mercredi 31 août 2016

La négligence des médias...

Les «consultations» pan-canadiennes sur les langues officielles (voir bit.ly/1Qc8K3n), première étape de la préparation d'un «plan d'action» linguistique pluriannuel par le gouvernement Trudeau, ont débuté le 20 juin à Alfred, dans l'Est ontarien, et se sont poursuivies tout au long de l'été, d'un bout à l'autre du pays. Dans quelques semaines, elles seront terminées.

Je pourrais écrire un chapitre sur la mollesse de l'effort de consultation (tant les réunions que le sondage Web), mais cela n'est rien comparé à la négligence quasi criminelle de l'ensemble des médias canadiens et québécois - sauf rares exceptions comme le réseau régional de Radio-Canada et le service des nouvelles de TFO.

À ma connaissance, aucun journaliste n'a suivi l'ensemble des audiences de Patrimoine canadien, auxquelles assistait souvent la ministre Mélanie Joly. Quelques reporters ont sans doute assisté à une rencontre, de façon ponctuelle, dans leur région, mais aucun n'a été affecté à la tournée. Ni par les agences, ni par quelque quotidien d'envergure nationale…

Ces dernières semaines, la troupe de consultation fédérale s'est amenée à Québec (23 août) et à Montréal (30 août). Deux quotidiens sont publiés dans la capitale nationale - Le Soleil et le Journal de Québec. Ni l'un ni l'autre n'a fait mention sur son site Web de la consultation locale. Seul le vénérable Chronicle Telegraph (journal anglais de Québec, fondé en 1764) en a fait état, dans un article inaccessible au grand public (bit.ly/2csaBnj)…

Un journaliste de la Presse canadienne (PC) et un reporter du quotidien de langue anglaise (Montréal Gazette) étaient présents aux audiences dans la métropole. Une recherche sur le Web semble indiquer que Le Devoir, La Presse et le Journal de Montréal brillaient par leur absence… Je n'ai vu le texte de la PC que dans Le Devoir (version Web et papier)…

Le public est trop souvent mal informé. Les propriétaires des médias, plus intéressés aux profits qu'à l'information, ont charcuté les salles de rédaction un peu partout. À plusieurs endroits, le personnel de couverture est réduit à sa plus simple expression. Mais à Montréal, les salles des nouvelles avaient suffisamment d'effectifs pour déléguer un journaliste aux audiences sur les langues officielles. Elles ne l'ont pas fait, ou n'ont pas publié le texte de leur reporter, si effectivement il ou elle était sur les lieux.

Notre glissade collective vers l'ignorance se poursuit…




Favorables au bilinguisme? Talk is cheap!

Texte du quotidien Le Droit du 31 août 2016

Toujours rusé, ce Graham Fraser. Notre Commissaire aux langues officielles vient de rendre public, fin août, un sondage sur le bilinguisme réalisé en février et en mars 2016 (bit.ly/2c96h7G). Quand on voit, en période électorale, les appuis aux enjeux et aux partis varier de jour en jour, parfois substantiellement, sur une période de quelques mois, on peut se demander à quel point l'opinion d'il y a six mois vaut toujours. On peut aussi s'interroger sur le délai de cinq à six mois entre collecte et diffusion…

Enfin, supposons que les données n'aient pas changé, et que les appuis au bilinguisme pan-canadien soient toujours aussi massifs. Que doit-on en conclure? D'un bout à l'autres du pays, les chantres officiels du «beau et grand bilingue pays» applaudissent et brandissent les chiffres de M. Fraser sous le nez des méchants «séparatisses» du Québec en chuchotant: voyez, ils vous aiment les anglais, ils sont en majorité favorables au bilinguisme a mari jusque ad mare.

Permettez-moi de répondre très simplement, dans la langue de l'autre: Talk is cheap! Il est facile pour un anglophone de Saskatoon d'applaudir le bilinguisme dans un sondage, mais il y a fort à parier qu'il n'apprendra jamais le français. Il n'en a pas besoin, et ne perçoit pas en avoir besoin. Le fait est que dans le Canada hors-Québec, la proportion d'anglophones bilingues (y compris les jeunes) est stagnante ou en baisse. S'ils nous aiment, donc, c'est certainement pas d'un amour assez fort pour fréquenter notre langue et notre culture.

Cette semaine, lors des audiences montréalaises de Patrimoine canadien sur les langues officielles, le président de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, Michel Leblanc (aucun risque d'avoir affaire ici à un dangereux subversif…), soulignait le danger d'une situation où 55% des jeunes francophones au Canada sont désormais bilingues, contre seulement 13% des jeunes anglophones. M. Leblanc y voyait un risque pour la paix linguistique… Pas sûr de ça… Il y a plutôt là un autre indice de l'anglicisation croissante de la francophonie canadienne (y compris celle du Québec).

Alors qu'à l'extérieur du Québec, les anglos boudent le français qu'ils sont censés «appuyer» en si grands nombres, c'est tout le contraire dans «la belle province», où, même dans des régions unilingues françaises, telles le Saguenay, ainsi que les villes de Québec et Lévis, on se rue sur les programmes d'anglais intensif au primaire pour réaliser le rêve de notre irresponsable premier ministre, celui de voir une génération entière de Québécois bilingues dans un proche avenir. Quand nous serons tous bilingues, au Québec, le pays sera entièrement anglais.

On n'a qu'à consulter les statistiques des recensements fédéraux, bien plus fiables que des sondages d'opinion publique orientés d'avance. Dans les collectivités francophones hors-Québec, plus la proportion de bilingues est élevée, plus les transferts linguistiques vers l'anglais augmentent. Après quelques générations de bilingues, on revient tout doucement à l'unilinguisme… anglais cette fois. Parlez-en aux Franco-Ontariens et même aux Québécois des régions du Pontiac et de la Basse-Gatineau... Dans combien de familles voit-on des grands-parents francophones, des enfants franco-bilingues, des petits enfants anglo-bilingues et des arrière-petits-enfants anglais…

Le bilinguisme collectif, quand l'une des deux langues est dominée, n'est qu'une étape vers l'assimilation. Les Anglo-Canadiens peuvent apprendre le français sans risque identitaire. À 90% ils ne le feront pas mais ils le pourraient. Ils se contenteront d'aimer notre langue dans des sondages. Les francophones, surtout dans des milieux où la langue anglaise occupe une position de force (hors-Québec, l'Outaouais, Montréal), n'ont souvent pas le choix. L'anglais leur est imposé, au travail notamment. Et on connaît la suite…

Graham Fraser lance avec ce sondage une dernière salve, sans doute préparatoire aux célébrations du 150e anniversaire de la Confédération en 2017. Les partisans d'un statut bilingue pour la ville d'Ottawa n'ont pas manqué de diffuser les résultats pan-canadiens favorables à leur cause. Tout ce que je souhaite c'est que les nôtres accordent plus d'importance à la réalité vécue, la vraie, plutôt qu'aux voeux sans réelle conséquence d'un échantillonnage de 1000 Canadiens…

Talk is cheap!





