mercredi 29 avril 2015

Des Franco-Ontariens «séparatistes»...

Petite brochure du RIN (section de Hull) du début des années 1960

J'ai entrepris ces jours-ci de lire Une histoire du RIN, une brique de 500 pages de Claude Cardinal qui vient de paraître aux Éditions VLB. Mais ce n'est pas le RIN (Rassemblement pour l'indépendance nationale) que je veux aborder ici. Il y aurait sans doute là un excellent sujet de blogue, mais j'attendrai d'avoir complété la lecture de ce livre, qui s'annonce passionnant après une centaine de pages…

Non, ce qui m'a frappé, c'est que la toute première longue citation de l'oeuvre de M. Cardinal - tirée de l'ancienne revue indépendantiste Laurentie de Raymond Barbeau, en 1961 - soit de Séraphin Marion, un patriarche franco-ontarien qui a vécu toute sa vie à Ottawa. L'auteur d'Une histoire du RIN ne mentionne pas l'identité franco-ontarienne de M. Marion mais c'est sans doute le même.

Selon le père oblat Paul Gay, biographe de M. Marion, celui-ci avait découvert avec enthousiasme la nouvelle génération d'indépendantistes québécois. Le père Gay mentionne notamment qu'en décembre 1961, Séraphin Marion «appuie hautement» le livre Pourquoi je suis séparatiste de Marcel Chaput (co-fondateur du RIN).

Dans son deuxième chapitre, Claude Cardinal ajoute qu'au lancement officiel du RIN, lors d'une réunion d'une vingtaine de personnes à Morin Heights, dans les Laurentides, en septembre 1960, les participants provenaient de Montréal, Hull… et Ottawa. Et que lors de la première manifestation publique du RIN, un rallye automobile dans les rues de la métropole, il y avait des voitures «ornées de banderoles aux inscriptions percutantes» venant de Montréal, Hull… mais aussi d'Ottawa!

Des Franco-Ontariens étaient donc présents lors de la fondation de ce grand mouvement indépendantiste des années 1960. Ce n'est sans doute pas un hasard si l'une des quatre premières commissions chargées de développer la vision politique du RIN portait sur «le problème des minorités francophones au Canada»… Il ne faut pas oublier que Marcel Chaput lui-même, quoique originaire de Hull, travaillait à Ottawa dans la fonction publique fédérale.

Une des toutes premières publicités dans L'indépendance (le journal du RIN) servit à annoncer la publication du livre Le scandale des écoles séparées en Ontario, de Joseph Costisella, néo-Franco-Ontarien d'Ottawa et aussi membre du RIN...

(ajout au texte, le 30 avril. À la page 164 de Une histoire du RIN, Claude Cardinal évoque l'entrée en scène en 1964, à Montréal, d'un autre Franco-Ontarien, de Timmins cette fois: Réginald Reggie Chartrand, fondateur des Chevaliers de l'indépendance, décédé en mars 2014).

J'ai l'impression - presque la certitude - qu'une fouille plus poussée révélerait une présence franco-ontarienne appréciable à toutes les étapes de l'évolution du mouvement indépendantiste québécois au cours du dernier demi-siècle. Il y avait même un Franco-Ontarien de Cornwall, Omer Latour, dans une des premières vagues du Front de libération du Québec, en 1964. Il est peu connu mais a légué des écrits qui ne laisseront personne indifférents…

J'ai étudié à l'Université d'Ottawa de 1963 à 1969 et milité dans des organismes de l'Ontario français jusqu'en 1971. En 1967, un groupe de jeunes Franco-Ontariens aux États généraux du Canada français (dont j'étais) avait ouvertement appuyé la résolution favorable au droit du Québec à l'autodétermination. Même si peu s'affichaient ouvertement, plusieurs dirigeants et militants d'organismes franco-ontariens s'étaient rapprochés de la cause indépendantiste.

Lors de la fondation du Parti québécois en 1968, il y avait suffisamment d'adhérents francophones des autres provinces - y compris de l'Ontario - pour créer au sein du PQ une catégorie spéciale de membres «hors-Québec»...

Un ancien président de l'Association canadienne-française de l'Ontario (de 1980 à 1982), Yves Saint-Denis, avait pris publiquement position en faveur de la souveraineté et appuyé le Parti québécois. Et n'oublions pas Jean-Paul Marchand, un Franco-Ontarien de Penetanguishene, lieu de hautes luttes scolaires, devenu éventuellement député du Bloc québécois de 1993 à 2000 dans la circonscription de Québec-Est.

Faudrait-il mentionner en passant que Bernard Drainville, député du PQ, a fait ses premières armes en politiques publiques dans les années 1980 à titre de président de la Fédération des étudiants de l'Université d'Ottawa et de président de la Fédération des étudiants de l'Ontario. Il avait notamment approfondi la question des droits scolaires des Franco-Ontariens et des minorités francophones canadiennes.

Tout ça pour dire que la filière franco-ontarienne au sein des organisations indépendantistes depuis le début des années 1960 ferait sans doute un bon sujet d'enquête… Si jamais un jour j'ai le temps et les ressources… Entre-temps, je poursuis ma lecture d'Une histoire du RIN













vendredi 24 avril 2015

Le combat est-il presque fini?

Tout en moi - mon héritage, mes luttes, mes espoirs, mes tripes, mon coeur - veut croire qu'il existe toujours une volonté et une force collectives capables d'assurer l'avenir de la langue et de la culture françaises. Ici au Québec en priorité, mais également en Acadie, dans quelques régions de l'Ontario et ailleurs au sein d'une diaspora tenace qui s'accroche un peu partout dans l'Ouest canadien et aux États-Unis.

Mais certains matins, je n'en ai plus la certitude… Peut-être parce que je vis «au front», à Gatineau, sur les rives de l'Outaouais, en face du Parlement canadien, mes tripes franco-ontariennes bien enracinées dans ma ville natale, Ottawa, mon coeur et ma tête résolument engagés à réaliser au Québec un coin de pays - ou un pays - à notre image, ce qui nous a toujours été refusé au-delà de nos frontières.

Ici peut-être plus qu'ailleurs, là où les rivières Gatineau et Rideau se fondent dans le majestueux Outaouais, le combat linguistique use parce qu'il se vit nécessairement au quotidien. «Les guerriers sont fatigués», écrivait récemment mon ancien collègue à l'éditorial au quotidien Le Droit, Pierre Bergeron. Ils sont en effet fatigués, et vieillissants. Et ils devront bientôt passer le flambeau à une relève chancelante prise «comme marteau et enclume» entre l'indifférence francophone et l'hostilité anglophone…

La semaine dernière, je suis allé à Clarence-Rockland prendre un café avec Mme Tina Desabrais, présidente de l'Association canadienne-française de l'Ontario (ACFO) dans la région de Prescott-Russell. Elle avait noté, entre autres, que les francophones, majoritaires à 80% à Hawkesbury, peinaient à se faire servir en français dans le Walmart et les Tim Hortons de l'endroit.

Je suis arrêté à une station d'essence de Clarence-Rockland (municipalité à 65% francophone) et au moment de payer, me suis adressé en français au préposé, qui m'a interrogé en anglais sans même avoir fait l'effort de comprendre ce que je lui avais dit. J'ai insisté dans un français simple (avec gestes) sans succès, jusqu'à ce que d'autres francophones en file derrière moi traduisent le tout en anglais…

Pour eux, se faire servir en anglais chez eux, dans une région à majorité francophone, cela paraissait normal… Insister pour obtenir un service en français, ça c'était irritant… 

Même chose le mois dernier, mais au Québec cette fois, à une boutique du centre commercial Promenades de Gatineau, où j'entendais le gérant (ou le propriétaire) expliquer en anglais à quelques clients qu'il devrait sans doute apprendre le français. Bien non, lui répondent ses interlocuteurs francophones, tout le monde comprend l'anglais ici à Gatineau… Misère…

Le 13 avril, l'ACFO d'Ottawa et l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario (AFO) ont invité le public à une assemblée au Centre francophone de Vanier. C'était au sujet des services juridiques en français en Ontario. Non, pas pour les revendiquer, ils sont acquis. Le problème, c'est que les francophones ne les utilisent pas… Le message, inquiétant, était le suivant: «Aidez-nous à trouver des façons d'encourager les francophones à demander des services juridiques en français…»

Ce ne sont là que quelques exemples vécus de ce que les recensements fédéraux rapportent à tous les cinq ans. Une érosion de l'usage de la langue française, et pas seulement hors-Québec. Mais croyez-vous que les gouvernements ne s'en rendent pas compte? Que M. Harper à Ottawa et ses sbires, comme Mme Wynne à Toronto, ne savent pas lire la réalité socio-démographique? Surtout dans le contexte d'un gouvernement excessivement anglophile à Québec?

La présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA), Marie-France Kenny, souhaitait voir dans le budget fédéral «un sérieux coup de barre» pour freiner l'érosion du tissu social francophone hors-Québec. «Or, écrit-elle dans un communiqué le 22 avril, la francophonie, la dualité linguistique et les langues officielles ne sont même pas mentionnées dans le budget.» La question qu'il faut poser, c'est: pourquoi? Les leaders francophones aimeraient-ils la réponse?

Aujourd'hui, le président de l'AFO, Denis Vaillancourt, souligne qu'aucune somme n'a été réservée dans le budget ontarien pour un projet qui mobilise les forces vives de l'Ontario français depuis deux ans: la création d'une université de langue française. Mais faut-il s'en surprendre? Le mouvement s'est dégonflé. Partis d'un élan dynamique, assis sur une solide analyse de la situation, les promoteurs étudiants ont accouché d'une mini-demande à court terme d'un campus dans la région de Toronto…

Mme Wynne a bien compris ce qui se passait, et savait qu'il n'y aurait aucune conséquence si elle n'offrait rien, surtout que sa ministre de la Francophonie, Madeleine Meilleur, trouve que les francophones sont bien desservis par l'université bilingue d'Ottawa… Même que le recteur anglophone de l'U. d'O., Allan Rock, a eu le culot de dire que les Franco-Ontariens n'avaient pas besoin d'université, qu'ils avaient déjà la leur: l'Université d'Ottawa… Ce même recteur qui n'ose pas appuyer le bilinguisme officiel à la ville d'Ottawa et dont l'institution refuse d'installer un drapeau franco-ontarien géant au coeur du campus… Et personne ne lui a donné la réplique… Alors voilà…

Je relisais ces derniers jours de vieilles éditions de la revue Maintenant des années 60 et 70, et certains articles au ton pessimiste auraient pu, je crois, être rédigés en 2015 sans trop en modifier le contenu. Ainsi ce paragraphe de Lysiane Gagnon de 1974, parlant alors de la Loi 22 et du sort éventuel du français dans notre coin d'Amérique:

«Irons-nous toujours d'échec en échec? Est-il étonnant qu'une bonne partie de nos créateurs soient "vidés" à 40 ans, et que les plus jeunes ne croient plus guère à la possibilité de changements politiques et sociaux, dans un pays dont toute l'histoire a été marquée par une série de défaites tristes et minables et par un sentiment d'impuissance caractérisé? Il se pourrait que dans une cinquantaine d'années… les habitants de ce territoire seront en voie d'assimilation rapide. Ce sera la Louisiane, ce sera Sudbury, ce sera l'Acadie.»

Pierre Vadeboncoeur, dans son essai La dernière heure et la première, en 1970, écrivait dans le même esprit cet extrait qui reste actuel:

«On n'a pas besoin d'être prophète ni même d'avoir beaucoup d'imagination pour pressentir ce qui arriverait à ce peuple, advenant que les menaces qui nous pressent en vinssent à se réaliser. Un peuple secondaire et mal assimilé devenant minoritaire, dans sa seule grande ville, puis éventuellement dans son État; perdant graduellement sa langue, une langue de plus en plus honteuse et corrompue. (…) Que deviendrait ce peuple?» 

Enfin, j'offre ce passage d'Omer Latour (Bande de caves, Presses de l'Université d'Ottawa, 1981). Devenu en 1964 le seul membre franco-ontarien du FLQ avant de passer le reste de sa vie à enseigner le français aux Anglo-Ontariens, M. Latour écrivait ce poème dans les années 1970 au sujet de l'assimilation des siens dans la ville de Cornwall:

«Je n'ai rien inventé.
Ce n'était pas nécessaire.

Dans les relations anglo-françaises de cette petite ville,

la réalité dépasse la fiction.

Dieu merci, le combat est presque fini.

L'assimilation totale apporte enfin le repos
et la paix à tous ces gens obscurs qui ont
lutté dans un combat par trop inégal.

Vous me demandez pourquoi ils sont morts?

Je vous demande comment ils ont fait
pour résister si longtemps.»

Matière à réflexion.
Je persiste à demeurer optimiste.
Mais certains jours, ce n'est pas facile...

jeudi 16 avril 2015

La dynamique linguistique. La métropole, et les régions au sud et à l'ouest.

En utilisant les données du recensement de 2011, j'ai fabriqué à l'aide de codes couleurs une carte de la dynamique linguistique de l'Outaouais et d'une partie de la grande région montréalaise: rose indique qu'il y a assimilation active des francophones et une baisse de la proportion des francophones dans la population totale; orange indique une hausse ou stabilité de la part des francophones et des anglophones, mais une augmentation plus rapide de l'anglais; vert indique une hausse ou stabilité de la proportion des francophones et anglophones, avec une hausse plus rapide du français; et bleu indique une assimilation active (vers le français) de la minorité de langue anglaise.


La carte couvre Montréal, Laval, et les régions ouest et sud-ouest de l'île…

Extrait de mon texte de blogue du 11 décembre 2012, sur l'analyse des données linguistiques du recensement de 2011, rendues publiques par Statistique Canada à la fin d'octobre 2012:

«Un portrait de la dynamique linguistique»

Il suffit de comparer les statistiques sur la langue maternelle à celles sur la langue d'usage (la langue le plus souvent parlée à la maison). Malgré toutes ces imperfections, et elles sont appréciables, cette méthode d'analyse permet de brosser un tableau que je crois valable de la dynamique linguistique dans une région ou une localité données.

Par exemple, dans ma ville natale d'Ottawa, le recensement de 2011 indique la présence de 123 925 personnes de langue maternelle française (sur une population totale de 872 000), mais de seulement 86 035 personnes dont la langue la plus souvent parlée à la maison (la langue d'usage) est le français. En divisant la langue d'usage par la langue maternelle, on obtient un taux de persistance de 69,4%. Cela indique un taux d'assimilation supérieur à 30%. Ce n'est pas parfait comme image, mais si on fait le même calcul partout, au moins on compare des pommes avec des pommes.

Analyse de 132 subdivisions de recensement

J'ai donc fait le même exercice (dans chaque subdivision de recensement) pour l'ensemble de l'Outaouais; pour les régions riveraines entre l'Outaouais, l'Est ontarien et Montréal; pour le sud-ouest de Montréal (le triangle Longueuil, frontière américaine-fleuve Saint-Laurent-Longueuil); et l'île de Montréal ainsi que Laval. Les résultats dans ces 132 subdivisions de recensement (certaines n'ont que quelques centaines d'habitants, d'autres comme celle de Montréal en ont plus de 1 600 000) ont confirmé mes appréhensions et j'en ai tiré quatre catégories :

1) Recul du français (code couleur rose). Dans certaines régions et localités, l'anglais domine tellement que les effectifs de langue maternelle française régressent (ou, au mieux, restent stables) dans la colonne de la langue d'usage. Il y là a une assimilation active des francophones. Pas moins de 66 (la moitié des 132) subdivisions de recensement - y compris tout l'ouest de l'île de Montréal, la couronne sud-ouest de Montréal, ainsi que le Pontiac, une partie de la vallée de la Gatineau et une région à l'ouest de Lachute - tombent dans cette catégorie!

2) L'anglais avantagé (code couleur orange). À certains endroits, francophones et anglophones enregistrent des gains, mais les chiffres de la langue d'usage indiquent un pouvoir d'attraction supérieur de l'anglais (c'est le cas de Montréal, Laval et Gatineau, 3 des 4 plus grandes villes du Québec). Ici, la dynamique linguistique favorise l'anglais à moyen/long terme. Dans cette catégorie (la plus peuplée de toutes), il y a 19 subdivisions de recensement, y compris Montréal, Laval, Brossard, St-Lambert, Gatineau, Châteauguay, Candiac et Mont-Royal. 

3) Le français avantagé (code couleur vert). Dans certains coins, les chiffres sur la langue d'usage indiquent un pouvoir d'attraction supérieur du français. Ici, la dynamique linguistique favorise le français sans toutefois qu'il n'y ait d'assimilation perceptible du groupe anglophone. Cette catégorie regroupe 26 subdivisions de recensement, pour la plupart des petites localités à l'exception de Longueuil et Beauharnois.

4) Recul de l'anglais (code couleur bleu). Enfin, dans certaines régions et localités, le français domine tellement que les effectifs de langue anglaise régressent dans la catégorie de la langue d'usage. On trouve dans cette catégorie 21 subdivisions de recensement, y compris Valleyfield, plusieurs secteurs ruraux dans la Haute-Gatineau, dans la Petite-Nation de l'Outaouais, ainsi qu'au sud-ouest de Montréal.

mercredi 15 avril 2015

La Cour suprême lit-elle bien la constitution???

