mercredi 28 août 2013

Assez, c'est assez !

Quand j'étais petit, à l'école qui était alors catholique, on nous faisait réciter des prières, on écrivait JMJ (Jésus-Marie-Joseph) dans les marges de nos cahiers, l'image d'un petit ange ornait nos bons devoirs, un prêtre venait nous sermonner régulièrement, on nous emmenait à l'église paroissiale pour la confession ou la messe, et on nous embrigadait dans toutes sortes d'organisations à caractère religieux.

Les symboles catholiques étaient fréquents dans mon petit coin francophone d'Ottawa mais au Québec, société catholique par excellence, les croix et habits religieux étaient omniprésents. Dans les hôpitaux, dans les foyers pour personnes âgées, dans les salles publiques... et même à l'Assemblée nationale. Des prêtres, des évêques et des cardinaux se retrouvaient invités d'honneur à toutes les grandes réceptions et inaugurations. Même l'hymne national qu'on nous enseignait dès la tendre enfance nous rappelait que notre bras savait « porter la croix ».

Jusqu'à un passé relativement récent, l'État neutre ne faisait pas partie de nos expériences. La plupart des gens percevaient l'appareil étatique, à tort ou à raison, comme étant noyauté par des intérêts qui étaient tout sauf neutres. À Ottawa, ma ville natale, la mise sur pied de l'Ordre de Jacques-Cartier (alias la Patente) avait, entre autres, pour but de combattre l'accaparement des gouvernements et des services publics par des protestants et des francs-maçons anti-catholiques... Au Québec, jusqu'à l'époque de Duplessis (ce n'est pas si loin...), les gouvernements et le haut clergé catholique semblaient s'entendre comme larrons en foire...

Nous en avons fait, du chemin, en un demi-siècle. Nous avons parfois zigzagué mais dans « notre mental », nous avons réussi à séparer l'Église et l'État, le religieux du politique. La liberté de religion est devenue ce qu'elle aurait dû être depuis longtemps, une liberté individuelle de croire et de pratiquer sa religion sans entraves, dans les limites des lois bien sûr. En grande majorité, nous en avons fini avec l'intégrisme qui a caractérisé une importante partie des générations précédentes.

La laïcisation de la société québécoise francophone, depuis les années soixante, s'est répercutée sur l'État. Les écoles ne sont plus catholiques ou protestantes. Les religieux ont cédé le rôle dominant qu'ils exerçaient dans plusieurs institutions hospitalières. Et bien des lois (conjoints de fait, mariage gai, avortement, etc.) ont été modifiées pour affirmer la neutralité et l'ouverture de l'État dans une société de plus en plus diversifiée par l'apport de nouvelles cultures autant que par l'évolution des anciennes.

J'ai beau toujours me considérer comme catholique et croyant, et parfois en désaccord avec certaines des transformations sociales et culturelles, ce mouvement vers une neutralité de l'État dans une société laïcisée m'apparaît comme fondamentalement sain. Comme garant de la liberté (y compris la liberté de religion) de TOUS et TOUTES, l'État doit être neutre, dans sa réalité ainsi que dans son apparence. Les nouveaux intégrismes oppresseurs - venus d'ici ou d'ailleurs - sont autant à rejeter que les anciens dont nous nous sommes défaits dans un élan libérateur, il y a un demi-siècle.

Bien sûr, la question n'est pas aussi simple qu'elle ne le paraît, mais elle n'est pas non plus aussi complexe que certains le voudraient. On n'a peut-être pas besoin d'une « charte des valeurs ». Peut-être suffirait-il de modifier les chartes existantes. Mais cet enjeu mis à part, la question posée semble se limiter à un point très précis, pour le moment. Doit-on permettre aux employés et représentants de l'État de porter des signes religieux ostentatoires ?

Ceux et celles qui viennent mêler cette question à l'ensemble de l'enjeu patrimonial, y compris les artefacts et noms religieux, ne font qu'embrouiller le débat. Ceux qui s'amusent à utiliser cette discussion pour attiser les braises de la discorde entre francophones, anglophones et allophones ou encore pour nous taxer de xénophobes, de racistes ou de peureux, y compris mais pas uniquement la presse anglo-canadienne, ne rendent service à personne.

Alors, qu'en est-il des signes religieux portés par des personnes qui agissent au nom d'un État neutre ? Pour moi, et je pense pour la majorité des gens, la réponse est facile. Ce n'est pas leur place. (parenthèse pour le fameux crucifix de l'Assemblée nationale, parce qu'on y revient constamment : le temps est venu de l'enlever et de l'exposer dans une vitrine patrimoniale avec d'autres souvenirs précieux d'une autre époque). La neutralité, c'est l'ouverture, c'est l'égalité, c'est le respect des croyants et des non-croyants, des catholiques, des juifs, des musulmans, des agnostiques et des athées...

Dans la vie privée, les catholiques peuvent, s'ils le veulent, aller à la messe tous les jours, porter une croix au cou et continuer d'endurer une Église qui consacre l'infériorité des femmes aux plus hauts niveaux. Les fondamentalistes protestants peuvent continuer de nier les enseignements de la science. Les musulmans peuvent fréquenter une mosquée et continuer d'imposer à leurs femmes les niqabs, foulards et autres signes d'inégalité, voire d'asservissement. Les religions ont été historiquement championnes d'inégalité et leur association au pouvoir (encore aujourd'hui) signifie le plus souvent persécution et discrimination.

