mardi 21 août 2012

Pauline Marois devrait-elle apprendre l'anglais?

Dans la page d'opinions du quotidien LeDroit, ce matin, l'ancien ministre libéral et député de Gatineau à l'Assemblée nationale, Michel Gratton, posait la question du relatif unilinguisme du chef du Parti Québécois, Pauline Marois.

Il écrivait notamment : « Ne croyez-vous pas que dans notre contexte nord-américain, ceux qui, comme vous, souhaitent de devenir premier ministre au Québec devraient au moins avoir une base de connaissances de la langue anglaise? Cela aurait en plus l'avantage de témoigner d'un minimum de respect pour les milliers d'électeurs québécois dont la langue maternelle est l'anglais. » Et d'ajouter M. Gratton : « Pourquoi n'avez-vous pas imité l'exemple des premiers ministres du Canada - comme Stephen Harper - qui eux, se sont donné la peine d'apprendre le français? »

Je tiens à répondre aux trois composantes de son interrogation, parce qu'elles sont au coeur du débat identitaire actuel du Québec.

1. D'abord, un PM québécois, dans un contexte nord-américain (il aurait pu tout aussi bien écrire « mondial »), devrait-il avoir une connaissance fonctionnelle de l'anglais? Sans doute est-ce souhaitable, mais ce n'est certes pas essentiel. Face au rouleau compresseur de l'anglais en Amérique du Nord, il faut plus que jamais affirmer la vitalité du français comme langue nationale et internationale.

Je ne m'offusque pas que le premier ministre d'une autre province soit anglophone unilingue, même si je crois qu'il (ou elle) aurait avantage à connaître plus d'une langue dans un pays bilingue, et le français en particulier. Dans ces autres provinces (sauf pour le N.-B.), l'anglais est la seule langue officielle. Au Québec, foyer de la nation francophone du pays, la seule langue officielle, c'est le français et à ce titre, la seule compétence essentielle, c'est une excellente connaissance du français.

J'en ai marre d'entendre des politiciens francophones, Québécois et hors-Québec, qui font constamment l'effort de parler un anglais presque sans accent pendant qu'ils peinent à s'exprimer dans un français correct, nous infligeant un langage bourré de fautes et d'anglicismes. Trop d'anglophones ont l'impression que nous connaissons tous l'anglais et que nos exigences linguistiques ne sont que des caprices. Il est temps que nous les mettions en face d'une société francophone, où la majorité est unilingue (quoi de plus normal). Alors s'il leur arrive un premier ministre unilingue francophone du Québec, tant mieux.

Cela ne modifie en rien ma conviction personnelle que l'apprentissage d'une seconde langue, voire d'une troisième, est souhaitable pour tous ceux qui en ont besoin ou qui le veulent. Mais il y a une différence entre bilinguisme individuel et bilinguisme collectif. Le premier est un enrichissement, le second, c'est l'assimilation.

2. Secundo, apprendre l'anglais est-il un témoignage de respect envers la minorité anglophone du Québec? Pas du tout. Les Québécois francophones, unilingues ou bilingues, ont toujours témoigné le plus grand respect pour les droits et privilèges des Anglo-Québécois. Ils ont été la minorité la plus choyée du pays et quand on les compare aux francophones hors-Québec, persécutés pendant plus d'un siècle d'un océan à l'autre, on a un portrait instructif du deux poids, deux mesures de cette fédération.

Il faut noter en passant que 40% des Québécois francophones sont déjà bilingues, le plus fort pourcentage de bilingues de toutes les provinces du Canada. On a fait notre part. Pendant ce temps, jusqu'à récemment (disons les années 1970), les Anglos du Québec se sont souvent comportés comme des Rhodésiens (pour reprendre l'expression de René Lévesque) à notre endroit. Et il est encore possible - la réalité le démontre - de rester unilingue anglais au Québec en 2012. Le respect, c'est nous qui n'y avons pas toujours droit...

3. Pourquoi ne pas suivre l'exemple de M. Harper? Je n'aime pas les politiques de M. Harper, mais je serai le premier à le féliciter d'avoir appris le français et d'avoir démontré à d'autres que quand on veut, on peut. Mais M. Harper est le PM d'un pays qui se dit officiellement bilingue. Il est normal que le chef du gouvernement parle les deux langues, quoique cela soit un phénomène très récent chez les PM anglophones. Avant Joe Clark, le français des Pearson, Diefenbaker et de leurs prédécesseurs était plus que rudimentaire.

Si Pauline Marois voulait diriger le Canada, elle devrait nécessairement se donner une compétence accrue en anglais. Mais le Québec est un État français. Ce n'est pas un État bilingue. Et si Mme Marois est élue, Stephen Harper pourra se réjouir. Il n'aura pas appris le français pour rien. Il aura enfin un interlocuteur qui trouvera utile ses nouvelles compétences linguistiques.


Alors, Mme Marois, si vous désirez améliorer votre compétence en anglais, allez-y. Tous s'en réjouiront. Mais personne, et surtout pas un ancien député de l'Assemblée nationale, ne devrait laisser entendre que vous donnez un mauvais exemple ou que vous manquez de respect parce que vous ne connaissez pas suffisamment la langue anglaise. À cet égard, collectivement, nous n'avons vraiment rien à nous reprocher.


Pierre Allard


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