jeudi 31 décembre 2015

Le jour noir de La Presse


Ce 31 décembre 2015 restera un jour noir dans l'histoire de la presse de langue française en Amérique du Nord. Un jour noir pour l'information. Un jour noir pour les métiers de l'information comme pour ceux et celles qui les exercent.

Quelle que soit notre perception de La Presse, qu'on l'exècre ou qu'on la chérisse, et j'inclus toute la gamme des émotions et opinions entre les deux, la disparition en semaine de la version papier du grand quotidien montréalais constitue une tragédie qui en augure d'autres, pire encore, à moins de secouer la torpeur qui anesthésie présentement la profession journalistique... qui anesthésie l'ensemble de la société…

Dans les premières pages de cette ultime parution imprimée hors-samedi, deux des chroniqueurs vedettes du quotidien de la rue St-Jacques, Yves Boisvert et Nathalie Petrowski, versent dans la nostalgie sur un ton somme toute rassurant. Quelques larmes en rappelant les vieilles presses, l'atelier de composition, la salle des nouvelles bruyante et enfumée, les odeurs de l'encre et du papier. Des propos encourageants, avec une quasi-apparence d'enthousiasme, sur le destin numérique du journal… «Dématérialisés, mais pas disparus», clame le titre en page A3. 

Ceux et celles qui ont eu la garde d'enfants connaissent la phase des «pourquoi» interminables… «Pourquoi je peux pas avoir de bonbons»? Parce que je ne veux pas. «Pourquoi tu veux pas?» Parce que c'est pas bon pour la santé. «Pourquoi c'est pas bon pour la santé?» Parce que ça peut gâter tes dents. «Pourquoi ça peut gâter les dents?». Enfin ça ne finit pas… c'est irritant au possible… mais à force de questions, il faut aller au fond des choses et trouver les vraies réponses, à moins de réduire l'enfant au silence à coups d'autorité.

Aujourd'hui sous la férule de puissants empires médiatiques, à l'aube d'une ère technologique qui risque d'accélérer des concentrations déjà excessives, les artisans de l'information semblent avancer comme un troupeau bien trop docile, quelques-uns des plus anciens ressassant le bon vieux temps, la masse des plus jeunes galopant sans retenue vers le précipice. Et nulle part, dans cette cohue dont le seul véritable objectif (celui des empires) est d'augmenter les marges de profit ou la rentabilité, n'entend-on ces petits et grands «pourquoi» si essentiels à tout carrefour d'époques.

J'ai signé pendant douze ans, de 2002 à 2014, des éditoriaux souvent à la marge, dans un des quotidiens de l'empire Power/Gesca, Le Droit (Gatineau-Ottawa). J'avais été recruté par un rédacteur en chef, Michel Gauthier, avec qui je n'ai pas souvent été d'accord, mais qui croyait comme moi au choc des idées et à la diversité d'opinions - même dans sa propre page éditoriale. Aussi, en 2014, quand les frères Desmarais ont annoncé la disparition des versions imprimées de leurs journaux, y compris le mien, j'ai cru nécessaire de poser publiquement des questions que je juge toujours pertinentes. Quelques «pourquoi» de fond, en misant sur la capacité d'autocritique au sein de l'empire. Erreur… et mon patron n'était plus Michel Gauthier...

Puis Gesca a cédé six quotidiens, dont Le Droit, à Capitales Médias et Martin Cauchon, qui a promis de maintenir les éditions imprimées. Un répit. Soupirs de soulagement, mais pas plus de questions et de pourquoi… L'ensemble des journalistes d'ici et leurs organisations (professionnelles et syndicales) semblent toujours estimer que l'ère papier s'achève et que l'avenir des quotidiens finira par se poursuivre essentiellement sur des tablettes, des téléphones et des ordis… Et tout cela s'appuie sur de soi-disant expertises (commandées par qui, pour quoi?) où, avec force détails, on démontre la validité de tel ou tel modèle d'affaires et l'évolution du comportement des auditoires et lectorats…

Pour satisfaire leurs appétits voraces de profits, les empires ont réussi à imposer leurs vues au fil des décennies, les transformant en «évidences» que l'opinion publique gobe sans trop rouspéter… Trop de choses sont  devenues «évidentes» pour trop de gens, y compris pour trop de journalistes. Les journaux imprimés ont-ils perdu des lecteurs parce que les jeunes générations (et même les plus vieilles) préfèrent les tablettes et les téléphones intelligents comme support d'information, ou parce que depuis des décennies, les propriétaires charcutent les salles des nouvelles et coupent dans la qualité de leur produit?

Pourquoi la plupart des médias ont-ils coupé des emplois? Pourquoi ont-ils réduit les formats et l'espace de rédaction? Pourquoi les gens lisent-ils? Pourquoi lisent-ils moins? Pourquoi la moitié des adultes québécois sont-ils analphabètes fonctionnels? Pourquoi l'école et les parents n'apprennent-ils pas aux jeunes à aimer la lecture, les livres, les journaux? Pourquoi l'imprimé reste-t-il important? Pourquoi exerce-t-on un métier d'information? Pourquoi est-il important de bien informer les citoyens? Pourquoi n'y a-t-il pas de débat animé sur les stratégies des empires et le rôle social des journalistes dans les rédactions?

De tels «pourquoi», on pourrait en aligner sur des pages…

Je me souviens d'une soirée chaude de fin d'octobre 1971, quand les journalistes de La Presse, inquiets de la disparition possible de leur journal, avaient appelé à la solidarité et étaient descendus dans la rue. J'étais à l'époque journaliste au Droit, et avec quelques collègues, nous avions participé à une grande manifestation de 10000 personnes, durement réprimée par la police de Montréal. La salle de rédaction de 1971 aurait-elle été aussi docile que celle d'aujourd'hui?

S'il y a une chose dont je suis à peu près sûr, c'est que l'ultime motivation d'empires comme Power Corporation, Québécor et les autres restera toujours le profit. Et le jour où LaPresse+ ne donnera pas les revenus escomptés, les écrans des artisans de l'information iront rejoindre les anciennes presses à la ferraille…

Je lance donc, comme ça, dans le désert, mon opinion qui vaut ce qu'elle vaut… pas plus, pas moins. Abandonner la version imprimée des journaux, pour moi, c'est plus qu'une erreur. C'est un crime. Je conserverai précieusement cette édition du 31 décembre 2015 de La Presse.