Jean-François Lisée en terre fédérale...

Au début des années 1990, j'avais assisté à quelques réunions à l'édifice Sir John Carling, à Ottawa, siège du ministère fédéral de l'Agriculture. Un fonctionnaire unilingue anglais, fraîchement arrivé du sud de l'Ontario, m'avait confié qu'il était un peu bouleversé par le contexte linguistique à Ottawa, et dans son ministère en particulier. «Ici, tout est en français», me disait-il, quelque peu inquiet…

Ce commentaire m'avait pris de court, d'autant plus que dans cette grande tour à bureaux (qu'on a démolie il y a quelques années) avoisinant les vastes terrains de la Ferme expérimentale d'Ottawa, à peu près personne ne travaillait essentiellement en français. La langue à l'ouvrage, c'était l'anglais. La majorité des anglophones étaient unilingues; la totalité des francophones, bilingues. À force d'entendre tous les jours des gens parler français autour de lui, au téléphone, dans les couloirs, à la cafétéria, chose inconnue dans sa région torontoise, il avait cru atterrir au Saguenay…

Vingt-cinq ans plus tard, quand on aborde la question de la langue de travail dans l'administration fédérale, l'écart entre la réalité et la perception reste énorme, surtout chez les unilingues anglais mais aussi chez les francophones qui, en quasi totalité, auraient de la difficulté à peindre un portrait précis de la situation. Pour l'observateur extérieur, il apparaît très clair qu'à Ottawa, sauf rares exceptions, la connaissance de l'anglais reste essentielle pour les francophones… Pire, à mesure que la proportion de parlant-français diminue au pays, et que cette proportion diminuée tend à s'angliciser, la langue française - ou ce qui en restera - risque de devenir l'apanage quasi exclusif du Bureau de la traduction…

Pour le moment, le français langue de travail dans la fonction publique fédérale constitue un dossier plutôt flou, et personne ne semble prêt à déterrer la hache de guerre pour assurer à la langue française sa juste part du gâteau administratif. Il y a peut-être là une boîte de Pandore que les francophones, autant que les anglophones, craignent d'ouvrir, ne sachant trop s'ils veulent vraiment révéler toute la vérité sur l'évolution de la francophonie au sein de l'appareil fédéral. À trop voir l'avenir avec les lunettes roses officielles, une froide analyse fondée sur les faits pourrait s'avérer un choc brutal.

Pendant qu'on se gargarise de belles intentions, toujours renouvelées, jamais réalisées, les vieux projets d'unités de langue française dans la fonction publique fédérale se sont évaporés au fil des décennies et le Commissaire aux langues officielles continue de consacrer plus de 90% de son temps à consigner dans ses rapports les doléances des francophones, y compris l'impossibilité de travailler en français au sein de l'appareil fédéral. Des 88 800 emplois fédéraux dans la région d'Ottawa, moins de 200 sont désignés unilingues français selon les chiffres du Conseil du Trésor… C'est assez clair?

Qu'un candidat à la direction du Parti québécois, Jean-François Lisée, s'intéresse à cela constitue en soi un phénomène. Le député de Rosemont a en effet profité de son incursion à Gatineau, cette semaine, pour semoncer le gouvernement Trudeau qui, dans sa défense de la «diversité», semble avoir oublié «le droit des travailleuses et des travailleurs québécois au sein de la fonction publique fédérale de travailler en français». Cette association du français à la diversité, concept voisin du multiculuralisme, paraît étrange mais tout de même, une manifestation d'intérêt c'est déjà un pas dans la bonne direction.

Le premier problème que M. Lisée va devoir affronter, c'est l'indifférence à peu près totale des médias et de l'opinion publique pour cet enjeu, pourtant fondamental. Il en a fait l'expérience quand seul le quotidien Le Droit a délégué un journaliste et un photographe à sa conférence de presse de Gatineau, mardi matin, alors que tous les médias, y compris l'abondante presse parlementaire, avaient été avertis que le candidat à la direction du PQ aborderait de front la question du statut de la langue française dans la fonction publique fédérale et dans les organismes sous juridiction fédérale…

En après-midi, Radio-Canada publiait aussi sur son site Web un texte reprenant les principaux points évoqués dans le communiqué de presse de M. Lisée, mais sans vidéo d'entrevue.

Le même jour, la ministre fédérale Mélanie Joly et sa troupe ambulante des langues officielles était à Montréal dans le cadre de la tournée de «consultations» pancanadiennes… et n'eut été de la présence d'un journaliste de l'agence Presse canadienne, il n'y aurait peut-être pas eu de compte rendu à la télé et dans les quotidiens du lendemain. Ni Radio-Canada, ni Le Devoir, ni le Journal de Montréal, ni La Presse ne semblent avoir délégué de scribe à l'événement.

Le second problème qui attend M. Lisée, et il est de taille, ce sera de brosser un tableau réaliste du fonctionnement linguistique de l'administration fédérale. Un travail de moine en perspective, si la chose l'intéresse vraiment. Peut-être aurait-il avantage, pour sa course à la chefferie du PQ, à se concentrer sur le piètre sort réservé à la langue française par le gouvernement Couillard, qui fait tout pour la mettre en péril, depuis l'anglais intensif aux seuils excessifs d'immigrants qu'on ne se donne pas la peine d'intégrer à la majorité francophone.

Si malgré tout, le sort du français au sein de cet appareil fédéral le préoccupe, il devra larguer le concept de diversité et lui substituer celui de «dualité», car il n'y a au pays que deux langues officielles, en principe égales. Cela n'a rien, mais rien à voir avec un quelconque appui aux LBGT et au multiculturalisme… Et secundo, en défendant le droit des Québécois (y compris des Anglo-Québécois) de travailler en français dans la fonction publique fédérale, il pourrait avoir une petite pensée pour les autres francophones du Canada, qui ont ce même droit…

Quoiqu'il en soit, cette initiative de M. Lisée doit être saluée, et imitée. Plus on s'informe, mieux on est outillé en politique. Et tant qu'une portion substantielle de nos impôts continue d'être acheminée à Ottawa, on a tout avantage à guetter de très près le sort des nôtres…











lundi 29 août 2016

L'une des pires du monde occidental?