Voici un des extraits clés du jugement de ce matin interdisant la prière au conseil municipal de Saguenay:

«La prière récitée par le conseil municipal en violation du devoir de neutralité de l’État engendre une distinction, exclusion et préférence fondée sur la religion, soit l’athéisme sincère de S (le plaignant), qui, conjuguée aux circonstances entourant sa récitation, fait des séances un espace préférentiel favorisant les croyants théistes.»

Et voici le préambule de l'article 1 de la Loi constitutionnelle de 1982 du Canada:

«Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit…»

Je ne suis pas juriste mais je dois avouer que je ne comprends pas comment favoriser les croyances «théistes» - les croyances en Dieu - peut constituer une violation du «devoir de neutralité de l'État» quand la Loi constitutionnelle affirme que toute la structure étatique est fondée sur la croyance théiste…

La Cour ajoute:

«La mention de la suprématie de Dieu dans le préambule de la Charte canadienne ne saurait entraîner une interprétation de la liberté de conscience et de religion qui autoriserait l'État à professer une foi théiste.»

Mais c'est du Nixonspeak (comme on disait dans les années 70)… La simple mention de la suprématie de Dieu dans la loi fondamentale du pays constitue un affront au cinquième ou au quart de la population qui ne croit pas à son existence. La Cour suprême aura beau jouer avec les mots et avec la sociologie, la Constitution qu'on nous a imposée en 1982 fait de l'État canadien un État qui professe une foi théiste.

Personnellement je préférerais que la Constitution affirme la suprématie du peuple et impose la neutralité de l'État, mais ce n'est pas le cas… Enfin..

Il me semble d'ailleurs, après une première lecture rapide, que cette décision pourrait servir à justifier l'interdiction du port de signes religieux ostentatoires par les représentants de cet État soi-disant neutre, en plein dans le sens proposé par l'ancienne charte de la laïcité de Bernard Drainville...

Lien à la décision de la Cour suprême… http://bit.ly/1D1wkm0

lundi 13 avril 2015

D'autres municipalités outaouaises où le français perd du terrain...

Ce texte de blogue sera mon cinquième commentaire au sujet de deux rapports du Commissariat aux langues officielles, publiés la semaine dernière et portant sur la situation des langues officielles à Ottawa (avec des données sur l'Est ontarien) et Gatineau (avec une certaine quantité d'information sur les régions outaouaises limitrophes).

Si j'ai consacré beaucoup de temps à décortiquer ces études, c'est que je les juge importantes en soi... et surtout qu'elles portent sur deux territoires clés pour la francophonie (québécoise et pan-canadienne). Les deux solitudes sont face à face ici, chez nous, sur les deux rives de l'Outaouais, engagées dans un combat culturel que «nous» perdons depuis déjà trop longtemps, et dont l'issue sera déterminante pour l'avenir du français dans la métropole (et donc pour l'ensemble du Québec).

Or, je constate qu'au-delà des médias qui s'intéressent habituellement au sort des Franco-Ontariens (Le Droit, Radio-Canada Ontario-Ottawa-Gatineau, TFO et quelques stations de radio), les deux rapports de Graham Fraser ont eu peu d'échos au Canada anglais et ailleurs au Québec. J'ai vu un texte en anglais, fort commenté, dans l'Ottawa Citizen mais rien d'autre… Peut-être n'ai-je pas suffisamment cherché dans les entrailles du Web…

Je suis bien obligé de conclure à l'indifférence médiatique (j'ai peine à croire que la salles de rédaction n'ont pas été mises au courant des rapports de Graham Fraser), une indifférence moult fois constatée et qui contribue à maintenir la communauté journalistique - et, donc, la population en général - dans une ignorance suicidaire des mécanismes d'acculturation et d'assimilation à l'oeuvre dans notre coin de l'Amérique du Nord. Et pendant ce temps on continue de nous faire marcher, droit et béatement, vers le précipice du bilinguisme collectif.

Revenons au dernier chapitre du rapport du Commissaire aux langues officielles sur la situation de la minorité anglo-québécoise dans la couronne du Gatineau urbain. L'équipe de M. Fraser ne s'aventure guère au-delà des municipalités semi-rurales limitrophes mais comme elles couvrent un territoire assez vaste, on peut en tirer quelques constatations. Un peu à l'image de la ville de Gatineau, les municipalités du secteur centre et ouest sont des territoires où les francophones se font graduellement assimiler, même quand ils sont majoritaires…

Si le Commissaire avait puisé les données de toute la grande région du Pontiac, on aurait vu à quel point la francophonie est mal en point à l'ouest de Gatineau. Si la tendance se maintient, comme dirait vous-savez-qui, le Pontiac risque d'être un jour la première région québécoise à s'angliciser presque complètement… M. Fraser évoque cependant la municipalité de Pontiac (coincée entre la région du Pontiac et la frontière ouest de la ville de Gatineau), qui compte 40% d'anglophones selon la langue maternelle; mais cette proportion grimpe à 45,4% quand on utilise le critère de la langue d'usage (la plus souvent parlée à la maison).

Cette capacité de la minorité anglophone d'augmenter ses effectifs en assimilant des francophones et des allophones se constate aussi dans les municipalités voisines de la Basse-Gatineau (la circonscription de Mme Stéphanie Vallée) - notamment à Chelsea (46,8% de langue maternelle anglaise, 52,1% avec l'anglais comme langue d'usage); La Pêche (37,4% langue maternelle anglaise, 42,3% anglais langue d'usage); Low (56,4% langue maternelle anglaise, 62,3% anglais langue d'usage)… Ces chiffres ne trompent pas sur l'érosion du français, situation connue depuis des décennies et qui ne semble pas inquiéter grand monde…

Dans toutes les municipalités de la couronne gatinoise où il y a plus de 10% d'anglophones (sauf une municipalité rurale, Lochaber, à l'est de la rivière du Lièvre), la dynamique linguistique favorise la langue anglaise.

Le secteur sombre au centre-est-sud indique une tendance neutre

En utilisant les données du recensement de 2011, j'ai fabriqué à l'aide de codes couleurs une carte de la dynamique linguistique de l'Outaouais: rose indique qu'il y a assimilation active des francophones et une baisse de la proportion des francophones dans la population totale; orange indique une hausse ou stabilité de la part des francophones et des anglophones, mais une augmentation plus rapide de l'anglais; vert indique une hausse ou stabilité de la proportion des francophones et anglophones, avec une hausse plus rapide du français; et bleu indique une assimilation active (vers le français) de la minorité de langue anglaise.

Du point de vue francophone, les codes rose et orange sont inquiétants, les codes vert et bleu encourageants. Je n'ai pas ajouté le côté ontarien, parce que peu importe l'endroit, dans l'Est ontarien, le code serait rose. Seuls quelques petits villages autour de Hearst, dans le grand nord ontarien, auraient des codes vert ou bleu…. En Outaouais, les codes bleus se concentrent entièrement dans la Petite-Nation et en Haute-Gatineau. (NB - j'ai aussi dessiné une carte du même type pour la région montréalaise, si jamais ça intéresse quelqu'un…)

Et voilà. Je viens d'essayer de sonner l'alarme pour une nième fois, plus ou moins inutilement vu le peu d'intérêt… Mais un jour, quand il sera sans doute trop tard et que le français aura un statut de langue folklorique, même au Québec, peut-être quelque chercheur tombera-t-il sur mon blogue et se dira: tiens, tiens… 

-----
Comme l'écriture est minuscule sur la carte, voici une liste des municipalités principales du centre-sud de l'Outaouais par code couleur:

Gatineau - orange
Pontiac - rose
Chelsea - rose
La Pêche - rose
Low - rose
Val-des-Monts - orange
Cantley - orange

«Nous nous comportons en majoritaires»


Réponse de Mme Tina Desabrais, présidente de l'ACFO de Prescott-Russell, à mon texte de blogue intitulé «Déclin du français: Prescott-Russell en transition» (http://bit.ly/1yfnlBW) et à un message sur Twitter indiquant ma déception devant l'insistance de l'ACFO de Prescott-Russell sur le bilinguisme plutôt que la francophonie. Le blogue n'autorisant pas des réponses si longues, j'espère qu'elle me permettra de reproduire son texte en entier comme texte de blogue séparé. Toujours heureux d'être commenté et contesté. Au plaisir. 

