mercredi 29 juillet 2015

Abolir l'OQLF? Après, ce sera la Loi 101. Et après...

Quelle valeur ont les pétitions en ligne? Je n'en sais rien. Elles ne constituent pas des consultations scientifiques de l'opinion publique. Elles font appel aux individus ayant de fortes convictions, fortes au point d'accepter de les exprimer publiquement en s'identifiant. En soi, cela ne dit pas grand-chose sur la part de l'opinion qu'ils représentent, mais tout de même, quand une de ces pétitions récolte des milliers de noms en peu de temps, il me semble qu'on doive prêter une oreille attentive, au cas où…

Voilà pourquoi il faut m'apparaît important de s'interroger sur la portée de cette pétition en faveur de la fermeture de l'Office québécois de la langue française (OQLF). Lancée récemment (voir l'hebdo The Suburban http://bit.ly/1OChY2Q), et sans grand tapage médiatique, elle compte déjà plus de 5500 signatures, en immense majorité des anglophones et allophones. J'ai recensé les 300 signatures les plus récentes (depuis le 26 juillet) et près des deux tiers des individus se disent Québécois. Plus du tiers indiquent des adresses hors-Québec ou s'identifient tout simplement comme résidents du Canada. Une dizaine de personnes demeurent à l'étranger (surtout aux États-Unis).

Mais ce qui frappe le plus, au-delà du nombre appréciable de signataires, c'est le caractère abracadabrant du texte au-dessous duquel ils apposent leur signature. Je peux concevoir que des anglophones et des allophones soient frustrés par la Loi 101 et les interventions de l'OQLF, et qu'ils désirent l'abolition du chien de garde de la langue française, mais encore faut-il qu'ils le proposent avec un argumentaire factuel ou, tout au moins, raisonnable. Or, le texte de justification de cette pétition (http://bit.ly/1LRhI0Q) est à peu près totalement dénué de fondement…

L'auteur de la pétition, un certain Murray Levine, commence par affirmer qu'un faux prétexte a été employé pour valider la création de l'OQLF. Il écrit: «la langue française au Canada, et à plus forte raison au Québec, n'est pas en danger. Si la langue française prospère à Sudbury, Cornwall, Ottawa, St-Boniface (MB), Chéticamp (N.-É.), à travers le Nouveau-Brunswick et dans plusieurs régions du Canada, elle n'est pas en danger au Québec, la province avec la plus forte majorité de francophones.» Et comme si ce grossier mensonge ne suffisait pas, il ajoute que depuis la Loi 101, il y a eu un «exode massif» des meilleurs et des plus brillants cerveaux (the best and the brightest)…

Étant l'un de ces millions de moins brillants cerveaux qui ont refusé l'exode massif après l'adoption de la Loi 101, j'espère qu'il ne m'en voudra pas d'oser rectifier ces énormités… D'abord, les dangers que court la langue française au Québec et ailleurs au pays ont été validés année après année par les statisticiens du gouvernement fédéral, par le Commissaire aux langues officielles du Canada, par une multitude d'études universitaires et ont même été reconnus par la Cour suprême du Canada. Ce n'est pas l'invention d'une poignée de nationalistes aux vues étroites.

Bien sûr qu'il reste des dizaines et des centaines de milliers de francophones hors-Québec, qui mènent d'ailleurs des luttes souvent héroïques pour assurer la pérennité d'une langue que trop de Québécois tiennent trop souvent pour acquise, mais affirmer qu'ils «prospèrent»? Les transferts linguistiques vers l'anglais sont dramatiques dans une ville comme Cornwall, et les taux d'assimilations sont plus qu'inquiétants dans des centres comme Ottawa, Sudbury et St-Boniface. Même au Nouveau-Brunswick, dans les régions urbaines (Moncton, Bathurst, Campbellton), la situation devient préoccupante. Je n'exprime pas ici une opinion. Ce sont des faits vérifiables et vérifiés. Et pire, le phénomène de l'assimilation est désormais perceptible au Québec, notamment dans la grande région montréalaise et en Outaouais.

Les Anglo-Québécois, jadis dominants, ont toujours eu tout cuit dans le bec depuis la Confédération. Encore aujourd'hui, ils sont bien mieux traités que les minorités de langue française dans les autres provinces, qui doivent toujours lutter dans l'opinion publique et devant les tribunaux pour arracher des droits qui ont toujours été accordés aux anglophones du Québec. Trois universités de langue anglaise au Québec, n'est-ce-pas? Les Franco-Ontariens réclament la leur depuis plus de 40 ans, sans succès, et le mieux qu'ils ont pu obtenir d'un gouvernement qui se dit sympathique à leur demande, c'est un peut-être, si jamais le budget provincial est équilibré…

La vérité, telle que je la perçois en tant qu'ancien Franco-Ontarien et Québécois d'adoption, c'est que nos anciens Rhodésiens et ceux qu'ils ont assimilés au fil des décennies ne peuvent digérer que la majorité francophone se soit affirmée et qu'elle ait décidé de prendre des mesures pour empêcher d'être un jour mise en minorité dans le seul territoire où elle occupe une position dominante. Et que le message envoyé par les signataires de ces pétitions, c'est qu'un jour, bilinguisme collectif aidant, le français sera remis à sa place… Pas d'OQLF, pas de Loi 101, pas de français langue de travail, etc. Une province comme les autres…

On n'a qu'à voir d'où viennent les plus fortes concentrations de signataires de la pétition pour abolir l'OQLF. Au-delà de Montréal, c'est surtout le West Island et la couronne ouest de l'île - Pointe-Claire, Pierrefonds, Dollard-des-Ormeaux, Dorval, Vaudreuil, etc. À noter, une participation appréciable de l'Outaouais et particulièrement du Pontiac (Shawville, Bristol, Portage-du-Fort) où un fort sentiment francophobe persiste. Une solide présence de signataires hors-Québec constitue sûrement une indication d'un certain intérêt pour la question dans les autres provinces. Enfin, je suis estomaqué que des francophones (même peu nombreux) ait pu approuver un tel texte…