Les droits et libertés ne sont pas absolus. Ils s'accompagnent de limites et de responsabilités. Certaines libertés se terminent quand elles heurtent d'autres libertés, aussi ou plus importantes. Cette question n'est pas simple et c'est pour cette raison que nous avons des lois et des tribunaux. La neutralité de l'État semble rallier un large consensus, en principe, mais la chicane poigne quand vient le temps de donner un visage concret à cette neutralité. Parce que l'État et les services publics, au-delà des affiches et du béton, ce sont des humains, qui doivent aussi assurer cette neutralité.

Interdire aux employés et représentants de l'État de porter des signes religieux visibles, cela me semble éminemment raisonnable. Non seulement ces signes ne sont-ils pas à leur place, mais ils attirent l'attention du public sur la religion du fonctionnaire ou du représentant, plutôt que sur sa personne et ses compétences. Ça lui enlève son apparence de neutralité, même si les services qu'il ou qu'elle rend restent parfaitement neutres. Est-ce trop demander de laisser les symboles religieux dans la vie privée quand on veut servir l'État et l'ensemble de ses concitoyens ? Non.

Est-ce une atteinte à la liberté de religion? Pour un ou une intégriste, sans aucun doute. Ue telle mesure, il y a 60 ans, quand nous vivions dans un univers catholique intégré, aurait suscité un tollé et avivé les flammes de l'enfer... Mais depuis cette époque, l'essentiel de la laïcisation au Québec s'est faite aux dépens de nos propres symboles traditionnels. Alors, est-ce une atteinte à la liberté de religion? Pour les fins de l'argumentation, disons que oui. Est-ce alors une limite « raisonnable » à la liberté de religion ? Il me semble que oui.

Si on veut parler des symboles les plus fréquemment invoqués dans les fébriles chapelles médiatiques, le foulard islamique et le turban sikh, on évoque assez peu le fait que la majorité des femmes musulmanes d'ici ont abandonné le hijab et qu'en Inde même, dans le Penjab, patrie des Sikhs, la plupart des jeunes ne portent plus le turban (au soccer, dans leur équipe nationale, ils ne le portent pas). La laïcisation est enclenchée là aussi et fera graduellement son chemin. Des règles claires ici ne susciteraient pas de débat à long terme. La neutralité de l'État, comme garante des libertés, et l'égalité des citoyens ainsi que l'égalité des sexes sont plus importantes que l'argument de liberté de religion, invoqué parfois à l'excès.

Je me permets de conclure avec la fin d'un éditorial que j'ai signé récemment dans Le Droit :


« Sur la place publique, dans nos lieux citoyens, au gouvernement, devant les tribunaux, l’égalité de l’homme et de la femme n’est plus négociable. Et si, pour l’assurer, il faut accentuer et enchâsser les principes de laïcité, qu’on le fasse. L’égalité reste la pierre d’assise.

« Et peut-être tout cela incitera-t-il les religions à retourner au cœur de leur message, plutôt qu’à l’apparence de ses messagers. Dans l’Évangile de Mathieu, Jésus condamnait ceux qui pratiquaient leur religion pour « attirer les regards », qui « claironnaient » dans les lieux de culte et dans les rues en faisant l’aumône ou en priant. Il proposait plutôt d’agir « dans le secret », dans une chambre retirée, en verrouillant la porte. Et le Coran n’affirme-t-il pas de son côté une prescription divine voulant qu’avant tout, « le meilleur vêtement est celui de la piété » ? Amen. »




  




samedi 24 août 2013

Tunney's Pasture : le « port » ou le « portage » ?

Quand nous étions enfants, dans le quartier francophone de Mechanicsville, à Ottawa, l'endroit que les anglophones appellent « Tunney's Pasture » était notre terrain de jeux. La première bâtisse de ce qui devait devenir au fil des décennies un méga-complexe d'édifices fédéraux a été érigée vers 1952, quand j'avais six ans. Tout le reste du secteur immédiatement à l'ouest de la rue Parkdale, entre la rivière des Outaouais et la voie ferrée du CP, restait plus ou moins à l'état sauvage. Un lieu idéal pour les explorations d'enfants... et nous l'avons abondamment exploré.

Aujourd'hui, les arbres, les sentiers, le ruisseau, les broussailles, tout est devenu asphalte, béton et verdure entretenue. Mais on a gardé le nom « Tunney's Pasture ». Or, le site étant fédéral et soumis aux exigences de la Loi sur les langues officielles, il semble qu'on doive lui trouver un équivalent français, notamment pour une station d'autobus d'OC Transpo adjacente au complexe. Le nom le plus souvent évoqué - le « Pré Tunney » - est pure invention de traducteur. Il n'a aucune assise dans le langage populaire ottavien, ni dans les traditions de la communauté francophone (Mechanicsville) qui avoisinait le secteur.

Jusqu'à récemment, il me semble qu'on utilisait aussi « parc Tunney ». On voit encore cette expression dans certaines pages Web de la ville d'Ottawa. C'est un peu mieux, mais pas beaucoup, que « Pré Tunney ». De fait, pour être encore plus fidèle à Pasture, n'aurait-on pas pu parler du « Pâturage de Tunney » ? Non, à bien y penser, aucun de ces noms ne rend efficacement Tunney's Pasture en français. Et pourtant, ce vaste terrain avait un nom français.

Enfants, nous ne l'avons jamais appelé par son nom anglais, ni par aucune des traductions proposées depuis les années 1960. Pour nous, ces quelque 40 acres d'aventures quotidiennes, c'était tout simplement le « port ». Je ne sais pas si c'est bien épelé. C'aurait pu être « porc ». La prononciation est la même. Nous l'avons toujours dit, mais jamais écrit. Était-ce une déformation du mot « parc » avec l'accent de l'époque. On disait bien « moé » et «toé » au lieu de moi et toi. Il faudra que je tente de m'informer à ce sujet...

