samedi 28 avril 2012

CUTV, les casseurs et les policiers

Étant couche-tôt et lève-tôt, je n'écoute habituellement pas la télé après 22 h, et je ferme mes sources habituelles d'info sur le Net (Twitter principalement) à la même heure. Mais hier soir, compte tenu des manifestations donnant suite à l'offre du gouvernement Charest, et voulant les suivre autant que possible autrement que par les comptes rendus médiatiques du lendemain matin, j'ai fait exception et noté quelques découvertes intéressantes - probablement déjà connues de mes collègues plus nocturnes - qui méritent d'être soulignées dans l'évolution de cette crise qui prend rapidement des proportions historiques.

1. CUTV

J'ai été initié par des tweets à l'existence de CUTV, la télé des étudiants de l'université Concordia de Montréal, qui diffusait en direct sur Internet le déroulement de la manifestation dans la métropole. Passant outre au ton ouvertement favorable aux demandes étudiantes, compréhensible, il était rafraîchissant de voir ces jeunes «journalistes?» et cameramans à l'oeuvre dans des circonstances difficiles, frôlant la ligne de front, se faisant à l'occasion bousculer et arroser de poivre sans trop broncher pour donner en temps réel un goût audiovisuel de l'ambiance dans la rue, ponctué de commentaires, d'échos de la foule et d'entrevues avec des manifestants, étudiants et autres. C'était peut-être moins professionnel, mais c'était diablement plus intéressant que ce que je voyais sur mon autre écran à RDI et LCN, et totalement différent de ce que j'ai lu dans de nombreux comptes rendus ce matin (faut dire qu'avec les heures de tombée du vendredi soir, les journalistes des quotidiens avaient de sévères contraintes de temps...). L'initiative de Concordia mérite d'être notée par les étudiants des autres grandes institutions, U de M, UQAM et autres - et reprise à l'avenir. La Net-diffusion en direct a au moins deux avantages : elle offre une source d'information alternative précieuse et a, selon moi, un effet calmant sur ceux et celles qui savent que leur comportement est retransmis à des milliers d'auditeurs.

2. Les casseurs

J'ai vu hier soir, avec beaucoup de satisfaction, la foule huer et même bousculer les casseurs de vitrines et provocateurs. Sur Twitter et à l'écran, beaucoup de commentaires ont été entendus à ce sujet et il semblait même y avoir une certaine collaboration entre les manifestants et la police pour permettre à ces derniers d'opérer des interventions chirurgicales et saisir quelques dizaines de fauteurs. Les casseurs ont sûrement capté le message : ils ont contre eux la quasi-totalité des étudiants en plus des forces de l'ordre. Face au raidissement occasionnel des lignes policières qui ont bloqué les manifestants à l'occasion, ceux-ci semblent avoir réagi avec beaucoup de discipline, restant largement calmes, levant les bras, s'assoyant même à l'occasion, mais ne reculant pas. Les scènes d'hier soir devraient inciter le gouvernement à revoir à la baisse ses accusations contre la CLASSE.

3. Les policiers

Le comportement des policiers m'a impressionné autant que celui des manifestants. Mettant à profit des tactiques professionnelles et faisant un usage judicieux des médias sociaux y compris Twitter (grâce au hashtag #manifencours), ils ont communiqué à la foule une intention claire de tolérer et d'encadrer les manifestants - même après qu'ils eurent déclaré la manif illégale - à condition de pouvoir pincer les individus auteurs d'actes violents ou illégaux. Les manifestants se sont tassés à l'occasion pour permettre aux forces de l'ordre d'embarquer certains individus plus volatiles. En fin de soirée, de nombreux participants à la manifestation ont félicité les policiers. J'ai été frappé par un tweet d'un manifestant, fréquent usager de Twitter, qui venait de passer entre une double haie de policiers et qui a noté que ces derniers le regardaient en souriant... Étant moi-même pacifiste intraitable, j'ai été fortement encouragé par cette claire dénonciation de la violence au sein des manifestants, et par le professionnalisme des forces de l'ordre.

4. Les chiffres

J'ai été de nouveau frappé par les écarts majeurs dans l'évaluation du nombre de manifestants, hier soir. Les organisateurs parlaient de 10 000 ou plus. Les médias francophones disaient 3000 ce matin, la Gazette 1500... À l'oeil, ils me semblaient bien plus nombreux que 3000... J'espère qu'un jour on développera un compteur scientifique de manifestants...