«Réveille! Réveille!», chantait Zachary Richard aux Acadiens. Il est grand temps, en effet.







lundi 27 juillet 2015

Chronique d'un voyage à Terre-Neuve

En visitant pendant huit jours l'ouest de Terre-Neuve, entre la péninsule de Port-au-Port et l'extrême nord de l'île à L'Anse-aux-Meadows, je me suis rendu compte qu'entre l'école, les médias et mes propres lectures, je n'avais pas appris grand-chose d'utile sur ce territoire et ses habitants… J'en sais un peu plus maintenant, après avoir roulé près de 2 500 km en voiture et avoir eu l'occasion d'échanger avec un certain nombre de Terre-Neuviens de différentes régions… En tout cas, j'en sais assez pour savoir que j'aimerais en savoir plus… 

Voici quelques constatations qui m'ont marqué pendant mon séjour:


1. Terre-Neuve, même sans le Labrador, c'est grand (c'est beau aussi)! Plus grand que l'Irlande, presque aussi grand que l'Angleterre! L'aller-retour de Corner Brook (centre-ouest) à St. Anthony (extrémité nord de la péninsule de l'ouest) ajoutera 1000 km à votre odomètre. Un immense tapis de forêt boréale (sapins, épinettes, bouleaux) émaillé de villages côtiers et de quelques petites villes. De Port-aux-Basques, au sud-ouest, à St. John's (pointe est), c'est aussi long que le trajet Montréal-Sept-Îles!


2. Terre-Neuve a remis en question mes notions au sujet de la définition d'une île… Je n'ai pas de problème à concevoir le caractère insulaire de l'île d'Orléans, ou même de l'île d'Anticosti ou de l'Île-du-Prince Édouard… Mais Terre-Neuve, à 115,000 km carrés, c'est presque un mini continent. N'oubliez pas que l'Amérique est aussi une île… gigantesque j'en conviens. Au large de la péninsule de Port-au-Port, il y a l'Île Rouge. Ses habitants acadiens et français appelaient Terre-Neuve «la grand'terre» (mainland pour les anglophones). Aujourd'hui, l'île est déserte et en face, sur la route 463 des ancêtres français, on retrouve le village de «Grand'Terre»… aussi appelé Mainland

3. Les Terre-Neuviens s'appellent eux-mêmes des newfies… J'avais toujours cru, à l'entendre au Québec et en Ontario, que ce terme était largement péjoratif… une façon de se moquer de nos voisins de l'est (p. ex. les blagues de newfies). Alors oubliez ça, ça ne les dérange pas du tout! Le mot newfie fait partie de leur quotidien. J'ai même vu, sur un menu de restaurant, la possibilité de commander un newfie lunch ("baloney" et frites)…

Au restaurant Norsemen, de L'Anse-aux-Meadows

4. Parlant de nourriture, je n'ai jamais vu de resto de cuisine anglo-canadienne ou même ontarienne… mais je vous assure qu'il existe une fière cuisine terre-neuvienne, largement axée sur les poissons et fruits de mer. Je ne doute pas que la morue soit une espèce menacée (le moratoire sur les grandes pêches commerciales est en vigueur depuis 1992), et pourtant on en sert dans presque tous les restaurants côtiers. Et elle est délicieuse! Un plat succulent que j'ai essayé dans le petit village de Lark Harbour: le fisherman's brewis (prononcer bruise) - un mélange de morue salée, de pain dur trempé et émietté, servi avec des scrunchions (porc grillé), de la mélasse et un relish au maïs… Pour une fine cuisine locale digne des meilleures tables de Montréal, allez au Norsemen à L'Anse-aux-Meadows...


5. Sur le plan des services en français, mes attentes étaient nulles dans cette province où les francophones forment une infime minorité de quelques milliers d'habitants. À Corner Brook, par exemple, il n'y a que 75 francophones sur une population de plus de 20 000… Quelle ne fut pas ma surprise de voir l'affiche «Welcome to - Bienvenue à Corner Brook» sur la toute 1 (transcanadienne). À l'insectarium provincial près de Deer Lake, quand le personnel nous a entendus parler français, on a offert de nous fournir un guide francophone! Et au petit resto du centre-ville où on prenait le lunch, la serveuse (qui avait sans doute reconnu notre langue) a eu la gentillesse d'écrire à la main «Merci!» sur la note…


6. Je n'ai rencontré qu'une francophone originaire de Terre-Neuve, Mme Gloria Lecointre, responsable du «Cercle des mémoires« au Centre communautaire de Grand'Terre, dans la péninsule de Port-au-Port. Il y a là une chapelle et une école de langue française. Les ancêtres de Mme Lecointre ont vécu sur l'Île Rouge, près de Grand'Terre, et sont originaires de St-Pierre et Miquelon. La majorité des francophones de cette région semblent d'origine acadienne cependant, comme en témoigne le monument aux Acadiens à Cap St-Georges. La route en boucle qui fait le tour de la péninsule s'appelle d'ailleurs (en français et en anglais dans les affiches provinciales) La route des ancêtres français.


7. Le Parc national du Gros-Morne (le Gros-Morne c'est une montagne) et le Lieu historique de L'Anse-aux-Meadows comptent parmi les grandes attractions de la côte ouest et nord de Terre-Neuve. Ce sont des sites sous juridiction fédérale. Nous n'avons eu aucune difficulté à y obtenir des services en français, et à L'Anse-aux-Meadows (site de la première installation des Vikings en Amérique du Nord) il y avait une offre active en français. Nous étions une douzaine de Québécois à suivre la visite guidée en français autour de ce site consacré par l'UNESCO.


