer le racisme. Il rappelle la lutte pour les droits civiques par les Noirs des États du sud des États-Unis, ou le combat contre l'apartheid en Afrique du Sud. S'ajoutant aux «wannabe goose-steppers» (apprentis Nazis), il ne leur manque plus que d'habiller les inspecteurs de l'OQLF en uniformes noirs avec des croix gammées pour compléter le portrait… Ce serait comique, tout ça, si depuis 150 ans, l'histoire - la vraie - ne dépeignait pas un portrait tout autre - celui de collectivités francophones persécutées et assimilées de force par une élite anglophone souvent haineuse et raciste.

Enfin, la campagne du Pontiac Journal du Pontiac semble avoir connu le décollage escompté, et sans trop savoir combien de lettres, de courriels et autres communications l'équipe de rédaction a reçus, les messages publiés sont favorables, très favorables mêmes, à la position du bihebdomadaire. Ceux et celles qui s'intéresseraient à les lire peuvent le faire, en anglais et en français, sur le site Web du Pontiac Journal du Pontiac (www.pontiacjournal.com). Une analyse de leur contenu est tout aussi révélatrice que la lecture des textes éditoriaux du journal.

De toute évidence, les lecteurs et lectrices dont les lettres ont été publiées auraient bien besoin de cours d'histoire. Quelques exemples? Dans sa lettre au député libéral André Fortin (qui avait prudemment prêté serment dans les deux langues à Québec), une résidente de Clarendon, un coin très anglophone et largement unilingue anglais, Janey Orr MacDougall, écrit au sujet de l'intervention de l'OQLF («a Gestapo-like opération», selon elle): «Why are they trying to drive a wedge between the French and English communities when none exist and when for a hundred years, the people of the Pontiac have had a wonderful existence?» Le pire, c'est qu'elle le croit, sans doute…

Dans la même page de lettres d'opinion, une autre correspondante (Rose Marie Paquette), francophone et résidente d'un secteur (Mansfield) où les francophones sont majoritaires, s'adresse elle aussi dans des termes aussi hallucinants à M. Fortin: «Ici nous sommes bilingues et nous resterons bilingues même si l'OLF essaye d'éliminer la langue anglaise.» Si son «ici» évoque Mansfield, sa localité, elle a raison parce que les francophones sont massivement bilingues dans le Pontiac. Mais si elle parle du Pontiac tout entier, faudrait qu'elle se renseigne. Une forte majorité des anglos sont unilingues!

Et elle ajoute, faisant fi de toute réalité: «Il y a 400 ans, il n'y avait pas de Français au Canada. Ils ont immigré ici, ils ont regroupé les petits Indiens d'ici et ils les ont empêché de parler leur langue ou les petits étaient punis. Ils sont en train de faire la même chose aujourd'hui et le gouvernement les appuie.» Non mais par où commencer, tellement elle invente. Suffit de dire qu'en 2015, les langues autochtones ont survécu mieux au Québec que dans toute région anglophone du pays. Elle devrait visionner le film L'empreinte.

Je passerai vite sur cette lettre de K. Vogel, de l'Isle-aux-Allumettes, destinée à tous les bilingues du pays (en passant, la majorité des Anglos du Pontiac ne la comprendront qu'à moitié…), pour ne retenir qu'une seule phrase: «We chose to raise nos enfants bilingue.» Je n'ai rien contre le fait de choisir d'élever un enfant dans un contexte bilingue ou multilingue, cela se fait partout sur la planète. Mais dans le Pontiac, les francophones n'ont jamais vraiment eu ce choix. Ils ont été largement forcés, à l'école, au travail, dans leur milieu, à se débrouiller en anglais. Les anglophones, quant à eux, avaient ce choix. Et ils ont majoritairement décliné l'opportunité d'apprendre «notre» langue…

