samedi 26 septembre 2015

Les éternels laissés-pour-compte...

Photo Bernard Brault, La Presse

La Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) trônait au-dessus des nombreuses voix ayant déploré à juste titre que les enjeux des collectivités de langue française hors-Québec aient été écartés du débat des chefs de jeudi. Comme organisme parapluie des francophones minoritaires du Canada, elle se devait cette fois de sonner la charge au nom des éternels laissés-pour-compte qu'elle regroupe et qu'elle porte dans un univers médiatique souvent teinté d'indifférence… voire d'hostilité.

Mais franchement - et là je m'adresse aux dirigeants de la FCFA - étiez-vous vraiment surpris? Vous faites bien de trépigner d'indignation, mais avouez-le, vous vous y attendiez… au moins un tout petit peu. C'était le seul débat en français à Radio-Canada, et la liste de thèmes disponibles aurait pu remplir une encyclopédie. Face aux effets potentiels d'une récession, au prix et au transport du pétrole, aux changements climatiques, aux crises internationales, aux atteintes à la démocratie et j'en passe, le sort de la diaspora canadienne-française-acadienne apparaît peu sur les radars.

Et vous aviez sur le plateau du débat cinq chefs avec 20 ou 25 minutes (au total) chacun pour séduire cette mini fraction de l'électorat qui fera la différence entre victoire et défaite, le 19 octobre. Aucun n'a vécu les multiples situations qui peuvent façonner le quotidien des francophones hors-Québec selon qu'on habite la péninsule acadienne, une ville ontarienne ou un village franco-manitobain. Quatre des chefs ont l'anglais comme langue première (j'inclus Justin Trudeau) et le cinquième, tout sympathique qu'il puisse être aux doléances des francophones minoritaires, milite pour l'indépendance du Québec. Ses priorités sont nettement ailleurs.

Et pourtant, il me semble que dans cette toile d'intérêts parfois divergents, parfois moins, il aurait été possible de faufiler les priorités de la FCFA et de ses organismes membres. Comment? En démontrant que les barrières dressées devant la francophonie hors-Québec - les barrières relevant de la compétence fédérale, ou résultant de l'ingérence (ou non-ingérence) fédérale - sont souvent celles qui empêchent aussi un renforcement du français au Québec. Il faudrait d'ailleurs marteler ce clou jour après jour, mois après mois, année après année...

On n'a qu'à feuilleter les rapports annuels ou ponctuels du Commissaire fédéral aux langues officielles pour se rendre compte que le Québécois francophone, tout autant que le Franco-Ontarien ou l'Acadien, a souvent de la difficulté à obtenir des services en français d'institutions fédérales ou, pire, à travailler dans sa langue au sein de la fonction publique fédérale. Ce ne sont là que deux exemples mais on pourrait en énumérer bien d'autres pour faire la preuve que les parlant-français du Québec et ceux des autres provinces font face à des adversaires communs sur le plan linguistique et culturel.

Il y a à peine quelques mois, l'ancienne présidente de la FCFA, Marie-France Kenny, avait lancédevant un comité parlementaire un cri du coeur qui avait presque percé le mur d'indifférence et d'hostilité médiatique qui entoure les interventions des minorités de langue française. Elle avait notamment affirmé que la Loi sur les langues officielles ne comptait pas parmi les lois les moins respectées au pays mais qu'elle était bel et bien la loi LA MOINS RESPECTÉE.

Le gouvernement canadien a opposé les tentatives du Québec d'affirmer sa spécifié linguistique et culturelle, refuse de soumettre les entreprises sous juridiction fédérale à la Loi 101, laisse la Loi sur les langues officielles pourrir sous un amas d'infractions, néglige les avant-postes de la francophonie qu'il a le devoir de protéger… Le premier ministre et les aspirants à le remplacer méritent pleinement d'être interrogés dans un débat des chefs sur la performance fédérale en matière de dualité linguistique, 50 ans après la Commission B-B, deux ans avant qu'ils nous invitent à «célébrer» les 150 ans du pacte fédéral…

La francophonie s'effrite au Canada - y compris au Québec… Les recensements fédéraux en attestent. Notre proportion de la population diminue constamment depuis plus d'un demi-siècle et les taux d'assimilation augmentent de façon inquiétante… même dans certaines régions du Québec. Notre existence comme collectivité est en péril, et peu importe le choix que feront éventuellement les Québécois quant au lien avec le reste du pays, les francophones de Rimouski, Moncton et St-Boniface peuvent - et doivent - faire front commun à l'occasion.

Le gouvernement fédéral a toujours été et sera toujours le gouvernement de la majorité anglophone du Canada. Il constitue le plus souvent un obstacle pour les francophones, peu importe leur province. Quand, dans un débat des chefs, les participants seront interpellés là-dessus, les enjeux linguistiques et culturels des francophones hors-Québec passeront à l'avant-scène…



mercredi 23 septembre 2015

L'agonie de Mechanicsville...


Quand j'ai aperçu hier l'imposante affiche du projet One Twenty-One Parkdale, annonciatrice d'une immense tour de 32 étages de condos de luxe, je me suis dit: voilà un immense clou dans le cercueil ce qui fut autrefois un quartier canadien-français bien vivant dans l'ouest d'Ottawa. Mon quartier. Mechanicsville. Celui dans lequel je suis né, où j'ai passé mon enfance, jusqu'à l'adolescence. Mes choix d'adulte m'ont amené ailleurs, mais c'est là que reposent mes racines…

C'était comme un village, situé entre la voie ferrée du Canadien Pacifique au sud et la rivière des Outaouais au nord, le coin le plus pauvre de la grande paroisse Saint-François-d'Assise avec sa magnifique église et ses deux clochers dominant la grand-rue (la rue Wellington). À l'ouest il y avait 50 acres de broussailles (que nous appelions «le port»; pour les Anglais c'était «Tunney's Pasture»); à l'est s'étalait un vaste complexe ferroviaire du Canadien Pacifique qui nous séparait du «flatte» (Lebreton Flats, un quartier encore plus pauvre que le nôtre) et du secteur des édifices du Parlement.

Je suis né en 1946 et j'ai habité jusqu'en 1959 sur la rue Hinchey, entre les rues Lyndale et Burnside, en plein coeur de Mechanicsville. Il ne faut surtout pas se fier pas aux noms anglais des rues. Les familles autour de nous se nommaient Longpré, Pouliotte, Desrochers, Carrière, Lafleur, Beauchamp, Charron, Robert, Tremblay, Bourguignon, Joanisse, Jubinville, Chartier, Papineau, Bastien, Pelletier, Lapointe, Meunier, Fournier. Chez les Connolly et les Corcoran, les deux seules familles avec un nom anglais, les enfants parlaient français comme nous...