Ma mère croit se souvenir que les gens, avant mon temps, parlaient du « port aux vaches » ou du « port à vaches », mais elle est davantage convaincue que le nom « port » vient du mot « portage », parce que jadis, les Autochtones y débarquaient en canots pour un portage qui les amenait au-delà des chutes Chaudière. J'aime bien cette interprétation... Il y aurait donc eu là, historiquement, un « port ».

Il reste que nos parents savaient exactement ce qu'on faisait quand on leur disait qu'on allait jouer dans le « port ». Tout le monde le savait... Y a-t-il dans tout cela des pistes pouvant mener à un nom français de « Tunney's Pasture » qui ait de véritables racines dans le quartier?

Quand nous étions petits, il y avait belle lurette que les vaches de M. Tunney (ou y avait-il des porcs?) avaient cessé de brouter dans l'ancien pâturage. M. Tunney était arrivé dans les parages vers 1867 et était sûrement mort depuis longtemps en 1950. J'ai scruté les pages du livre de 1946 de Lucien Brault sur l'histoire d'Ottawa et n'ai trouvé aucune mention de M. Tunney ou de son pâturage. Par contre, le livre contient une carte routière de la capitale, révisée en 1940 et il est intéressant de noter que le secteur Tunney est sillonné de rues déjà baptisées.

Il est évident que ces rues n'existaient pas mais déjà, au début de la Seconde Guerre mondiale, on avait l'oeil sur l'endroit et on envisageait de l'urbaniser. Le gouvernement fédéral devait éventuellement court-circuiter ces projets en en faisant l'acquisition. Sur la carte de 1940, trois rues de Mechanicsvlle - Emerson, Burnside et Lyndale - sont prolongées vers l'ouest presque à l'extrémité du « port » (Tunney's Pasture). Et huit rues nord-sud sont ajoutées (Ford, Elmdale, Norfolk, etc.). Ce procédé d'inclure des rues non construites n'était pas unique à Ottawa. J'ai vu des vieilles cartes de Gatineau où l'île Kettle était quadrillée de rues nommées...

Quoiqu'il en soit, maintenant qu'on pose la question de la traduction officielle de Tunney's Pasture, pourquoi ne pas investir efforts et quelques dollars pour découvrir la véritable origine du nom français que lui avaient donné les gens du quartier francophone qui l'avoisinait?

mercredi 21 août 2013

Valeurs à protéger

Les citoyens du Québec ont le droit le plus absolu de croire... ou de ne pas croire. D'être catholiques, protestants, musulmans, juifs, agnostiques, athées ou autres. L'État québécois représente et protège TOUS ces citoyens et assure le respect de leurs droits, y compris la liberté de religion ou de refus de religion. Voilà pourquoi l'État DOIT être rigoureusement neutre. Cette neutralité - certains préféreront le terme laïcité - doit se refléter dans les lois et règlements que l'État édicte, mais aussi dans les institutions publiques et les personnes qui en sont l'émanation.

Les plus vieux d'entre nous ont connu l'époque où les crucifix, les prêtres et les religieux étaient partout. Les écoles étaient confessionnelles, comme la plupart des hôpitaux. Cette époque est révolue. La Constitution a été amendée pour reconstruire le réseau scolaire québécois sur des bases linguistiques, plutôt que religieuses. L'apport de l'immigration a fait apparaître à un rythme croissant dans nos villes et quartiers des traditions et des religions différentes, qui s'intègrent à notre réalité citoyenne ou la heurtent. La quête de valeurs communes qui en résulte est un processus normal et nécessaire en démocratie.

La tolérance fait partie de notre héritage. Les Québécois de culture catholique ont été généralement accueillants pour ceux et celles qui ont respecté leur langue et leurs croyances. L'intolérance est une situation que nous avons le plus souvent subie, pendant longtemps, d'une part importante de la minorité anglo-québécoise, que René Lévesque qualifiait de « Rhodésiens ». Les francophones hors-Québec ont eu à endurer un sort bien pire, ouvertement persécutés par leurs majorités anglophones. L'affirmation du caractère français du Québec et la sécularisation rapide des francophones au cours du dernier demi-siècle ont fait de nous ce que nous sommes aujourd'hui.

Ces jours-ci, les débats en cours sur les valeurs au Québec, si l'on excepte la langue et la culture françaises, à forte teneur identitaire, ne sont guère différents de ceux qui se déroulent dans les autres sociétés occidentales, nord-américaines autant qu'européennes. L'accent est mis sur la démocratie, sur les droits et libertés, sur l'égalité des individus et des sexes. Ces droits et libertés sont énumérés dans des chartes et des constitutions et le soin de les protéger est confié à l'État, qui doit rester au-dessus des factions. Nous en sommes là.

Il n'y a plus grand monde ici qui voudrait mêler politique et religion. Il est fini le temps où Duplessis pouvait tenter de faire adopter des lois contre les Témoins de Jéhovah, et où un évêque catholique était invité à chaque grande cérémonie d'inauguration ou coupe de ruban. Et personne - enfin presque personne - ne voudrait des versions plus modernes de la fusion religion-État, comme dans certains pays musulmans et en Israël. Ni pour ni contre, l'État, chez nous, est désormais neutre.

Et cela signifie, si cette conviction est plus que superficielle, l'abandon des signes religieux visibles dans la sphère publique - dans tout ce qui tombe sous l'autorité ou le financement de l'État. Cela veut dire remiser le crucifix à l'Assemblée nationale. Et au sein des services publics, des employés qui ne portent pas de croix, de kippah, de hijab, de niqab, de turban ou tout autre symbole religieux, ni de signes épousant l'athéisme ou toute autre cause (économique, syndicale, environnementale, etc.) qui porterait atteinte à la neutralité du serviteur public.

