mercredi 29 août 2012

Dérapages dans les médias anglo-canadiens

À lire certains textes que publient ces jours-ci de grands journaux anglo-canadiens, les dirigeants et partisans du Parti québécois - et ceux qui pensent comme eux - sont intolérants, xénophobes et racistes envers à peu près tout ce qui n'est pas « pur laine ». Le ton employé est hargneux, non, pire, carrément haineux. Et les signataires de ces textes sont parfois des journalistes d'expérience qui semblent, pendant cette campagne électorale, avoir perdu toute retenue. Leur ignorance de l'histoire du Canada et de la réalité québécoise, doublée de préjugés sans doute en partie hérités, est ahurissante.

La réalité, la vraie, c'est que dans l'histoire du Canada, depuis la Confédération, seuls les francophones ont été persécutés. Dans toutes les provinces à majorité anglophone, des gouvernements intolérants et francophobes ont supprimé les droits des francophones - des Acadiens du Nouveau-Brunswick en 1871 aux Franco-Ontariens en 1912. Le droit élémentaire à un réseau d'écoles dans leur langue, que les Anglo-Québécois ont toujours eu, a été graduellement rendu aux minorités francophones seulement à la fin des années 1960, quand le Québec commençait à s'agiter un peu trop...

Et ces droits n'ont pas été rendus facilement. Il a fallu des contestations judiciaires dans les années 1980 et 1990 pour que les francophones hors-Québec puissent obtenir la gestion de leurs propres écoles. Il a fallu aller jusqu'à la Cour suprême. Les Franco-Ontariens de la région d'Ottawa (capitale d'un pays soi-disant bilingue) ont dû lutter, manifester et menacer de barricader l'hôpital Montfort, le seul hôpital de langue française d'Ottawa, pour le protéger des sombres visées du gouvernement ontarien en 1997. Encore une fois, l'affaire a dû être réglée par les tribunaux.

On pourrait multiplier par mille les incidents, les insultes, les humiliations subies par les francophones - même au Québec - depuis 150 ans. En Outaouais, dans combien de conseils municipaux de la vallée de la Gatineau et du Pontiac les francophones élus ont-ils été obligés, pendant plus de 100 ans (et encore aujourd'hui?), de parler anglais à des élus unilingues anglophones? À l'extérieur du Québec, tenter de maintenir une francophonie vivante reste une tâche herculéenne. Nous ne sommes plus à l'époque que j'ai vécue à Ottawa, où on se faisait dire Speak white et où on se faisait traiter de frogs, mais le vieux fond raciste couve toujours.

Et j'emploie ici le mot racisme dans son sens premier, soit celui de la conscience d'une hiérarchie des races (au sens non coloré du terme) et/ou cultures. Lord Durham, en 1839, y allait crûment à cet égard, sans détours, affirmant vouloir donner « notre caractère anglais » aux Canadiens français pour les tirer de leur « infériorité ». Ce sentiment de supériorité « raciale » a été légué aux générations subséquentes d'Anglo-Canadiens. Tout Canadien français qui a vécu hors Québec l'a ressenti. Et même au Québec, comme le disait autrefois René Lévesque, la minorité anglophone se comportait à notre endroit comme une bande de « Rhodésiens ».

Qu'il existe des xénophobes chez les francophones, soit. Il y en a chez tous les peuples. Mais nous ne sommes pas et n'avons jamais été racistes. Nous avons au contraire manifesté longtemps, collectivement, un sentiment d'infériorité que nous avons commencé à surmonter depuis à peine un demi-siècle. Cette fière affirmation du caractère français du Québec est perçue comme une menace par les anglophones, alors que ce sont notre langue et notre culture qui sont menacées. Si nous ne faisons pas du français la langue commune du Québec, nous disparaîtrons.

La Loi 101 a été pour nous un moment libérateur. Nous avons signifié au monde entier que désormais, nous prenions notre destinée linguistique et culturelle en charge. Que cela nécessitait des règles qu'il faudrait dorénavant respecter, dans le cadre des droits traditionnels de la minorité anglophone (qui reste la minorité la plus choyée du Canada). Et, comme dans d'autres sociétés démocratiques, la majorité déterminerait ces règles dans le respect d'une Charte des droits et libertés de la personne édictée par le Québec bien avant celle d'Ottawa.