Un texte du quotidien Le Droit du 2 juin 2016

Le vendredi 26 août, les médias faisaient état du rapport dévastateur d'un coroner sur l'urgence de l'hôpital de Gatineau (qui n'est guère différente de celle de l'hôpital du secteur voisin, Hull)… Pour les délais d'attente, notre urgence - je demeure dans ce secteur - serait «l'une des pires du monde occidental»! J'inclus ici un lien au texte du quotidien Le Droitbit.ly/2bSDAfx.

Il n'y a pas de quoi rire... À deux ou trois kilomètres de chez moi, j'ai un hôpital dont l'urgence ultra moderne, selon toute apparence, risque d'achever les patients en les abandonnant trop longtemps sans soins sur une civière… Enfin, est-ce aussi dramatique que l'affirme le coroner Pierre Bourassa? Peut-être, peut-être pas… J'imagine que ça dépend des moments de la journée, du volume de patients, de la disponibilité (et parfois de l'humeur) du personnel…

Non, ce qui me désespère dans cette affaire, et dans d'innombrables autres situations où des malades ont eu à subir des délais inacceptables de soins, c'est l'incapacité du public et des médias d'identifier les véritables responsables et de voir clairement des avenues de solutions. Invariablement, on blâmera le personnel ou l'organisation qui l'encadre (dans ce cas-ci l'hôpital de Gatineau et le CISSSO, acronyme pour Centre intégré de santé et de services sociaux de l'Outaouais).

Cette vue est trop simple, voire simpliste…

Il faudrait peut-être commencer par retourner à la Révolution tranquille, quand la commission Castonguay avait proposé de mettre sur pied un vaste réseau de centres locaux de services communautaires (CLSC), où l'accent aurait été mis nettement sur l'identification des problèmes de santé et sur la prévention… et ce, au niveau local! Le gros bon sens: en favorisant, dans chaque localité, des conditions favorables à une bonne santé publique, moins de médecins finiraient par crouler sous un fardeau excessif de malades…

Le problème des CLSC, ce fut leur réussite. Quand on attaque les causes des maladies, pour vrai là, on ne remet pas seulement en question la consommation de médicaments, ou la teneur en sucre des aliments, ou le manque d'exercice physique… On vise aussi les conditions sociales et économiques susceptibles de dégrader l'état de santé des gens - la pauvreté, les milieux de travail, l'inégalité des sexes, la salubrité des logements, etc. - et ce, dans chaque région où se trouve un CLSC…

Ainsi, dans les centres locaux de services communautaires, le personnel comptait, au-delà du personnel médical (les médecins qui les ont trop longtemps boudés et les infirmières), des psychologues, des diététiciens, des travailleurs sociaux et des organisateurs communautaires. En brassant la cage de la santé dans une localité, les CLSC brassaient la cage socioéconomique et politique du Québec tout entier. Une situation inquiétante pour tout gouvernement, et en particulier pour les libéraux…

Et finalement, qu'a-t-on fait alors que la population vieillissait à vue d'oeil et que le nombre de médecins de famille devenait insuffisant dans plusieurs régions, dont l'Outaouais? On a saboté l'institution et la philosophie qui aurait pu faire la différence en ce début de 21e siècle. Les CLSC devaient être la première ligne de santé pour le grand public, ils devaient surtout être locaux. Leur objectif n'était pas tant de guérir des malades que de réduire le nombre de malades à guérir. J'ai la conviction que la réussite d'une telle mission aurait plu à l'immense majorité des médecins actuels, qui croulent sous le poids des patients.

Mais non, on a commencé par fusionner les CLSC à l'intérieur des municipalités et grandes régions, ce qui signifiait l'arrêt de mort de la philosophie de l'intervention locale. Le «L» des CLSC venait d'être décapité. Puis, pour achever la bête blessée, on a créé des monstres régionaux dominés par les médecins et où les CLSC perdaient la capacité de déterminer eux-mêmes leurs priorités: chez nous, ce monstre s'appelait Centre de santé et de services sociaux de Gatineau. Depuis ce temps, les libéraux clouent le cercueil...

On est passé depuis 40 ans du concept des centres locaux de services communautaires à l'ultime monstre organisationnel: la pieuvre Gaétan Barrette et ses tentacules régionales. Chez nous, cette tentacule s'appelle le CISSSO, Centre intégré de santé et de services sociaux de l'Outaouais… Nous avons maintenant, grâce à Gaétan Barrette, la pire structure de services de santé qui soit… et notre ministre n'a pas fini de faire des dégâts…

Alors quand un incident malheureux se produit dans une urgence devenue un refuge pour tous ceux et celles qui n'ont plus de médecins de famille (ils sont des dizaines de milliers), dans une organisation qui manque de ressources parce que le ministre Dr Folamour persiste à la vouloir rentable (pas de déficits!), dans un pays où la population vieillissante a besoin de plus en plus de soins, j'aurais tendance à juger des coupables sur place, bien sûr, mais j'aurais aussi une bonne pensée pour le premier ministre, pour son ministre de la Santé, ainsi que nos députés libéraux de l'Outaouais qui se font complices d'un système aberrant.

Et malgré tout, dans cette urgence que tant décrient, j'ai reçu d'excellents soins à plus d'une occasion…













mardi 23 août 2016

Hijab à la GRC, burkini à la plage…. Quelles valeurs défend-on?


Alors que se poursuit le bruyant débat au sujet du burkini à la plage, voilà que risque de s'amorcer une autre cacophonie sur le port du hijab par des policières de la Gendarmerie royale du Canada, désormais autorisé par le gouvernement fédéral. Et l'on fera tout, comme d'habitude, pour taxer de xénophobes et racistes les Québécois francophones qui persistent à ne pas s'aligner avec enthousiasme sur les dérives multiculturelles-inclusives…

Le problème c'est qu'une fois pour toutes, le Québec doit se donner un gouvernement qui établira une hiérarchie des valeurs à défendre coûte que coûte. Le Canada anglais en est incapable. De fait, il s'y refuse, au nom d'une vague liberté tous azimuts qui finit par favoriser l'expression d'intégrismes intolérants, issus de mouvances qui n'hésiteraient pas, fussent-elles au pouvoir, à charcuter sans pitié cette «vague liberté tous azimuts». 