8. J'ai été étonné de voir assez fréquemment, en plus du drapeau de Terre-Neuve et du drapeau canadien, un drapeau tricolore vert-blanc-rose devant des magasins et des résidences. Il est d'ailleurs en vente dans les boutiques de souvenirs et même sur les sites fédéraux où il est identifié comme le drapeau de la «République de Terre-Neuve». C'est un des drapeaux officieux de ce territoire assez unique, et il existe depuis le milieu du 19e siècle. On l'appelle le Newfoundland Tricolour et il s'agit, semble-t-il, du seul drapeau au monde qui utilise le rose. Je devrai m'informer davantage…

Tuques, manteaux chauds s'imposent parfois même en juillet.

9. On s'imagine qu'à Terre-Neuve, le climat doit être différent de Gatineau ou Montréal, où l'on croule aujourd'hui sous la chaleur et l'humidité. Samedi matin, j'étais à St. Anthony et L'Anse-aux-Meadows, où le mercure a chuté à trois degrés et où, vent du large aidant (il y avait même un iceberg dans la baie), des gens se promenaient avec des tuques et des gants… Dans notre semaine, le mercure a seulement dépassé le seuil des 20 degrés les deux derniers jours… C'est plus froid que d'habitude mais quand même, je n'ai vu aucune plage et personne ne songerait à se baigner dans le golfe, dans le détroit de Belle-Ilse ou dans le nord de l'Atlantique… On mourrait d'hypothermie en quelques minutes…

10. Ne doutez jamais de l'attachement des Terre-Neuviens à leur coin de pays. Un ancien Haut Commissaire de Grande-Bretagne à Terre-Neuve (avant 1949) disait qu'au ciel, seuls les Terre-Neuviens seraient malheureux. Ils s'ennuieraient de leur île… Un Franco-Ontarien de Timmins que nous avons rencontré à L'Anse-aux-Meadows disait connaître une Terre-Neuvienne établie à Timmins: elle était en contact avec tous les Terre-Neuviens (ils ne sont pas nombreux) habitant cette ville du Nord ontarien. Partout où ils se retrouvent, ils se regroupent… tant le sentiment d'appartenance est profond.

À Pasadena (entre Deer Lake et Corner Brook), à un marché d'alimentation où mon épouse et moi étions arrêtés pour des provisions, une vieille dame cherchait des fraises (c'est la saison des fraises, présentement, à Terre-Neuve). Et elle n'allait pas quitter avant qu'un membre du personnel lui garantisse que les fraises qu'elle achetait étaient locales (de Terre-Neuve) et non d'une place étrangère comme… la Nouvelle-Écosse. Je n'ai pas été témoin du dénouement de sa quête mais nous en avons achetées et elles étaient fraîches et délicieuses…


À Eddies Cove, le Labrador est bien visible.

11. Une dernière considération… géographique. Terre-Neuve c'est à l'est, mais un peu plus que je ne le croyais. Quand nous sommes arrivés, il y avait à la télé l'Omnium britannique de golf et je me suis tout à coup rendu compte qu'il n'y avait que trois heures et demie de différence entre Terre-Neuve et la Grande-Bretagne… alors qu'il y en a quatre et demie avec Vancouver… Et en regardant la carte, j'ai aussi réalisé que la deuxième province la plus à l'est, c'est le Québec. Natashquan est située à l'est de Halifax, et Blanc-Sablon se trouve encore plus à l'est que Corner Brook, à Terre-Neuve!

J'ai compris cela vivement quand, roulant près d'Eddies Cove, dans le nord de la péninsule ouest de Terre-Neuve, j'ai aperçu en face les côtes sombres du Labrador et un peu plus loin, la région de Blanc-Sablon, au Québec, port d'attache du traversier du détroit de Belle-Isle qui fait la navette avec St. Barbe, Terre-Neuve, à 36 km de distance…

Décidément, les voyages forment la vieillesse…




mardi 14 juillet 2015

Un Bloc québécois associé à un Bloc canadien?


Même si je ne partage pas pleinement le regard du professeur François Charbonneau (Université d'Ottawa) sur les principes de l'esprit démocratique ou la logique politique, son idée de créer un parti pan-canadien allié ou associé au Bloc québécois (http://bit.ly/1DevYKd) mérite certainement qu'on en discute. Un tel projet, s'il était sérieusement mijoté et soutenu par des individus crédibles hors-Québec, pourrait un jour (pas en 2015) attiser quelques braises utiles…

Mais commençons par liquider la prémisse qui me chicote. Le Bloc québécois ne représente pas les intérêts d'une région, ainsi que l'affirme François Charbonneau, mais bien ceux d'une nation. Or, les institutions politiques fédérales du Canada sont singulièrement déficientes quand vient le temps d'offrir une tribune à la nation francophone du pays. C'est peut-être le vice fondamental de la fédération.

Sauf rares exceptions (le Crédit social sous Caouette, le NPD sous l'effet de la vague Layton), dans les grandes formations politiques du Canada, et particulièrement au sein du parti au pouvoir, les députés québécois et la grappe de députés canadiens-français hors-Québec sont et seront minoritaires... La Chambre des Communes a beau avoir reconnu l'existence d'une nation québécoise en 2006, cette reconnaissance reste une coquille vide sans la présence d'un parti comme le Bloc québécois, qui siège à la fois comme porte-parole des électeurs de ses circonscriptions et comme porte-étendard d'une collectivité nationale.