Depuis ce temps, la Loi 101 a été trouée par des décisions judiciaires et le plus récent gouvernement a été plus que mou dans l'application de ce qui reste de la Charte de la langue française. Le récent rapport de l'OQLF est éloquent à cet égard. Pire, le gouvernement Charest a entrepris de nous bilinguiser collectivement - le vieux rêve de Durham - avec son programme d'anglais intensif au primaire. Si ce programme réussit, c'est le début de la fin. Nous n'avons pas à nous excuser d'avoir une majorité unilingue française, ou même des chefs politiques qui ont de la difficulté avec l'anglais. Ce n'est que normal, dans une société de culture française. Le bilinguisme individuel est toujours un enrichissement, mais le bilinguisme collectif, c'est une étape vers l'assimilation.

Le Québec est déjà la province la plus bilingue du pays. Notre problème, c'est bien plus la qualité de notre français que celle de notre anglais. À l'école, au travail, aux instances décisionnelles. Est-ce trop demander que les élus aient une connaissance du français (un unilingue français aurait de la difficulté siéger à un conseil municipal en Ontario)? Est-ce exagéré d'étendre la Loi 101 aux cégeps et aux PME? La réponse n'est pas évidente et mérite certes un bon échange de vues, mais d'aucune façon peut-il s'agir d'une manifestation de xénophobie ou de racisme.

Nous n'avons pas le monopole de la vérité. Mais nous sommes profondément démocratiques, même avec ces anglophones qui n'acceptent les règles que quand ils gagnent, menaçant de s'exiler quand ça ne fait plus leur affaire. Nous ferons un débat ouvert à tous. Avouons que nos débats sont parfois excessifs. C'est notre habitude. Nous l'avons vu au printemps 2012. Et ça finira par des élections, ou par un autre référendum. Comme dans toute démocratie.


(à suivre)

mercredi 22 août 2012

André Laurendeau et «La mort par le bilinguisme»

Alors que la campagne électorale bat son plein et que le projet d'anglicisation de la 6e année des écoles françaises est complètement oublié, tant par les politiciens que par la quasi-totalité des médias, je vous propose cette page extraite de la biographie d'André Laurendeau (celui de la Commission BB du gouvernement fédéral) par le politicologue Denis Monière, publiée en 1983, que je lisais hier soir en attendant le débat Charest-Lergault. Cet épisode se déroule aux alentours de 1940 :

« Déjà, les enquêtes de (Laurendeau) en Alsace et en Belgique l'avaient convaincu des effets néfastes du bilinguisme de masse dont les principales conséquences étaient la détérioration de la langue maternelle, l'assimilation progressive et la folklorisation de la culture. Il reviendra souvent sur ce thème dans la revue L'action nationale (dont il était rédacteur en chef). Il publie entre autres à la fin de 1940 un texte virulent intitulé La mort par le bilinguisme où il interpelle les fossoyeurs du peuple :

"Quand donc un cynique aura-t-il la logique de sa lâcheté?

"Qui aura le courage de déclarer publiquement : nos ancêtres ont eu tort en 1763 d'opter pour le français. Tort de rester eux-mêmes. Nos ancêtres ont eu tort de se battre pendant 150 ans pour demeurer fidèles à eux-mêmes. Ils nous ont lancé dans une lutte épuisante. Changeons tout cela. Décidons une fois pour toutes de nous angliciser. Que l'école donne le coup de barre. Et que l'on fasse vite. L'acharnement que nous avons mis à nous défendre, mettons-le à nous détruire. Tournons nos armes contre nous et disparaissons du coup que nous nous serons donné."

Ce texte, où perce la rage et le dépit, est écrit en réplique à plusieurs porte-parole du Québec qui, à l'automne 1940, avaient lancé une vaste offensive en faveur du bilinguisme intégral. Cette campagne d'opinion fut initiée par des hommes d'affaires soutenus par Jean-Charles Harvey, directeur du Jour, et par le premier ministre (libéral) Adélard Godbout. Leur objectif était de rendre les écoles primaires bilingues. On invoquait, comme justification, que l'ignorance de l'anglais était, depuis dix ans, la principale cause du chômage (au Québec). Laurendeau admet que la connaissance de la langue anglaise  est utile pour réussir sur le plan professionnel. Mais il s'insurge de ceux qui font de cette nécessité ne loi absolue, une religion.

"Savent-ils ce qu'ils disent? Il n'a jamais existé, il n'existe pas de peuple intégralement bilingue. Une élite l'est, doit l'être. Pas une masse... La propagande qui vise à faire de nous tous des parfaits bilingues, vise à faire de nous des (gens) de langue anglaise." »

Le projet du gouvernement Charest de bilinguiser les 6e années n'est pas aussi ambitieux que celui de son prédécesseur Godbout, il y a plus de 70 ans, mais la philosophie et les objectifs qui le sous-tendent ont des similitudes. Sauf qu'aujourd'hui, il ne semble pas y avoir de personnalité de la stature d'André Laurendeau pour donner la réplique aux fossoyeurs du français. En 2012, à cet égard, « trop de Québécois suivent comme des moutons un berger qui ne voit pas le précipice » (voir http://bit.ly/MfmZDT ).