La volonté citoyenne doit édicter des valeurs fondamentales - celles qui guideront nos décisions quand d'autres droits et libertés seront en cause. Au sommet de cette pyramide des valeurs doit trôner l'égalité de tous les humains, hommes et femmes, de toutes races. Cette égalité est la valeur maîtresse de la démocratie, fondée sur l'autorité suprême de citoyens porteurs de droits égaux. Cette égalité est aussi la valeur qui interdit toute discrimination ayant pour effet d'inférioriser l'un ou l'autre sexe.

L'égalité en droit de tous les citoyens supprime de facto la monarchie, fondée sur une classe aristocratique de statut supérieur ayant à sa tête un homme ou une femme couronnée. L'égalité est nécessairement une valeur républicaine. Elle impose aussi à l'État une neutralité et une laïcité qui le rend accessible et ouvert à tous les citoyens, peu importe leurs croyances ou incroyances. Et elle favorise dans l'ensemble de la société des comportements respectueux de cette égalité.

La quête de l'égalité est l'une des causes humaines les plus nobles depuis l'antiquité et reste hors de portée dans plusieurs régions du monde, même aujourd'hui. Entre les injustices économiques, la soif du pouvoir et les intégrismes, religieux et autres, le chemin s'annonce ardu. Mais ici, au Québec, il existe un consensus en faveur de cette égalité, du moins en droit. Depuis l'ancien régime français et sous l'occupation coloniale britannique et anglo-canadienne, la société québécoise francophone a toujours favorisé l'entraide et la solidarité, pierres d'assise de l'égalité.

Sous l'étendard de l'égalité, nous saurions quoi faire devant des manifestations comme le burkini et le hijab… Le port de ces vêtements d'origine religieuse serait jugé en fonction de la valeur dominante et s'il l'on devait juger qu'il infériorise ou asservit la femme (ce qui à mon avis va de soi), minant son égalité, il serait condamné. Ainsi, il n'aurait jamais été question de permettre à une policière, chargée de faire respecter les lois et la valeur de l'égalité, de porter un signe attaquant cette égalité.

Advenant qu'on n'ait pas eu de jugement définitif sur la question de l'égalité des sexes, le hijab aurait été interdit de toute façon comme atteinte à la laïcité de l'État, elle aussi une composante déterminante de la structure juridique égalitaire garantie par les textes constitutionnels du pays.

Évidemment, la question n'est pas la même pour le port de ces vêtements dans la vie privée, où le statut de l'État n'est pas en cause. Tant le burkini que le hijab entrent en contradiction avec la valeur de l'égalité de la femme, et doivent être publiquement condamnés, mais la liberté individuelle d'expression doit malgré tout primer à moins de pouvoir démontrer avec preuve qu'il existe une contrainte contraire à la loi. Cela n'empêche pas toutefois l'État de favoriser une éducation publique à la valeur de l'égalité, afin de décourager les comportements et tenues privés qui y portent atteinte.

La Charte présentée par Bernard Drainville en 2013 aurait constitué un grand pas en avant vers cette égalité, mais elle n'a pas survécu au puissant tir groupé médiatique et politique en provenance du côté sombre…





Langue gardienne de la foi, ou l'inverse?


Après avoir terminé la lecture d'un livre où l'auteur, un octogénaire franco-ontarien, Elmer Smith, ancien juge de la Cour suprême de l'Ontario, se déclare homme de gauche (vraiment à gauche!) et sympathisant de la cause indépendantiste au Québec, on se demande comment diable un éminent juriste issu de milieux fort traditionnels, conservateurs même, a pu devenir en vieillissant critique acharné du néolibéralisme et s'intéresser aux René Lévesque, Hubert Aquin et Pierre Vallières…

Cette transformation semble avoir été, du moins en partie, le fruit d'une lent bouillonnement contre les excès de l'Église catholique et d'une vie entière d'interrogation sur sa foi en un Dieu quelconque. C'est d'ailleurs le sujet principal de son essai intitulé Un Franco-Ontarien parmi tant d'autres*. Ce titre, soit dit en passant, me semble l'élément le plus discordant d'un livre autrement fascinant. Elmer Smith n'est certainement pas un Franco-Ontarien parmi tant d'autres…

Et pourtant, sa réflexion personnelle sur Dieu et l'infini, quoique pertinente et certainement profonde, m'apparaît moins intéressante que sa fine observation de l'évolution de la collectivité franco-ontarienne, indissociable de sa quête spirituelle. Cette qualité d'un bon juriste, de pouvoir assembler les preuves et d'en tirer un verdict, l'a fort bien servi dans son regard sociopolitique sur les communautés de langue française éparpillées aux quatre coins de l'Ontario.

Dans ses pages de conclusion, Elmer Smith écrit: «Le Franco-Ontarien au fond se définissait par ce qu'il n'était pas: ni québécois ni anglo-ontarien. Tous les Franco-Ontariens étaient membres de ma famille, même les plus hautement acculturés. L'anglicisation n'est pas une tare, mais l'effet d'une société en mutation. Une guerre à finir que le minoritaire ne pouvait pas remporter.»

S'il n'était ni Québécois ni Anglo-Ontarien, le francophone d'Ottawa, Timmins, Sudbury ou Welland était presque invariablement catholique, cependant…

Et c'est ce lien historique entre catholicisme et langue française (langue gardienne de la foi, ou est-ce l'inverse?) que le cheminement d'Elmer Smith contribue à éclairer. La Révolution tranquille au Québec s'était accompagnée d'une laïcisation ultra rapide et quelques décennies plus tard, d'un commun accord, les Québécois ont largué les écoles confessionnelles, tant catholiques que protestantes. Mais même aujourd'hui, en 2016, les écoles franco-catholiques continuent d'exister en Ontario et aucun mouvement ne semble se dessiner en faveur de leur abolition au profit des seules écoles publiques sans confession.

La dynamique langue française-religion catholique est différente dans les provinces où les francophones sont minoritaires. Alors qu'au Québec, la majorité de langue française a la capacité de contrôler l'État et les institutions publiques, les Franco-Ontariens se sont historiquement retrouvés chez eux seulement à l'école et à l'église. Il en serait issu un catholicisme typiquement franco-ontarien qui, pour motifs culturels, a résisté beaucoup plus longtemps aux pressions de laïcisation.