Bien sûr le Bloc ne peut, seul, aspirer au pouvoir. Il participe loyalement dans l'opposition ou dans des alliances occasionnelles, laissant savoir au reste du Canada ce que ferait le Québec s'il était un pays souverain et en mesure de prendre seul les décisions, pan-canadiennes et internationales, qui relèvent présentement des autorités fédérales. La véritable prise du pouvoir, dans cette vision des choses, ne peut se faire qu'à l'Assemblée nationale, après une consultation référendaire et une négociation.

Un parti «indépendance-association»?

L'idée que le Bloc québécois puisse, même brièvement, «co-occuper» le pouvoir à Ottawa semble farfelue, mais la chose serait possible - en théorie - si le parti trouvait un nombre suffisant d'alliés dans les autres provinces et si ces derniers réussissaient à convaincre une majorité d'électeurs d'appuyer un programme de «divorce à l'amiable» dans plus une centaine ou plus de circonscriptions… Y a-t-il vraiment quelqu'un qui, dans ses rêves les plus colorés, puisse croire à la victoire d'un parti fédéral «indépendance-association»? Poser la question c'est y répondre...

Le professeur Charbonneau affirme toutefois qu'il «ne faut pas sous-estimer le nombre de Canadiens anglais qui ne jugent pas catastrophique la perspective de voir le Québec devenir un État indépendant», et qu'il y aurait sans doute une valeur politique à présenter des candidats d'un hypothétique Bloc québécois-canadien d'un océan à l'autre… si ce n'était que pour offrir un exutoire aux sympathisants hors-Québec d'un divorce à l'amiable entre le Canada anglais et le Québec.

Bien choisir ses alliés

Tel que je le perçois, en supposant que le Bloc québécois manifeste une improbable ouverture à un semblable projet, le principal problème serait de bien choisir ses alliés, en supposant que tels alliés existent et qu'ils soient eux aussi prêts à faire le grand saut en politique. Car au Canada anglais, me semble-t-il, les appuis possible à l'indépendance du Québec oscillent entre deux pôles: ceux qui, dans une certaine gauche anglo-canadienne, reconnaissent la valeur de la souveraineté-association pour des motifs similaires à ceux des souverainistes québécois; et ceux qui, dans une droite plutôt intolérante, souhaitent le départ à coups de pied d'un Québec qui leur tape royalement sur les nerfs.

On a vu ces deux pôles en action durant le débat sur la défunte charte de la laïcité du gouvernement Marois en 2013 et 2014. Des observateurs médiatiques ont été ahuris de découvrir qu'en Ontario, près de 40% de l'opinion publique était favorable aux principes de la charte québécoise… mais pas tous pour les mêmes motifs. Entre, d'un côté, les partisans d'une noble idéologie de stricte laïcité, et de l'autre, les rednecks xénophobes qui détestent les immigrants porteurs de signes et valeurs différents des leurs, l'opposition ontarienne aux signes religieux ostentatoires réunissait sous son parapluie amis et ennemis…

Le Bloc québécois voudra donc avoir à ses côtés des alliés à gauche du centre, francophiles et ouverts à une éventuelle association ou collaboration avec un Québec souverain. Les promoteurs d'un Bloc canadien associé se trouveront donc dans l'obligation de marauder les châteaux forts traditionnels du NPD pour trouver ce type de clientèle. Les milieux universitaires pourraient aussi constituer un terreau fertile. En tout cas, je serais curieux d'entendre quelques anglophones sur cette question…

Les francophones hors-Québec?

Le projet de présenter des candidats sympathiques au Bloc québécois dans des circonscriptions hors-Québec aurait aussi de l'intérêt dans la mesure où il permettrait de mesurer les sympathies québécoises des francophones dans des régions où ils sont plus fortement concentrés. Le professeur Charbonneau ne parle pas des minorités canadiennes-françaises (autre que pour préciser qu'elles seraient protégées en cas de divorce à l'amiable, comme la minorité anglophone au Québec) mais il serait sans doute l'un des premiers à vérifier les résultats du candidat du Bloc (canadien?) dans une circonscription comme Glengarry-Prescott-Russell, en Ontario, où les francophones sont majoritaires…

Les dés sont jetés pour 2015, et le Bloc devra se débrouiller comme il l'a fait, le plus souvent fort bien, depuis 1990. Avec le retour de Gilles Duceppe, avec le défrichage accompli par Mario Beaulieu, avec le soutien actif du Parti québécois et de son nouveau chef, le Bloc a des chances de reprendre quelques dizaines de circonscriptions et de se redonner un élan. Et si l'élection québécoise de 2018 ramène le PQ au pouvoir, la marmite constitutionnelle recommencera à bouillir. D'ici là, le projet du professeur François Charbonneau pourrait sans doute susciter quelques débats opportuns des deux côtés de la frontière linguistique…


























mercredi 8 juillet 2015

«The semantic confusion in the mind of most French Canadians is beyond description.»

Je propose cet extrait de l'article «Cultures in conflict: the imperative of language», par Raymond Gagné (chef de la direction de la linguistique au ministère fédéral des Affaires indiennes, à l'époque, et expert en langues Inuit), publié dans la numéro d'août-septembre 1969 de la revue Canadian Dimension, à Winnipeg. Ce magazine de la gauche anglo-canadienne existe depuis 1963 et publie toujours en 2015.

La situation évoquée dans cet article décrit fort bien le vécu linguistique d'une forte proportion des francophones de la région d'Ottawa et de Gatineau, et de la région montréalaise. Même si le texte remonte à plus de 40 ans, et que l'avènement de la Loi 101 a quelque peu modifié la donne au Québec, l'essentiel de la dynamique linguistique et culturelle perçue par l'auteur n'a pas fondamentalement changé.