La rue de mon enfance, aujourd'hui

Tout le monde, bien sûr, se connaissait. Le soir, durant la belle saison, avant l'arrivée de la télé, au début des années 1950, les chaises sortaient sur les perrons et les trottoirs et les gens faisaient de la jasette. Le laitier, le boulanger, le vendeur de fruits et légumes servaient leur clientèle dans des véhicules tirés par des chevaux. Les mamans travaillaient à la maison. Tout le monde ou presque allait à la messe le dimanche. Et tous pouvaient entendre au bout de la rue le choug-choug familier des locomotives à vapeur quittant la gare…

La première moitié de la décennie des 1950 a marqué à la fois l'apogée et le début du déclin de notre petite enclave franco-ontarienne. En 1954, l'ouverture de l'église Notre-Dame-des-Anges et de l'école du même nom avaient donné un caractère officiel à l'existence désormais autonome de Mechanicsville, coupée du cordon ombilical de Saint-François d'Assise et volant de ses propres ailes. Mais c'était sans compter l'effet à long terme du développement d'un gigantesque complexe d'édifices fédéraux qui, à compter de 1952, a commencé à occuper et transformer les 50 acres de broussailles qui avaient été, jusque là, un terrain de jeux pour les enfants du quartier…

En relocalisant dans le «port» (Tunney's Pasture) des centaines, puis des milliers d'emplois de sa fonction publique, le gouvernement fédéral venait de condamner le petit quartier voisin… le mien… ainsi que l'ensemble de la collectivité très majoritairement francophone de Saint-François d'Assise… Il a fallu à peine quelques années pour que les premières maisonnettes ouvrières soient vendues et que des blocs d'appartements prennent leur place. Les familles du quartier ont commencé à quitter, remplacées par une main-d'oeuvre fédérale majoritairement anglophone.


L'ancienne école Notre-Dame-des-Anges

Je me promenais hier sur les rues de mon enfance et le spectacle est désolant. La paroisse n'existe plus, les francophones de Mechanicsville (ceux qui restent) étant de nouveau rattachés aux deux clochers de la grand-rue (que plus personne n'appelle la grand-rue). L'église Notre-Dame-des-Anges est désormais une église croate. La bâtisse de l'école existe toujours, mais l'école est depuis longtemps fermée, faute d'élèves. Sur le quadrilatère Burnside-Parkdale-Emmerson-Forward, il ne reste que trois des vieilles habitations, étouffées entre les blocs locatifs. Et l'une d'entre elles tombera sous le pic des démolisseurs pour céder la place à une immense tour de 32 étages de condominiums de luxe…


L'église paroissiale avait été inaugurée le 15 août 1954...

Toutes les maisons les plus rapprochées de la rivière des Outaouais sont disparues quand, début années 70, le fédéral a construit une promenade riveraine à quatre voies, d'est en ouest. Fini les explorations des grands espaces de l'ancien pâturage de M. Tunney, fini l'accès à la rivière… La voie ferrée et le complexe ferroviaire du CP ne sont plus que des souvenirs, remplacés par une voie rapide pour les autobus (est-ouest) et par un train rapide (nord-sud). Même l'ancienne école St-François d'Assise, en bordure de Mechanicsville, a été fauchée l'an dernier pour un méga-projet de condos…

Plusieurs de nos anciennes maisons existent toujours, y compris la vieille demeure de mon grand-père Joseph Allard où, il y a 60 ans, vivaient quatre de ses enfants et leurs familles dont la mienne. Mais de nombreux logis semblent délabrés, au point d'avoir l'air de taudis. Sur la rue voisine (Forward), un projet municipal de logements sociaux a remplacé les maisons ouvrières de jadis… Le projet a été baptisé «Place Allard», à la mémoire de mon grand-père, qui était l'un des épiciers du coin et un ancien membre du conseil municipal d'Ottawa dans les années 1940.



Je sais qu'on ne peut reculer dans le temps, mais il me semble, en rétrospective, qu'il aurait fallu se battre pour garder le quartier tel qu'il était, plus beau, plus propre, plus vivant et, oui, pour y protéger la communauté francophone (il n'y a plus aujourd'hui à Ottawa de quartier majoritairement de langue française). Mais les citoyens des années 50, comme ceux d'aujourd'hui, sont mal équipés pour se défendre contre le monstre fédéral, contre les autorités municipales et contre les tentacules de promoteurs immobiliers sans âme et avides de profits. On a vu, dans les années 60, de quelle façon on a expulsé les gens du «flatte» de leur quartier…

Aujourd'hui, Mechanicsville a retrouvé une existence - virtuelle - sur Facebook. Sa page compte plus de 1000 adhérents. Et tous, toutes, se remémorent le bon vieux temps, avant que le quartier ne soit plus que des collections de souvenirs nostalgiques, et d'albums de photos à scanner et à partager sur Internet.  Hier, en marchant dans mon vieux quartier, je pensais à tout cela… Si seulement…


Un bout de rue qui ressemble au début des années 1950...



vendredi 18 septembre 2015

Entr' deux joints…


Je pense que je viens de découvrir le texte à l'origine de la chanson Entre deux joints de Robert Charlebois, en lisant de vieux numéros de la revue Point de mire du début des années 1970. Une revue dont Pierre Bourgault était à l'époque le rédacteur en chef.

D'autres connaissent sans doute depuis longtemps ce qui a inspiré l'unique (je crois) collaboration musicale entre Bourgault et Charlebois. Pas moi. Et voici que le tombe sur l'éditorial de Point de mire du 19 février 1971, intitulé justement Entre deux «joints»… et signé Pierre Bourgault.

Nous sommes à peine sortis de la crise d'octobre 1970 et Bourgault perçoit chez les étudiants québécois (ainsi que les milieux étudiants ailleurs en Amérique du Nord) une démobilisation massive, une apathie, presque une lâcheté qui mène à l'inaction et à l'indifférence. Je vous propose ici quelques paragraphes de sa conclusion:

«La plus grande lâcheté dans ce cas consiste à se laisser bouffer par le système en le dénonçant du bout des lèvres mais sans jamais entretenir l'espoir de le vaincre. Ne faire aucun projet pour le remplacer. N'entreprendre aucune action pour le renverser.



«C'est votre droit. Ce n'est pas moi qui vous en empêcherai. Mais vous ne m'empêcherez pas non plus de continuer à espérer un peu. Espérer que peut-être l'an prochain… ou dans deux ans…

«Espérer! Entre deux «joints» vous ne croyez pas qu'on pourrait peut-être faire quelque chose?»

Et voilà justement que deux ans plus tard, en 1973, sur l'album Solidaritude, apparaît cette chanson mythique (paroles http://bit.ly/1NBqtwY de Bourgault, musique de Charlebois) qui a marqué le milieu des années 1970 et qu'on entend toujours au 21e siècle: Entr' deux joints (lien à la vidéo http://bit.ly/1c1BrMe).