Pierre Allard


Pour une courte bio d'André Laurendeau, voir http://www.assnat.qc.ca/fr/deputes/laurendeau-andre-4025/biographie.html .

mardi 21 août 2012

Pauline Marois devrait-elle apprendre l'anglais?

Dans la page d'opinions du quotidien LeDroit, ce matin, l'ancien ministre libéral et député de Gatineau à l'Assemblée nationale, Michel Gratton, posait la question du relatif unilinguisme du chef du Parti Québécois, Pauline Marois.

Il écrivait notamment : « Ne croyez-vous pas que dans notre contexte nord-américain, ceux qui, comme vous, souhaitent de devenir premier ministre au Québec devraient au moins avoir une base de connaissances de la langue anglaise? Cela aurait en plus l'avantage de témoigner d'un minimum de respect pour les milliers d'électeurs québécois dont la langue maternelle est l'anglais. » Et d'ajouter M. Gratton : « Pourquoi n'avez-vous pas imité l'exemple des premiers ministres du Canada - comme Stephen Harper - qui eux, se sont donné la peine d'apprendre le français? »

Je tiens à répondre aux trois composantes de son interrogation, parce qu'elles sont au coeur du débat identitaire actuel du Québec.

1. D'abord, un PM québécois, dans un contexte nord-américain (il aurait pu tout aussi bien écrire « mondial »), devrait-il avoir une connaissance fonctionnelle de l'anglais? Sans doute est-ce souhaitable, mais ce n'est certes pas essentiel. Face au rouleau compresseur de l'anglais en Amérique du Nord, il faut plus que jamais affirmer la vitalité du français comme langue nationale et internationale.

Je ne m'offusque pas que le premier ministre d'une autre province soit anglophone unilingue, même si je crois qu'il (ou elle) aurait avantage à connaître plus d'une langue dans un pays bilingue, et le français en particulier. Dans ces autres provinces (sauf pour le N.-B.), l'anglais est la seule langue officielle. Au Québec, foyer de la nation francophone du pays, la seule langue officielle, c'est le français et à ce titre, la seule compétence essentielle, c'est une excellente connaissance du français.

J'en ai marre d'entendre des politiciens francophones, Québécois et hors-Québec, qui font constamment l'effort de parler un anglais presque sans accent pendant qu'ils peinent à s'exprimer dans un français correct, nous infligeant un langage bourré de fautes et d'anglicismes. Trop d'anglophones ont l'impression que nous connaissons tous l'anglais et que nos exigences linguistiques ne sont que des caprices. Il est temps que nous les mettions en face d'une société francophone, où la majorité est unilingue (quoi de plus normal). Alors s'il leur arrive un premier ministre unilingue francophone du Québec, tant mieux.

Cela ne modifie en rien ma conviction personnelle que l'apprentissage d'une seconde langue, voire d'une troisième, est souhaitable pour tous ceux qui en ont besoin ou qui le veulent. Mais il y a une différence entre bilinguisme individuel et bilinguisme collectif. Le premier est un enrichissement, le second, c'est l'assimilation.

2. Secundo, apprendre l'anglais est-il un témoignage de respect envers la minorité anglophone du Québec? Pas du tout. Les Québécois francophones, unilingues ou bilingues, ont toujours témoigné le plus grand respect pour les droits et privilèges des Anglo-Québécois. Ils ont été la minorité la plus choyée du pays et quand on les compare aux francophones hors-Québec, persécutés pendant plus d'un siècle d'un océan à l'autre, on a un portrait instructif du deux poids, deux mesures de cette fédération.

Il faut noter en passant que 40% des Québécois francophones sont déjà bilingues, le plus fort pourcentage de bilingues de toutes les provinces du Canada. On a fait notre part. Pendant ce temps, jusqu'à récemment (disons les années 1970), les Anglos du Québec se sont souvent comportés comme des Rhodésiens (pour reprendre l'expression de René Lévesque) à notre endroit. Et il est encore possible - la réalité le démontre - de rester unilingue anglais au Québec en 2012. Le respect, c'est nous qui n'y avons pas toujours droit...

3. Pourquoi ne pas suivre l'exemple de M. Harper? Je n'aime pas les politiques de M. Harper, mais je serai le premier à le féliciter d'avoir appris le français et d'avoir démontré à d'autres que quand on veut, on peut. Mais M. Harper est le PM d'un pays qui se dit officiellement bilingue. Il est normal que le chef du gouvernement parle les deux langues, quoique cela soit un phénomène très récent chez les PM anglophones. Avant Joe Clark, le français des Pearson, Diefenbaker et de leurs prédécesseurs était plus que rudimentaire.

