lundi 14 décembre 2015

Règlement 17: des excuses sans fondement?

Elle fait couler beaucoup d'encre chez les francophones, cette motion du député ontarien de Sudbury, Glenn Thibeault, qui voudrait voir le gouvernement provincial s'excuser publiquement pour les torts causés par le Règlement 17 à la minorité franco-ontarienne. Certains (y compris le soussigné) voient cette démarche d'un bon oeil, sans plus. D'autres la rejettent du revers de la main.

Mais ces oppositions, même vives, sont d'ordre essentiellement stratégique. Devrait-on ou pas, dans le contexte actuel, s'engager dans un débat semblable? Peu importe la réponse à cette question, les tenants d'une thèse comme de l'autre ne remettent pas en question le fond historique et les injustices permanentes issues de ce règlement francophobe du début du 20e siècle.

Or, voilà que vient de paraître sur le site Web d'actualités #ONfr (TFO) un texte d'opinion du doctorant Serge Miville (Université York) qui, au-delà des considérations politiques contemporaines, conteste la justification historique d'une demande de regrets officiels pour le Règlement 17 (voir http://bit.ly/1P3pyFe). Si M. Miville était astrophysicien ou paléontologue, on pourrait toujours passer l'éponge… mais c'est un spécialiste reconnu de l'histoire franco-ontarienne! À ce titre, il donne une légitimité à ce qui doit, me semble-t-il, être réfuté haut et fort!

Allons-y point par point. Je cite ici M. Miville: «Ce règlement (17) n'éliminait pas le français, mais limitait son utilisation dans les écoles, tout comme il limitait l'allemand dans des régions comme Waterloo où une forte minorité germanophone habitait.» Deux erreurs de fond ici: d'abord, le Règlement 17 éliminait effectivement le français comme langue d'enseignement après la deuxième année du primaire. En première et deuxième années du primaire, il n'avait pas cette limitation. À compter de la troisième, il y avait carrément interdiction!

La seconde erreur, tout aussi majeure, c'est de comparer les Franco-Ontariens, répartis aux quatre coins de la province et membres d'un peuple fondateur du Canada, à la minorité germanophone de la région de Waterloo. Nous avions été habitués au fil des décennies à ce genre de comparaison venant des provinces de l'Ouest où les anglophones ne voyaient pas pourquoi les Canadiens français devraient être considérés autrement que les Ukrainiens ou quelques autre minorité issue de l'immigration. Mais d'entendre ça d'un Franco-Ontarien féru en histoire, je suis estomaqué!

Je cite encore l'auteur: «À l'époque l'apprentissage du français était assuré par de pauvres âmes avec une piètre éducation, mal payés et n'ayant pas de brevets d'enseignement. L'éducation franco-ontarienne faisait piètre figure et avait de sérieux problèmes.» Ai-je bien compris? Sinon, qu'on me corrige. Je ne crois pas que les enseignantes et enseignants aient été, toutes et tous, de «pauvres âmes avec une piètre éducation», mais même en supposant que ce regard sévère se rapproche de la réalité, est-ce un motif pour justifier l'interdiction du français et l'assimilation des Franco-Ontariens? C'est ça qu'il faut comprendre? C'aurait plutôt été une raison d'améliorer la qualité des enseignants et des écoles de langue française…

Une autre citation: «Le Règlement XVII est également une querelle entre les clergés francophones et irlandais catholiques.» Voilà ce que j'appellerais, pour employer une expression religieuse, un péché mortel par omission. Bien sûr que Mgr Fallon et sa troupe détestaient les francophones. Cela a été bien documenté. Mais les catholiques n'étaient pas majoritaires (loin de là) en Ontario et M. Miville omet de parler de la hargne orangiste, anti-catholique et anti-francophone, qui s'abattait sur l'ensemble de la francophonie à l'ouest de la rivière des Outaouais depuis le 19e siècle.

Ces racistes et leurs loges, ayant une forte influence sur les politiques canadienne et ontarienne, avaient déjà sévi contre les rébellions des Métis au Manitoba et en Saskatchewan, et leur action via le Règlement 17 était en bonne partie un prolongement de persécutions en cours depuis près d'une cinquantaine d'années. C'était ni plus ni moins une tentative de génocide culturel, à laquelle se sont associés des éléments du clergé irlandais catholique. Pas un mot de ça, pourtant…

Continuons. Je cite toujours le texte du doctorant de l'Université York: «Mais c'est aussi une politique (le Règlement 17) qui a pu être contrecarrée et qui n'avait rien d'un projet de génocide culturel ou de dépossession à la même échelle qu'ont pu vivre les Acadiens, les nations autochtones, les Canadiens d'origine japonaise ou ukrainienne. Le Règlement XVII ne portait pas non plus atteinte aux droits de la personne.» Voilà une marmite au contenu bien fétide qu'aucune épice ne pourrait améliorer…

D'abord le Règlement 17 n'a pu être contrecarré. Il est demeuré en vigueur pendant 15 ans et si, dans certaines régions, de nombreux francophones ont pu fréquenter des écoles «bilingues» plus ou moins légales, toujours sous la menace, bien d'autres élèves francophones ont été obligés de vivre sous le régime unilingue anglais du Règlement 17, et les dommages culturels qui en ont résulté ont été permanents. Sans compter que même après que ce règlement ait été mis au rancart (jamais formellement aboli), les jeunes Franco-Ontariens sont restés dans un réseau d'éducation incomplet où, après un primaire plus ou moins français, plus ou moins bilingue, ils se retrouvaient trop souvent dans une école secondaire de langue anglaise.

Sans le Règlement 17, la culture française ne serait peut-être pas aujourd'hui à l'agonie dans certains coins de la province, et sérieusement malmenée un peu partout. L'intention du Règlement 17 était transparente. Les moyens employés, jusqu'à la police et les privations financières, l'étaient autant. Il y avait là - très clairement - tentative de génocide culturel. Et ça, c'est une atteinte fondamentale aux droits de la personne, autant que la dépossession matérielle. Bien entendu, les Acadiens ont été visés par un génocide bien plus que culturel. Et personne ne niera les injustices subies par les Autochtones et d'autres groupes. Elles ont toutes un trait en commun. Elles sont l'oeuvre de la culture impériale britannique, transmise directement par Londres (avant 1867) ou par des gouvernements de la majorité anglo-canadienne des époques post-Confédération.

M. Miville trouve que le Règlement 17 ne constitue pas un motif historique suffisant pour justifier des regrets officiels. Cette année, la ville de Halifax a présenté des excuses aux Acadiens de la Nouvelle-Écosse pour avoir insuffisamment financé un conseil scolaire acadien… Est-ce justifié? Sans doute. Une injustice historique, peu importe son ampleur, mérite tout au moins qu'on la reconnaisse et que dans la mesure du possible, on exprime ses regrets.

J'accepte sans problème que certains doutent de la sagesse de réclamer de telles excuses, et qu'ils puissent avancer de solides arguments stratégiques pour défendre leur thèse. Mais ce qu'il ne faut jamais accepter, c'est la négation de l'injustice elle-même. Nos grand-mères qui défendaient avec des épingles à chapeau des écoles françaises illégales contre les inspecteurs et la police ne méritent pas ça...

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NB - J'ai lu d'autres textes de Serge Miville, qui m'ont toujours semblé fondés et sensés. Peut-être ai-je mal saisi le sens de celui-ci. Et pourtant… Quoiqu'il en soit, chacun, chacune pourra aussi le lire et en tirer ses propres conclusions.


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