L'éditorial de 1971 aura sans doute été l'étincelle… Quelqu'un en sait plus?

jeudi 17 septembre 2015

La presse, comme une vulgaire boîte de conserve


Faut croire que je ne vis pas sur la même planète que ces gens-là. En annonçant et en analysant la disparition (en semaine) de l'édition papier de La Presse, ils discutent de «modèle économique», de «produit», de «marché», d'«habitudes de consommation». On parlerait ainsi d'une vulgaire boîte de conserve dans un supermarché. Ne voit-on pas que des droits fondamentaux pour la démocratie sont en jeu ici: accès à l'information, liberté de presse et d'expression, 500 ans de civilisation de l'imprimé?

Quand on évoque les principes et les valeurs, on passe trop souvent pour des idéalistes peu soucieux de la réalité qui nous entoure. Pour bien des gens (y compris dans les milieux journalistiques), le discours des frères Desmarais et de leurs exécutants sur l'abandon de la presse écrite tient de l'évidence, et ne souffre pas d'être remis en question. Je prends pour exemple le texte de Pierre Duhamel dans L'actualité, mis en ligne ce matin (http://bit.ly/1W4I2Z7).

«Le modèle économique des quotidiens imprimés ne tient plus», écrit-il sans nuances. Selon qui? Pourquoi? Pourrait-on corriger le tir? Sais pas… Le jugement est rendu et sans appel. «Le marché publicitaire a changé et abandonné les médias traditionnels», et «les (pas des…) jeunes lecteurs ont déjà adopté de nouveaux modes de lecture et de nouvelles habitudes de consommation de l'information». Le marché publicitaire a abandonné? Vraiment, À quel point? Pourquoi? Peut-on renverser la vapeur? Sais pas… Le jugement est rendu et sans appel. Et ces jeunes lecteurs? Ont-ils vraiment largué l'imprimé autant que l'on semble le croire? Lisent-ils moins? Pourquoi? Que peut-on faire, à l'école ou ailleurs, pour encourager la lecture? Sais pas… On n'en discute pas. Le jugement est rendu et sans appel.

Le fait est qu'on laisse présentement agir, sans trop les questionner sur le fond, des barons d'industrie plus soucieux d'engranger des fortunes que d'informer la population. Le jour où, pour de bon, on laissera «le marché» décider du bien-fondé de nous offrir ou pas des «produits» d'information, notre démocratie mourra. Certains jours, on la voit déjà moribonde. Les premiers à monter aux barricades pour sauver l'imprimé, pour sauvegarder l'accès à l'information, pour stimuler le débat sur l'avenir de la presse devraient être les artisans des journaux. Mais un morne silence émane des salles de rédaction…

Pendant qu'ailleurs sur notre petite planète, des journalistes et photographes sont tués ou emprisonnés ou persécutés pour tenter d'obtenir des droits qui sont ici reconnus dans nos constitutions, nos propres scribes et preneurs de photos - ici au Québec - et leurs organisations, syndicales et professionnelles, (je vais bien choisir mes mots ici…) manquent nettement de vigueur. Hier, après l'annonce de l'abandon en semaine de La Presse papier, j'attendais une réaction rapide et vigoureuse des syndicats CSN et de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec.

La réaction syndicale est venue en fin d'après-midi et, tout en insistant sur les priorités d'une information de qualité, ne remet pas en question les fondements du branle-bas qui menace l'avenir de la presse écrite. Quant à la FPJQ, qui aurait dû être prête pour cette annonce, prévue depuis près de deux ans, elle ne s'est toujours pas manifestée au moment d'écrire ces lignes (le lendemain matin). Elle aurait pu, tout au moins, affirmer son intention de fouiller l'affaire et de suivre à la trace l'évolution du dossier pour protéger les intérêts des journalistes et le droit du public à l'information. Non, rien…

À force de lutter pour sauver les emplois qui resteront quand les proprios auront décidé de l'importance de leur marge de profit, les employés des salles de rédaction semblent avoir renoncé - sauf exception - aux grands débats de principes et de valeurs sur la place publique. Ou, pire, accepté comme des évidences les prémisses des plans de match de Power Corp et de Gesca.

Heureusement, les six quotidiens ex-Gesca semblent avoir échappé pour le moment à la peine de mort prononcée par André Desmarais en mai 2014. La direction de Capitales Médias, ainsi que celles du Devoir et des journaux de Québecor, continuent d'affirmer leur confiance en l'avenir de l'imprimé tout en entreprenant leurs stratégies numériques. Mais un jour, les salles de rédaction de ces journaux risquent d'être confrontés au scénario actuel de La Presse

Se taire aujourd'hui, n'est-ce pas se condamner au silence demain?




mercredi 16 septembre 2015

Les sondages, les médias et le Bloc...

Au cours d'une discussion récente où j'avais indiqué mon intention de voter pour le candidat du Bloc québécois, mon interlocuteur m'a lancé: «mais c'est un vote perdu»… Sa réaction, instinctive, est loin d'être inusitée. On pourrait presque dire qu'elle va de soi pour un grand nombre de citoyens. Combien de fois avez-vous entendu des gens affirmer, après une élection, qu'ils avaient «perdu leur vote» parce qu'ils avaient appuyé une candidate ou un candidat défait? Or, personne - moi inclus - n'aime «perdre son vote», peu importe le scrutin. 

Jadis, avant les sondages d'opinion publique ultra médiatisés, les électeurs avaient à leur disposition de l'information sur les candidats, les programmes des partis, l'histoire et le contexte politique, s'ajoutant aux convictions personnelles et aux actualités, pour fixer leur choix électoral. Ce n'est que le lendemain de l'élection qu'on reconnaissait, en comparant les mines réjouies et renfrognées, ceux et celles qui avait «perdu» leur vote. Et on aurait beau avoir expliqué aux «perdants» qu'en démocratie, on gagne toujours à voter selon ses convictions, même dans la défaite, la victoire d'un adversaire reste comme une arête dans la gorge pendant quatre ans…

Mais depuis un demi-siècle, les électorats ont un moyen beaucoup plus sûr de voter pour un gagnant, un moyen qui peut devenir redoutablement efficace, surtout si l'on fait partie de ces groupes qu'on appelle les «indécis» ou les «sympathisants mous»… De fait, selon une étude effectuée en 2012 et rapportée dans les pages d'opinion du quotidien Le Devoir (http://bit.ly/1hw8MeH), environ le quart des électeurs sont susceptibles de changer d'idée, le plus souvent en faveur des favoris, en prenant connaissance des sondages d'intentions de vote durant une campagne électorale.