Quelques liens:

La disparition de l'imprimé? http://bit.ly/1mDsOZV

Le silence assourdissant des salles de rédaction http://bit.ly/S9UxqL



mercredi 30 décembre 2015

Déneigement… crier dans le désert...


Ma rue de Gatineau (située dans le secteur Gatineau, celui qui s'appelait Gatineau avant que toutes les fusions depuis 1975 étendent ce nom à un territoire démesuré…) a l'air d'une zone sinistrée ce matin. Les automobilistes, à moins d'avoir un véhicule à quatre roues motrices, s'y aventurent à leurs risques et périls… Et je ne vois plus les marches du perron, enterrées sous une bordée de 40 à 50 cm de neige…

Ce n'est pas tant pour me plaindre que j'entreprends de décrire sommairement cette attaque frontale d'un hiver tardif (nous étions en manches courtes sur le gazon, le 24 décembre) mais plutôt pour constater les déficiences des systèmes de déneigement mis en place à grands frais par des experts…

Je ne sais pas combien de neige il est tombé dans mon coin… À l'aéroport international d'Ottawa, le seul endroit où Environnement Canada mesure les précipitations dans la grande région de la capitale fédérale, on indique un total de 18,8 cm de neige hier… Faites-moi rire… 18,8 cm c'est une bordée de neige un peu plus forte qu'à l'ordinaire… ce n'est pas majeur… il faut croire que l'aéroport, situé à 30 km au sud d'ici, a été quelque peu épargné…

Je veux bien accepter que les forts vents et la poudrerie aient aggravé les choses, mais à regarder nos rues et la hauteur des bancs de neige, je serais prêt à gager ma chemise que l'accumulation dans certains secteurs de Gatineau oscille entre 30 et 40 centimètres de neige…

Quoiqu'il en soit, ce n'est pas tant la quantité de neige que la qualité du service de déneigement qui me préoccupe. La neige est tombée hier entre minuit environ et le début de la soirée. Nous sommes donc le lendemain, le 30 décembre, en matinée, et je n'ai vu aucune gratte municipale aux alentours… en tout cas pas sur ma rue… Et la ville n'a pas été prise au dépourvu. On annonçait ces chutes de neige depuis des jours, avec force alertes...

Je suis abonné à un service de déneigement privé, l'état parfois périlleux de mon coeur rendant le pelletage un peu plus risqué… Or, même les pelleteurs n'ont pu se rendre chez nous parce qu'ils circulent en voitures et qu'ils restaient pris dans d'autres rues résidentielles non déblayées… Je ne suis donc pas le seul dans ma situation…

Retour au service municipal… Je téléphone ce matin, vers 6 h 30, à la ligne d'information 3-1-1 de la ville de Gatineau, et on me répond que le système est ainsi conçu qu'en cas de tempête majeure, ma rue ne sera JAMAIS déblayée pendant que la neige tombe et que cela pourra aller jusqu'à 24 heures APRÈS la fin des chutes de neige… Non mais…

Je peux comprendre le raisonnement sur lequel cette stratégie est assise… Le service des travaux publics déblaie d'abord les artères principales et les collectrices, pour ensuite s'attaquer aux avenues résidentielles. Mais si j'ai bien entendu, le message qu'on me livre, c'est qu'en cas de tempête majeure (et 19 cm ce n'est pas majeur…) notre méga-service-fusionné-des-travaux-publics-de-Gatineau suffit à peine pour nettoyer les rues principales et les collecteurs… Est-ce possible?

Hier, il a fallu une corvée de citoyens pour acheminer une ambulance et les pompiers à une situation de détresse dans une rue résidentielle obstruée par la neige… Pourtant je connais des gens, dans d'autres rues, résidentielles elles aussi, où les grattes sont passées, parfois à deux reprises… Dans ce brouhaha, les Travaux publics ont fait plus que les principales et les collecteurs… mais selon quelles priorités, en vertu de quelles directives?

J'ose espérer que l'on ne découvrira pas que la rue résidentielle d'un conseiller municipal, ou celle d'un citoyen éminent, ou celles des quartiers plus cossus, ont eu la visite des grattes en pleine tempête ou peu après… Accordons le bénéfice du doute. Il reste qu'en vertu du système actuel, je paie des taxes pour un service que je n'aurai jamais pendant une bordée de neige majeure, tandis que d'autres, qui paient les mêmes taxes que moi, pourront circuler sur des rues nettoyées dans des délais raisonnables.

Je songe sérieusement à demander des explications à mon conseiller municipal ou à la ville. Qu'on explique aux citoyens pourquoi les équipements municipaux ne suffisent pas à la tâche… Qu'on explique aussi pourquoi certaines rues résidentielles sont déblayées alors que d'autres ne le sont pas… et pourquoi on impose une taxe aussi élevée à ceux et celles qui, par définition, n'auront pas de service quand ils en auraient le plus besoin…

Mais parfois, maintenant que nous avons une méga-ville au méga-territoire, peut-on se plaindre sans avoir l'impression de crier dans le désert?


Le seul endroit déblayé… la super-boîte de Postes Canada…





mardi 22 décembre 2015

L'anglicisation expliquée noir sur blanc par Statistique Canada

Avec un titre comme Pratiques linguistiques des enfants issus de familles francophones vivant dans un environnement linguistique minoritaire, Statistique Canada ne s'attendait sûrement pas à fracasser des records de lecture… De fait, la publication Web de ce texte de 52 pages ces dernières semaines est passée presque inaperçue, sauf dans les milieux qui s'intéressent de près à la francophonie hors-Québec.

C'est dommage. Vraiment dommage. Peut-être faudrait-il à l'occasion, quand le sujet en vaut la peine, confier la rédaction de tels documents à un auteur de romans policiers ou à un bon vieux journaliste d'enquête. À quelqu'un, en tout cas, qui le proposerait dans un style plus accrocheur, et qui garderait le lecteur en suspens au-delà des cinq ou six premiers paragraphes. Parce que dans cet amas de chiffres, d'analyses et de tableaux, il y a un drame.