Monsieur Allard,

Me voici une fois de plus dans l’obligation de vous répondre, à la suite de cet article, mais surtout à la suite de ce que vous avez publié aujourd’hui sur votre compte Twitter, soit : « Est ontarien : un sommet pour promouvoir une réglementation bilingue… Misère… »  (@ONfr_TFO<https://twitter.com/ONfr_TFO> http://bit.ly/1COPpYP <http://t.co/nqHflD5WIX>)Je n’ai pas, pour ma part, de compte Twitter. Heureusement, un collègue à moi m’a informée de votre commentaire.

J’allais attendre poliment (oui, nous sommes trop polis, les Francos…) (référence à votre texte de juin 2014) (http://pierreyallard.blogspot.ca/2014/06/lacfo-na-pas-promouvoir-langlais.html ) à notre rencontre prévue ce vendredi pour discuter de votre dernier texte, « Déclin du français : Prescott-Russell en transition ». Mais puisque que vous vous acharnez publiquement à nous critiquer, je n’ai autre choix que de défendre, à nouveau, notre position (position que j’ai défendue en juin dernier, alors que je venais tout juste d’être élue à la présidence de l’ACFO PR, quand vous nous aviez accusés de vouloir promouvoir l’anglais. Promouvoir l’anglais!) Vous vous étiez alors excusé au téléphone et vous aviez écrit « Voici l’excellent commentaire reçu de Mme Tina Desabrais ». Je ne comprends donc pas pourquoi vous revenez à nouveau sur le sujet.

Êtes-vous conscient que nous travaillons bénévolement? Que j’accorde de 10 à 15 heures par semaine à la cause francophone, et ce, bien que je travaille à temps plein à La Cité et que je sois aux études à la maîtrise en administration publique? Bien des gens se dévouent pour la cause francophone. Quel type de remerciement recevons-nous? Des commentaires comme le vôtre. Vous m’aviez grandement insultée en juin dernier lorsque vous m’aviez dit que je cherchais à promouvoir l’anglais, et vous venez de le faire à nouveau.

Tout d’abord, notre perception de la situation diffère grandement. Pour vous, notre position est une défense du bilinguisme. Pour nous, c’est une défense du français. J’ai donc l’impression que vous ne comprenez pas très bien notre position. Vous présentez une multitude de chiffres (qui, soit dit en passant, parlent d’eux-mêmes… Je dirais comme Bernard Derome : « Si la tendance se maintient… ») qui ne sont guère rassurants, mais sans nécessairement connaître la réalité quotidienne dans l’Est ontarien. Les chiffres montrent que les francophones sont en déclin, malgré le fait qu’ils soient encore majoritaires. Vous suggérez, à la fin de votre texte, qu’ils se comportent en majoritaires et qu’il est encore temps de le faire. À cela, je vous réponds que, justement, ils se comportent en majoritaires. Il est là, le « problème ». Les francophones de Hawkesbury et de l’Est ontarien sont plus ou moins inquiets. 

Je ne peux pas généraliser; plusieurs sont sensibilisés, mais, aussi, plusieurs ne voient pas d’enjeux reliés à la langue. Comment dirais-je plus concrètement… Il y a un peu (beaucoup) de « je-m’en-foutisme » dans la communauté. La majorité des francophones vous répondraient, par rapport au service et à l’affichage en anglais : « Ouin pis, je parle aussi anglais ». C’est donc pour cela que l’ACFO PR veut tenir une consultation publique (je travaille au nom de la communauté et non pas en mon nom seulement) à savoir ce qu’en pensent les gens. Non pas pour promouvoir l’anglais ou le bilinguisme, mais pour assurer que le français gardera toujours sa place dans l’Est ontarien.
À l’ACFO PR, nous avons deux grands mandats : défendre et promouvoir la francophonie dans l’Est ontarien.

Défense

Je suis désolée de vous le dire ainsi, mais vous portez des lunettes roses lorsque vous dites que nous sommes majoritaires. Majoritaires, oui, mais dans les faits et chiffres seulement. Comme vous vous acharnez surtout sur le cas de Hawkesbury, je vais prendre cette ville en exemple (je vous rappelle que l’ACFO PR représente toutes les communautés des Comtés unis et non seulement Hawkesbury). Comment expliquez-vous qu’il soit difficile de se faire servir en français au Wal-Mart et au Tim Horton? Comment expliquez-vous qu’au nouveau A & W, seul « Drive Thru » figure sur l’affiche, et non pas la version bilingue, comme on pourrait la voir ailleurs? Comment expliquez-vous qu’au Wal-Mart, un citoyen se fasse répondre, dans le temps de Noël, qu’il n’est pas assez vendeur de tenir des jouets bilingues (c’est-à-dire en français aussi!)? Comment expliquez-vous que les propriétaires de multiples dépanneurs ne puissent pas s’adresser à leurs clients en français? Comment expliquez-vous que les Dollorama et les Dollar Tree n’offre pas de produits en français (décorations d’Halloween, de Noël, etc.)? Comment expliquez-vous que le site web des Hawks, l’équipe de hockey de Hawkesbury, soit unilingue anglais? Et j’en passe!

Vous l’avez bien dit : « La présence francophone a chuté, proportionnellement, de façon dramatique dans certains coins de Prescott-Russell. » Il faut, à mon sens, prévenir plutôt que guérir.
Allez-vous me donner une réponse aussi insignifiante que celle de la mairesse de Hawkesbury, Madame Jeanne Charlebois, quand je lui ai parlé, soit : « Oui, mais nous, on a le pont. »? (En ce sens que nous ne devons pas nous sentir menacés par l’assimilation à la langue anglaise, « le pont » signifiant que Hawkesbury est à la frontière du Québec, contrairement aux autres municipalités.) N’allez pas me faire croire que le West End de Montréal ne s’anglicise pas! Et ce, même s’ils ont, au Québec, la Loi 101. Hawkesbury n’est pas plus à l’abri de l’assimilation.

Lorsque je parle à Monsieur-et-Madame-Tout-le-monde, Monsieur Allard, je reconnais un manque d’engagement de leur part par rapport à la francophonie, de même qu’une tendance à tenir pour acquis notre francophonie. Et que ce passe-t-il entre temps? La région s’anglicise pernicieusement et insidieusement et, mal compris, on se fait traiter de « racistes » à l’égard des anglophones… (http://www.youblisher.com/p/923692-le-regional-hawkesbury-140626/ ) C’est pour cela que nous souhaiterions un règlement sur le bilinguisme. Pour que tous les citoyens soient sur le même pied d’égalité et pour que la francophonie conserve la place qui lui revient. Avec de telles mesures en place, les francophones seront mieux outillés pour faire valoir leurs droits de recevoir des services en français et de vivre dans un environnement où l’on retrouve le français partout.

Vous voyez, Monsieur Allard, la situation est beaucoup plus complexe que ne le laisse entendre votre interprétation des statistiques, une analyse quantitative. Des chiffres demeurent des chiffres. Il faut une bonne compréhension sur le terrain et une analyse qualitative avant de se prononcer.

Promotion

Maintenant, je vous entends lorsque vous dites que nous devrions nous comporter en majoritaires, que nous devrions promouvoir la francophonie davantage.

Soyez sans crainte, cela fait partie de nos objectifs. Depuis mon arrivée, nous avons déjà largement contribué à promouvoir la francophonie, et ce, même si nous vivons présentement une situation financière difficile (jusqu’à maintenant, six demandes de subvention ont été soumises. Une a déjà été acceptée. Croisons-nous les doigts pour les autres…). Nous avons, entre autres, appuyé le Salon du livre de l’Est ontarien, le Salon solidarité francophone organisé par le CALACS d’Ottawa, collaboré au 5e Tournoi de golf de la francophonie avec l’ACFO Ottawa, collaboré au Concours LOL organisé par l’ACFO SDG, etc. Nous préparons des célébrations dans le cadre du 400e de la francophonie en Ontario français, etc. Nous encourageons les artistes francophones locaux, etc. Nous travaillons donc très fort, avec les moyens du bord, comme dit l’expression, pour promouvoir la francophonie et s’assurer que les gens s’épanouissent dans la langue française.

Ceci dit, nous nous comportons en majoritaires. Il faut seulement s’assurer que, comme majoritaires, nous ne portons pas d’œillères et que nous n’ayons pas une confiance aveugle dans le fait que nous le serons toujours. En Ontario français, nous ne pouvons jamais tenir pour acquis… nos acquis, justement.
Je termine donc en reprenant les paroles de Madame Gisèle Lalonde : « Nous n'avons pas travaillé pour rien! » À nous, maintenant, d’assurer une pérennité de l’affichage et des services en français, voire de la vie en français!

Au plaisir d’enfin vous rencontrer ce vendredi,
Tina Desabrais, Ph. D.
Présidente de l’ACFO PR

samedi 11 avril 2015

Déclin du français: Prescott-Russell en transition...