Or, au cours de la campagne fédérale actuelle, les médias ont déjà fait état de plus de 35 sondages pan-canadiens et s'il existe dans ce bourbier de données une constante, c'est l'avance plus qu'appréciable du NPD au Québec et dans ma circonscription, Gatineau, tout particulièrement, où la néo-démocrate Françoise Boivin a accaparé en 2011 plus de 60% des voix exprimées! Une majorité de 25 000! Si le NPD perd Gatineau, il est en danger partout et rien n'indique un danger imminent. Alors pourquoi voudrait-on «perdre» son vote en appuyant le candidat du Bloc, qui pourrait - même en finissant second comme en 2011 - rafler tout au plus de 15 à 20% des votes?

Le problème, ici, ne réside pas dans la réponse à cette question, mais bien dans le fait qu'on puisse même la poser. En soi, une majorité de 25 000 - quoique énorme - peut être renversée. Toujours dans ma circonscription, en 1980, le candidat libéral René Cousineau avait gagné avec 79% des voix et une majorité de 31 000 votes. En 1984, la candidate conservatrice Claudy Mailly l'a battu avec 8000 voix de majorité… Sans doute un peu beaucoup grâce aux sondages annonçant un raz-de-marée en faveur du parti de Brian Mulroney…

J'ai entendu ce matin, aux nouvelles de Radio-Canada, que des dizaines de milliers d'électeurs de la côte ouest s'étaient engagés à voter «stratégique»… en donnant leur appui à la candidate ou au candidat ayant la meilleure chance de «gagner» contre le porte-étendard conservateur. La FTQ a adopté la même «stratégie» au Québec. On demande donc aux gens de se pincer le nez, et de soutenir un parti qui ne correspond pas à leurs convictions. Je peux concevoir que cette option puisse avoir une valeur, mais elle ne devient possible qu'avec les sondages, grâce auxquels on peut savoir quelle formation, dans telle ou telle circonscription, a le plus de chances de défaire le candidat gouvernemental...

L'étude de 2012 démontrait certains effets probables de la publication des sondages en période électorale - des effets que le bon sens le plus élémentaire aurait permis de déduire. Pour une certaine partie de l'électorat, les sondages ont un effet d'entraînement vers la formation perçue comme ayant la meilleure chance de gagner, et ils ont aussi comme conséquence d'encourager les meneurs à redoubler d'ardeur, tout en décourageant et en démobilisant les partisans des formations «perdantes» à ces scrutins virtuels aux marges d'erreur les plus variables…

Un jour, pas très lointain, j'espère qu'on reprochera aux médias de notre époque d'avoir délaissé leur mission première - de couvrir, analyser et commenter l'actualité - pour créer eux-même des manchettes avec des sondages qu'ils parrainent, des manchettes qui constituent une intrusion dans le processus démocratique et qui mènent à des analyses comme celle publiée dans le Huffington Post Québec (http://huff.to/1MawKy1) où, à partir de sondages, on décortique les «résultats» probables d'une élection qui aura lieu dans plus d'un mois et qui peut toujours - si le passé est garant de l'avenir - réserver des tas de surprises.

Au lieu de suivre loyalement le Bloc québécois, comme tous les partis, en couvrant, analysant et commentant les activités de son chef, de ses candidats, le programme et les enjeux, on fait son autopsie à partir de sondages - comme si les vrais bulletins de vote étaient déjà comptés. Or, quel effet ces sondages et ces «analyses» et commentaires peuvent-ils avoir sur la partie indécise ou «molle» de l'électorat, et même sur les soutiens traditionnels du Bloc? Je vous laisse le soin de répondre à cette question, mais vous pouvez sans doute en saisir la portée…

Il est bien possible que le Bloc disparaisse… ou pas. Cette décision aurait dû appartenir aux électeurs, après des choix fondés sur les enjeux et la valeur des programmes, sans influence indue des pages et écrans des grands médias avec leurs maisons de sondages… En démocratie, il n'y a jamais de vote perdu. Sans défaites, il n'y a jamais de victoires. Sans opposition, il n'y a jamais de débats.

Les facteurs historiques et actuels qui ont rendu nécessaire la présence du Bloc québécois n'ont pas foncièrement changé depuis 1990, et restent en attente de solutions. Bien informés, les citoyens verront dans l'option du Bloc une avenue aussi plausible et réaliste que celles des autres formations. Mais quand, jour après jour, on nous lance à l'aide de sondages dans les journaux, à la radio, à la télé, sur Internet, que le Bloc est à l'agonie… on a moins tendance à juger le parti au mérite. Pourquoi, de toute façon, aller «perdre» son vote?

J'ai une petite nouvelle pour vous. Même si, le 19 octobre, je suis tout fin seul à voter pour le Bloc dans la circonscription de Gatineau, j'aurai «gagné» mon élection et j'aurai un grand sourire le lendemain. Parce que j'aurai voté selon mes convictions. Mais je ne serai pas seul...

lundi 14 septembre 2015

Enjeux linguistiques: des assemblées législatives aux Tim Hortons...


La semaine dernière, j'ai été témoin d'un incident savoureux dans un des restaurants Tim Hortons (y'en a partout!) de mon quartier de Gatineau. Un anglophone devant moi, dans l'une des files, s'est retrouvé devant un jeune caissier unilingue français… Il avait débité sa commande - assez longue pour une facture de près de 20 $ - dans un anglais rapide sans même s'inquiéter d'être compris, Gatineau étant après tout la ville la plus bilingue du Québec…

Le regard d'incompréhension de l'employé et sa réplique en français ont obligé le client à recommencer dans un franglais plus qu'ardu, jusqu'à ce qu'une autre caissière s'amène pour tenter tant bien que mal de servir d'interprète. Tout cela a pris du temps et le monsieur, de toute évidence, n'avait pas la mine réjouie. Pour bien des anglos, en 2015, se voir imposer un service en français au Québec semble un brin humiliant. Je le vois encore, empourpré, en train d'essayer de déchiffrer sa facture (en français) en la comparant au contenu de ses deux précieux sacs de produits Tim… Il est sorti en grommelant…

J'espère qu'on ne me blâmera pas trop d'avoir un peu joui de ces quelques minutes où, pour une fois, ce n'était pas le francophone qui se trouvait confronté à un commis ou un caissier unilingue anglais, comme cela arrive tous les jours sur l'autre rive de l'Outaouais, dans la grande majorité de tous les Tim Hortons et semblables de la capitale canadienne… Une forte proportion des Franco-Ontariens - la majorité? - ne se donnent même plus la peine d'essayer de commander dans leur langue à Ottawa…

À écouter les employés et clients dans ces Tim Hortons - et c'est sans doute pareil aux Second Cup, Starbucks, McDo et autres - on se rend compte que les grands débats linguistiques du Québec et du Canada n'occupent pas seulement comme scène les bureaux des fonctions publiques, les assemblées législatives et les tables constitutionnelles. Un petit Tim Hortons peut devenir, de temps à autre, un microcosme du pays, avec comme principal enjeu le droit de commander dans sa langue un «latté» moyen avec un sucre…

Et quand on vit dans une ville comme Gatineau, sur la frontière ontarienne, et que l'on a grandi par surcroit à Ottawa, les règles du jeu apparaissent vite claires - surtout pour les francophones. On peut chiâler tant qu'on veut du côté de la capitale fédérale, rien ne garantit qu'on se fera servir en français, et le seul moyen de pression - faute de droits bien légiférés dans le secteur privé - reste la force du nombre et l'insistance, voire l'intransigeance. Sur la rive québécoise, avec la Loi 101 comme levier et une forte majorité de langue française, les francophones ont plus de chance de s'imposer… mais ne réussissent pas toujours...