Rappelant des souvenirs d'enfance, Elmer Smith observe: « Si les (Irlandais catholiques) étaient sauvés comme nous, c'était parce qu'ils étaient catholiques comme nous. Mais ils frôlaient l'hérésie parce qu'ils parlaient anglais, langue des protestants, et ils avaient un drôle d'accent quand ils récitaient les prières en latin». Ainsi, dans son coin du Nord ontarien, «nous parlions français tout le temps grâce à l'Église et à la petite école». Certainement pas à l'hôtel de ville, ni au gouvernement, ni à l'usine, où «la présence gênante» des anglophones était dominante.

J'avais déjà effleuré une thématique semblable en 2011 dans un de mes premiers textes de blogue, portant sur mon église paroissiale, St-François d'Assise, à Ottawa (voir bit.ly/157I6zy). J'écrivais alors: «Quand j'étais petit, dans les années 1950, on nous disait que la langue française était gardienne de la foi catholique. En rétrospective, je crois qu'il serait plus juste de dire que la religion, et notamment l'église paroissiale, était la gardienne de la langue française. Du moins chez nous. Sans doute ailleurs aussi. Notre petite Loi 101 bien à nous, en quelque sorte.»

Au fil des décennies, les églises de l'Ontario français se sont vidées elles aussi. Des paroisses canadiennes-françaises sont disparues. Et peu à peu, on en apprend davantage sur le véritable rôle des hautes autorités catholiques, jusqu'au Vatican, qui n'étaient pas vraiment les alliés de la minorité franco-ontarienne opprimée comme on aimait le croire… Mais une forme de catholicisme franco-ontarien semble avoir survécu à l'usure des moeurs et à l'anglicisation accélérée… Il y aurait certainement là un terreau fertile pour de nouveaux chapitres sur l'Ontario français…

Entre-temps, le livre d'Elmer Smith constitue un point de départ des plus opportuns…

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* Elmer Smith, Un Franco-Ontarien parmi tant d'autres, Les Éditions L'Interligne, Ottawa, 2014.


jeudi 18 août 2016

En marche, vers l'indépendance !

Voici un peu comme j'aime me l'imaginer le discours du chef du Parti québécois, en octobre 2018, advenant une victoire majoritaire contre les libéraux après une campagne électorale axée sur le thème de l'indépendance. Il n'y serait pas question de référendum!!!
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«Le 22 juin 1990, à l'Assemblée nationale, après le rejet de l'Accord du Lac Meech, le premier ministre de l'époque, Robert Bourassa, déclarait ce qui suit à l'Assemblée nationale: «M. le président, le Canada anglais doit comprendre d'une façon très claire que, quoi qu'on dise et quoi qu'on fasse, le Québec est, aujourd'hui et pour toujours, une société distincte - on dirait maintenant une nation distincte - libre et capable d'assumer son destin et son développement».

«Ce soir, les citoyens et citoyennes du Québec ont, pour les quatre prochaines années, confié au Parti québécois la gouvernance de ce Québec «libre et capable d'assumer son destin». Je peux vous assurer immédiatement que le gouvernement national que nous formerons d'ici quelques jours fera tout pour honorer ce mandat, pour donner aux Québécoises et aux Québécois - dans la transparence et l'intégrité - un État conforme aux aspirations légitimes de liberté de son peuple.

«Nous occuperons d'abord sans compromis l'ensemble des champs de compétence accordés au Québec par la présente constitution canadienne, tout en exerçant les pressions nécessaires pour accroître la portée de ces compétences et éliminer les dédoublements coûteux, en poursuivant l'objectif d'un d'État souverain. Bien sûr, tout nouvel accord global avec nos voisins canadiens devra, une fois conclu, être soumis à l'approbation finale des citoyens et citoyennes.

«Nous exigerons dès le départ un respect scrupuleux du principe fédéral, présentement miné par un pouvoir unilatéral de dépenser qui permet à Ottawa des intrusions presque sans limites dans les champs de compétence du Québec, et par un arbitre des différends fédéral-provinciaux (la Cour suprême) dont les membres sont nommés par le seul premier ministre du gouvernement central de la fédération. Nous dénonçons cette situation et signifions notre refus immédiat d'en reconnaître la légitimité.

«Voici donc une série de mesures que notre gouvernement entreprendra sans délai pour affirmer le caractère distinct du Québec dans la fédération canadienne. Ces changements visent à proclamer le caractère français de la nation et notre adhésion à des valeurs de type républicain, y compris la laïcité de l'État. Ces modifications seront inscrites dans une nouvelle constitution de l'État du Québec que nous souhaitons adopter avant l'élection générale de 2022.

«En 1968, l'ancien premier ministre Daniel Johnson avait proposé de transformer le Québec en république. Rien n'interdit une telle transformation dans le cadre de la fédération canadienne. Cela signifiera, pour nous, le rejet officiel d'une monarchie dont l'immense majorité ne veut plus. Nous remplacerons la volonté du monarque par l'autorité suprême des citoyens et citoyennes. Dans un premier temps, cette mesure ne touchera pas les institutions parlementaires. Nous étudierons aussi la possibilité d'adopter un hymne national du Québec.

«En plus de consacrer le caractère français et laïc de l'État, une constitution québécoise de type républicain placera au sommet de la pyramide des droits individuels et collectifs une rigoureuse proclamation de l'égalité de tous les humains, hommes et femmes. Les droits et libertés devront s'exercer dans le plus strict respect de cette égalité, qui deviendra ainsi une valeur fondamentale de la nation, un phare qui éclairera l'exercice de notre citoyenneté.

«L'une des premières actions de ce gouvernement sera de redonner à la Loi 101 toute sa force, sans pour autant porter atteinte aux droits historiques de la collectivité anglo-québécoise. Nous avons l'intention d'assurer au français un véritable statut de langue commune y compris au travail, et ce, jusque dans les petites entreprises. Cette fois, toute objection fondamentale d'une Cour suprême fédérale sera contrée par des nonobstant systématiques. Nous interviendrons également pour intensifier l'apprentissage d'un français de qualité dans nos écoles élémentaires et secondaires et, ce faisant, espérons réduire substantiellement le taux actuel d'analphabétisme fonctionnel.

«Nous ne sommes pas insensibles au besoin d'apprendre plus d'une langue - l'anglais notamment, dans le contexte nord-américain, mais aussi d'autres langues parlées par des milliards d'humains de la planète. Ce perfectionnement linguistique se fera cependant sans mettre en péril la pérennité de la langue française, dont nous sommes les gardiens en Amérique. Ainsi, le programme d'apprentissage intensif de l'anglais en sixième année est gelé, et sera graduellement retiré dans sa forme actuelle.