Je veux mentionner aussi cette lettre sympathique de Wayne Johnson, de Quyon, jadis unilingue anglais  (et originaire de l'extérieur du Québec). Il se dit fier de connaître aujourd'hui les deux langues, comme d'ailleurs plus de 2 millions d'Anglo-Canadiens de toutes les provinces. Mais il a appris la seconde en travaillant en Mauricie, un milieu où la connaissance du français est passablement essentielle. S'il avait travaillé dans le Pontiac, je ne suis pas si sûr qu'il aurait appris la langue de Molière. Il n'en aurait pas vraiment eu besoin…

Une autre lettre, d'une francophone de Clarendon (où le taux d'assimilation des francophones très minoritaires frise le 50%), lance cette question: «En tant que Québécois, sommes-nous si insécurités qu'il faille harceler une minorité anglophone ouverte aux francophones et un petit journal?» Si cette minorité était tellement ouverte aux francophones, elle apprendrait leur langue. Mais sur le fond, comment un conflit sur le placement de publicité est-il devenu tout à coup un harcèlement de l'ensemble des anglophones du Pontiac? Faudrait voir qui, depuis longtemps, harcèle qui…

Et cette lettre de Shawville, coeur anglophone du Pontiac. Paul Stanworth tonne: «We don't need nitpicking, separatist, language police in the Pontiac or anywhere else in Quebec. Let's not forget that Quebec is part of Canada… a multi-cultural society from ocean to ocean».  Un de nos Rhodésiens qui nous rappelle qu'au Canada, les francophones restent une minorité et que c'est la majorité canadienne qui dicte les règles du multiculturalisme (une variété de cultures coexistant dans un univers où la langue commune est l'anglais). 

On pourrait continuer… enfin lisez-les vous-mêmes si cela vous en dit, et tirez-en vos propres conclusions. Quant à moi, rien de ce que j'ai lu ne m'a surpris. J'avais déjà entendu tout cet argumentaire fallacieux dans mes années de militantisme franco-ontarien… et à bien des points de vue le Pontiac est une extension de l'Ontario anglophone… Je termine avec cet avertissement d'un interlocuteur anglophone anonyme sur mon blogue, qui traduit - je crois - l'esprit qui règne chez de nombreux anglos du Pontiac «Get used to the idea of partition because that's where this is headed.»

En 1955, Pierre Laporte, alors reporter au Devoir, avait écrit que les francophones du Pontiac étaient «des Canadiens français qui comptent parmi les plus délaissés du Canada». En 2015, ils le sont toujours, et le reste du Québec reste largement indifférent à leur sort. Vivement le jour où les gens de Mauricie, du Saguenay, de la Gaspésie, de l'Estrie, de la métropole, entendront cet appel lancé par Luc Bouvier, auteur du livre Les sacrifiés de la bonne entente (2002):

«Quant aux Québécoises et aux Québécois des autres régions, qu'ils ne se dissocient pas de cette histoire. Nous sommes tous Pontissois et Pontissoises. Tous et chacun, nous avons régulièrement gardé le silence pour sauvegarder la bonne entente.»




1 commentaire:


  1. À ce que je sache… Le mot nigger n’est pas dans le dictionnaire Larousse!



    Superbe texte Pierre-Luc

    « Il y a cinquante ans les québécois francophones étaient moins scolarisés que les noirs américains! » -Pierre Fortin

    Effectivement, je vois un lien entre le mouvement souverainiste au Québec et l’émancipation des noirs, aux États-Unis et en Afrique du Sud. Personnellement, Nelson Mandela et Martin Luther King m’ont beaucoup inspiré durant les années ’60.


    Speak White

    Film de Pierre Falardeau en 1980, inspiré du poème de Michèle Lalonde

    http://www.onf.ca/film/Speak_White/



    Je vous souligne le livre « Nègres blancs d’Amérique » de Pierre Vallière.

    http://bilan.usherbrooke.ca/bilan/pages/evenements/1986.html

    Plusieurs Québécois ont été emprisonnés par PET pour avoir eu ce livre dans leur bibliothèque en octobre 1970.

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