Le temps est venu d'inscrire ce principe dans une charte des valeurs ou simplement dans les chartes existantes. Contrairement à ce que l'on peut souvent lire, il n'y a pas là-dedans de xénophobie ou de quelconque croisade (principalement contre l'islam). Les menaces viennent bien davantage de ces factions qui veulent imposer à l'ensemble des citoyens la présence dans la sphère publique de valeurs qui heurtent la neutralité et l'égalité (musulmans intégristes, chrétiens ultra-conservateurs, créationnistes, juifs ultra-orthodoxes, etc.).

La  chicane sur une charte des valeurs dégénérera sans doute en querelles partisanes et linguistiques. C'est dommage. Sur cette question, tous, toutes devraient pouvoir s'entendre. Car seul un État neutre et laïc peut véritablement protéger la liberté de religion ou de refus de religion de TOUS les citoyens.


vendredi 16 août 2013

Le temps, grand mystère de la vie

Le temps reste un des grands mystères de la vie. C'est à la fois un point de repère réconfortant et inquiétant. Réconfortant parce que j'ai toujours été terrorisé par le concept incompréhensible d'éternité. Pensez-y. Aller au ciel ou en enfer pour l'éternité. Ça ne finit JAMAIS... Quelle horreur. L'humain a besoin de limites et c'est sans doute pour cette raison que nous avons inventé le temps. Le malheur avec le temps terrestre, cependant, c'est qu'il finit toujours par avoir une fin... Nos jours sont comptés, dès la naissance... Un jour, ce sera le grand saut vers l'inconnu... le néant ou l'éternité... ou autre chose.

Je me souviens de mes derniers jours à l'âge de neuf ans. Déjà le temps m'intriguait. Je me disais que j'aurais bientôt deux chiffres dans mon âge - 10 ans - et qu'il était fort improbable que je me rende à trois chiffres, ne connaissant aucun centenaire... Dans ma tête, je devenais vieux... Avec les années, je me suis aperçu que penser trop au temps, c'était perdre son temps... et j'ai enfoui mes petites terreurs dans un coin de mémoire...

Mes craintes sont réapparues à 39 ans... la quarantaine étant généralement vue comme le début du déclin physique de l'humain et l'amorce de la lente glissade vers une mort qu'on sait inévitable... et cette horrible éternité. Alors je me suis mis à courir - quelques kilomètres à tous les jours - pour retrouver mon poids optimal et me remettre en bonne forme physique. Cela a duré moins d'un an... Finalement, la quarantaine, c'était bien confortable... on a encore plein d'énergie et de projets...

Puis vient la cinquantaine, décennie maudite (chez les hommes du moins) parce que c'est là, très souvent, que les grands bobos s'y manifestent... cancer, maladies cardiaques... Quand les diagnostics tant craints sont confirmés, on se remet à compter les années et les jours qui nous restent... et on guette l'horizon en espérant ne pas apercevoir la ligne d'arrivée... Puis, un très bon jour, avec un peu de chance, on retrouve la santé et le fil « normal » de la vie reprend...

Arrivé dans la deuxième moitié de la soixantaine, étant devenu officiellement vieux, je m'aperçois que j'ai appris à vivre avec le temps... et j'ai finalement compris que l'éternité est aussi un concept humain... inventé pour décrire une « réalité » qu'on ne connait pas... un monde sans temps.

J'imagine que chacun a sa façon de voir la durée de notre séjour sur cette terre, et qu'il n'y a pas de vérité universelle à cet égard. J'y vais donc de mon interprétation. J'ai l'impression qu'il existe deux temps : celui de notre corps, qui évolue en ligne droite (naissance, montée, sommet, déclin, mort) à moins d'être fauché soudainement et injustement en plein élan, et celui de l'esprit ou du cerveau, qui ne fait qu'augmenter (une de plus à chaque année qui s'ajoute...). Ce temps reste toujours en montée, le sommet étant atteint à notre mort.

J'aime dire que j'ai 67 ans mais que je n'ai pas seulement la 67e année, je les ai toutes... dans ma tête du moins. Mon corps, lui, me rappelle tous les jours, dans le miroir, dans mes genoux moins flexibles, dans sa capacité physique réduite, que j'ai bel et bien mes 67 ans... et pas une de moins. Mais le temps, le vrai temps, c'est dans la tête qu'il se passe... et là, on a la capacité de voyager à loisir. C'est d'ailleurs en visitant le passé ou en acceptant qu'il nous visite qu'on conserve cette lueur essentielle de jeunesse dans les yeux (qu'on dit d'ailleurs le miroir de l'âme).

Dans ce « vrai » temps, le passé fait toujours partie du présent et chaque nouvelle journée apporte des expériences qui peuvent nous y replonger, ou qui modifient notre perception des souvenirs ainsi que notre attitude envers l'avenir.

Cette semaine, le hasard a voulu que j'aie l'occasion de faire une petite balade à pied dans mon ancien quartier d'Ottawa appelé Hintonburg (nous on disait St-François d'Assise ainsi que Mechanicsville). Je me suis retrouvé sur la rue Wellington (qu'enfants on appelait simplement la « grand-rue », l'ancienne rue principale d'Ottawa) et j'ai cherché des points de repères familiers. Sauf pour l'église St-François d'Assise, il ne reste à peu près rien... Mais pour quelques instants, l'ancienne « grand-rue » est réapparue en mémoire...