«Le gouvernement québécois intensifiera par ailleurs ses rapports avec tous les rameaux de la francophonie mondiale, à commencer par les minorités canadiennes-françaises et acadiennes des autres provinces. Nous viserons à accroître notre présence au sein de la Francophonie mondiale, ainsi qu'avec la France, l'ancienne mère-patrie, et d'autres pays entièrement ou partiellement de langue française. Nous assumerons la responsabilité de l'ensemble de nos rapports internationaux en matière de culture, et refusons désormais à la nation anglo-canadienne majoritaire le droit de dicter notre conduite internationale en cette matière par le truchement d'une fédération qu'elle contrôle.

«Nous avons l'intention d'affirmer la présence mondiale de la nation québécoise à toutes les instances où cela nous apparaît possible. Ainsi, nous soumettrons officiellement une demande d'admission du Québec à l'ONU en tant que nation fédérée, statut qui a déjà été accordé par le passé à deux États membres de l'ancienne fédération soviétique. Nous procéderons aussi à la formation d'équipes nationales québécoises dans plusieurs sports, le hockey entre autres, et favoriserons leur participation à des compétitions internationales, y compris aux Jeux Olympiques. De nombreux États non indépendants sont déjà ainsi reconnus.

Nous avons le droit - le devoir même - de nous comporter en tout temps comme gouvernement d'une nation souveraine, possédant un droit complet (déjà reconnu) à l'autodétermination, dans le respect de la  légalité constitutionnelle actuelle. La dynamique mise en marche par ces premières actions de notre gouvernement aura pour conséquence d'ouvrir ou de fermer des portes à la nation québécoise, et servira à éclairer la marche à suivre.

«Simplement donc, à compter d'aujourd'hui, notre gouvernement fera tout son possible pour renforcer le Québec dans le cadre constitutionnel canadien, et tout son possible pour modifier ce cadre constitutionnel, jusqu'à l'indépendance. Nos actions seront légales, légitimes, démocratiques et pacifiques. Nous poursuivrons notre démarche jusqu'à la conclusion d'un accord satisfaisant avec le Canada anglais, ou jusqu'à ce que le peuple québécois nous ordonne d'arrêter.

«En marche, vers l'indépendance!»


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Avez-vous vu une fois, là-dedans, une référence à une quelconque échéance référendaire? Non? Moi non plus. Il est grand temps de cesser d'en parler et d'agir!



mercredi 17 août 2016

Coups de coeur à l'Île d'Orléans...

Mon épouse, Ginette Lemery, et moi avons décidé de passer trois jours de vacances à l'Île d'Orléans. Comme ça. Sans préavis. Sans planification. Coups de fil à la dernière minute pour repérer un bon gîte et petit déjeuner… La chance nous a souri… chambre disponible, les 9, 10 et 11 août, à «La belle histoire», une maison de l'époque des Patriotes (1838), située à Saint-Laurent de l'Île d'Orléans… Trois journées merveilleuses nous attendaient… En voici quelques fragments… (3e de 3)

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L'église de Saint-Jean, à la sortie de la route du Mitan

Mon quartier résidentiel de Gatineau (appelé Bellevue) compte environ 6000 habitants, et si l'on me demandait quel pourrait être son principal attrait, j'aurais de la difficulté à répondre. Peut-être le petit parc forestier à quelques pas de chez nous… mais c'est à peu près tout. Si je le mentionne, c'est pour établir une échelle (très imparfaite j'en conviens) de comparaison avec l'île d'Orléans, où ma liste de coups de coeur n'en finit plus. Là, les six municipalités ne regroupent, au total, que 6700 âmes...

Bien sûr la superficie n'est pas la même. L'île de Félix s'étale d'est en ouest sur 268 kilomètres carrés, soit environ 70% de la surface entière de la ville de Gatineau (380 km carrés), où vivent par ailleurs près de 275 000 personnes. Quoiqu'il en soit, en trois jours à peine, quelques milliers d'Orléanais nous en ont mis plein la vue sur les quelque 70 km insulaires de la route 368, dont les panneaux indiquent toujours l'«Est» même si nous roulons aussi en directions nord, sud et ouest sur son parcours oblong…

En traversant les six villages historiques de l'île, chacun arborant un magnifique clocher, mon épouse et moi sommes passés d'un coup de coeur à l'autre, entre les produits artisanaux, les vignobles, les chocolateries, les bonnes tables, une fromagerie, une forge, des cidreries, des kiosques de fraises et bleuets locaux, sans oublier l'Espace Félix-Leclerc et toutes ces maisons canadiennes d'une autre époque, solides, bien conservées. Et que dire des paysages, surtout des vues sur le fleuve…


Le gîte «La belle histoire»

Nous y avons découvert bien malgré nous une «filière française», en commençant par le joli gîte La belle histoire dans le village de Saint-Laurent. Isabelle, la jeune propriétaire, a quitté la région de Bordeaux il y a quelques années pour reprendre racine à l'île d'Orléans, comme nos ancêtres d'il y a plus de 300 ans. Assise en soirée sur le grand perron de sa maison de 1838, elle emprunte le doux accent méridional de la France pour skyper avec sa mère mais maîtrise déjà nos expressions, nous avertissant que la porte d'entrée pourrait être barrée (et non verrouillée) en journée…

L'expérience d'un bon gîte avec chambres confortables et cuisine savoureuse devient vite un coup de coeur quand, de plus, le petit déjeuner s'étire en conservations agréables avec les occupants des autres chambres. Entre le couple montréalais venu se balader en vélo dans l'île (ce qui n'est pas de tout repos sur l'étroite 368), celui de Saint-Lin des Laurentides (localité que nous avons traversée sur la 158 en y allant) et les derniers arrivés, de Sherbrooke, les échanges animés auraient pu se poursuivre toute la journée…



À quelques kilomètres de là, sur le chemin Royal (la 368) apparaît l'invitante affiche de La Forge à Pique-Assaut (prononcer Picasso…), où un vieux forgeron de 80 ans, venu de France lui aussi pour s'installer à l'île d'Orléans au début des années 1970, pratique toujours son art… pour le plus grand plaisir des nombreux amateurs d'oeuvres forgées. Quand nous sommes passés, il prenait congé pour aller à la pêche, mais fait encore des démonstrations à la forge pour les visiteurs. Un incontournable!