Les statisticiens Émilie Lavoie et René Houle ont en effet documenté tout un pan de l'écroulement identitaire du Canada français dans les provinces à majorité anglophone, et certainement ouvert des pistes de réflexion pour une interrogation similaire au Québec même, où une comparaison de données semblables entre le Saguenay et Montréal, par exemple, serait sans doute révélatrice.

Les recensements fédéraux nous informent, jusqu'à un certain point, sur la persévérance et la transmission d'une langue dans ces provinces. En comparant les chiffres sur la langue maternelle, sur la langue la plus souvent parlée à la maison, sur la langue de travail, les langues officielles et ainsi de suite, on peut arriver à faire des diagnostics. Le français se porte bien ici, moins bien là…

Mais que le recensement identifie une personne comme francophone ne dit rien, en soi, sur l'usage qu'elle peut faire ou ne pas faire du français dans ses activités personnelles ou parascolaires, ou durant ses loisirs. La vie sociale et culturelle d'un enfant en situation minoritaire constitue à la longue un déterminant aussi important de l'identité que la vie familiale, l'éducation et le travail.

Les auteurs de l'étude, se fondant sur les résultats de l'Enquête sur la vitalité des minorités de langue officielle, réalisée en 2006, ont cherché à savoir lequel, de l'anglais ou du français, prédominait dans les activités sportives (organisées ou pas) des jeunes de ces collectivités, dans leur fréquentation de l'Internet, dans leurs habitudes de télévision et préférences de lecture. Cinq régions ont été notamment ciblées: le Nouveau-Brunswick, l'Est et le Nord de l'Ontario (comme une seule région), le Sud de l'Ontario, l'Atlantique sans le N.-B. et l'Ouest du pays.

Sans entrer dans les détails (vous pourrez vous-même lire l'étude à http://bit.ly/1P9xTY3), suffit de dire qu'à l'exception du Nouveau-Brunswick (et même là…), la situation est dramatique! La majorité des francophones du Nouveau-Brunswick vivent dans des coins de la province où ils sont nettement majoritaires. Cette situation se reflète dans les activités sportives et la lecture, où prédomine la langue française. Mais quand vient le temps de naviguer sur Internet ou de regarder la télé, à peine le tiers d'entre eux utilisent surtout le français…

Quant aux autres collectivités francophones, seules celles de l'Est et du Nord de l'Ontario offrent des concentrations appréciables, majoritaires même dans Prescott-Russell et dans le secteur Hearst-Kapuskasing tout en étant davantage exposées aux influences anglophones dans une province où elles forment, après tout, moins de 5% de la population. Ici, le français ne domine dans aucune des catégories étudiées, et la prédominance de l'anglais est le lot d'entre 60 et 70% des jeunes francophones dans les activités sportives, l'Internet et la télévision…

Dans le Sud ontarien, dans les provinces de l'Ouest et dans les provinces de l'Atlantique autres que le Nouveau-Brunswick, les résultats sont catastrophiques. La prochaine génération de francophones, si elle comprend toujours la langue maternelle, ne l'utilisera guère à l'extérieur de la famille. Et même là, le nombre de familles (exogames ou pas) où l'anglais devient la langue la plus utilisée ne cesse de croître. Seul rayon d'espoir, la lecture, où la langue française persiste davantage.

Chacun, chacune pourra en tirer ses conclusions, mais le tableau peint par ce document de Statistique Canada n'a rien de commun avec les discours de style «lunettes roses» au sujet d'un soi-disant dynamisme de la langue et de la culture française d'un océan à l'autre. Il montre droit devant nous un précipice et, pour ceux et celles qui se donnent la peine de lire l'étude, identifie des problèmes précis auxquels il est toujours possible de s'attaquer.

Pour ma part, j'aimerais bien qu'une telle étude soit effectuée auprès des enfants québécois. Les résultats en surprendraient sans doute plusieurs… et réussiraient peut-être enfin à faire comprendre aux dirigeants actuels que la priorité doit être mise sur l'excellence et l'usage du français, plutôt que sur l'anglais intensif…


jeudi 17 décembre 2015

Y'a un boutte à toutte!

Je ne mets pas en doute sa sincérité ou son intégrité. Je pense qu'il croit sincèrement ce qu'il dit. Ce que je questionne, c'est sa capacité de comprendre et de juger, surtout à la lumière de ses déclarations - rapportées hier dans La Presse - concernant Donald Trump et la défunte Charte de la neutralité religieuse du gouvernement Marois.

Justin Trudeau surfe présentement sur une vague de popularité peu commune. Si une nouvelle élection avait lieu demain, il réduirait probablement l'opposition à quelques miettes, ça et là. Mais l'onction populaire ne lui permet pas de lancer n'importe quoi, n'importe où, et d'espérer que tous les esprits critiques se taisent devant cette éblouissante variante 2015 de la Trudeaumanie. Y'a un boutte à toutte…

S'il faut en croire le journaliste Hugo de Grandpré (La Presse), notre premier ministre fédéral y est allé des propos suivants, après avoir été interrogé sur les dernières bouffonneries de Donald Trump. Se défendant de s'immiscer dans le processus électoral américain (tout en le faisant), il aurait déclaré et je cite le texte (voir http://bit.ly/1O9itGi):

«Cependant, je crois que personne ne sera surpris d'entendre que je suis contre la politique de la division, la politique de la peur, la politique de l'intolérance ou la rhétorique de la haine. J'ai clairement pris position contre cela dans la charte des valeurs, les enjeux de division mis de l'avant par l'ancienne première ministre du Québec…» 

À moins d'avoir mal compris, Justin Trudeau vient d'associer Donald Trump (qui veut, entre autres, interdire l'accès des Musulmans aux États-Unis) et la Charte des valeurs du gouvernement péquiste de 2013 à «la politique de la division, la politique de la peur, la politique de l'intolérance ou la rhétorique de la haine». Comme ça, sans nuance. Mais c'est grossier, indécent, effronté… et totalement erroné.

Je ne doute pas qu'il le croie, mais vite, quelqu'un dans l'entourage de ce chef de gouvernement, expliquez-lui à quel point il divague!

Commençons par rappeler le titre du projet de loi 60 parrainé par Bernard Drainville: «Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l'État ainsi que d'égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d'accommodement».