La pharmacie de M. Ranger, la mercerie de mes grands-parents, la tabagie de M. Martin, la bijouterie des Lavoie, la salle de quilles, le magasin A&P, la caisse populaire... les arômes de l'époque quand, le dimanche matin, on revenait de la messe et on pouvait sentir, de maison en maison, la préparation du gros repas du midi (on n'avait pas le droit de manger avant de communier...)... le bruit des tramways (disparus depuis 1959)... Pour un bref moment, j'avais 10, 15, 20 ans... C'était très réel...

Hier, j'ai aidé une de mes filles et son conjoint à déménager... pas en transportant de lourdes charges, j'ai passé cet âge... En nettoyant, en déballant, en plaçant... Mais on ne peut alors s'empêcher de revivre les déménagements passés... les nôtres (peu fréquents) et ceux auxquels on a participé. En désordre, les images resurgissent. On se revoit dans la force de l'âge, portant sur ses épaules du mobilier lourd qu'on transporte du 3e étage au rez-de-chaussée, ou pire, vice versa... Parents et amis rassemblés dans une joyeuse corvée... J'avais 20, 30, 40 ans...

Il y a quelques jours, épluchant le Top 100 des palmarès des 55 dernières années du magazine Billboard, je me revoyais au début des années 60, avec ma petite radio transistor, attendant que le soleil se couche pour qu'on puisse entendre les stations de radios AM de Buffalo et New York qui jouaient nos pièces préférées de rock'n roll. Pour un instant, j'étais encore adolescent... Il suffit parfois d'une odeur, d'une chanson, d'un paysage, d'un événement pour éveiller des moments de notre passé et les ramener vivement dans le présent.

Et à chaque jour, en me levant, je retrouve le sourire de mon épouse (depuis 38 ans) et un vieil ami, le clavier... jadis celui d'une machine à écrire Underwood... maintenant celui d'un iMac... Le clavier fait partie de mon quotidien depuis près de 45 ans et il me semble que je l'attaque avec la même fraîcheur et la même énergie qu'à 25, 40 ou 55 ans... et que ces 40 et quelques années sont présentes à chaque texte, chaque paragraphe, chaque mot... Je n'ai jamais su où étaient situées les lettres sur un clavier, mais je tape à deux doigts sans trop regarder et sans trop me tromper... 45 ans de pratique...

Cet automne, dans le cadre du centenaire du Droit, auquel je suis associé comme employé et comme pigiste depuis la fin des années 1960, on tentera de réunir les anciens et actuels de la salle de rédaction. Plusieurs de nos anciens collègues ont été fauchés à un trop jeune âge et j'imagine que pour certains d'entre nous, il existe une certaine urgence à renouer avant l'éternité... Il y en a plusieurs que je n'ai pas revus depuis très longtemps... Les visages que j'ai en mémoire sont toujours sont dans la vingtaine, la trentaine... Une fascinante fusion du passé et du présent en perspective...

Bon voilà pour aujourd'hui... assez de temps passé à écrire... j'ai tout le reste d'une vie devant moi (peu importe qu'il s'agisse de quelques jours, quelques années ou quelques décennies...) et j'y traîne mes 67 années... Toutes les 67...











dimanche 11 août 2013

Le parler des gens de mon pays...


L'an dernier, à un ami new-yorkais d'origine québécoise qui s'interrogeait et m'interrogeait sur le déclin de l'attraction du français en Amérique du Nord et dans le monde, notant au passage que les nouvelles générations lui paraissaient attirées par un langage qu'elles percevaient comme étant plus « cool », j'ai offert le commentaire suivant. Je le reproduis sur mon blogue, par crainte de l'oublier, parce que je le crois aujourd'hui d'actualité.


La langue, c’est à la fois individuel et collectif, passé et présent, intellectuel et émotionnel, réfléchi et instinctif. Elle sert à acquérir des connaissances et à les partager avec d’autres humains. Une grande part de ces connaissances nous est imposée, d’autres sont acquises par choix selon nos besoins, nos aspirations et nos goûts. Et, sans aucun doute, ce qui est jugé « cool » varie selon les modes et les époques.

Le français que je parle et que j’écris est sans doute fortement influencé par mes choix et mes goûts. Mais il est aussi le fruit de mon milieu familial, de mon cercle d’amis, de mon environnement social, de mon milieu de travail, ainsi que de la société tout entière dans laquelle je vis, et de son histoire. Dans chaque conversation, dans chaque texte, je transporte le « moi » et le « nous ». C’est ainsi pour tout le monde.

Et la langue ne se limite pas aux mots du dictionnaire, c’est une culture tout entière. L’expérience collective, qui est plus que la somme de l’expérience de chaque individu qui la compose, s’exprime dans un langage. Elle fait de nous ce que nous sommes et influence ce que nous deviendrons. Elle est source de continuité, d’évolution, de renouvellement. Son abandon est source de rupture profonde, individuelle et collective.

Je parle un peu comme mes parents, mon frère, mes sœurs, mes cousins et cousines, mes grands-parents et leurs ancêtres. J’ai l’accent de mon quartier, de mon ancienne paroisse. Je porte en moi, parce qu’on me l’a apprise, l’histoire de ma communauté, de mon peuple, de ma nation. J’ai fredonné à mes enfants les chansons apprises de mes parents, dont certaines apportées par de lointains aïeux normands, et mes enfants font de même aux leurs.