Si Canadian Dimension mettait en ligne certains de ses textes pré-Internet, dont celui-ci, j'ai la certitude qu'ils trouveraient un auditoire, et qu'ils contribueraient à alimenter nos débats en ce début de 21e siècle.

Voici donc l'extrait:

«Bilingualism as a phenomenon usually relates to the individual, and not the society at large. (…) Collective bilingualism presupposes two sets of sociodynamics at work within one society, each keeping alive, functioning and developing its particular set of culture, language and personality structures. Wherever this is found, especially where two sets of social forces are closely intermingled, one set of structures must necessarily dominate the other.

«The predominance of one set of structures over another has been shown to be the case in every study of individual bilinguals, no matter how they acquired their two languages. There are no exceptions, here, not even for prime minister Trudeau. But where the unconscious processes of two different sociodynamics of unequal strength are intermingled and in free and open competition in the shaping of linguistic-cultural personalities of the people living in their midst, the stronger one always remains intact, while the weaker one is transformed willy-nilly.

(…)

«Montréal and the Ottawa-Hull region are excellent testing grounds for the study of languages and cultures in contact. This situation has strong effects on the individual who belongs to the less stable set of linguistic and cultural structures. The effects of massive infusion of English into French permeates every structure - mostly the vocabulary, but also the grammatical and syntactic patterns, the phonological as well, including vocalic length and stress, intonation and rhythm.

«But the most serious invasion and perhaps the most sinister one is at the semantic level. It is subtle and devastating. The semantic confusion in the mind of most French Canadians is beyond description. The average bilingual, not the elite, is literally mutilated, as he can very seldom express himself well and with accuracy and confidence in either language.

«Social scientists agree that the basic patterns of culture, language and personality are acquired by a child by the time he goes to school. In varying degrees, it is a hybrid linguistic-cultural milieu which shapes the mind of the French-Canadian child. When he enters school, over and above the normal psychological array of a school beginner, he faces the additional psychological burden of having most of his speech patterns challenged by a new set of rules which are tantamount to his learning a different language.

«It is as if he are being subtly told that all he stands for is after all not worth very much, and that he must now submit himself to what is literally a personality transplant. The minute he leaves the schoolroom, he feels psychologically ill at ease at using these radically different patterns which are not a reflection of his milieu.

«In a very real sense the French Canadian is being asked to perform the impossible duty of playing the hero every day of his life, in a valiant personal defense of his mother tongue. This task is beyond his powers as a simple individual, because no single person can withstand the minute-to-minute struggle of swimming against the heavy tides  of his linguistic cultural milieu, which in all normal societies is there to support the individual and not to drown him.

«As a result, the French Canadian wastes the better part of his creative energies trying to consciously remake and recreate his own language, that is, trying to do something that in all societies comes naturally. The burden often becomes so heavy that many French-Canadian bilinguals eventually prefer to speak English, even among each other. In this way the French-Canadian, like poor Sisyphus, is condemned to a never-ending, wasteful and fruitless struggle.

«Until very recent times (l'article date de 1969…), the power elite in Québec thought that the school alone could undo all the evils brought about by an unhealthy and hybrid linguistic-cultural milieu. The independentists, however, are interested in a fundamental restructuring of the sociodynamics in Québec in favor of the French culture and language. For them, it is the total milieu that must be restructured, not just the school.»

mardi 7 juillet 2015

Vols Montréal-Toronto ou Toronto-Montréal: petit manuel à l'intention des francophones

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SVP lire ces deux articles du quotidien Le Droit avant d'aborder ce texte de blogue.

Un francophone «escorté» et «humilié» à l'aéroport Billy-Bishop - http://bit.ly/1Ul862o
Pas d'agent de sécurité bilingue à l'aéroport Billy-Bishop - http://bit.ly/1Ha5rhY
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1. Avant d'embarquer dans un avion qui fait la navette entre Montréal et Toronto (ou qui va ailleurs au Canada), assurez-vous d'avoir une bonne connaissance de l'anglais. Si vous êtes relativement unilingue (comme plus de 4 millions de Québécois, pour le moment, en attendant que le gouvernement Couillard anglicise la prochaine génération), prenez votre auto ou, à la limite, le train ou l'autobus. Mais l'auto c'est plus sûr…

2. Une fois dans l'avion, adressez-vous de préférence en anglais au personnel (c'est ce que font déjà de très nombreux francophones), avec le moins possible d'accent français. Et si, malgré mon conseil, vous risquez une question ou une réponse en français, parlez sur un ton poli, la tête un peu baissée… et revenez vite à l'anglais si vous estimez que votre imprudence risque de causer un incident à bord. Vous pourrez juger du risque par le ton de la réponse...

3. Après avoir accepté que l'anglais est la langue commune sur ces vols, comme dans ce pays, vos problèmes sont réglés, à moins que certains membres du personnel semblent mal réagir à votre accent français. Il faut essayer de les comprendre, les pauvres. À force de mettre les pieds au Québec où leur langue est victime de lois racistes et xénophobes, ils peuvent devenir un peu impatients…

3. Si malgré tout, vous désirez être servis en français dans votre vol entre la métropole et la Ville-Reine ontarienne, prenez un ton neutre, chaleureux si possible, et souriez… Il est important de sourire, pour ne pas donner l'impression d'être de mauvaise humeur ou trop agressif (les services de sécurité unilingues anglais ne sont jamais loin). Si vous tombez sur un(e) francophone, tout ira bien. Si la réponse est Sorry, I dont't speak French ou I beg your pardon, n'insistez pas. Dites-leur que c'est parfait comme ça et passez à l'anglais.