Dans ce projet, qui ralliait une forte majorité des francophones du Québec, il y avait cet article 4: «Un membre du personnel d'un organisme public ne doit pas porter, dans l'exercice de ses fonctions, un objet, tel un couvre-chef, un vêtement, un bijou ou toute autre parure, marquant ostensiblement, par son caractère démonstratif, son appartenance religieuse.» S'ajoutait, aux articles 6 et 7, l'obligation de dispenser et de recevoir des services publics «à visage découvert».

La neutralité religieuse (ou la laïcité) de l'État fait partie d'une tendance noble, démocratique et rassembleuse de l'humanité depuis des siècles, en lutte contre les intégrismes religieux et anti-religieux qui sèment la terreur et la mort depuis des millénaires sur cette planète. Des persécutions romaines aux inquisitions catholiques aux formes extrêmes d'intégrisme islamiste, en passant par la déification meurtrière d'un dictateur nazi et les machines à tuer de l'athéisme stalinien, la mixture religion-antireligion-politique a toujours empoisonné les relations humaines.

Dans un monde où la liberté d'expression sous toutes ses formes impose le respect (dans le cadre de lois) d'une diversité plutôt extrême dans la vie privée, il est essentiel que l'État - qui représente toutes ces diversités - propose un visage neutre et laïc. On ne peut laisser les signes ouvertement religieux ou anti-religieux, et particulièrement ceux qui infériorisent la femme, s'imposer dans les institutions publiques au nom d'une soi-disant tolérance multiculturelle rose-nanane…

Entre autres, ça veut dire pas de voile musulman (sous quelque forme) pour les employées des hôpitaux, des écoles, des garderies et de l'administration de l'État. Ça veut aussi dire pas de crucifix au cou de ces employés… ou sur les murs de l'Assemblée nationale. La liberté de religion n'est jamais absolue. Elle est depuis toujours soumise aux lois du pays. Et certaines libertés sont plus fondamentales et absolues que la liberté de religion - l'égalité de tous les humains, hommes et femmes, par exemple.

Les grandes religions peuvent bien traiter les femmes comme des inférieures dans leurs temples ou dans leur hiérarchie. Nous n'y pouvons rien. Mais sous aucune considération leurs pratiques obscurantistes doivent-elles déteindre sur l'État chargé de faire respecter les droits et l'égalité de tous ses citoyens et citoyennes. Or, Justin Trudeau vient d'associer cette noble affirmation de la neutralité de l'appareil public et de l'égalité hommes-femmes comme une manifestation d'intolérance et de haine.

Et noir c'est blanc. Et blanc c'est noir. Et le jour c'est la nuit.

Je suis - plus qu'un peu - outré!

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Les signes religieux: une réflexion… Mon blogue, en 2013. http://bit.ly/1aDWai9



lundi 14 décembre 2015

Règlement 17: des excuses sans fondement?

Elle fait couler beaucoup d'encre chez les francophones, cette motion du député ontarien de Sudbury, Glenn Thibeault, qui voudrait voir le gouvernement provincial s'excuser publiquement pour les torts causés par le Règlement 17 à la minorité franco-ontarienne. Certains (y compris le soussigné) voient cette démarche d'un bon oeil, sans plus. D'autres la rejettent du revers de la main.

Mais ces oppositions, même vives, sont d'ordre essentiellement stratégique. Devrait-on ou pas, dans le contexte actuel, s'engager dans un débat semblable? Peu importe la réponse à cette question, les tenants d'une thèse comme de l'autre ne remettent pas en question le fond historique et les injustices permanentes issues de ce règlement francophobe du début du 20e siècle.

Or, voilà que vient de paraître sur le site Web d'actualités #ONfr (TFO) un texte d'opinion du doctorant Serge Miville (Université York) qui, au-delà des considérations politiques contemporaines, conteste la justification historique d'une demande de regrets officiels pour le Règlement 17 (voir http://bit.ly/1P3pyFe). Si M. Miville était astrophysicien ou paléontologue, on pourrait toujours passer l'éponge… mais c'est un spécialiste reconnu de l'histoire franco-ontarienne! À ce titre, il donne une légitimité à ce qui doit, me semble-t-il, être réfuté haut et fort!

Allons-y point par point. Je cite ici M. Miville: «Ce règlement (17) n'éliminait pas le français, mais limitait son utilisation dans les écoles, tout comme il limitait l'allemand dans des régions comme Waterloo où une forte minorité germanophone habitait.» Deux erreurs de fond ici: d'abord, le Règlement 17 éliminait effectivement le français comme langue d'enseignement après la deuxième année du primaire. En première et deuxième années du primaire, il n'avait pas cette limitation. À compter de la troisième, il y avait carrément interdiction!

La seconde erreur, tout aussi majeure, c'est de comparer les Franco-Ontariens, répartis aux quatre coins de la province et membres d'un peuple fondateur du Canada, à la minorité germanophone de la région de Waterloo. Nous avions été habitués au fil des décennies à ce genre de comparaison venant des provinces de l'Ouest où les anglophones ne voyaient pas pourquoi les Canadiens français devraient être considérés autrement que les Ukrainiens ou quelques autre minorité issue de l'immigration. Mais d'entendre ça d'un Franco-Ontarien féru en histoire, je suis estomaqué!

Je cite encore l'auteur: «À l'époque l'apprentissage du français était assuré par de pauvres âmes avec une piètre éducation, mal payés et n'ayant pas de brevets d'enseignement. L'éducation franco-ontarienne faisait piètre figure et avait de sérieux problèmes.» Ai-je bien compris? Sinon, qu'on me corrige. Je ne crois pas que les enseignantes et enseignants aient été, toutes et tous, de «pauvres âmes avec une piètre éducation», mais même en supposant que ce regard sévère se rapproche de la réalité, est-ce un motif pour justifier l'interdiction du français et l'assimilation des Franco-Ontariens? C'est ça qu'il faut comprendre? C'aurait plutôt été une raison d'améliorer la qualité des enseignants et des écoles de langue française…

Une autre citation: «Le Règlement XVII est également une querelle entre les clergés francophones et irlandais catholiques.» Voilà ce que j'appellerais, pour employer une expression religieuse, un péché mortel par omission. Bien sûr que Mgr Fallon et sa troupe détestaient les francophones. Cela a été bien documenté. Mais les catholiques n'étaient pas majoritaires (loin de là) en Ontario et M. Miville omet de parler de la hargne orangiste, anti-catholique et anti-francophone, qui s'abattait sur l'ensemble de la francophonie à l'ouest de la rivière des Outaouais depuis le 19e siècle.