Les rapports du Commissariat aux langues officielles sur la situation linguistique à Ottawa (http://bit.ly/1D75hcr) et Gatineau, publiés cette semaine, contiennent aussi des données sur un certain nombre de régions environnant la capitale fédérale et la métropole outaouaise. Les statistiques ne portent que sur le recensement de 2011 (pour Ottawa et Gatineau on remonte jusqu'à 1981) mais tout de même, elles permettent de cerner dans ses grandes lignes la menace qui pèse sur la francophonie dans ces secteurs, et notamment dans l'Est ontarien (les comtés unis de Prescott-Russell).

La grande région de Prescott-Russell couvre, plus ou moins, le territoire entre Ottawa et la frontière québécoise, des abords de l'autoroute 417 au sud, à la rivière des Outaouais au nord. C'est une région vitale pour l'Ontario français (avec certains secteurs du Moyen et Grand Nord ontariens) parce que les francophones y sont - pour le moment - nettement majoritaires. Dans le sud et sud-est ontariens, c'est le dernier bastion francophone, le dernier territoire où les parlant français peuvent se sentir véritablement chez eux... la plupart du temps.

Mais cette région est en transition… surtout dans le secteur ouest, le plus rapproché d'Ottawa. La capitale déborde à l'est, et ce qui étaient jadis de paisibles villages francophones sont devenus au fil des récentes décennies des quartiers annexés à Ottawa ou des banlieues en croissance rapide. Orléans, jusqu'aux années 1960, un village canadien-français, compte maintenant plus de 100 000 habitants et une forte majorité anglophone. Plus à l'est à Clarence-Rockland, Embrun et même Wendover… des projets domiciliaires accueillent de plus en plus de gens travaillant à Ottawa… avec des conséquences socio-démographiques évidentes…

Le rapport du Commissaire Graham Fraser a capté un moment de cette évolution avec les données cueillies au recensement de 2011. Ces statistiques sont déjà en soi inquiétantes, même sans mise en contexte historique, mais quand on y a joute quelques points de repère des années 1950, 60 ou 70, un scénario beaucoup plus dramatique se profile à l'horizon. J'ai déjà abordé dans un texte de blogue antérieur (http://bit.ly/1CxkEfV en février 2015) le phénomène de «bilinguisation» de Prescott-Russell, depuis 1951 - la population était alors unilingue française à près de 50%.

Il y a 60 ans, moins de 40% des résidents de Prescott-Russell parlaient le français et l'anglais (avec 47% d'unilingues français et 14% d'unilingues anglais). Aujourd'hui, selon les chiffres présentés dans l'étude du Commissariat aux langues officielles, les taux de bilinguisme varient entre 67 et 74% de la population dans les principales municipalités des comtés unis. Seule exception: Russell, avec 58% de bilingues, et pourquoi? Parce que c'est la seule municipalité où les francophones sont minoritaires et qu'une forte proportion des anglophones y restent unilingues anglais…

Avec les proportions d'unilingues français à la forte baisse, une augmentation lente mais constante de la proportion d'unilingues anglais (de 14 à 21% depuis 1951), et la bilinguisation accélérée des Franco-Ontariens, il ne faut pas se surprendre que le Commissaire aux langues officielles ait constaté et quantifié une assimilation pour le moment modeste mais qui ira s'amplifiant. Ce phénomène est le plus perceptible dans les municipalités de Clarence-Rockland et de Russell, les secteurs les plus rapprochés de la capitale.

Ainsi, à Clarence-Rockland, on dénombre 64,9% de francophones selon la langue maternelle, mais seulement 57,7% selon la langue d'usage (la langue la plus souvent parlée à la maison). Pour Russell, c'est 45,7% langue maternelle française, et seulement 38,3% langue d'usage… Les écarts existent aussi, mais plus faibles, dans les autres municipalités. Seule Hawkesbury semble pour le moment épargnée…

La présence francophone a chuté, proportionnellement, de façon dramatique dans certains coins de Prescott-Russell. Selon le recensement de 1971, la population de la municipalité de Russell était à 69% francophone (langue maternelle). C'est aujourd'hui 45,7%. L'ancienne ville de Rockland était alors à 89% francophone. Aujourd'hui, ça frôle le 60%… Pour l'ensemble de Prescott-Russell, la proportion de gens de langue maternelle française est de 65% en 2011. En 1971, c'était 81,2% pour Prescott et 83,8% pour le comté de Russell…

En terminant, une comparaison qui mettra en évidence la différence entre francophones et anglophones dans l'Est ontarien. Dans une municipalité comme Casselman, où les francophones forment plus de 80% de la population, le taux de bilinguisme est de 74%. Dans la ville d'Arnprior, à l'ouest d'Ottawa, où les anglos forment plus de 90% de la population, à peine 10,5% des résidents sont bilingues (et ce 10% comprend sans doute le 4% de francophones). Alors ne nous faisons pas d'illusions: le bilinguisme des régions francophones permet essentiellement à la majorité des anglos de rester unilingues…

Les Franco-Ontariens ont vécu dans des luttes incessantes contre des majorités hostiles, voire racistes, depuis plus de 100 ans. Ce qu'ils ne semblent pas avoir appris, c'est de se comporter en majorité dans les régions où ils le sont, et d'imposer à leurs coins de pays un visage français (pas bilingue), à leur image… Il est encore temps...


----------------
à venir lundi - petite incursion dans l'Outaouais hors-Gatineau...




vendredi 10 avril 2015

Vers un «S.O.S. langue française» à Gatineau?

«Il n'y a pas de raison de trop s'inquiéter de la baisse du poids démographique des francophones à Gatineau: la Loi 101 fera son oeuvre.» Ainsi débute l'éditorial de ce matin (10 avril) du quotidien Le Droit. Rarement aurai-je été en désaccord si total avec mon ex-collègue Pierre Jury. Je peux le comprendre de mettre l'accent sur la situation des francophones d'Ottawa, beaucoup plus dramatique, mais de là à conclure que le déclin de la francophonie à Gatineau ne soit pas trop inquiétant, il y a un pas de géant qu'on ne doit pas franchir…

Brossons d'abord un tableau global, celui que décrit fort bien le rapport (http://bit.ly/1IzxKfwdu Commissaire aux langues officielles rendu public cette semaine. À Gatineau, la proportion de la population déclarant le français comme langue maternelle a décliné, de 84% en 1981 à 78,4% en 2011. La proportion de gens y déclarant le français comme langue d'usage (la langue le plus souvent parlée à la maison) a aussi baissé, de 83,4% en 1981 à 79,7% en 2011. Pendant ce temps, la proportion d'anglophones, selon les deux critères, se maintient ou augmente, surtout depuis 1991. À prime abord, on pourrait conclure que la situation n'a guère changé en 30 ans, mais c'est plus complexe que cela.

Ce qu'il faut comprendre, en tout premier lieu, c'est que Gatineau (comme Ottawa d'ailleurs) couvre un immense territoire. La croissance anglophone et bilingue se concentre dans le centre-ouest de Gatineau (les anciennes villes de Hull et d'Aylmer) parce que tous les ponts menant à Ottawa (où se trouvent la majorité des emplois) sont situés dans ces secteurs. Il n'y a aucun pont interprovincial à l'est de la rivière Gatineau avant Hawkesbury… Il ne faut donc pas se surprendre que les projets domiciliaires dont le marketing est agressivement dirigé vers les Ontariens champignonnent près des principaux accès à Ottawa.

Cela permet en partie de comprendre pourquoi les districts avec les plus fortes proportions d'anglophones sont tous situés au centre-ouest de Gatineau, et pourquoi la vaste majorité des migrants interprovinciaux vers ces quartiers provient d'Ottawa. Tout ça, c'est dans le rapport du Commissaire Fraser… Or, ce que démontrent aussi les portraits linguistiques du Commissariat, c'est que dans ces secteurs la langue anglaise a un pouvoir d'assimilation supérieur à celui de la langue française, même si elle y est - pour le moment - en minorité. C'est aussi là que la population francophone a tendance à être la plus bilingue (un indice sûr d'assimilation dans la région de Gatineau et d'Ottawa).

Les deux districts les plus «anglophones» sont ceux d'Aylmer et de Deschênes. Dans le secteur Aylmer, 32,4% de la population est de langue maternelle anglaise, mais près de 39% de la population utilise uniquement ou surtout l'anglais à la maison… À Deschênes, où la proportion de langue maternelle anglaise oscille à près de 28%, quelque 36,6% des gens disent parler uniquement ou surtout l'anglais à domicile. Et dans ces deux secteurs, les francophones sont plus bilingues que les anglophones. Ces données sont on ne peut plus claires: l'anglais a un pouvoir d'assimilation appréciable dans la quatrième ville en importance du Québec.