4. Si, cependant, cette réponse ne vous satisfait pas, attendez une seconde avant de poursuivre. N'oubliez pas que ces compagnies aériennes ont tout fait pour recruter du personnel bilingue. Les dirigeants ont perdu des nuits de sommeil pour tenter de répondre à vos excessives exigences linguistiques. Et qu'ont-ils mérité pour leurs efforts? Des reproches du Commissaire aux langues officielles, qui ne semble rien comprendre à leur dilemme…

5. Si, après avoir bien mijoté les conséquences, vous décidez d'être insupportable et exigez une réponse en français (c'est pas parce que les lois le permettent qu'il faut absolument réclamer ses droits…), sachez que vous rendez votre interlocuteur(trice) inconfortable et qu'il (elle) devra tenter de trouver un(e) francophone dans l'avion. Vraiment, je ne vous comprends pas. Les Anglos nous ont tout donné: la civilisation, un beau et grand bilingue pays, la démocratie, la tolérance, le multiculturalisme. Et c'est comme ça que vous les remerciez…

6. Si, après un an, dix ans, trente ans, vous continuez ce petit manège de vouloir parler français à bord des vols canadiens qui passent au Québec, vous finirez par devenir stressés, par vous énerver et à un moment donné, alors que pour la nième fois, une gentille anglophone tente de vous expliquer pourquoi on ne vous servira pas en français… vous risquez de perdre patience et de vous emporter. Les anglophones auront peur, les autres francophones baisseront la tête ou deviendront traducteurs, et le service de sécurité devra vous calmer… et vous l'aurez mérité.

7. Vous avez compris? Alors si vous avez l'intention de voler entre Montréal et Toronto, apprenez vite l'anglais, envoyez vos enfants à l'école privée anglaise en attendant que l'anglais intensif soit en place partout dans les écoles publiques, exercez vous en écoutant la télé anglaise, en lisant les journaux anglais, en écrivant en anglais sur Facebook à vos proches et amis francophones, etc. Après quelques mois, vous serez prêts pour votre envolée vers l'aéroport Billy-Bishop ou Pearson de Toronto…

Thank you, Lord Durham…












samedi 4 juillet 2015

C'est 98%...

À quelques reprises, en page éditoriale du Droit, j'avais souligné à quel point le titre de «Commissaire aux langues officielles» (poste présentement occupé par Graham Fraser) créait une illusion d'optique - celle d'un pays où les deux langues officielles sont sur un pied d'égalité et où un Commissaire a le devoir de veiller à l'une comme à l'autre…

Or, tout le monde sait, même si ces commissaires fédéraux ne l'écrivent pas comme tel dans leurs rapports, qu'une seule des deux langues est constamment malmenée dans ce beau et grand bilingue pays… Ai-je besoin de préciser laquelle? Dans mon plus récent éditorial sur cette question, celui du 9 novembre 2013 (http://bit.ly/1Rhjafl), je l'abordais de front dans le tout premier paragraphe:

«Si jamais il a existé dans ce pays un titre mal choisi, c'est bien celui de commissaire aux langues officielles. En, effet, dans son plus récent rapport, Graham Fraser vient de démontrer une fois de plus qu'en dépit de tous les enrobages terminologiques, sa fonction réelle est celle d'un "commissaire à la protection et à la promotion de la langue française au Canada".» 

Dans un texte de blogue de mai 2015, je suis revenu en détail sur le langage et les statistiques du rapport annuel du Commissaire, qui n'offrent aucune indication précise de l'origine linguistique des plaintes formulées au Commissariat. On devine qu'il s'agit, pour l'immense majorité, sinon la quasi-totalité, d'injustices contre des francophones mais on se garde bien de décortiquer. Au cas où tout le monde comprendrait… Voir ce texte: http://bit.ly/1H6875N.

Puis, hier soir, en poursuivant un «ménage» de mes vieilles paperasses qui prendra sans doute des années, j'ai découvert les textes d'un interview que j'avais réalisé en décembre 1976 avec le Commissaire aux langues officielles de l'époque, Keith Spicer. J'étais alors reporter au Droit et j'étais accompagné à l'interview par l'éditorialiste Gilbert Brunet.

C'était, faut s'en souvenir, un mois après l'élection du PQ en novembre 1976, et M. Spicer cherchait à convaincre les francophones, tant fédéralistes qu'indépendantistes, d'appuyer ses projets. Je cite ici le deuxième paragraphe: «En effet, de dire M. Spicer, 98% de son travail linguistique consiste à défendre les droits des Canadiens français, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du Québec.» 

Aucun autre Commissaire ne l'a avoué de façon aussi candide. Je ne sais pas si c'est 95, 98, ou 99% mais la portée de l'affirmation est claire. Son véritable rôle, quasiment son seul rôle, est de défendre et de promouvoir la langue française… dans les institutions fédérales, au Québec et hors-Québec. 

D'autre part, peut-être un peu pour montrer la lenteur de l'évolution des dossiers, M. Spicer était particulièrement actif dans les dossiers du «bilinguisme aérien»… qui comprenait, entre autres, le service déficient en français à bord des avions et dans les aéroports… C'est toujours un dossier actif de M. Fraser près de 40 ans plus tard…
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Air Canada : Efforts insuffisants, dit Fraser


POUR DIFFUSION IMMÉDIATE
Gatineau, le 4 février 2015 – Selon le rapport de suivi de vérification publié aujourd’hui, Air Canada a pleinement mis en œuvre une seule des douze recommandations faites en 2011 par le commissaire aux langues officielles, Graham Fraser, dans le but d’améliorer les services aux passagers.
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Et ce matin, on apprenait que c'est très risqué de demander un jus de pomme en français dans un vol Montréal-Toronto… on risque de se faire traiter comme un terroriste…

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Le Commissaire à la langue officielle 19 octobre 2012 http://bit.ly/1bB9uLy
«Notre» Commissaire… 9 novembre 2013 http://bit.ly/1Rhjafl





jeudi 2 juillet 2015

Ces ponts qu'on ne traverse pas...