Je vis au Québec mais j’ai grandi en Ontario, et quand j’étais petit j’avais conscience d’un « nous » différent parce que ma province avait rendu nos écoles françaises illégales. Dans la rue, on se faisait parfois traiter de frog par des Anglais et il arrivait à l’occasion qu’on se fasse interpeler avec un Speak white dont on ne saisissait pas trop bien l’origine et le sens… sauf qu’on savait que ce n’était pas amical. Plus tard, avec les manuels d’histoire, tout est devenu plus clair…

Nous sommes aujourd’hui 7 ou 8 millions, mais nous n’étions que 50 000 rassemblés autour du fleuve St-Laurent quand l’univers de nos ancêtres a basculé en 1759. Nous avons été tricotés serrés. Aux Îles-de-la-Madeleine, il y a quelques années, nous étions attablés, mon épouse et moi, dans un resto, entourés de parfaits étrangers de la Mauricie, de la Gaspésie, de l’Estrie, de Montréal, et nous de l’Outaouais, et graduellement, tout le monde s’est mis à échanger comme si nous étions de la même famille. Le langage du « nous »...

J’aime bien la chanson « Le plus beau voyage » de Claude Gauthier. Sa notion du « je » collectif est profondément juste. « Je suis d’Amérique et de France ». Je suis aussi ce « nous » que je porte en moi par notre langue française aux accents nord-américains. Il y a en nous du Félix, du Vigneault, du Charlebois, des Cowboys fringants. Du Samuel de Champlain, du Louis-Joseph Papineau, du Wilfrid Laurier, du Pierre Bourgault, du René Lévesque, du Pierre Trudeau, du Jean Charest et du Pauline Marois. Que ces présences soient inconscientes dans le langage n’enlève rien à leur réalité.

Ce « nous » québécois et/ou canadien-français et/ou acadien participe sur le plan culturel à la francophonie mondiale dont le cœur reste la France. Cette culture nous ouvre les pages de Rousseau, Voltaire, Hugo, St-Exupéry, Camus, Sartre, nous initie aux paroles d’une langue qui a porté, bien plus que l’anglais, le flambeau de l’ouverture, de l’égalité et de la liberté. Nous sommes liés, dans notre âme, à la France « belle et rebelle » de Jean Ferrat. Ce n’est pas un hasard si, instinctivement, j’associe davantage le français à résistance et combat pour la justice et les droits. Encore le langage hérité du « nous » à l’œuvre.

On nous reproche souvent nos fautes, nos anglicismes, notre accent. Notre français est à celui de France ce que l’argot américain est à l’anglais britannique. C’est une parlure à la fois littéraire (à sa façon) et une langue de la rue, une langue faite sur mesure pour le rock, le blues et le country nord-américains. Elle exprime à la fois ce « je » et ce « nous ». On l’a vue dans une combinaison savoureuse de rectitude et de vulgarité durant le printemps étudiant de 2012. Pour dire « l’éternité d’un jour de grève » comme pour décrire le long combat d’un peuple, Michèle Lalonde, dans son célèbre poème Speak white de 1968, écrivait « rien ne vaut une langue à jurons, notre parlure pas très propre, tachée de cambouis et d’huile ».

Chacun apporte sa contribution originale, individuelle, à ce « nous » linguistique. Nous empruntons des éléments à d’autres cultures, qui viennent enrichir la nôtre. Le problème survient quand cet autre – je parle bien sûr de l’anglais, langue dominante au Canada et en Amérique du Nord – arrive à prendre toute la place. Là, il y a rupture entre le « je » et le « nous ». Une rupture le plus souvent inconsciente, mais profonde et plus douloureuse qu’on pourrait le croire.

En Ontario français, et bientôt au Québec, si la tendance se maintient, on verra de plus en plus de grands-parents francophones, d’enfants bilingues et de petits-enfants anglophones. De nouvelles générations auront coupé le fil qui les reliait à cette aventure collective de centaines d’années, elles seront des étrangers culturels pour parents et grands-parents. Et plusieurs de ces orphelins du « nous » deviendront des adversaires hargneux pour qui cherchera à prolonger et développer le projet collectif francophone en Amérique.

Qu’un individu trouve ça « cool » de quitter le « nous » francophone, occasionnellement ou même pour de bon, n’a rien de grave en soi. Le va-et-vient périphérique est permanent. Il faut espérer que d’autres, attirés par cette collectivité francophone originale qui essaime autour du Saint-Laurent, remplaceront les départs. Parfois notre langue attire les regards de l’extérieur, comme ce fut le cas au printemps 2012, alors que le reste de l’Amérique a appris quelques jurons québécois ainsi que les mots « casserole » et « grève générale illimitée »…

J’ai toujours dit, en journalisme, que tout individu constitue un bon sujet de reportage. Il n’y a rien de plus universel qu’une seule personne. Il en va de même des langues et des cultures. C’est l’originalité de chacune, l’apport de chacune au « nous » culturel de l’humanité qui les rend intéressantes. L’uniformisation ou l’assimilation culturelle, autant que l’érosion de la biodiversité, tuera le genre humain. J’espère que le déclin apparent de la langue française, comme celui d’autres langues mondiales d’ailleurs, n’aura été à la fin qu’un repli stratégique face à la dominance quasi planétaire de l’empire culturel et économique anglo-américain.

Car les empires ne sont pas éternels. Notre petit réduit assiégé résiste toujours. Il s’interroge souvent sur son passé, son présent et sur cet avenir incertain. Parfois, il s’embrouille. Malgré tout, nous continuons d’écrire, de créer, chanter, danser, manifester, de travailler et inventer, de vivre… en français. Personnellement, je trouve ça très « cool »!

jeudi 8 août 2013

La musique du Canada anglais, c'est quoi au juste?