Comparons ces chiffres à ceux des districts d'Ottawa où les francophones sont les plus nombreux. Dans le secteur Cumberland, les francophones (selon la langue maternelle) forment 38,5% de la population, mais seulement 30% selon le critère de la langue d'usage. Même chose dans le secteur Rideau-Vanier, où la part de la population de langue maternelle française est de 33,2%. Mais cette proportion baisse à 25% en prenant les chiffres de la langue d'usage. L'assimilation en marche… et ce qui est pire, c'est que le phénomène est désormais perceptible à Gatineau!

Le rapport du Commissariat aux langues officielles explique aussi que l'immigration, toutes provenances confondues, contribue au déclin du français. À Ottawa, l'étude indique que les nouveaux arrivants choisissent «essentiellement» l'anglais comme premier langue officielle parlée. Cela ne surprend personne, et a été soulevé comme problème par les francophones hors-Québec. Ce qui inquiète davantage, c'est que - en dépit de la Loi 101 - plus de 40% des nouveaux arrivants de langues tierces à Gatineau optent pour l'anglais comme première langue officielle. Non seulement les Anglo-Canadiens de souche résistent-ils avec succès à l'effort de francisation, mais leur proportion se trouve renforcée par les allophones anglicisés.

Et pendant ce temps, on projette des milliers de nouveaux logements - surtout des condos - sur l'île de Hull où, si la tendance se maintient, les francophones risquent d'être mis en minorité d'ici une ou deux générations. Et à part Impératif français et quelques militants, à peu près personne ne se préoccupe de protéger la langue française à Gatineau sur la place publique. De plus en plus, on peine à se faire servir en français dans certains commerces, et nombreuses sont les affiches en violation de la Loi 101 que personne ne dénonce. On a à Québec un gouvernement qui veut bilinguiser toute la jeune génération, et des députés bien plus prompts à défendre une minorité anglophone qui n'a jamais été menacée…

Il y a un demi-siècle, près de la moitié des francophones du territoire actuel de Gatineau étaient unilingues français. Aujourd'hui cette proportion est inférieure à 30%. En 1981, environ 93% de la population du territoire actuel de Gatineau connaissait le français, et un peu plus de 63% comprenaient l'anglais (en comptant les bilingues et unilingues). En 2011, on a toujours 93% de la population qui connaît le français, mais près de 71% qui comprennent l'anglais… Vous saisirez mieux la portée de ces chiffres en examinant les données de l'Est ontarien… Par exemple, à Clarence-Rockland, où 65% de la population est francophone, on découvre que 91% des résidents comprennent l'anglais (les francophones étant massivement bilingues) mais que seulement 78% comprennent le français… Et les conséquences?

Le rapport du Commissaire Graham Fraser mérite qu'on sonne l'alarme sur les deux rives de l'Outaouais. Au rythme où vont les choses, on n'est plus très loin d'un S.O.S. langue française à Gatineau!


--------------------

À venir. Les rapports du Commissaire aux langues officielles - la situation dans l'Est ontarien, et quelques coins de l'Outaouais.

jeudi 9 avril 2015

Portrait des groupes de langue officielle à Ottawa: y a-t-il vraiment du «positif»?

Je n'aurais pas voulu me retrouver à la place du Commissaire aux langues officielles, Graham Fraser, cette semaine. Son organisation venait de rendre public deux «portraits des groupes de langue officielle» dans la grande région québécoise et ontarienne qui inclut et ceinture la capitale fédérale, Ottawa. La quatrième ville la plus importante du Québec, Gatineau, est située au coeur de ce périmètre. Or, les deux documents brossent un tableau décapant du déclin de la langue française, des deux côtés de la rivière des Outaouais…

Le Commissaire doit nécessairement répondre aux questions des médias, et tenter par tous les moyens de présenter des éléments positifs au public. Je ne suis pas tellement d'accord; à sa place j'aurais utilisé ces études pour sonner l'alarme quant à l'avenir du français à Ottawa, à Gatineau, ainsi que dans l'Est ontarien et quelques coins de l'Outaouais, y compris la vallée de la Gatineau et le Pontiac. Enfin, je peux comprendre qu'il soit difficile d'avouer, après tant d'années d'efforts, que les choses vont mal. Très mal même. Et que les remèdes ne sont guère évidents…

Si je me fie au texte du quotidien Le Droit et au reportage de Radio-Canada, le Commissaire Graham Fraser - lui-même originaire d'Ottawa - a formulé deux arguments principaux en réponse à ceux et celles qui voient dans ce rapport de sombres augures.

1. Oubliez un peu les pourcentages qui donnent le français à la baisse, tant à Ottawa qu'à Gatineau, dit-il, et regardez les chiffres de population. Tant sur la rive ontarienne que québécoise, le nombre absolu de francophones a augmenté depuis une trentaine d'années (même si cette hausse est moins marquée que chez les anglophones), passant de 104 000 à 131 000 à Ottawa, et de 166 000 à 263 000 à Gatineau.

Jusqu'à un certain point, en théorie, M. Fraser a raison sur l'importance des proportions. Que la part des francophones ait chuté de 19% à 15% (selon la langue maternelle) en 30 ans ne signifie pas en soi un danger pour la langue française. Mais s'il ne s'en tient qu'à ces colonnes de chiffres, il ne peut en être sûr. Il doit les comparer aux données sur la langue d'usage (la langue le plus parlée à la maison) pour calculer l'assimilation, aux données sur le bilinguisme et à la répartition réelle des francophones dans les différents quartiers de la capitale fédérale.

En 1971, la première année où le critère de la langue d'usage a été inclus dans un recensement, il existait toujours - sur le territoire qui forme aujourd'hui Ottawa - deux grands quartiers centraux où les francophones formaient des majorités relativement homogènes. Dans la Basse-Ville d'Ottawa, entre la rue Rideau et la rivière des Outaouais, le français était la langue d'usage d'entre 67% et 83% de la population selon le secteur; dans ce qui était alors la ville de Vanier, dans les secteurs au nord du chemin de Montréal, le français était la langue la plus souvent parlée à la maison pour plus de 70% de la population. Les proportions de francophones selon la langue maternelle (que je n'ai pu trouver) auraient été encore plus élevées...

Depuis ce temps, les communautés jadis enracinées se sont disloqué et ont été dispersées à travers la grande zone urbaine, de nord en sud, d'est en ouest, avec des concentrations qui ne dépassent pas le tiers du total (selon la langue d'usage) peu importe le quartier. Dans le district Rideau-Vanier, qui inclut l'ancienne Basse-Ville et Vanier, seulement 28% de la population donne le français comme langue d'usage en 2011. Il faut aller en périphérie est, vers Orléans et Cumberland, pour dépasser le seuil des 30%…

Premier constat: la langue se conservait mieux dans des quartiers où les francophones formaient une communauté majoritaire. Maintenant présents partout mais en minorité, la langue de la rue, du voisinage, et souvent de la maison, c'est de plus en plus l'anglais. Les répartitions linguistiques par groupe d'âge indiquent que les jeunes sont plus anglicisés que leurs parents et grands-parents. Et les mariages exogames, majoritaires chez les francophones d'Ottawa, constituent un défi que personne n'ose quantifier mais qu'il faudra accepter de relever (le plus important selon Stéphane Dion).

Les proportions continueront de baisser, au point où - dans un avenir pas très lointain - même le nombre absolu de francophones stagnera ou reculera… Si les 10 à 15% de francophones de la capitale (selon le critère qu'on emploie) formaient de solides majorités dans des quartiers où la langue française est la langue commune, je m'inquiéterais beaucoup moins pour l'avenir. Mais ce n'est pas le cas…

2. Tant dans Le Droit que sur les ondes de Radio-Canada, M. Fraser a insisté sur le fait que peu importe la proportion de francophones, un très grand nombre de personnes dans la capitale peut communiquer en anglais et en français. Même dans les quartiers ruraux/urbains les plus anglos, le nombre de bilingues ne chute à peu près jamais sous le seuil des 25%. Dans cinq districts, il dépasse même les 50% !

Il faut l'avouer, dans la capitale canadienne, la proportion d'anglophones qui peuvent communiquer en français est plus élevée que dans la plupart des autres centres urbains hors-Québec. De fait, il faut se rendre à l'évidence: à Ottawa, la forte majorité des bilingues sont de langue maternelle autre que le français. Mais ce tableau de la connaissance des deux langues officielles cache des réalités plus sombres que le Commissaire ne pourrait décortiquer dans ses rapports.