Le fait est que des Franco-Ontariens se plaignent du service unilingue anglais dans des Tim Hortons et semblables même dans des municipalités où la proportion de francophones dépasse le seuil des 50%, et à l'occasion des 80%… Clarence-Rockland, Embrun, Casselman, Hawkesbury… Encore aujourd'hui, dans le secteur privé, des petits commerces aux grandes entreprises, les directions des sièges sociaux situés à l'extérieur du Québec se comportent trop souvent - en matière d'embauche et de langue de travail - comme si les francophones n'existaient pas…

En fin de semaine, à la une, Le Devoir annonçait qu'à la suite de l'acquisition du réseau Astral par Bell Canada, plusieurs cadres supérieurs francophones à Montréal avaient été limogés, et qu'il en résultait une «anglocanadianisation» de l'entreprise. On parlait même de «scandale», de «carnage» et de «catastrophe» (http://bit.ly/1UL7bWj). «Les francophones dans l'ancien réseau Astral se sentent comme une poche isolée de Franco-Canadiens du Manitoba», disait un employé sous le couvert de l'anonymat.

Bien des gens se souviendront de l'ancienne entreprise James Maclaren, en Outaouais, qui s'est francisée - du plancher des usines à la direction - au fil des ans, au point d'être honorée par l'Office de langue française du Québec. Acquise par la multinationale Noranda, ayant siège à Toronto, l'entreprise a été démantelée division par division entre 1980 et 2000 jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien… quelques usines acquises par d'autres papetières.

Le secteur privé, sauf exception, angliciserait tout ce qui bouge sans remords. On n'a qu'à regarder les constructeurs d'habitation de l'Outaouais, qui s'abstiennent de tout militantisme linguistique quand ils construisent en Ontario, et qui font tout pour attirer des milliers d'Ontariens, surtout anglophones, dans des quartiers de Gatineau qui s'angliciseront à vue d'oeil d'ici quelques décennies. Et pendant ce temps, le conseil municipal assiste impuissant à cette transformation sans même défendre l'identité francophone de la métropole de l'Outaouais (4e ville en importance du Québec).

Au contraire, la ville de Gatineau poursuit son combat pour avoir le droit de bilinguiser au moins une partie de sa fonction publique municipale, en dépit de la Loi 101. Déboutée par un arbitre et plus récemment par la Cour supérieure, la ville dépense l'argent des citoyens pour porter sa cause en appel et avoir le droit d'exiger la connaissance de l'anglais pour des tâches où, selon la cour, le bilinguisme n'est pas essentiel…

On voudrait bien pouvoir compter sur Québec pour sauver les meubles, mais avec Philippe Couillard nous avons le gouvernement le plus anglo-servile depuis la Confédération, ainsi que des députés libéraux de l'Outaouais qui montent volontiers aux barricades pour les anglophones quand on menace de renforcer la Loi 101, mais qui ne lèvent pas le petit doigt pour freiner l'érosion du français dans la région. 

À Ottawa, dans l'Est ontarien, mais aussi au Québec - dans le Pontiac et la Basse-Gatineau, depuis la Confédération, des milliers de francophones sont devenus bilingues, jusque dans leur identité, avant de voir leurs enfants et petits-enfants devenir unilingues anglais. Ce phénomène se poursuit aujourd'hui à une vitesse variable selon les régions, et se vit au quotidien… jusque dans les Tim Hortons…

Il y a quelques semaines, je suis allé dîner avec ma mère de 91 ans dans un Tim du secteur Orléans, à forte proportion francophone, dans l'est d'Ottawa. La caissière s'adresse à nous en anglais. Ma mère répond en français qu'elle veut une soupe et la demoiselle passe rapidement au français (qui semble être sa langue maternelle) en lui disant: «On a la chicken noodle et la cream of broccoli»… 

Pendant ce temps, au Québec, on n'en a que pour l'anglais intensif et dans l'Est ontarien, une commission scolaire de langue française veut mettre les tout-petits de quatre ans à l'apprentissage de l'anglais… On n'est pas sortis du bois...







vendredi 11 septembre 2015

Le Bloc devant les «Ben voyons donc…»


Perdre loyalement un argument, j'accepte. C'est plus plaisant gagner, bien sûr, mais on conserve quand même dans la défaite le plaisir de l'échange... et des enseignements pour le prochain débat. Ce que je n'accepte pas, c'est le refus d'argumenter, le rejet du dialogue, de la communication… Et c'est justement le principal obstacle que rencontrent présentement les partisans du Bloc québécois et de sa pertinence (dont moi) quand une discussion s'amorce sur les enjeux de l'élection fédérale du 19 octobre.

Comment m'expliquer? Tiens… avez-vous déjà écouté le numéro des anciens Cyniques (ça remonte aux années 1960, ça paraît que je suis vieux) sur les interjections? Ils finissent leur sketch avec une illustration percutante de l'étroitesse d'esprit (l'«étroit d'esprit» lançant un Vas donc chier! bien senti à son interlocuteur) et de la lucidité (un gros et gras éclat de rire témoignant du scepticisme et de l'incrédulité du «lucide» devant les propos entendus)…

C'est un peu la réaction de trop de gens quand on tente de les convaincre de la valeur d'appuyer le Bloc québécois, qui oscille par les temps qui courent à moins de 20% des intentions de vote dans les sondages. Et de toute évidence, ça ne décolle pas… ou peu, du moins pour le moment. Oh, remarquez, des milliers de voix à l'appui du Bloc se font entendre dans les médias sociaux, et même à l'occasion dans les tribunes des grands médias, mais un mur s'est dressé devant cette immense majorité québécoise qui semble avoir opté surtout pour le NPD, mais aussi pour les conservateurs, libéraux et verts.