Ces racistes et leurs loges, ayant une forte influence sur les politiques canadienne et ontarienne, avaient déjà sévi contre les rébellions des Métis au Manitoba et en Saskatchewan, et leur action via le Règlement 17 était en bonne partie un prolongement de persécutions en cours depuis près d'une cinquantaine d'années. C'était ni plus ni moins une tentative de génocide culturel, à laquelle se sont associés des éléments du clergé irlandais catholique. Pas un mot de ça, pourtant…

Continuons. Je cite toujours le texte du doctorant de l'Université York: «Mais c'est aussi une politique (le Règlement 17) qui a pu être contrecarrée et qui n'avait rien d'un projet de génocide culturel ou de dépossession à la même échelle qu'ont pu vivre les Acadiens, les nations autochtones, les Canadiens d'origine japonaise ou ukrainienne. Le Règlement XVII ne portait pas non plus atteinte aux droits de la personne.» Voilà une marmite au contenu bien fétide qu'aucune épice ne pourrait améliorer…

D'abord le Règlement 17 n'a pu être contrecarré. Il est demeuré en vigueur pendant 15 ans et si, dans certaines régions, de nombreux francophones ont pu fréquenter des écoles «bilingues» plus ou moins légales, toujours sous la menace, bien d'autres élèves francophones ont été obligés de vivre sous le régime unilingue anglais du Règlement 17, et les dommages culturels qui en ont résulté ont été permanents. Sans compter que même après que ce règlement ait été mis au rancart (jamais formellement aboli), les jeunes Franco-Ontariens sont restés dans un réseau d'éducation incomplet où, après un primaire plus ou moins français, plus ou moins bilingue, ils se retrouvaient trop souvent dans une école secondaire de langue anglaise.

Sans le Règlement 17, la culture française ne serait peut-être pas aujourd'hui à l'agonie dans certains coins de la province, et sérieusement malmenée un peu partout. L'intention du Règlement 17 était transparente. Les moyens employés, jusqu'à la police et les privations financières, l'étaient autant. Il y avait là - très clairement - tentative de génocide culturel. Et ça, c'est une atteinte fondamentale aux droits de la personne, autant que la dépossession matérielle. Bien entendu, les Acadiens ont été visés par un génocide bien plus que culturel. Et personne ne niera les injustices subies par les Autochtones et d'autres groupes. Elles ont toutes un trait en commun. Elles sont l'oeuvre de la culture impériale britannique, transmise directement par Londres (avant 1867) ou par des gouvernements de la majorité anglo-canadienne des époques post-Confédération.

M. Miville trouve que le Règlement 17 ne constitue pas un motif historique suffisant pour justifier des regrets officiels. Cette année, la ville de Halifax a présenté des excuses aux Acadiens de la Nouvelle-Écosse pour avoir insuffisamment financé un conseil scolaire acadien… Est-ce justifié? Sans doute. Une injustice historique, peu importe son ampleur, mérite tout au moins qu'on la reconnaisse et que dans la mesure du possible, on exprime ses regrets.

J'accepte sans problème que certains doutent de la sagesse de réclamer de telles excuses, et qu'ils puissent avancer de solides arguments stratégiques pour défendre leur thèse. Mais ce qu'il ne faut jamais accepter, c'est la négation de l'injustice elle-même. Nos grand-mères qui défendaient avec des épingles à chapeau des écoles françaises illégales contre les inspecteurs et la police ne méritent pas ça...

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NB - J'ai lu d'autres textes de Serge Miville, qui m'ont toujours semblé fondés et sensés. Peut-être ai-je mal saisi le sens de celui-ci. Et pourtant… Quoiqu'il en soit, chacun, chacune pourra aussi le lire et en tirer ses propres conclusions.


mercredi 9 décembre 2015

Règlement 17: le temps de s'excuser?

Image de tagueule.ca - manif devant l'école Brébeuf à Ottawa

Le gouvernement de l'Ontario devrait-il officiellement s'excuser pour l'infâme Règlement 17 et pour tous les torts que ce règlement a causés à la minorité canadienne-française de l'Ontario depuis plus de 100 ans? Bien sûr! Poser la question, c'est y répondre…

Les francophones devraient-ils demander l'expression de tels regrets et se battre pour les obtenir? Là, disons que la réponse, pour plusieurs, est moins évidente… Dans une situation déjà difficile où la lutte de survie collective s'accompagne de nombreuses démarches visant à corriger des injustices historiques, et où les effectifs mobilisés sont limités, on y pense deux fois avant d'ouvrir un nouveau front.

Par contre, cette fois, l'impression laissée par l'auteur de la démarche, le député libéral de Sudbury, Glenn Thibeault, un anglophone sans doute issu d'une famille autrefois francophone, c'est qu'il n'y aura pas de combat et que ces excuses seront adoptées par la législature ontarienne au début de 2016 sans trop d'accrochages. Est-ce possible?

La ministre responsable des Affaires francophones, Madeleine Meilleur, n'aurait pas salué l'initiative de son collègue sans l'aval de sa patronne, la première ministre Wynne. Quant aux néo-démocrates, ils sont déjà engagés aux côtés des francophones avec leur projet de loi pour la création d'une université de langue française. Enfin, il y a les conservateurs. Je ne crois pas qu'une quinzaine d'années à peine après leur déconfiture dans l'affaire Montfort, ils soient disposés à jouer les francophobes…

Par ailleurs, selon l'hebdo Le Voyageur, de Sudbury, le projet de présenter des excuses pour le Règlement 17 (interdisant le français comme langue d'enseignement après la deuxième année du primaire) a été élaboré en collaboration avec l'ACFO régionale et avec des éléments de la collectivité francophone du Grand Sudbury. Prise de court un peu, l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario n'a guère eu de choix. Elle a ajouté son sceau d'approbation.