D'abord, il faut noter que neuf francophones sur dix sont bilingues, et qu'un tel stade de bilinguisme collectif est généralement l'étape ultime d'un processus d'assimilation qui arrache le tiers ou plus des effectifs d'une génération à l'autre. Cela signifie qu'entre le tiers et la moitié des enfants de ces francophones bilingues ne parleront que l'anglais…

Secundo, il serait intéressant de savoir jusqu'à quel point la connaissance du français chez quelques centaines de milliers d'anglophones et d'allophones se traduit par son utilisation quotidienne ou par la consommation régulière de produits culturels de langue française. Combien d'entre eux s'abonnent au Droit? Écoutent Radio-Canada ou TVA ou les stations de radio françaises? Achètent des livres et des disques en français? Si le bilinguisme est une coquille vide, à quoi sert-il?

Ces questions, on pourrait sans doute les poser aussi à une forte proportion des Franco-Ontariens…

Les réponses font peur. Il est bien plus réconfortant de ne prendre que les chiffres les plus positifs et de se bercer d'espoir. Mais pendant ce temps, rien ne se règle...

--------------

À venir - un examen des données sur Gatineau, l'Outaouais et sur l'Est ontarien.

mercredi 8 avril 2015

Francophonie: sonner l'alarme à Gatineau… et à Ottawa

Le Commissariat fédéral aux langues officielles a des moyens qui échappent au commun des mortels, du moins au commun des mortels qui doit limiter ses recherches à l'Internet en cherchant à étudier l'évolution des données linguistiques dans une région donnée. Va pour les recensements de 2011 et 2006, et à la limite celui de 2001, mais pour les données de 1996 et des recensements plus anciens, les ressources sur le Web sont trop souvent incomplètes ou absentes…

Alors quand le Commissariat rend public deux études comme celles d'aujourd'hui (8 avril) sur les tendances linguistiques depuis 1981 dans la région d'Ottawa/Est ontarien et Gatineau/Outaouais, il nous permet de brosser un tableau assez précis de la situation du français et de l'anglais dans une région où les deux grandes solitudes se retrouvent face à face, au Québec et en Ontario, et de voir comment cette situation a changé au cours des 30 dernières années.

Impossible d'analyser le tout en quelques heures, à chaud, mais il est possible d'en tirer quelques conclusions en attendant de décortiquer davantage les nombreux tableaux que contiennent ces deux documents (un pour Ottawa, l'autre pour Gatineau). Les médias (Le Droit, Radio-Canada, TFO) ont immédiatement titré, dès la fin de l'après-midi, sur le recul du français, en particulier à Ottawa mais aussi à Gatineau. Ce n'était ni surprenant, ni erroné.

Pour aujourd'hui, cependant, je tiens à attirer l'attention des intéressés sur l'évolution de l'anglais dans la ville de Gatineau. La régression du français à Ottawa, qui se manifeste le plus dramatiquement dans les chiffres sur la langue d'usage (la langue la plus souvent parlée à la maison), était appréhendée. En 1981, pour la division de recensement d'Ottawa (pas tout à fait la même chose que la ville), on dénombrait 15,5% de francophones selon la langue d'usage. En 2011, c'est seulement 10,7%. Et en analysant les données par groupe d'âge, on s'aperçoit que cette chute va s'accélérer, parce que les francophones sont sous-représentés chez les jeunes (moins de 34 ans) et surreprésentés chez les plus de 45 ans. La relève sera nettement moins abondante… J'y reviendrai.

Mais cette évolution ne surprend qu'à moitié parce qu'on s'attend qu'une majorité de 80% et plus d'anglophones exerce un effet assimilateur sur la minorité francophone déclinante. On devrait voir le même phénomène sur la rive québécoise, où une majorité de près de 80% de francophones serait censée avoir un effet d'attraction décisif pour les minorités anglophones et allophones. Mais ce n'est pas le cas. À Gatineau comme à Ottawa, le français (ici la langue majoritaire) est en régression alors que l'anglais ne l'est pas et que les minorités d'autres groupes linguistiques viennent maintenir ou augmenter la proportion d'anglophones.

En regardant les chiffres depuis 1981, et en particulier depuis 1991, on s'aperçoit que la minorité anglophone de Gatineau se comporte comme une extension de la majorité de langue anglaise d'Ottawa, et non comme une minorité anglo-québécoise en voie d'intégration. Depuis 20 ans, la proportion d'anglophones selon la langue maternelle à Gatineau a augmenté de 12% à 13% alors que la proportion de francophones a diminué de 83,7% à 78,4%. Mais quand on regarde les chiffres de la langue la plus souvent parlée à la maison la proportion d'anglophones passe de 13,2% en 1991 à 14,6% en 2011. De l'autre côté de la rivière, pour 15% de francophones selon la langue maternelle, il n'en reste que 10,7% selon la langue la plus parlée à la maison (soit un taux d'assimilation d'environ 30%).

À Ottawa, les francophones se font assimiler. À Gatineau, les anglophones assimilent! Au-delà de l'effet de l'anglais langue de travail dans le secteur privé comme dans la fonction publique fédérale, il faut sans doute voir, notamment dans les secteurs de nouveaux projets domiciliaires (Hull, Aylmer), les conséquences d'un marketing agressif des constructeurs auprès des Ontariens. Et avec la construction de gros projets de condos au centre-ville du secteur Hull, car sera du pareil au même. Des noms anglais au besoin, et une insistance sur la proximité du centre-ville d'Ottawa… une recette parfaite pour vous-savez-quoi…

La situation est déjà dramatique à Ottawa où les anciens quartiers francophones ont été démantelés et les anciennes communautés de langue française dispersées… mais il est temps de sonner l'alarme à Gatineau, en espérant que quelqu'un prenne des mesures pour sauvegarder le caractère français de la ville et de l'ensemble de l'Outaouais urbain. Peut-être pourra-t-on compter sur quelques membres du conseil municipal, quoique personne ne semble s'inquiéter de quoi que ce soit par les temps qui courent.

On ne peut certainement pas compter sur l'intervention de nos députés à l'Assemblée nationale, qui n'ont à peu près jamais publiquement levé le petit doigt pour défendre les droits des francophones en Outaouais, mais qui appuient vite sur la gâchette dès que la minorité anglophone s'agite un peu. Le député André Fortin a bien montré ses couleurs en prêtant serment comme député en «bilingue»… et la ministre Stéphanie Vallée vient d'indiquer que cela ne la dérange pas du tout qu'un jugement où toutes les parties sont francophones ait été rendu en anglais… Et les députés fédéraux du NPD n'ont guère fait plus…

Je n'ai pas fini de décortiquer les deux rapports du Commissaire Graham Fraser… on y reviendra sûrement au cours des prochains jours…






mardi 7 avril 2015

Du débat au combat…

Ceux et celles qui me connaissent savent que j'adore les discussions et les débats. J'aime contester, et être contesté. Du choc des idées jaillit la lumière, dit le vieux proverbe. Mais justement, peu importe le degré de «muscle» qu'on met dans le ton des échanges, cela doit rester dans l'univers des idées. Verser sans justification évidente dans l'insulte personnelle ou le procès d'intention est inacceptable. On passe alors du débat au combat… le plus souvent stérile et sans issue.

Je me souviens de mes premières années comme journaliste au quotidien Le Droit, fin années 1960 début années 1970. Un étranger arrivant à la salle des nouvelles aurait pu croire, parfois, en entendant les voix animées, que certains étaient sur le point d'en venir aux coups. De gauche à droite, tout y passait dans nos quasi-engueulades. Puis c'était fini, les tapes dans le dos, et tout le monde traversait la rue amicalement pour une bière autour de la même table.

C'est ainsi que je vois les échanges, qu'ils aient l'allure d'un dialogue serein ou d'un affrontement vigoureux. À la fin, rien n'est personnel. Du moins je l'espère.

Si j'aborde cette question dans le cadre de mon blogue, c'est qu'une de mes récentes offrandes, portant sur le cri du coeur de Marie-France Kenny, présidente de la Fédération des communautés francophones et acadienne, a été publiée dans le Huffington Post Québec (http://huff.to/1GjxBKM) et qu'au-delà des des «J'aime» et partages Facebook, et des gazouillis sur Twitter, le texte a suscité quelques centaines de commentaires d'un peu partout au pays.

Je suis fasciné par ce phénomène, parce que durant les douze années où j'ai rédigé des éditoriaux au Droit, le quotidien ne permettait par les commentaires de lecteurs et lectrices directement sur le site Web, à la suite de textes d'opinion, comme Le Devoir ou le Journal de Montréal. Alors, constatant le va-et-vient d'opinion via HuffPostQuébec à la suite de mon billet intitulé Fêter les 150 ans du Canada? Non merci!, j'ai tout imprimé pour tenter d'en faire une synthèse.