Un mur de «lucidité», d'«étroitesse d'esprit»? Si c'est le cas, c'est un mur fabriqué de béton armé. Il sera difficile d'y percer des brèches. Les composantes de cet agrégat sont multiples et s'agglutinent dans le substrat de l'opinion publique depuis des années avec l'aide des pages et des écrans d'opinion des empires médiatiques. L'indépendance, c'est un projet du passé. Le Bloc a fait son temps. Gilles Duceppe est un «has-been». Le français n'est plus en danger. La constitution, ce ne sont que des «vieilles chicanes». Etc. Etc. Chaque élément renforce les autres… qu'il soit fondé ou pas.

Le résultat, on le voit tous les jours dans les réactions des gens. «Tu votes Bloc? Ben voyons donc…» Comme s'il était parfaitement évident que cette option est ridicule, au point où il n'y a même plus lieu d'amorcer une discussion là-dessus. Non seulement conclut-on massivement à la non-pertinence du Bloc Québécois (et, jusqu'à un certain point, de sa cause), mais on va jusqu'à affirmer la non-pertinence d'en discuter. Trop d'esprits sont fermés au nom d'une soi-disant «lucidité» qui chasse le Bloc de l'éventail des options jugées «réalistes».  

L'éditorialiste Antoine Robitaille, du Devoir, a effleuré ce phénomène dans sa conclusion (http://bit.ly/1K1CSrz), ce matin, quand il écrit: «La critique du régime est formulée par des souverainistes. (..) Au lieu de se révolter contre ce régime politique bricolé qu'est le Dominion canadien ou contre le fait qu'on y viole la Constitution à qui mieux mieux, plusieurs Québécois se tournent vers les seuls qui osent encore critiquer… et les condamnent. Leur disent de se taire.» L'important, ici, ce n'est pas la condamnation, mais bien l'ordonnance «de se taire».

À ceux et celles qui pourraient être tentés de dire que je suis moi-même étroit d'esprit et que je manque de lucidité, je dis: parfait, venez me voir, nous en discuterons. Nous aurons un bon et vigoureux échange. Si je perds, je perds. Si je gagne, je gagne. Si c'est un match nul, on se reprendra.

Mais à ceux et celles qui n'ont qu'un «ben voyons donc…» ou un «ça se peut-tu ?» à répondre, à ceux et celles pour qui certaines choses paraissent évidentes au point d'écarter toute discussion ou remise en question (partisans et adversaires du Bloc inclus), je dis: votre silence, s'il devient majoritaire, mènera notre démocratie et notre nation droit au précipice…



lundi 7 septembre 2015

Ça s'est passé en Riponnie !


N'étant pas un grand amateur de spectacles, et m'arrivant parfois d'être l'un des seuls à marmonner au coeur d'un auditoire enthousiaste, c'est avec un brin d'hésitation que j'allais en fin de semaine (dimanche 6 septembre) avec mon épouse à la présentation de Ça s'est passé en Riponnieun grand déploiement de talents locaux pour célébrer les 150 ans du village de Ripon. Le tout avait lieu dans l'église paroissiale qui, pour l'occasion, servirait de salle de théâtre… sans climatisation alors que la température ressentie à l'extérieur devait friser les 40 degrés selon la météo…


Après trois heures sur un banc de bois inconfortable dans l'église bondée de Saint-Casimir de Ripon (région de la Petite-Nation, en Outaouais), il n'y avait plus de doute... il faisait vraiment très chaud. Et pourtant, j'y serais bien resté quelques heures de plus pour applaudir à tout rompre une seconde représentation!  Ripon a beau être un village d'à peine 1500 âmes, cette mise en scène de son épopée d'un siècle et demi aurait fait honneur à la plus grande des métropoles! Animation, décors, textes, interprétations, narration, musique et chansons… tout était parfait!

Oh, les organisateurs vous diront qu'il y a eu ça et là des pépins, et je les crois. Il y en a toujours. Mais le public ne les a pas vus, et les multiples ovations d'une salle comble attestent à la fois la qualité et l'authenticité des scènes illustrant la colonisation, les chantiers forestiers, l'ancienne vie paroissiale, la conscription et la guerre, les carnavals d'hiver, les nouveaux arrivants et la transition vers le 21e siècle. Du plus humble participant aux nombreuses vedettes (solistes, comédiens, musiciens), chacun, chacune aura contribué à créer - ainsi que le promettaient les organisateurs - « un spectacle dont on parlera longtemps dans les chaumières de Ripon»… et ailleurs!


De fait, si le comité du 150e de Ripon ne mérite pas des prix majeurs, régionaux ou nationaux, pour Ça s'est passé en Riponnie, ainsi que pour son livre du 150e anniversaire, intitulé Ripon, j'ai la couleur d'une rivière, publié sur papier glacé à l'automne 2014, il y a quelque chose de pourri dans les royaumes de l'Outaouais et du Québec. Ceux et celles qui en doutent n'ont qu'à se procurer le livre, une addition de qualité à toute bibliothèque, ou le DVD du spectacle, qui sortira sûrement bientôt. Je n'aurais aucune hésitation à les comparer à tout ce qui s'est fait ailleurs ces dernières années…

La recherche historique menant au livre et au spectacle a été intense et exhaustive. Le volume de plus de 250 pages est finement rédigé et richement illustré. Au spectacle, dans la scène des chantiers, quand un bûcheron lit une lettre de son épouse à son frère (photo ci-dessous), le document est authentique. Les costumes des différentes époques le sont tout autant. Et l'ensemble brosse un tableau captivant d'une collectivité aux facettes les plus diverses.


Du début à la fin du spectacle, dans mon esprit, plusieurs images se sont superposées. Les origines métisses des fondateurs, leur refus de payer des redevances seigneuriales excessives, leur poussée vers un nord sauvage, hors des limites du domaine des Papineau. Les durs labeurs de la vie agricole, l'exil des hommes vers les chantiers en hiver. Les luttes intestines causées par les crises de la conscription. Le conflit incessant entre les règles sévères de l'ancienne religion et les tentations discrètes de rébellion, pour s'en libérer. L'évolution dynamique d'une communauté tricotée serrée, à la fois réticente et accueillante envers les «étranges». La fierté de tous et de toutes.

Durant l'interprétation de Gens de mon pays, de Gilles Vigneault, je me suis rendu compte que les paroles pouvaient évoquer les résidents de Ripon, autant que ceux de Natashquan, quand notre barde national chante ce vaste pays «où vous vous entêtez à jeter des villages». Et cet hymne finit sur le désir universel de liberté, comme la finale de La bitt à Tibi, magnifiquement interprétée par la famille Céré-Bélisle (qui ferait un malheur n'importe où). Enfin, pour ceux qui pourraient douter de l'accueil envers les gens d'ailleurs, ce spectacle québécois pur-laine comptait parmi ses figurants et chanteurs des Riponais d'origine anglo-ontarienne, latino-américaine et belge flamande, entre autres.


Ginette Séguin, conceptrice du spectacle du 150e.