À Saint-Pierre, près de l'Espace Félix-Leclerc, la famille Monna est devenue une célébrité avec sa crème de cassis, médaillée partout (et notamment à Londres et Los Angeles, ces dernières semaines!). Fondée par Bernard Monna, qui a quitté le sud de la France pour l'île d'Orléans, l'entreprise Cassis Monna & Filles (http://www.cassismonna.com/fr/) est désormais dirigée par ses filles Anne et Catherine, qui en ont fait une grande attraction touristique à Saint-Pierre! Entre la cave à vins, le bar à dégustation, la crèmerie, le restaurant et l'accueil chaleureux, les espaces de stationnement se font rares et la place est bondée en belle saison!



Mais ce que la patrie de Félix offre aux visiteurs dépasse largement les adresses ci-haut mentionnées. Au-delà des six églises patrimoniales et d'une quantité impressionnante de gîtes et d'auberges, le Tour de l'île est émaillé de bonnes tables que nous avons eu la joie d'échantillonner pendant notre séjour. Nos soirées aux restaurants Aux ancêtres, Vieux Presbytère et La Goéliche auront été un véritable hommage à notre cuisine du terroir.



Les amateurs de délices locaux sont partout bien servis - vignobles (notamment Isle de Bacchus), fromagerie artisanale, au moins deux chocolateries (diètes s'abstenir!), sans oublier les comptoirs de fraises et de bleuets en bordure de la route. Les fraises de l'île d'Orléans sont connues partout… mais elles sont encore plus savoureuses quand on les mange dans l'île… Et je n'ai même pas abordé l'offre des artistes et artisans, plus qu'appréciable…

Tout ça dans six villages avec une population de moins de 7000 âmes? Quand on y pense...

lundi 15 août 2016

Félix dans son île… et en nous!

Mon épouse, Ginette Lemery, et moi avons décidé de passer trois jours de vacances à l'Île d'Orléans. Comme ça. Sans préavis. Sans planification. Coups de fil à la dernière minute pour repérer un bon gîte et petit déjeuner… La chance nous a souri… chambre disponible, les 9, 10 et 11 août, à «La belle histoire», une maison de l'époque des Patriotes (1838), située à Saint-Laurent de l'Île d'Orléans… Trois journées merveilleuses nous attendaient… En voici quelques fragments… (2e de 3)

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La reproduction métallique de Félix, en bordure de la route 368

Quand le sujet tient trop à coeur, ma plume s'assèche. L'émotion tasse les mots. Après 45 ans de journalisme, j'accouche d'un reportage, d'une analyse, d'un éditorial en un tournemain, mais peine à rédiger une note d'amitié ou d'amour à un proche. Alors, évoquer ma quête de Félix Leclerc à l'Île d'Orléans, ces derniers jours, c'est difficile. J'y pense, j'écris quelques mots, une phrase, que j'efface aussitôt….

Puis j'écoute Le tour de l'Île (bit.ly/2aSgFza), en quête d'inspiration… et reste plume bée…

Félix Leclerc est un géant. Le savait-il? Pas sûr… Félix, au fond, c'est nous, c'est le Québec français tout entier. Le vieux Québec de l'innocence, le Québec rudement éveillé, le Québec enfin engagé, s'efforçant tant bien que mal de prendre sa place au concert des nations. Félix a vu toutes ces époques, les a chantées, les a dites. Mieux que les autres. En notre nom. Avec ses mots. Sa voix. Sa guitare. Et il est mort dans son sommeil, sans avoir terminé l'oeuvre. Comme nous aussi, un jour, peut-être…

Quand je suis arrivé à l'île d'Orléans, la semaine dernière, je m'attendais à y voir plus d'hommages à la mémoire de notre barde national: quelque monument imposant, des indications de sa maison, de sa tombe, sa photo sur des affiches, ça et là… Même chez nous en Outaouais, le grand pavillon gatinois du Cégep de l'Outaouais s'appelle Félix-Leclerc. J'ai emprunté l'autoroute Félix-Leclerc (la 40) pour aller à son île. Des centaines (des milliers?) de lieux, de rues, d'édifices, de salles, de prix portent son nom dans toutes les régions du Québec et ailleurs, jusqu'en France !


L'entrée de l'Espace Félix-Leclerc, à Saint-Pierre

Je l'avoue, j'ai été déçu. Il y a bien l'«Espace Félix-Leclerc» (bit.ly/2aUirjv), un sympathique édifice aux allures de grange transformé en musée. On peut y visionner quelques films historiques au sujet de Félix, voir une reconstitution de son bureau, et feuilleter une abondante documentation. Mais le tout ne porte pas le sceau de grandeur que l'on serait en droit d'attendre. L'État québécois aurait dû depuis longtemps faire de cet endroit un lieu national de commémoration et de célébration de l'homme et de l'oeuvre.

Sans verser dans la commercialisation à l'extrême, Québec devrait proposer plus vigoureusement au public d'ici et d'ailleurs la librairie de l'Espace Félix-Leclec, où sont présentement disponibles pour achat les livres signés par Félix, ainsi que tous ses disques, auxquels on devrait s'efforcer d'ajouter l'ensemble des oeuvres d'autres artistes et auteurs qui lui rendent hommage, ou qui ont pour thème la vie, les compositions et l'influence de Félix Leclerc. La technologie d'aujourd'hui permettrait par ailleurs d'offrir aux visiteurs une variété de films, de spectacles, de chansons de bien meilleure qualité sonore et visuelle. Félix Leclerc mérite bien ça!

En face, de l'autre côté de la route 368, sur la pente descendant vers le fleuve, une reproduction métallique plus grande que nature de Félix, assis avec sa guitare, rehausse le décor mais celui ou celle qui passera un peu vite en voiture à cet endroit ne remarquera pas le panneau «Espace Félix-Leclerc», fort discret, et ne fera pas demi-tour pour tenter de connaître l'identité du musicien assis dans le champ.


Des pièces de monnaie recouvrent la pierre tombale...