Les seuls remous semblent provenir des médias sociaux, et notamment de la page Fier d'être Franco-Ontarien, forte de plus de 4500 participant(e)s. Les opinions y sont partagées, et quelques opposants à la démarche du député Thibeault n'y vont pas du dos de la cuillère. Jusqu'à quel point sont-ils représentatifs de l'opinion publique franco-ontarienne, si telle chose existe dans une province grande comme un pays où les collectivités sont souvent isolées les unes des autres? Difficile à dire.

L'opinion anglo-ontarienne, qui forme plus de 90% de la population, est pour le moment silencieuse, et ce, pour une excellente raison. À moins d'avoir visionné les débats de la législature ontarienne juste au moment où le député de Sudbury présentait sa motion, elle n'est pas au courant. Aucun journal, aucun site Web médiatique ne semble en avoir parlé. Manque d'intérêt? Ignorance? Indifférence? Sais pas. Cela changera peut-être au moment où les députés provinciaux devront se prononcer sur la question.

Une chose set sûre. Bien des collectivités, ici, ailleurs et autour du monde, ont ressenti à un moment donné le besoin d'exiger l'expression officielle de regrets pour de mauvais traitements infligés dans un passé récent ou plus lointain. Sans changer de pays ou de continent, on n'a qu'à recenser les nombreuses démarches depuis 20 ans pour renverser les condamnations prononcées contre Louis Riel, ou les requêtes soumises à Ottawa et à Londres pour que la Couronne avoue les crimes commis en matière de droits humains lors de la déportation des Acadiens.

Avec le passage de décennies, voire de siècles, les lunettes de l'histoire offrent souvent une perspective plus juste, et moins acrimonieuse, des vieux conflits. Il y a 50 ans, quand je travaillais durant l'été à Statistique Canada, j'avais comme collègue un étudiant en droit de Toronto. Notre premier accrochage avait porté sur Louis Riel. «Un héros», lui dis-je. «Un meurtrier, un traître», me répond-il. Chaque solitude apprenait «son» histoire…

Depuis ce temps, Riel a été réhabilité. On l'a reconnu comme le père du Manitoba. Il a «sa» journée dans le calendrier des fêtes patrimoniales. En 2003, une proclamation royale d'Élizabeth II a été interprétée comme une forme d'excuse officielle pour la déportation acadienne de 1755. Quant au Règlement 17, il remonte à 1912 et il existe probablement un large consensus, aujourd'hui, sur le caractère injuste, persécuteur et francophobe de la mesure. Quoiqu'en Ontario, on ne sait jamais…

Des excuses officielles de Queen's Park ne répareront pas les effets dramatiques et permanents du Règlement 17 dans toutes les régions de la province où des concentrations francophones les ont subis. Mais l'aveu d'un péché historique, comme celui d'une faute individuelle, s'accompagne généralement d'un repentir (sincère?) et d'une (ferme?) volonté de ne plus recommencer. Cela devient une confession officielle que la majorité traînera comme un sombre boulet de son passé et qu'elle voudra peut-être, en acquiesçant à des demandes justes de la collectivité francophone d'aujourd'hui, faire oublier…

Ce sera intéressant à suivre…


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Quelques liens:

Le Droit - Éditorial: http://bit.ly/1M2JzXQ

Le Droit - Nouvelle: http://bit.ly/1m8fEZB

#ONfr http://bit.ly/1lPV9R0

Le Voyageur http://bit.ly/1R8KwWy

Radio-Canada http://bit.ly/1XYHbbF

mardi 8 décembre 2015

Crise d'identité - un débat universel

J'avais lu quelques commentaires fort négatifs au sujet de l'émission Crise d'identité (http://bit.ly/1HSEcje), diffusée cette semaine à Télé-Québec, où Bernard Derome tente de décortiquer l'identité «québécoise» avec une brochette d'invités dits «libres-penseurs». Je l'ai visionnée malgré tout, et je dois avouer qu'en dépit d'extraits malheureux au début et d'une orientation parfois trop évidente, l'ensemble était à la fois divertissant et instructif.

Il faut, dès le départ, se mettre dans la tête que jamais, au grand jamais, produira-t-on ici un document identitaire «neutre» ou «objectif». Ce thème est une bombe qui éclate invariablement dans les mains de tous ceux, de toutes celles qui le manient. Avant même de produire la première petite minute de texte ou de film, vous avez la moitié de l'auditoire contre vous, et les médias sociaux en alerte…

Prenons Crise d'identitié. Le choix des personnes interviewées était orienté en faveur de Montréal, et de son prolongement international. Le libellé de certaines questions avait tendance à influencer les réponses. Les extraits du début donnaient un ton qui a certainement dû déplaire aux Québécois plus nationalistes (et qui ne rendait pas justice à la variété des points de vue exprimés). Et le tout semblait vouloir livrer un message, ou encore diriger le débat plutôt que de le refléter. Mais qui suis-je pour juger? En avoir été l'auteur, je serais peut-être tombé dans le même panneau…

Pour faire le point sur cette émission, permettez-moi d'isoler une intervention d'un de nos icônes culturels, Robert Lepage, sur la question de la langue. Je n'ai pas la citation exacte durant l'émission Crise d'identité, mais le sens était le suivant. Si vous voulez «faire» international, allez-y, utilisez l'anglais. Mais pour être universel, servons-nous de notre langue, le français, et parlons de ce que nous connaissons bien - c'est-à-dire de nous, de qui nous sommes, de ce que nous faisons.

Je crois que sans le savoir, il a aussi offert une clef pour optimiser l'écoute de ce documentaire de Télé-Québec. La richesse du documentaire provient en effet du vécu des invités, des milieux dans lesquels ils ont grandi, dans lesquels ils ont évolué, et de ce qu'ils en disent. Quand ils sortent de cette «zone de confort» tout à fait personnelle, et qu'ils errent dans les voies achalandées de l'histoire et de l'actualité d'ici et d'ailleurs, les marges d'erreurs de fait et de perceptions sont surmultipliées.

Ce que Jean-François (alias Jeff) Stinco, guitariste du groupe Simple Plan, pense du fait - pour un groupe québécois - de chanter en anglais a certainement de l'importance, mais comment comprendre ce qu'il avance sans savoir qu'il est originaire du West Island, que sa famille était la seule francophone de sa rue, et qu'il a grandi dans un milieu multiculturel à dominance anglaise? Sa perception identitaire a été façonnée dans son milieu, par ce qu'il est, par ce qu'il a fait… Il aurait été intéressant de poser la même question à un musicien des Cowboys Fringants...