La publication récente du Top 100 des albums « canadiens » par CBC Music, qui ne contenait que quatre albums de langue française, m'a fait jongler à cette notion de musique « canadienne », ou devrais-je plutôt dire Canadian, parce que dans notre coin de pays à nous, plus personne n'attribue le qualificatif « canadienne » à la musique d'origine québécoise - du moins à celle qui se fait en français.

Tout en avouant ma connaissance fort insuffisante de la scène musicale anglo-canadienne, mais étant né et ayant grandi en Ontario où j'ai été bombardé de musique anglophone jusque dans la vingtaine, je dois avouer qu'encore aujourd'hui, j'ai beaucoup de difficulté - en écoutant une chanson ou une pièce de musique - à distinguer ce qui est Américain de ce qui est Canadian. Oh il y a des exceptions, mais en général, pour moi, les rythmes, les mélodies et les thèmes sont semblables.

On n'a qu'à prendre le meilleur album « canadien » de tous les temps, selon CBC Music : l'excellent Harvest de Neil Young, sorti en 1972. Cet album n'a aucun titre qui semble indiquer une origine canadienne.  La chanson que je connais le mieux, Heart of Gold, ne mentionne qu'une localité - Hollywood. Dans son album suivant, une des chansons les plus célèbres s'appelle Ohio et parle des contestations étudiantes américaines. C'est là qu'on retrouve aussi les chansons Southern Man et Alabama. Ça ne fait pas très Canadian...

Dans l'album Blue de Joni Mitchell, troisième au palmarès des 100 meilleurs, la chanteuse lance : « California I'm coming home ». Pas Ontario ou Alberta (sa province natale), mais California... Il faut cependant reconnaître qu'elle prononce le mot Canada une fois, dans la chanson A Case of You. Dans l'album Funeral d'Arcade Fire (le numéro 4 du palmarès), le seul endroit mentionné est Haïti... Peut-être y a-t-il, dans ce top 100, des albums où on chante les vastes étendues du Canada et s'il y en a, j'aimerais bien les entendre...

On me dira, avec raison, qu'il n'est pas nécessaire d'énumérer les villes et villages de son pays pour que le disque soit véritablement canadien, mais ces mêmes artistes ne dédaignent pas, à l'occasion, d'utiliser des lieux américains... D'ailleurs, nos voisins du Sud ne se font-ils pas une fierté d'éplucher leur atlas national dans leur musique? De Memphis à Kansas City, de New Orleans à Chicago, de New York à L.A., de Motor City à St. Louis, les palmarès rock et pop des États-Unis sont remplis de chansons qui louangent la géographie et l'histoire de ce pays.

Je pense que cela vaut la peine d'être souligné parce que c'est aussi le cas pour la musique québécoise, qui a, depuis les années 1960, propulsé toutes les régions du Québec dans ses palmarès, de la métropole aux plus petits carrefours. Qui ne se souvient pas de Ste-Adèle PQ par Jean-Pierre Ferland ou de Montréal par Beau Dommage? Au milieu des années 1970, Beau Dommage fracassait d'ailleurs tous les records de ventes en nous faisant passer de la métropole à Châteauguay, de Sorel à Bois-des-Filion, de l'Île Perrot à 7760 St-Vallier...

Georges Dor avait percé même en Europe avec La Manic où il évoquait avec nostalgie Trois-Rivières, Québec et « les rues sales et transversales » de Montréal. Raoul Duguay chantait Val d'Or et son coin de pays, l'Abitibi, tandis que Gilles Vigneault racontait les histoires de Natashquan et de la rivière Mingan. Robert Charlebois parlait de Chibougamau avec sa Dolores avant que les soeurs McGarrigle nous amènent de la rue Ste-Catherine à Notre-Dame-de-Stanbridge et Ste-Anne de la Pérade... Sans oublier Claude Gauthier, qui chantait « l'énergie qui s'empile d'Ungava à Manicouagan »...

Nos chanteurs et chansonniers ont même débordé les frontières du Québec pour aller se promener musicalement au Canada hors Québec. Dans les années 70, un des succès de Pierre Lalonde s'appelait À Winnipeg les nuits sont longues. Quelques années plus tôt, Robert Charlebois évoluait de Québec vers Ottawa et Toronto en moto dans Les ailes d'un ange. Jean Leloup était reparti faire sa vie à Hawkesbury dans I lost my baby. Les Cowboys fringants n'ont pas quitté leur bar rue St-Denis ou le carré St-Louis mais ont évoqué le beau-frère de l'Alberta dans Toune d'automne. Et qui pourrait oublier le grand « classique » Saskatchewan, des Trois Accords ?

Autre que l'éternelle Running Back to Saskatoon, du groupe Guess Who, et l'une de mes préférées, Four Strong Winds, d'Ian and Sylvia (chantée aussi par Neil Young), où la destination est l'Alberta, je ne me souviens pas de chansons ou d'albums ayant trôné près du sommet des palmarès pan-canadiens qui mettaient en scène Halifax ou Toronto, Fredericton ou Winnipeg, Hamilton ou Edmonton, Windsor ou Vancouver... La plupart des artistes anglo-canadiens les plus populaires me donnent l'impression d'être gênés (musicalement du moins) de leurs origines, faisant de leur mieux pour s'intégrer au méga-marché américain... Est-une fausse impression? J'aimerais bien qu'on me corrige si c'est le cas...