J'aurais peut-être dû m'y attendre, étant habitué aux excès de la twittosphère, mais je dois avouer que j'ai été surpris - et attristé - par la virulence de certains propos ainsi que la méchanceté de nombre d'injures personnels (entre lecteurs surtout, et parfois envers l'auteur), et la rareté de commentaires portant sur la substance du texte de blogue, ou sur un prolongement opportun de l'argumentaire proposé - notamment sur les moyens de commémorer dignement le 150e anniversaire de la Confédération sans toutefois la fêter…

Ce n'est pas en répondant ainsi à un interlocuteur qu'on le convaincra de la valeur de ses propos: «Tu es né épais ou c'est venu avec l'âge? Ou es-tu tombé sur la tête un jour pour nous ennuyer avec les mêmes bêtises?». Ou encore: «Vos stupidités et élucubrations, je ne les lis pas.» Ou encore: «Indépendantistes méprisants et méprisables, continuez de vous vautrer dans votre ignorance…» Ou encore, sans possibilité de réplique: «T'es un christ de moron»… Et pour conclure: «Fuck you. Je vais les fêter moi (Canada 150) et pas un criss va m'empêcher!»

J'ai aussi été frappé par le nombre d'affirmations erronées ou de généralisations gratuites, inventées ou reprises d'autres sources qui les avaient sans doute propagées, sur lesquelles on construit des conclusions tout aussi erronées. Bien des gens auraient avantage à s'informer davantage (et je m'inclus au cas où je l'aurais fait moi-même) avant de trop s'avancer sur Internet, où les écrits ont tendance à rester plus souvent qu'à s'effacer…

Ainsi on apprend que le drapeau québécois a été piétiné à Belleville en 1995 (c'était Brockville, en 1989), que Louis Riel a été pendu en 1840 (c'était en 1885), que 1 100 000 francophones hors-Québec «vivent en français» (pourtant ils sont seulement 664 000 selon la langue la plus souvent parlée à la maison), que le taux d'assimilation est de 50% depuis le bilinguisme à Trudeau (je ne sais pas d'où vient cette statistique). Et je ne compte pas les affirmations excessives condamnant ou louangeant les grandes options de l'heure, entre les indépendantistes purs et durs et les fédéralistes intraitables…

Je n'ai rien contre les indépendantistes purs et durs, ni contre les fédéralistes intraitables, même si mes propres positions, parfois complexes vu mes racines franco-ontariennes profondes et tenaces, me situent plus près des premiers que des seconds, mais le débat ne progressera pas à coups d'insultes et de propos blessants. Le choc peut être musclé, mais de grâce, tenons-nous en dans la mesure du possible aux faits et aux idées. 




mercredi 1 avril 2015

Entre St-Isidore et Casselman...

Une lectrice du quotidien Le Droit, Lise Laframboise, résidente du village de Saint-Isidore, dans l'Est ontarien, se plaint ce matin (http://bit.ly/1yzCTLL) d'être servie en anglais dans des commerces de Casselman, une petite municipalité à forte majorité francophone située à une quinzaine de kilomètres de chez elle, en direction d'Ottawa par l'autoroute 417…

Et sa lettre se voulait une réaction à la chronique de mon ex-collègue Denis Gratton (aussi dans Le Droit) où ce dernier faisait état d'un patient qui s'offusquait parce qu'on prononçait toujours son nom en anglais à l'hôpital Montfort, à Ottawa (http://bit.ly/1OQNRXz). Denis lui-même se souvenait de s'y être rendu avec sa conjointe et d'avoir eu affaire à du personnel qui s'était adressé à lui en anglais d'abord…

Si seulement c'étaient des cas exceptionnels... La plupart des francophones se butent à de telles situations à Ottawa et dans l'Est ontarien tous les jours, tous les mois de tous les ans. Et ça empire de décennie en décennie. La plupart s'en accommodent. Quelques-uns seulement osent se plaindre…

Ces petites lettres de lecteurs ne sont que la pointe d'un iceberg qui pourrait couler des dizaines de Titanic. Le cri du coeur de Marie-France Kenny (présidente de la FCFA, http://bit.ly/1EgB91j), la semaine dernière, s'est buté à l'indifférence habituelle et c'est en bonne partie cette indifférence (ou pire, l'hostilité fréquente des Anglo-Canadiens) qui empêche présentement les collectivités francophones de voir venir l'iceberg…

Ne faisons pas semblant de ne pas voir. Dans plusieurs coins du pays, il est presque trop tard pour sauver les derniers lambeaux de résistance d'anciennes communautés francophones florissantes. Mais dans certaines régions, notamment au Nouveau-Brunswick et dans l'Est et le Nord ontariens, il encore temps de donner quelques vigoureux coups de barre.

Si le français doit avoir un avenir hors du Québec, s'il doit continuer à y exister des régions où les francophones peuvent dire «ici c'est chez nous», des localités où le français reste la langue commune, des endroits comme Casselman et Saint-Isidore, et Hawkesbury et Alfred, et Kapuskasing et Hearst, doivent en faire partie!

Les mouvements franco-ontariens peuvent bien livrer bataille pour une théorique immigration francophone qui ne viendra jamais, ou demander un campus universitaire à Toronto où le français restera toujours marginal, et peut-être n'ont-ils pas le choix d'agir ainsi... Mais les combats qu'ils peuvent réellement gagner, là où une masse critique de francophones existe toujours, ce sont - entre autres - à l'est de la capitale fédérale qu'ils devront se dérouler, dans cette région de l'Est ontarien qui longe la rivière des Outaouais et les plaines fertiles de l'intérieur jusqu'à la frontière québécoise.

Dans quelques décennies il sera trop tard. Les chiffres des recensement fédéraux brossent un tableau jusqu'à maintenant irréversible d'une région est-ontarienne (notamment dans les comtés unis de Prescott et Russell) où une majorité jadis à moitié unilingue française (recensement 1951) est devenue massivement bilingue et s'anglicise à vue d'oeil. Ici la minorité anglophone assimile la majorité francophone!

Prenons les cas cités plus haut de Saint-Isidore et Casselman. Selon le recensement de 2011, le village de Saint-Isidore compte 75% de francophones selon le critère de la langue maternelle (première langue apprise et encore comprise) mais seulement 70 % selon la langue d'usage (langue la plus souvent utilisée à la maison). Pour les anglos, c'est le contraire: 21% selon la langue maternelle, 26% selon la langue d'usage…

Casselman offre un profil tout à fait similaire: 80% des résidents sont de langue maternelle française, mais cette proportion chute à 76% quand on utilise le critère de la langue d'usage. Les anglophones? 17% selon la langue maternelle, 21% avec la langue d'usage…

Tout de même, il y a toujours plus d'unilingues francophones que d'unilingues anglophones à Casselman et Saint-Isidore… et la langue de la rue y reste largement le français… Alors comment expliquer que des francophones ne puissent s'y faire servir en français à certains endroits, comme ailleurs dans l'Est ontarien?

Mon expérience avec les commerçants, en Ontario, comme ailleurs, c'est qu'ils se préoccupent de la langue de leurs clients seulement quand leur chiffre d'affaires en souffre ou dans la mesure où la loi leur impose certaines exigences (comme au Québec). Pour le reste, même dans des régions ontariennes à majorité francophone, trop souvent ils s'en fichent, à moins d'être de ceux et celles chez qui le vieux fond raciste antifrancophone de l'Ontario a laissé des traces… et là c'est pire…

Les petites vexations quotidiennes s'accumulent et on devient habitués à se faire servir en anglais seulement au Tim Hortons, au poste d'essence, au Wal-Mart, au Canadian Tire, un peu partout… Parfois même, ce sont des francophones qui nous servent en anglais…

La semaine dernière, à un Tim Hortons du secteur Orléans (Ottawa), la caissière francophone, qui entendait ma mère et moi parler français, nous a abordés en anglais. Et quand ma mère lui a demandé (en français) si telle soupe était disponible, elle a répondu, passant au français, qu'on n'avait que la chicken noodle et la cream of broccoli… J'ai la conviction qu'elle aurait préféré qu'on s'adresse à elle dans l'autre langue, la seule qui soit officielle à Ottawa et en Ontario…

L'anglicisation grignote quotidiennement les anciennes majorités francophones de l'ouest du comté de Russell, les plus rapprochées d'Ottawa, et s'avance inexorablement vers l'est… Mais à part Lise Laframboise, Marie-France Kenny et quelques autres, les lunettes roses restent de mise dans ce beau-et-grand-bilingue-pays…

«Pourquoi bêler quand le troupeau veut rire?», chantait jadis Louise Forestier… Je viens sans doute d'écrire un autre texte de blogue inutile… vu l'indifférence générale. Mais comme je l'ai déjà dit à un critique de mon insistance: «Je tiens plus à m'exprimer qu'à être lu»… Alors voilà!