Si Pauline Marois voulait diriger le Canada, elle devrait nécessairement se donner une compétence accrue en anglais. Mais le Québec est un État français. Ce n'est pas un État bilingue. Et si Mme Marois est élue, Stephen Harper pourra se réjouir. Il n'aura pas appris le français pour rien. Il aura enfin un interlocuteur qui trouvera utile ses nouvelles compétences linguistiques.


Alors, Mme Marois, si vous désirez améliorer votre compétence en anglais, allez-y. Tous s'en réjouiront. Mais personne, et surtout pas un ancien député de l'Assemblée nationale, ne devrait laisser entendre que vous donnez un mauvais exemple ou que vous manquez de respect parce que vous ne connaissez pas suffisamment la langue anglaise. À cet égard, collectivement, nous n'avons vraiment rien à nous reprocher.


Pierre Allard


jeudi 9 août 2012

La question identitaire et les élections de 2012

 Il y a quelques jours, en Gaspésie, Pauline Marois a ressorti la question identitaire en affirmant que, sur le plan linguistique entre autres, la réélection d'un gouvernement libéral constituait une menace pour l'identité québécoise. Ses commentaires ont attisé des braises hostiles chez les adversaires du Parti québécois, tant au Québec qu'ailleurs au Canada, mais il me semble que de façon générale, la question ait soulevé assez peu d'intérêt. C'est bien dommage.

Il est vrai que dans cette campagne, il y a des urgences sur la table, en éducation, en santé, en fiscalité, en économie, en environnement, et que les sondages démontrent une certains indifférence de l'électorat envers les enjeux de la souveraineté et de la protection de la langue française. Mais c'est une illusion, Le débat identitaire est plus vieux que la Confédération et s'il est vrai qu'il couve la plupart du temps, un peu comme un volcan fumant, il reprend toute sa vigueur quand des crises surviennent et conservera son potentiel de mobilisation tant que la question ne sera pas réglée à la satisfaction générale.

Et la question n'est pas réglée. Au contraire, la réalité prouve qu'elle s'aggrave. Les études de l'Office québécois de la langue française démontrent qu'un nombre croissant de commerces viole depuis des années les dispositions d'affichage de la Loi 101, et que le service en français dans les commerces de Montréal recule. Le gouvernement québécois a entrepris de bilinguiser les sixièmes années de toutes les écoles françaises, une initiative qui provoquerait une levée de boucliers chez les francophones hors-Québec qui ont connu les affres des classes bilingues. Recensement après recensement, la situation du français se fragilise dans l'ensemble du pays et même dans certaines régions du Québec. Les statistiques du recensement 2011, qui sortiront à l'automne, risquent d'être catastrophiques.

Sur le plan constitutionnel (mot honni s'il en fut...), le blocage est complet depuis l'imposition du rapatriement et de la Charte canadienne sans l'accord du Québec, en 1982. Un oui au référendum de Charlottetown en 1992 ou au référendum québécois de 1995 aurait pu obliger l'engrenage constitutionnel à redémarrer mais ce ne fut pas le cas. Le poids du Québec dans la Confédération s'amenuise et l'élection de mai 2011 a démontré qu'on peut gouverner majoritairement à Ottawa sans le soutien des Québécois. Et nous avons à Ottawa, jusqu'à 2015, un gouvernement indifférent, voire ouvertement hostile, aux priorités qui touchent à la fibre identitaire du Québec et des francophones.

Ces enjeux peuvent sembler moins urgents que l'accessibilité des soins de santé et le règlement du conflit qui paralyse une partie de nos universités et collèges, moins urgents que la création d'emploi, le contrôle des déficits gouvernementaux et la facture d'impôts et taxes. Mais ils ne sont pas moins importants. La question identitaire ne parle pas de ce que nous avons, mais de ce que nous sommes, et de ce que nous allons devenir.

Le Québec est formé d'individus, de citoyens, de groupes, de régions, de classes, avec des intérêts variés, mais c'est aussi une nation. Une nation qui n'a aucun statut constitutionnel, même si son existence est officiellement reconnue par la Chambre des communes du Canada. À cet égard, une élection québécoise est une élection nationale. C'est un moment privilégié pour nous intéresser au devenir national et, donc, identitaire. Mme Marois a haussé le niveau du débat en ramenant cette question à l'avant-plan, quels que soient ses motifs. Ceux qui refusent d'inclure le débat identitaire dans leurs priorités de campagne se comportent comme des petits politiciens provinciaux...

Pierre Allard