Quand l'humoriste irakien-marocain-québécois Adib Alkhalildey affirme que la langue française, «c'est ma mère, mon pays, et que partout où l'on parle français, je me sens chez moi», on pourrait s'étonner et y voir un rejet d'une identité locale en faveur d'une adhésion mondialiste, jusqu'à ce qu'il raconte son expérience ici au Québec, où il s'est senti exclu de partout. Les Marocains ne le considéraient pas comme l'un des leurs, les Irakiens non plus, et les Québécois le voyaient comme un étranger…

Vu sous cet angle, le témoignage de toutes les personnes interviewées - Boucar Diouf, Dany Laferrière, Fred Pellerin, Brian Mulroney et les autres - apporte une perspective utile au débat identitaire dans la mesure où elle est bien ancrée dans les milieux dont ils sont issus et dans les expériences de vie qui les ont façonnées. Ça aide à oublier un peu le biais anti-nationaliste perceptible de l'offrande, tant par la sélection de ces «libres-penseurs» (comme si les «autres» ne l'étaient pas) que par l'emballage.

Bernard Derome enveloppe le tout de son aura professionnelle, mais franchement le ton de certaines de ses questions m'a déçu. Évidemment on ne sait pas si cela vient de lui ou de quelque concepteur du projet, mais je donne un exemple. Vers la fin, il demande à Brian Mulroney si, comme peuple, il ne faudrait pas arrêter de se regarder le nombril. Et l'autre de répondre oui, bien sûr. Ça, ce n'est pas une question, c'est un commentaire interrogateur qui invite (espère) une réponse bien précise… Il y aurait eu mille et une façons de poser cette question autrement, en orientant moins la réponse.

Une autre faiblesse. De toute évidence, les invités à cette table identitaire connaissaient peu la réalité des menaces qui pèsent sur la langue française dans notre coin d'Amérique. Ils ne fréquentent par les colonnes de chiffres des recensements, et ne lisent pas les études sur l'acculturation et l'assimilation. Alors, en cette matière, les statistiques et les diagnostics qu'ils lancent (voulant notamment que le français ne soit pas menacé au Québec) sont largement erronés.

Enfin, heureusement, le corps de l'émission indique très clairement que le débat identitaire est tout sauf… se regarder le nombril. Il ratisse large, de la rue du West Island au village de St-Élie-de-Caxton, des multiples facettes de Montréal aux vélos du Québec au Japon, de l'apport des Québécois venus d'ailleurs à la francophonie mondiale, tout y passe. Peu importe les points de vue, ces gens sont tous reliés par la langue française et par leur appartenance au territoire québécois. Et en ce sens, le débat identitaire d'ici reste ce qu'il a toujours été, un débat universel.



jeudi 3 décembre 2015

Blancs et non-blancs: quel sondage bizarre...

J'haïs ça! Non, je n'ai pas fait de faute, j'ai mis le tréma exprès pour mordre davantage dans le mot. Avez-vous vu le texte intitulé Majorité et minorités visibles aux antipodes au Québec dans l'édition de lundi du Devoir? J'inclus ici le lien: http://bit.ly/1MWWOgO.

Le problème, et c'est justement ça que j'haïs, c'est qu'il faut vraiment se mettre à fouiller au-delà de l'article, jusque dans les détails de cette étude de l'Institut de recherche en politiques publiques (IRPP), voire jusque dans les statistiques du recensement fédéral et dans certaines lois, pour bien comprendre l'information qu'on nous offre en pâture.

En gros, le titre et le texte du Devoir laissent entendre que la majorité québécoise et les «minorités visibles» ne s'entendent pas. À propos de quoi? Principalement au sujet de leur degré d'attachement à la province ou à l'ensemble du Canada, y compris au multiculturalisme. C'est un peu simplifié, mais les manchettes tournent autour de ça.

Mais quand on gratte un peu, on s'aperçoit qu'il faut nuancer… pour dire le moins. Les chiffres garrochés ne comparent pas les francophones aux anglophones/allophones, ni les citoyens canadiens aux immigrants. Les catégories habituelles qui nous permettent de mesurer l'opinion sont absentes ici!

Quand l'étude de l'IRPP parle des attitudes et opinions de la «majorité», elle inclut dans cette majorité tous les résidents (citoyens et immigrants, anglophones et francophones et allophones) de race blanche - ou caucasienne si vous préférez. Les minorités «visibles» n'ont rien à voir avec les turbans ou les voiles ou des costumes exotiques. Il s'agit de tous les résidents (citoyens et immigrants, anglophones et francophones et allophones) de races autres que blanche.

Les 25 000 réfugiés syriens, s'ils étaient déjà arrivés, feraient ainsi partie de la «majorité», tandis que les Autochtones, ici depuis des millénaires, font partie des «minorités visibles». Personnellement, à moins de vouloir faire des sondages de problématiques d'ordre racial (discrimination, exclusion, racisme, etc.), je trouve que cette étude, telle que présentée, c'est presque de la bouillie pour les chats…

Alors quand, dans le texte médiatique, on affirme qu'au Québec, 52% de la «majorité» s'identifie au Québec avant tout, ce pourcentage de 52% inclut les Québécois francophones de race blanche, d'ici ou d'ailleurs, les anglophones de race blanche, d'ici ou d'ailleurs, et les allophones de race blanche, d'ici ou d'ailleurs.

On peut facilement deviner que cette proportion doit sérieusement chuter pour le 20% ou quelque de cet échantillon qui n'est pas de langue française, et qu'il grimpe sans doute pour l'autre 80% francophone. Mettre toutes ces catégories dans la même marmite sous prétexte que les répondants sont de même race… enfin…

À noter que l'étude de l'IRPP place à 48% l'appui à la souveraineté au sein de cette «majorité» qui comprend une proportion appréciable d'anglophones et d'allophones. Évidemment personne ne se surprendra que l'appui à la souveraineté soit plus faible au sein des minorités visibles, mais il y oscille tout de même entre 18 et 25%. 