Voilà! J'ai dit ce que j'avais à dire. Peut-être un mot de plus… Félicitations... et merci!


dimanche 6 septembre 2015

Où est le «Canada anglais» dans les sondages?

J'en ai jusque là des sondages sur les intentions de vote durant les campagnes électorales! Non seulement constituent-t-ils une intrusion indue des médias dans le processus démocratique (un point de vue que je défends depuis 40 ans et plus), mais leur présentation tend à déformer la réalité politique, au point d'induire en erreur les citoyens qui voudraient en faire un outil d'information.

En tout premier lieu, et ce, même si les maisons de sondage font des répartitions provinciales, les données pan-canadiennes - peu importe leur emballage - ont tendance à livrer l'image d'un seul vaste combat électoral, alors qu'on assiste à deux grandes campagnes «nationales»: une axée sur le Québec, l'autre - avec ses multiples variantes régionales - sur le reste du Canada. Elles se croisent bien sûr mais se déroulent le plus souvent en parallèle, presque séparément…

De toute évidence, les maisons de sondage comprennent que le Québec abrite une collectivité nationale distincte. La domination du Bloc québécois pendant six élections fédérales d'affilée, de 1993 à 2008, l'atteste. Mais toutes, à l'exception de Léger, ne semblent pas saisir l'importance de présenter dans leurs colonnes de chiffres les différences majeures entre le comportement électoral des francophones et anglophones.

La plupart des électeurs auront vite fait de déduire - sans sondage - que le Bloc québécois trouve ses appuis presque entièrement chez les francophones, et que les libéraux ont tendance à recruter davantage de votes chez les anglophones et allophones. Mais qu'en est-il au juste du NPD, omniprésent depuis 2011, et des appuis du parti de Stephen Harper? Le plus récent sondage Léger (http://bit.ly/1Qgz4F6) lève un peu le voile là-dessus et c'est instructif. Les autres sondeurs ne s'en préoccupent pas...

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Mais il existe un tableau essentiel à la compréhension de l'avenir électoral du Canada et qu'aucune maison de sondage ne présente (du moins toutes celles que j'ai scrutées): les intentions de vote pour le Canada sans le Québec. Si le Québec mérite une colonne de chiffres à lui tout seul, alors le reste du pays doit aussi être considéré comme un tout distinct. Et ça, on ne le trouve nulle part…

Quand les sondages présentent la campagne électorale pan-canadienne comme une lutte serrée à trois avec le NPD légèrement en avance, on précise souvent que la suprématie du NPD au Québec (20 points d'avance ou plus sur les autres) a tendance à déformer le portrait d'ensemble pour le pays. Parce qu'ailleurs, le NPD ne domine pas. Mais cet «ailleurs» - les neuf provinces à majorité anglaise et les trois territoires - n'a jamais «sa» propre statistique.

Je l'ai extrapolée pour le plus récent Léger, où l'on donne, pour l'ensemble du Canada, les intentions de vote suivantes:

NPD: 31%
Libéraux: 30%
Conservateurs: 28%
Parti Vert: 5%
Bloc québécois: 4%

Un tableau à peu près inutile pour comprendre la situation politique, tant au Québec qu'ailleurs au pays!

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Ce même sondage Léger propose le tableau suivant pour le Québec:

NPD: 46% (48% chez les francophones, 41% chez les anglos)
Libéraux: 20% (15% chez les francophones, 37% chez les anglos)
Bloc québécois: 18% (23% chez les francophones, 1% chez les anglos)
Conservateurs: 13% (12% chez les francophones, 20% chez les anglos)
Parti Vert: 2% (2% chez les francophones, 2% chez les anglos)

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Mais qu'en est-il du reste du Canada (sans le Québec)? Personne n'en parle… Voici ce que, selon mes calculs, cela donnerait pour le Rest-of-Canada avec les données du plus récent Léger (début de septembre 2015):

Libéraux: 33,1%
Conservateurs: 32,6%
NPD: 26,3%
Parti Vert: 6,3%

C'est ce tableau, présenté avec celui du Québec (incluant la distribution linguistique), qu'il faudrait pour bien saisir l'évolution des intentions de vote au Canada anglais dans son ensemble… Or, ce «Canada anglais», comme concept, comme réalité, est presque entièrement absent* des colonnes de chiffres que les grandes maisons de sondage et les empires médiatiques nous infligeront d'ici le 19 octobre…


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* J'ai trouvé une mention du «rest of Canada» dans un tableau sur l'identification politique - sondage du groupe Innovative Research (http://bit.ly/1i5r928), le 26 août 2015



vendredi 4 septembre 2015

Parfois savoir ne suffit pas… Parfois il faut voir…

Je me préparais aujourd'hui à une analyse croustillante de l'évolution des sondages d'intentions de vote au fédéral depuis le début d'août… Une demi-heure d'alignement de tableaux et de chiffres et l'examen des arcs-en-ciel de colonnes bleues foncées, bleues pâles, rouges, oranges et vertes m'ont laissé tout à fait indifférent… Remise à demain ou à un autre jour…

Ne voulant pas rester inactif et ayant complété la tonte du gazon hier soir, j'ai tenté de poursuivre l'indexation de mes vieux magazines des années 1960 et 1970. J'en suis présentement à mi-chemin dans mes numéros de la revue Maintenant, un trésor de ressources sur le Québec. Malgré tous mes efforts, la pile de documents est restée sur mon bureau… Je n'ai pas le goût…

Un tour rapide des émissions de télé, des chaînes de films… puis quelques essais à la radio, tout aussi stériles… Même ma collection de vinyles 33 tours et 45 tours, habituellement un refuge sûr pour me distraire quand tout le reste échoue, ne réussit pas à me remonter le moral cet après-midi…

Je n'ai qu'une image en tête et rien ne peut l'en chasser… cette photo du garçon syrien de trois ans, Aylan Kurdi, noyé, étendu sur une plage turque… un petit humain vêtu d'un t-shirt rouge et de pantalons bleus… victime innocente du carnage dans son pays et de la fuite désespérée de familles entières vers des lieux hostiles ou indifférents…

Je ne veux plus voir cette photo… et pourtant je ne peux plus y échapper… Parfois savoir ne suffit pas… parfois il faut voir… Parfois il faut connaître avec le coeur et avec les tripes autant qu'avec la tête… Et pour que les choses changent, pour que notre connaissance mène à des actions concrètes, il faut que le savoir nous enrage, qu'il nous fasse pleurer, qu'il nous culpabilise…


Une des nombreuses caricatures parues hier

Dans ce petit bout d'homme, il y a toute l'humanité... Toute l'humanité sur une plage, de Turquie ou d'ailleurs. Tous ces millions d'enfants (et d'adultes) échoués, abattus, affamés, blessés, tués, victimes le plus souvent invisibles de conflits comme la guerre en Syrie, qu'on ne verra jamais en photos…

Dans ce petit bout d'homme, il y a aussi une vision de nos propres enfants, nos petits-enfants… qu'on ne peut s'empêcher d'imaginer sur une plage lointaine… fuyant une guerre civile, naufragés en mer, noyés…

Je garde ce soir mon petit-fils Cédric, qui a quatre ans… Je lui offrirai sûrement un câlin de plus, avec la promesse de tout faire pour lui léguer un monde dans lequel aucun petit Cédric ne risquera d'échouer sur une plage de Turquie…

Je ne veux plus voir cette photo… et pourtant je ne peux plus y échapper…

jeudi 3 septembre 2015

Où sont-elles, les pancartes du Bloc?