En 1998, j'avais invité deux journalistes ontariens de langue anglaise, domiciliés dans la capitale fédérale, à venir dîner avec moi à Gatineau (l'ancienne ville de Gatineau) au moment où prenait fin une collaboration de plusieurs années. Je les avais conviés à prendre l'apéro chez moi avant de nous rendre au défunt restaurant «Maison Maxime», un établissement d'excellente réputation à cette époque.

À la sortie de l'autoroute 50, en arrivant dans mon quartier, je sentais que mes collègues (je leur avais offert un lift) observaient le paysage attentivement. Au coin de ma rue, alors que je leur indiquais ma maison, l'un d'eux a remarqué que cela ressemblait beaucoup aux quartiers d'unifamilales à Ottawa. Il n'avait sans doute jamais mis les pieds à l'est de la rivière Gatineau. S'attendait-il à apercevoir des huttes? Par la suite, au restaurant, il a commenté que l'endroit lui apparaissait fort civilisé... C'était, je l'imagine, un compliment de son point de vue…

Puis, l'autre me demande, pendant la conversation, quelle langue nous utilisons à la maison, moi, mon épouse et mes enfants… Parlez-vous vraiment français entre vous? J'étais estomaqué. Mais quelle langue pensez-vous qu'on parle? Nous sommes tous francophones... Pourquoi serait-ce autre chose que le français?

Cela m'avait rappelé un dialogue avec quelques reporters du Sault Star, au début de 1990. Au quotidien Le Droit, nous avions procédé à un échange de journalistes avec le Star au moment de la crise linguistique à Sault Ste-Marie. Et l'un des leurs m'avait déclaré que de nombreux anglophones, là-bas, étaient convaincus que tous les francophones du Canada comprenaient l'anglais et que nous insistions sur des services en français juste pour les narguer…



Ce type, qui n'avait jamais mis les pieds au Québec, a été ahuri - dans ses pérégrinations en Outaouais - d'y découvrir des dizaines de milliers de francophones unilingues et d'avoir besoin d'interprètes pour communiquer avec eux... Tout ça pour démontrer à quel point l'ignorance et la méconnaissance peuvent susciter et multiplier incompréhensions et préjugés…

Les anglophones des hauts Grands Lacs avaient au moins l'excuse de vivre très loin du Québec et d'être fort mal renseignés par leurs médias... Mais ceux d'Ottawa étaient collés sur la frontière. Ils nous côtoyaient quotidiennement et pourtant, ne traversaient à peu près jamais les ponts. Dans une étude de 2010 sur les Anglo-Québécois de Gatineau, même ces derniers déploraient «que plusieurs Ontariens ne traversent pas les ponts vers le Québec».

Par contre, dans cette même étude réalisée par deux professeures de géographie de l'Université d'Ottawa, Anne Gilbert et Luisa Veronis, on découvre que ces résidents anglophones de Gatineau se concentrent dans des «milieux de vie anglais», notamment dans les secteurs Aylmer et Hull, et qu'eux-mêmes ne traversent à peu près pas les ponts de la rivière Gatineau vers l'est, vers les quartiers les plus francophones de la ville…

«Tous les participants (à l'étude), sans exception, ont souligné qu'ils ne se sentaient pas à l'aise (dans le secteur est) de Gatineau», notent les auteurs du rapport. Et leurs motifs semblent fondés sur des fabulations encore pires que celles des anglos de Sault Ste-Marie ou d'Ottawa… Non seulement les francophones de l'autre rive de la Gatineau ne seraient-ils pas accueillants, mais nos bons anglophones «ne s'y sentent pas en sécurité, surtout le soir»…

À les entendre ils n'y vont jamais, dans ce coin de la ville qu'ils trouvent laid (et où vivent plus de la moitié des 275 000 habitants de Gatineau), mais chacun des participants «a une histoire d'horreur à raconter». Les clients anglophones seraient mal reçus dans les magasins. Ils réservent leurs critiques les plus acerbes pour les services médicaux et hospitaliers. «Bref, dit l'étude, on se sent ici comme des citoyens de deuxième classe, privés des droits les plus fondamentaux d'accès à des services de qualité dans sa langue.» Une participante va jusqu'à dire: «This is like being an alien»…

Je demeure dans l'est de Gatineau depuis 35 ans et je peux vous assurer que nos Rhodésiens sont fort bien servis dans leur langue, poliment et avec le sourire, jusque dans les plus petits dépanneurs, même lorsqu'ils ne forment que 5 ou 6% de la population du quartier. Et je constate aussi que la plupart d'entre eux ne font aucun effort pour apprendre ou utiliser notre langue, contrairement aux Franco-Ontariens qui doivent tous les jours, partout, remiser leur francophonie pour communiquer avec un milieu trop souvent unilingue anglais!

Ces anglophones, souvent d'anciens résidents d'Ottawa, aiment bien nos maisons à bon prix, nos garderies à rabais, nos frais de scolarité avantageux, nos taux d'assurance-automobile économiques, nos factures d'électricité moins onéreuses, etc., mais ils s'identifient davantage - culturellement - avec Ottawa et son milieu anglophone. «I'm a Quebecer in license - driver's license - I guess, but I self identify a lot with the other side of the river», remarque ce résident du secteur Aylmer.