Harvest, le numéro un du palmarès canadien de CBC Music... c'est donc ça, la plus parfaite incarnation de la musique Canadian ? La fierté, au Canada anglais, ne passe-t-elle pas trop souvent par une consécration du marché américain ?








mardi 6 août 2013

CBC et la musique « canadienne »

Les Anglo-Canadiens ne se disent jamais (ou très rarement) Anglo-Canadiens. Ils sont Canadian tout court. Dans un coin reculé de leur cerveau, ils sont conscients de la présence, au Québec et ailleurs au pays, de notre tribu de langue irritante mais cela ne modifie pas le coeur de leur construction identitaire. Alors quand on fait des « affaires » pan-canadiennes - des équipes de hockey par exemple, des comités, enfin peu importe - on y inclut quelques francophones parce qu'il le faut mais ça se passe à peu près toujours en anglais, en bon Canadian... Si je mentionne ça ce n'est pas pour leur adresser des reproches. Je comprends... Nous sommes pour eux, culturellement avec un petit « c », des étrangers et ils sont très vastement majoritaires entre l'Atlantique et le Pacifique.

Alors cela ne m'a guère surpris de voir, dans le palmarès des 100 meilleurs albums canadiens de tous les temps, confectionné par CBC Music, à peine quatre mentions d'albums francophones : Quatre saisons dans le désordre de Daniel Bélanger, L'heptade d'Harmonium, Starmania et Les chemins de verre de Karkwa. Qui suis-je pour critiquer les choix du comité élargi de CBC? Je ne suis pas un expert. Un amateur seulement (quoique depuis plus de 50 ans), et encore un amateur de certains types de musique (rock, folk, traditionnel et blues surtout). J'ai une bonne collection, vinyle et numérique, des chanteurs, musiciens et groupes que j'affectionne, et une connaissance moyenne ou inférieure du reste. Mais j'ai suivi de très près, et ce depuis la première moitié des années 1960, les comportements identitaires au Québec, au sein de la francophonie hors-Québec, et chez nos voisins anglo-canadiens.

Ce que je sais, d'expérience, c'est que l'immense majorité des Anglo-Canadiens ne comprennent pas le français, et que même quand ils sont bilingues, leur consommation de produits culturels québécois ou francophones  (canadiens et étrangers) est fort limitée. Ils écoutent peu la radio francophone (radio francophone - faut le dire vite... c'est plutôt une radio bilingue), achètent peu la musique québécoise ou franco-canadienne, ne fréquentent pas les concerts des Cowboys fringants et sont généralement inaptes (sont-ils même intéressés) à saisir la portée culturelle ou identitaire des musiques et paroles qui sortent d'ici (à l'exception de quelques émissions de radio de CBC). De fait, compte tenu de leur comportement culturel au moins aussi américain que canadien (en musique), j'oserais affirmer qu'ils n'ont pas la compétence, sauf exception, pour juger de l'importance de nos contributions musicales dans leur « melting pot » canadien.

Ces jours-ci, je réorganise mon bureau à la maison, le transformant en salle d'étude, de travail, de lecture et de musique. Cela implique une réorganisation de ma collection de vinyles, qui aura une place privilégiée dans cette pièce. Je n'ai pas encore classé le dixième des albums que je veux garder et continuer de réentendre et il me semble que j'ai vu dans ces titres des offrandes qui auraient pu être candidates à un « top 100 » de ce pays qui fait semblant de nous inclure à l'occasion. Je me permets de mentionner, au passage, quelques-uns de ces albums qui ont marqué leur époque et qui, dans certains cas, continuent de tourner en 2013.

* l'album Robert Charlebois / Louise Forestier de 1968, une véritable révolution musicale qui s'est avérée un tremplin pour le développement d'un rock typiquement québécois. Je n'aurais eu aucune hésitation à placer ce disque dans le top 10 du palmarès.

* et pourquoi pas, tant qu'à y être, l'album Québec Love qui a suivi en 1969, qui a raffermi les assises de cette transformation du rock d'ici. 

* l'album Jaune, de Jean-Pierre Ferland, de 1970, que certains critiques (dont je ne suis pas) estiment le meilleur album de tous les temps au Québec.

* l'album Léveillée-Gagnon de 1965, un « trésor de la culture musicale québécoise », qui vient d'être réédité en 2012.

* l'album Beau Dommage (le premier), où toutes les chansons sont devenues des classiques au fil des décennies!

* et que dire des nombreux disques qui sont sortis dans le sillage de la crise d'octobre, y compris les Poèmes et chants de la résistance (3 volumes) et SOS de Jacques Michel ?

* on pourrait aussi discuter de l'apport de groupes moins percutants mais dont la contribution a été soulignée à divers niveaux (les Sinners dans les années 60 et 70, entre autres).

Je continue mon inventaire et je suis sûr de pouvoir tripler ou quadrupler les suggestions, avec ma connaissance limitée du milieu musical. Des experts pourraient sans doute ajouter bien d'autres titres. À l'époque contemporaine, je ne comprends pas qu'au moins deux albums des Cowboys fringants, Break syndical et La grand-messe, ne soient pas placés bien haut dans ce top 100...

Quant au choix des albums anglo-canadiens, je confesse mon ignorance pour la plupart d'entre eux, quoique je connaisse la musique de la majorité des artistes. Encore là, ce que j'ai entendu,  sauf exceptions notables, c'est une musique qu'on peut difficilement différencier de l'amalgame américain. Il y a un « son » québécois qui se distingue des autres pays de la francophonie. Mais y a-t-il un « son » anglo-canadien aussi facilement identifiable? Personnellement, je ne crois pas.

Enfin, une suggestion à CBC Music. Ça ne m'offusquera pas si vous vous en tenez aux albums de langue anglaise et que vous les appelez Canadian... En musique du moins, c'est une appellation en voie d'extinction au Québec.