Je rédige ce texte le 3 septembre 2015. Peut-être pourrai-je pouvoir écrire autre chose d'ici quelques semaines mais pour le moment, le paysage électoral dans la circonscription de Gatineau est désolant pour quiconque arbore des sympathies bloquistes. À se promener dans les rues de la ville (le territoire à l'est de la rivière Gatineau, sauf les secteurs Masson et Angers), on ne croirait absolument pas que la population avait élu ici un député du Bloc québécois, Richard Nadeau, aux élections fédérales de 2006 et 2008…

J'ai roulé sur plusieurs des artères principales de l'est de Gatineau (le secteur le plus francophone), et j'ai entrevu une seule petite affiche électorale du Bloc, sans mention du candidat, dans un océan de grosses pancartes conservatrices et libérales, auxquelles s'ajoutent depuis quelques jours un nombre croissant de pancartes néo-démocrates aux couleurs de la députée sortante - élue en 2001 dans la vague orange avec une majorité de près de 25 000 voix… Et à moins d'un cataclysme, elle sera facilement réélue...


Pour les souverainistes, Gatineau a toujours été une terre de mission. Pas que la majorité de la population soit nécessairement fermée à l'option, mais ici la faction anti-séparatiste, menée par la vieille garde libérale, est particulièrement hostile et hargneuse. L'ancien député libéral de Hull-Aylmer, Gilles Rocheleau (avant qu'il ne se convertisse lui-même au Bloc), disait jadis qu'il allait jusqu'à se réveiller la nuit pour haïr les séparatistes… De tels excès d'intolérance - chez certains ça devient presque de l'intimidation - couvent encore aujourd'hui, un peu partout, et effraient sans doute de nombreux citoyens qui pourraient être tentés d'aider le Bloc sur le terrain…

Malgré tout, bon an mal an, entre 20 et 30% (parfois moins, parfois plus) de la population gatinoise coche le nom d'un candidat ou d'une candidate indépendantiste aux élections québécoises et fédérales. Une minorité largement silencieuse, discrète, qui refuse de se dévoiler dans un milieu dominé par l'appareil fédéral (le Parlement canadien est bien visible de la rive gatinoise de l'Outaouais), et un environnement où la chasse aux souverainistes est toujours ouverte.

Les gens d'ici ont-ils raison de craindre d'appuyer ouvertement le Bloc, ou le PQ? Peut-être que non, peut-être que oui. Mais je peux les comprendre. Le climat actuel, au fédéral, est répressif. À Québec aussi. Et les couteaux volent bas. Par contre, les vieilles machines ont perdu de leur force. Aux dernières élections fédérales, le candidat du PLC (le même qu'en 2015), a terminé troisième, derrière le NPD et le Bloc québécois, avec seulement 14% des voix… Et cette semaine, quand Justin Trudeau est venu visiter la circonscription, on a organisé l'événement à un Tim Hortons - un endroit où on savait qu'il y aurait achalandage avec ou sans politicien vedette...


Jusqu'à maintenant, donc, visuellement, c'est une guerre de pancartes que les partis se livrent. Les libéraux ont été les premiers à décorer poteaux et lampadaires avec leurs affiches étranges, aux couleurs sombres d'un film de vampires. Rouge et noir. Le candidat est mis en vedette en plein centre. Suivent en bien plus petits caractères le nom de la circonscription, le nom du chef et le nom du parti. Le «L» libéral avec la feuille d'érable orne le coin gauche, tout en haut. En tout cas, ça frappe...

Les pancartes conservatrices ont suivi, plus grosses, également axées sur le nom et la photo du candidat, Luc Angers, ancien porte-étendard de la CAQ aux élections québécoises. Le nom du parti reste assez petit, mais plus visible que sur les affiches libérales, et la photo du candidat est positionnée - bien sûr - à droite… Le parti de Stephen Harper n'avait récolté qu'un maigre 8% des voix ici au scrutin de 2011, mais à voir le nombre de pancartes (plus que le PLC), les coffres du parti doivent être bien garnies… Mais ses chances sont nulles...


Les plus récentes sont celles de Françoise Boivin, du NPD. Encore une fois, l'accent sur la candidate (positionnée à gauche cette fois), avec le nom du parti et du chef en petits caractères. Je crois qu'elle était la députée néo-démocrate à avoir récolté la plus forte proportion de voix au Québec en 2011 - 62%. Faut dire qu'elle ratissait large, ayant été auparavant députée libérale de la même circonscription et profitant, par surcroit, des filets de la pêche miraculeuse du sympathique Jack. Si le NPD perd Gatineau en 2015, il sera anéanti partout… et personne n'envisage présentement une telle éventualité.

Reste le Bloc québécois, avec son jeune candidat, Philippe Boily, issu d'Option nationale, que je ne connais pas mais qui se présente - dans les photos que j'ai vues en tout cas - en veston et noeud papillon, comme un vieux prof d'université… Le verra-t-on sur nos lampadaires, présentement peuplés des binettes de ses adversaires? Aura-t-on la chance de voir ici en Outaouais ces belles pancartes bleues avec le merveilleux slogan «Qui prend pays prend parti» ? Dira-t-on aux citoyens d'ici que l'option souverainiste est toujours disponible pour ceux et celles qui y croient et qui désirent voter en conséquence? Pour le moment, il règne un silence de mort...


On ne sait jamais ce qui se peut se produire dans le dernier droit d'une campagne électorale… Et malgré l'avalanche de sondages décourageants que les médias nous infligent, jour après jour, les militants ont le devoir d'optimiser la performance de leur parti - peu importe le parti, peu importe la cause. Sinon, quel sens aura la démocratie? Pour le Bloc, cela signifie - tout en restant réaliste - de travailler fort pour aller chercher, dans Gatineau, le 15, 20, 25 ou 30% de voix sympathiques à la cause souverainiste, même si les chances de gagner sont à peu près nulles.

Le travail amorcé en septembre et en octobre 2015, s'il ne donne pas de résultats immédiats, servira tout au moins à préparer le terrain pour le scrutin québécois de 2018, bien plus important. Où sont-elles, ces pancartes du Bloc???