Le conflit ne semble pas sur le point de se régler mais dans cette tourmente, des signes d'espoir surgissent. La jeune génération - du moins en partie - semble sortir de sa torpeur.


vendredi 27 avril 2012

Lettre aux étudiants


Lettre aux étudiants

Je vous écris parce que je vous crois la partie la plus responsable et la plus crédible dans le débat qui secoue actuellement le milieu collégial et universitaire québécois.

Dans une démocratie parlementaire qui fonde sa légitimité sur la primauté du droit, l’État a la responsabilité d’assurer le respect des lois et, pour ce faire, peut utiliser les forces de l’ordre et les tribunaux pour réprimer des citoyens qui ont recours à des moyens violents pour atteindre leurs buts. Ce principe est inflexible et, sauf en cas de légitime défense pour protéger la vie, l’intégrité physique ou les biens, la violence doit être condamnée sans ménagement.

L’histoire et l’actualité ont malheureusement démontré que les États, par leurs dirigeants, leurs corps policiers et leurs forces armées, ont abusé à l’occasion de ces pouvoirs, et que des individus ou des groupes ont effectivement joué la carte de la violence pour faire valoir des points de vue ou des idéologies. Quand les premiers se conjuguent aux seconds, il en résulte parfois des crises de société qui laissent des blessures profondes. En sommes-nous là avec l’escalade des affrontements entre le gouvernement du Québec et les groupes d’étudiants universitaires et collégiaux en grève? Il faut le craindre.

Entre l’attitude irresponsable du gouvernement Charest, qui favorise de toute évidence des tactiques visant à diviser les étudiants et à les discréditer auprès de l’ensemble de l’électorat, d’une part, et l’incompétence naïve des jeunes stratèges de vos fédérations et de votre partenaire plus volatile, la CLASSE, celui-là débordé par des groupuscules violents, il n’y a guère de lueur à l’horizon. La rupture des pourparlers a, pour le moment, laissé le champ libre aux casseurs et aux matraques.

Il faudra agir vite pour éviter le pire et, à ce stade, la solution ne paraît pas devoir émaner du gouvernement, qui s’est placé en position de ne plus pouvoir reculer sur l’essentiel sans perdre la face. La balle est nettement dans votre camp et celui de vos alliés au sein des corps professoraux, des syndicats et de la société tout entière. Le défi est grand mais vous devrez, pour négocier un compromis sans doute indigeste, trouver le moyen d'évincer la minuscule fraction d’agitateurs violents et conquérir l’opinion publique en vue d’une action politique concertée au prochain scrutin québécois, qui ne saurait guère tarder.

Vous  avez des alliés syndicaux avec une longue expérience des services d’ordre pour assurer des manifestations pacifiques. Mettez-les à profit. Faites votre possible pour interdire la présence de manifestants masqués, déjà en soi suspects. Que celui ou celle qui appréhende un geste violent durant une manifestation ait le courage de l’empêcher ou de le dénoncer. Et que tous vos dirigeants – y compris ceux de la CLASSE – aient la maturité de condamner avec autant de vigueur tous les actes de violence, ceux des leurs comme ceux des forces de l’ordre. Seule l’action pacifique permettra de vaincre à plus long terme. Les violents sont toujours perdants.

Des dizaines de milliers d’entre vous avez accepté de mettre en péril une précieuse session d’études pour dénoncer une hausse des droits de scolarité que vous jugez abusive. Vous avez atteint un degré de mobilisation inespéré et obtenu l’appui d’un grand nombre de professeurs, de parents, de syndicalistes. Vous avez imposé à l’ensemble de la société une remise en question des valeurs en éducation. Faudrait-il tout risquer en donnant libre cours à une poignée d’agitateurs violents (qui sont-ils réellement?) et à la réplique très, voire trop musclée des policiers et des tribunaux qui en résultera? Le gouvernement n’attend que ça!

On peut comprendre l’exaspération actuelle de bon nombre d’étudiants. Vous venez de découvrir les méandres des négociations avec le pouvoir, où tout est gris et dissimulé. Vous faites un apprentissage accéléré de l’action politique dans un climat de crise. Vous êtes nombreux, désorganisés, éparpillés, unis par vos seules revendications. Mais vous façonnez le Québec de demain, et vous devez le faire en citoyens responsables.

Pierre Allard
Éditorialiste, LeDroit