À la fin de l'étude, un tableau répartit certaines conclusions pour les minorités visibles selon la langue d'usage à la maison. Et il est clair que les attitudes des francophones des minorités visibles les rapprochent davantage de la majorité franco-québécoise blanche que celles des anglophones et allophones. Encore une preuve que la langue, bien plus que la race, constitue un critère plus sûr pour analyser les grandes adhésions canadiennes ou québécoises.

Pour ce qui est du multiculturalisme, notons que l'étude de l'IRPP indique de faibles appuis au sein de la majorité blanche pour cette politique fédérale dans les quatre provinces sondées… d'un minimum de 25% au Québec, à 29% en Alberta, 32% en Colombie-Britannique et un faramineux 34% en Ontario… Les minorités dites visibles sont bien plus enthousiastes.

Enfin, pour ce qui est de regrouper en une grande catégorie raciale les personnes non-blanches - certaines ici depuis des générations, d'autres récemment arrivées, des Africains, des Asiatiques de l'extrême-orient, du sous-continent indien, etc. - disons que je m'en remettrai, avec plus d'un brin de scepticisme, à la compétence des sondeurs…

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NB De toute façon, je n'aime pas cette expression «minorité visible»… non seulement est-ce imprécis avec les métissages historiques et contemporains mais ça sent la rectitude politique… Si les minorités raciales sont «visibles» alors la majorité l'est tout autant. Le Blanc n'est pas moins «visible» que le Noir… et toutes les nuances entre les deux...

mercredi 2 décembre 2015

Les francophones, «citoyens de second ordre»...


J'étais enrhumé, hier matin (1er décembre), et j'aurais dû rester tranquillement à la maison. Mais je me suis tout de même déplacé vers le centre-ville d'Ottawa en dépit d'une prévision de verglas, arrêtant au passage à la caisse pop pour prendre 20 $ en monnaie que boufferaient en bonne partie les parcomètres ultra gourmands du campus de l'Université d'Ottawa…

Ma destination? Rien pour faire courir les foules… un panel sur l'heure du lunch, à la faculté de droit, sur le jugement Caron-Boutet rendu le 20 novembre par la Cour suprême... celui qui a éteint l'espoir de voir un statut officiel reconnu à la langue française dans les provinces d'Alberta et de Saskatchewan. Je me disais qu'à chaud, un échange entre trois juristes et une politicologue ferait jaillir des étincelles…

Attentes déçues! Oh, le panel ne manquait pas de compétence. Les trois juristes présents - deux de l'Université d'Ottawa (Sébastien Grammond et François Larocque) et l'autre du Commissariat aux langues officielles (Christine Ruest-Norreena) - avaient même participé à divers titres à l'appel de MM. Caron et Boutet devant la Cour suprême. Leurs explications étaient claires et instructives.

Mais je n'étais pas là pour prendre des notes ou, comme d'autres étudiants, pour faire créditer ma présence comme activité de formation continue. Je voulais un débat, des échanges, tout au moins un peu d'émotion, de colère, de paroles poings-en-l'air de la part de ces gens que six des neuf juges du plus haut tribunal du pays venaient de débouter… Or le ton était monocorde, plate, soumis.

Il a fallu attendre la politicologue, Linda Cardinal, pour voir des éclairs de feu dans les yeux et sentir l'odeur de poudre dans le verbe… Il était temps, elle était la dernière à prendre la parole et il n'y aurait pas, à toutes fins utiles, de période de questions après. N'étant pas avocate (avantage et désavantage à la fois dans le contexte), elle pouvait se permettre de déborder le cadre des considérations strictement légales et constitutionnelles.

La première salve de Mme Cardinal est venue quand elle a prêté aux six juges majoritaires de la Cour suprême des intentions au moins aussi politiques que juridiques. S'étant sans doute rendus compte qu'une victoire de Caron-Boutet mettrait cens dessus dessous l'univers gouvernemental et administratif à Edmonton et Régina, ils ont officialisé le statu quo linguistique en dépit de preuves convaincantes «pour ne pas bousculer les pratiques juridiques présentes».

Après ce petit coup d'éperon vous-savez-où, Mme Cardinal y est allée d'un plus gros boulet de canon. Ces juges, a-t-elle dit, ont relégué les francophones de l'Ouest - et je présume, de l'ensemble du pays - au rôle «de citoyens de second ordre». Le message qu'ils ont lancé est clair, et il n'est lancé qu'aux francophones: à moins de pouvoir démontrer noir sur blanc avec des textes de loi, préférablement constitutionnels, que vous avez des droits linguistiques, vous n'en avez pas…

Ne venez pas nous parler de vieux traités, de pratiques établies, de promesses verbales, de politiques administratives, d'engagements que tout le monde semblait comprendre en 1870 mais qu'on interprète à toutes les sauces en 2015, la seule chose qui compte, c'est un article de loi qui donne au français un caractère officiel. Vous ne l'avez pas? Tant pis! Et d'ajouter Mme Cardinal, voilà une leçon qu'il faudra rappeler au maire d'Ottawa quand il tentera encore une fois de convaincre les francophones de la capitale que le bilinguisme de fait suffit…

Après le panel, qui m'a un peu frustré, comme un film qui finit mal, je me suis demandé s'il y avait une loi qui empêche des juristes ou des professeurs de droit d'élever le ton, de s'emporter, de s'indigner à l'occasion d'un événement filmé pour YouTube… J'aurais aimé qu'un des deux avocats de l'Université d'Ottawa conteste sur la place publique le statut d'inégalité imposé aux plaignants francophones, qui ont dû accepter d'être jugés par au moins deux magistrats suprêmes unilingues anglais… un traitement qu'on n'a jamais imposé à un seul anglophone du Canada depuis 1867…

J'aurais aimé entendre l'un d'eux dire qu'il avait exigé que ces deux juges se récusent… ou qu'il clame bien haut l'injustice d'avoir reçu une décision rédigée en anglais (avec traduction française)… alors que les plaignants étaient francophones. J'aurais aimé que l'un d'eux affirme clairement que les francophones ne sont pas égaux aux anglophones en Cour suprême... et qu'il faudra trouver un moyen de corriger la situation sans délai.

Que peuvent faire les francophones quand la Cour suprême rend officielle une situation illégale, comme ce fut le cas le 20 novembre 2015? Il n'y a plus d'appel possible. C'est le sort qu'on réserve à «des citoyens de second ordre»…