Reste la tombe de Félix, d'une simplicité extrême, au cimetière du village de Saint-Pierre de l'île d'Orléans, à quelques kilomètres de là. Encore une fois, aucune indication à l'entrée du cimetière… Mais des gens persistent à la chercher et à la trouver. On y laisse apparemment des souliers de temps à autre… Quand j'y suis allé, il y avait à la base de la pierre tombale des fleurs séchées et sur le dessus, une abondance de pièces de monnaie laissées par les «pèlerins»…

Que le gouvernement actuel de Philippe Couillard, occupé qu'il est à brouiller les manuels d'histoire, à détruire ce qui reste de notre identité et à nous angliciser, laisse croupir la mémoire de notre plus illustre chansonnier ne surprendra personne. «On a un pays, le Québec, planté dans le coeur à jamais», déclare Félix dans un des films présentés à la grange. Ce genre de propos ne plaira guère à nos ténors multiculturels, toujours prêts à nous trahir pour bien moins que 30 deniers…

Mais le peuple chante encore et lit toujours Félix. Moi mes souliers, autant que L'Alouette en colère. À la Forge du Pique-Assaut, à Saint-Laurent de l'île d'Orléans, le forgeron Guy Bel affiche fièrement dans sa boutique une photo de lui et Félix Leclerc, remontant aux années 1970. Il n'est sûrement pas le seul. Quand les Jean Charest et Philippe Couillard ne seront plus que des notes en bas de page dans les textes historiques, la mémoire de Félix continuera de briller !

Il serait grand temps que le public fasse campagne pour offrir à Félix la visibilité qu'il mérite sur cette île d'Orléans qu'il avait fait sienne depuis 1970 et qui lui sera toujours associée!


Une des affiches à l'Espace Félix-Leclerc


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…à suivre

samedi 13 août 2016

Les églises de l'île d'Orléans...

Mon épouse, Ginette Lemery, et moi avons décidé de passer trois jours de vacances à l'Île d'Orléans. Comme ça. Sans préavis. Sans planification. Coups de fil à la dernière minute pour repérer un bon gîte et petit déjeuner… La chance nous a souri… chambre disponible, les 9, 10 et 11 août, à «La belle histoire», une maison de l'époque des Patriotes (1838), située à Saint-Laurent de l'Île d'Orléans… Trois journées merveilleuses nous attendaient… En voici quelques fragments. (1er de 3)

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L'église de Sainte-Famille (1749)

Le catholicisme que mes grands-parents ont vécu, comme celui de mon père et ma mère, et celui de ma génération qui a vu la fin de cette époque dans les années 50, était empreint de sévérité. Identifier et nommer les innombrables péchés m'en apparaissait l'activité principale. On nous expédiait en enfer pour tout et pour rien. Trop de prêtres et religieux rôdaient comme préfets de discipline. C'était insupportable et en une génération, les églises se sont vidées...

J'ai la profonde conviction que ce catholicisme n'était pas celui des vieilles générations qui ont bâti et longtemps entretenu les magnifiques églises des six paroisses de l'Île d'Orléans, dont trois ou quatre remontent au régime français. Ces constructions, on le voit, on le ressent, incarnent les élans de solidarité et d'amour d'un peuple jadis soudé à des pasteurs en qui il se reconnaissait, et qui le soutenaient en retour. Elles respirent l'entraide, le bonheur, l'ensoleillement… pas le joug.

En remontant l'allée centrale de l'église vide de Sainte-Famille, érigée en 1749, le plancher de bois craquait sous mes pieds et je n'avais aucune peine à imaginer les bruits de ces hommes, femmes et enfants qui avaient forgé ici une oeuvre fidèle à leur langue, leur culture et leurs traditions, confrontés qu'ils étaient - après 1760 - à des autorités militaires et à une nouvelle aristocratie anglo-protestantes. Du clocher dominant chaque village jaillissaient les aspirations d'un peuple égalitaire, aspirant à la liberté - tant celle de la conscience que celle de la cité.


La chapelle Saint-Pierre (1717): simplicité, enseoleillement

Chacune des églises de l'île - Saint-Pierre (1717), Sainte-Famille (1749), Saint-François, Saint-Jean, Saint-Laurent et Sainte-Pétronille - constitue un joyau patrimonial à protéger sans réserve. Que la ferveur religieuse soit aujourd'hui disparue (du moins chez nous) ne diminue en rien la valeur des bâtiments réalisés par d'anciennes générations dont la foi, faute de transporter les montagnes, nous a laissé ces croix qui annoncent «voici ce que nous étions!» aux visiteurs qui les aperçoivent de loin. 

Il est plutôt difficile de retracer des observations extérieures et relativement impartiales de la vie religieuse d'ici avant la seconde moitié du 19e siècle, de cette animation qui a sans doute marqué les  paroisses de l'île, ainsi que les autres milieux francophones du bassin du Saint-Laurent. J'ai cependant découvert dans les correspondances d'Alexis de Tocqueville, célèbre philosophe et sociologue français, des commentaires sur la vie religieuse au Bas-Canada du début des années 1830… Ils sont instructifs.

«Le dimanche, écrit-il à l'automne 1831, on joue, on danse après les offices. Le curé lui-même prend part à la joie tant qu'elle ne dégénère pas en licence. Il est l'oracle du lieu, l'ami, le conseil de la population. Loin d'être accusé ici d'être le partisan du pouvoir, les Anglais le traitent de démagogue. Le fait est qu'il est le premier à résister à l'oppression, et le peuple voit en lui son plus constant appui. Ainsi les Canadiens (français) sont-ils religieux par principe et par passion politique.»

Il rapporte aussi une conversation avec un des leaders patriotes, Robert Nelson, protestant soit dit en passant, qui lui dit: «Le clergé ne forme ici qu'un corps compact avec le peuple. Il partage ses idées, il entre dans ses intérêts politiques, il lutte avec lui contre le pouvoir. Sorti de lui, il n'existe que pour lui.» Nelson vante aussi la tolérance du peuple et de ses curés. «Protestant, j'ai été nommé dix fois par des catholiques à notre (législature) et jamais je n'ai entendu dire que le moindre préjugé de religion ait été mis en avant contre moi par qui que ce soit.»

Il louange aussi la sociabilité des Bas-Canadiens, qui les «porte à s'entraider les uns les autres dans toutes les circonstances critiques». Tocqueville n'en conclut pas que le catholicisme en soi pousse à l'égalité et à la démocratie, mais, précise-t-il, «ces catholiques-là sont pauvres» dans un pays où l'aristocratie est désormais protestante (et anglaise)…


L'église de Saint-Jean, adossée au fleuve

J'aime bien croire que cette société était celle qui nous a légué les magnifiques monuments religieux qui s'élèvent dans les campagnes québécoises et dans les régions plus francophones des autres provinces canadiennes. Cela vaut bien la peine de s'y arrêter quelques moments pour imaginer ce que fut leur époque, pour méditer ou prier selon les croyances, et - pourquoi pas? - allumer un lampion pour quelque intention, un petit feu sacré qui brillera quelques jours et rappellera votre présence en ces saints lieux.

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...à suivre.