Fréquenter Ottawa leur permet d'éviter d'être minoritaires, notent les auteurs de l'étude. Moi j'ai surtout l'impression que ça leur permet d'éviter de fréquenter l'habitat naturel de ces francophones majoritaires, inférieurs, impolis, intolérants, habitant dans des quartiers laids… et indignes de leur présence. Parfois je me dis qu'on est toujours aux prises avec des relents de l'ancien colonialisme, et qu'on se comporte encore trop souvent comme des colonisés.

Venez faire un tour à Gatineau. Ou pire, à Ottawa. Vous comprendrez à quel point cela peut parfois devenir frustrant. Le nombre de francophiles augmente certes chez les anglophones de la région d'Ottawa et de Gatineau, c'est visible, mais pas suffisamment pour extirper les vieux préjugés enracinés et alimentés par des médias qui font bien davantage partie du problème que des solutions…


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Lien à l'étude de 2010. http://bit.ly/1dAJroM

mercredi 1 juillet 2015

Retour sur des retrouvailles de 1977...

L'éclatement des quartiers urbains franco-ontariens depuis les années 1960 n'a pas fait l'objet d'une tonne d'études. En tout cas, j'en connais peu. De fait, c'est un sujet plus ou moins tabou parce qu'il exige de regarder crûment, en face, les problèmes réels des francophones dans des villes comme Ottawa, Sudbury, Cornwall, et dans tous les milieux urbains où, jadis, existaient des communautés dont la langue commune était le français.

Je sais qu'une doctorante de l'Université d'Ottawa, Mme Caroline Ramirez, prépare présentement une thèse sur les conséquences désastreuses de la rénovation urbaine des années 1960 et 1970 pour la collectivité canadienne-française de la Basse-Ville d'Ottawa. Assez curieusement, l'auteure de la thèse est une Française de Lyon… Les étrangers sont parfois plus prompts à jeter un regard pénétrant sur le vécu d'ici…

Quelqu'un de la trempe de Mme Ramirez se penchera-t-il un jour sur l'effritement de mon ancien quartier francophone d'Ottawa, situé un peu à l'ouest des édifices du Parlement et des plaines Lebreton? Les anglophones donnent à cet endroit le nom de «Hintonburg», mais nous appelions «St-François d'Assise» et «Mechanicsville» la partie la plus francophone de Hintonburg, entre la rue Wellington et la rivière des Outaouais. Nous y étions fortement majoritaires autrefois.

De 1957 à 1967, il a existé dans les paroisses St-François d'Assise et Notre-Dame-des Anges (adjacentes et correspondant au territoire mentionné ci-haut) un «cercle» local de l'Association de la jeunesse franco-ontarienne (AJFO). Sur ces dix années, entre 150 et 200 jeunes ont fréquenté le «cercle» de l'AJFO - en participant à ses réunions ou à ses activités. Le groupe s'est éteint faute d'intérêt et de relève en 1967 et j'en ai conservé les archives, pour qu'elles ne se retrouvent pas à la poubelle…


L'immense majorité des membres de l'AJFO St-François d'Assise demeuraient dans le périmètre des deux paroisses, quoique dans les dernières années du cercle, avec l'expansion de l'immense complexe fédéral de Tunney's Pasture, on constatait déjà le départ de plusieurs familles. Quoiqu'il en soit, nous avions décidé d'organiser des retrouvailles dix ans après la fin des activités de l'AJFO. La rencontre a eu lieu au sous-sol de l'église St-François d'Assise le 16 octobre 1977 et j'ai toujours chez moi le registre signé par tous les participants et participantes.

Quelque 81 personnes étaient présentes à ces retrouvailles (dont trois prêtres capucins de la paroisse), soit plus de 40% des effectifs de l'ancien cercle franco-ontarien. Une excellente participation! Et tous, toutes, ont laissé leurs coordonnées en vue d'une future réunion, que nous espérions pour 1987. Elle n'a jamais eu lieu… J'ai cependant décortiqué les noms et adresses et j'ai pu reconstituer un portrait frappant de la désintégration d'une communauté franco-ontarienne en une décennie à peine.

Si l'on soustrait les trois religieux, il reste 78 signataires dans notre registre. De ce nombre, seulement six demeuraient toujours dans l'une des deux paroisses du cercle en 1977! Moins de 10% du total. Plus de 90% des anciens membres de notre AJFO avaient quitté le quartier. L'immense majorité de ces anciens «jeunes» restaient domiciliés dans la grande région de la capitale, mais ailleurs que dans St-François d'Assise ou Notre-Dame-des-Anges.

Une statistique frappe au départ. La moitié des 78 avaient traversé la rivière et habitaient désormais le Québec! (39 sur 78). De ces trente-neuf, 18 avaient élu domicile à Gatineau (c'était bien avant la méga-fusion de 2002), 8 se retrouvaient à Hull et 8 autres à Aylmer. Les cinq derniers demeuraient dans des localités de la grande région de Montréal (Laval, Brossard et Pierrefonds).

Quant à ceux et celles qui continuaient de vivre en sol ontarien, autre que les six du quartier, neuf étaient domiciliés dans l'ouest d'Ottawa, quatre au centre-ville, huit dans l'est de la ville, sept à Orléans (alors une banlieue) et quatre dans les villes adjacentes (Gloucester, Nepean, Navan). Enfin, un des anciens s'était exilé à South Porcupine, dans le Nord ontarien. Pour un total de 39…

On a beaucoup parlé, récemment, de l'émigration des jeunes dans des localités ou quartiers à forte présence francophone (http://bit.ly/1Lskyua). Voici un cas vécu. Aujourd'hui, les francophones sont minoritaires dans les rues que nous avons arpentées dans notre enfance. Notre petit registre de 1977 en constitue un témoignage éloquent. Il serait intéressant de voir si de tels registres ou documents existent ailleurs…

Un ou une volontaire pour une nouvelle recherche doctorale?