mardi 30 septembre 2014

Trop de questions sans réponse…


On en apprend à tous les jours. Et parfois, certains jours, comme aujourd'hui, on apprend... qu'on n'apprendra pas. Une question qui reste sans réponse, pour un vieux journaliste comme moi, c'est un petit bogue irritant qui s'infiltre et qui clignote sans arrêt (pour un temps) dans un coin de mémoire… Enfin, pour le moment il clignote…

C'est aujourd'hui l'anniversaire de naissance de mon frère Robert, d'un an mon cadet, et mon voisin à Gatineau depuis 34 ans. Est-ce par manque d'imagination, par habitude? À nos fêtes, on s'échange des cartes-cadeaux ou un livre, le plus souvent achetés au magasin Archambault. Ce matin, en lisant quelques textes sur le site Web du Nouvel Observateur, j'avais noté avec intérêt la parution récente de Mon tour du monde, une collection de textes signés Charlie Chaplin dans lesquels le célèbre comique raconte - et commente - ce dont il avait été témoin au cours d'un périple planétaire en 1931.

Mon frère étant historien de formation, je me suis dit que ce serait là un cadeau à la fois divertissant et instructif. Et hop, en route pour Archambault… un défi en soi compte tenu que le centre commercial Les Promenades est en pleine reconstruction et que, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, on doit négocier des chantiers, des labyrinthes et des courses à obstacles. Enfin, arrivé sur place et n'ayant rien trouvé dans la section Biographies, je fais ce que la plupart feraient… demander de l'aide…

Le préposé ne connaissant pas le livre, on se transporte immédiatement à l'écran où rien ne correspond à ma requête. Je lui propose de regarder les indications du Nouvel Obs et effectivement voilà la référence: Mon tour du monde, par Charlie Chaplin, Les Éditions du Sonneur, 212 pages, 16 euros. Le prix est européen, remarque-t-il. Oui, évidemment c'est un texte de France. Bien sûr, précise-t-il, mais il arrive qu'un livre disponible en Europe ne le soit pas nécessairement en Amérique du Nord.

Rien n'indique, toutefois, si - ou quand - Mon tour du monde sera mis en vente ici… Est-il possible de savoir? Je suis sûr que le jeune préposé n'a pas quelques heures à me consacrer et la réponse à cette question pourrait impliquer un appel au siège social d'Archambault, à Montréal, ou même à l'éditeur… Je lui propose de vérifier pour un second livre de Chaplin, un roman inédit intitulé Footlights et qui doit paraître en France aux Éditions du Seuil le 3 octobre. Celui-là apparaît dans le logiciel d'Archambault et annonce la mise en vente nord-américaine à compter du 17 novembre…

Pourquoi un délai d'un mois et demie entre la publication en Europe et celle au Québec? Même en expédiant les livres par bateau, ça ne prend pas plus d'une semaine à traverser l'Atlantique… J'ai peine à croire qu'il puisse y avoir des avantages de marketing à retarder la vente d'un tel roman ici, dans un marché bien plus petit que celui de l'Europe francophone… Enfin, le préposé n'a pas de réponse à cette question et à moins de faire enquête moi-même, je devrai laisser tomber. Tout de même… Alors cette fois, cher frère, ce sera une carte-cadeau...

Avant de quitter Archambault, j'avais résolu d'acheter le plus récent album de Tire le Coyote, que j'entends à l'occasion à la radio satellite Franco-Country. Le magasin Archambault est sans doute la meilleure source de musique francophone à Gatineau, et effectivement le disque est offert (l'album s'appelle Mitan), mais le prix est - selon moi - outrancier: 25,99$. Je demande au préposé des disques s'il y a erreur, compte tenu que la plupart des autres CD coûtent moins de 20$ et, sur vérification, c'est bel et bien le prix.

Pourquoi si cher? Peut-être un album à tirage limité, avance-t-il, mais il ne sait pas. Comment faire pour savoir? Là il faut s'adresser au siège social, préférablement par le site Web semble-t-il. Cela vaut-il vraiment la peine d'interroger quelque administrateur de la chaîne de magasins pour savoir pourquoi je paie 26$ pour entendre Tire le Coyote? Non, je devrai ajouter celle-là au panier des questions non répondues du matin (trois jusqu'à maintenant…).

Et pourtant, ça me chicote et je décide d'aller voir au magasin HMV du centre commercial, même si je dois traverser un sombre chantier intérieur entre les ouvriers de construction et les débris au sol… La section de musique francophone au magasin HMV est minuscule et occupe - à vue - moins de 5% de la surface de l'établissement. Miracle, l'album de Tire le Coyote y est, et au prix régulier de 18,99$, sept dollars de moins que chez Archambault.

Avant de sortir, sur ma lancée de questions, je demande aux deux commis pourquoi la section de musique en français est si petite. L'un et l'autre semblent pris de court. De ce que j'ai cru saisir de leur réponse qui n'en était pas une, ils ont beaucoup de CD en français (ils devraient aller voir chez Archambault…) et je dois comprendre qu'il y a sur le marché bien plus de disques en anglais (ça je le savais…). Si je veux offrir un commentaire, je peux m'adresser au siège social. Où est-il situé? «C'est à Toronto», disent-ils. Ah…

Dernier arrêt chez Archambault (retraversée du chantier du futur Simons) pour montrer aux responsables mon Tire le Coyote payé 18,99$, le prix régulier au HMV… Comment expliquer la différence? Que je paie 7$ de moins pour ce disque dans la chaîne de magasins de Toronto? Je n'aurai pas de réponse là non plus…

C'est trop de questions sans réponse pour une seule journée. Je ne sais pas pourquoi des livres sortent plus tard au Québec qu'en France… Je ne sais pas quand Archambault aura en librairie Mon tour du monde de Charlie Chaplin… Je ne sais pas pourquoi l'album Mitan de Tire le Coyote coûte 25,99$ chez Archambault et 18,99$ chez HMV… Je ne sais pas pourquoi la section de musique en français de HMV est si minuscule… Et je ne sais pas pourquoi on laisse le public traverser un chantier de construction intérieur dans un centre commercial…

Ce que je sais, cependant, c'est que dans plusieurs commerces, le personnel n'a pas en main l'information requise pour répondre aux questions de la clientèle, et que la personne qui l'a, cette information, est probablement dans une autre ville, à l'abri de vos questions. Mon dernier souvenir en sortant du centre commercial. Je passais dans un grand magasin, et une vieille dame se plaignait à la jeune vendeuse que les chaussures qu'elle essayait lui faisaient mal aux pieds. «Inquiétez-vous pas, répondit l'employée, c'est du cuir. Ils vont s'étirer…»




lundi 29 septembre 2014

Université de langue française en Ontario. Votre silence est assourdissant!

Le 8 septembre, un appel ultime a été lancé par les organisateurs du sommet des États généraux sur le postsecondaire en Ontario français (du 3 au 5 octobre) pour mousser les inscriptions et, peut-être, piquer l'intérêt des médias pour cet événement majeur, aboutissement de deux années de préparatifs dans toutes les régions de l'Ontario. Le résultat: deux articles dans un hebdo de Toronto (L'Express) et d'Ottawa (L'Express)… C'est tout… rien d'autre…

Le 26 septembre, l'organisation des États généraux - pilotée par le Regroupement étudiant franco-ontarien (REFO) ainsi que ses deux partenaires, l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario (AFO) et la FESFO (étudiants et étudiantes du secondaire) - a diffusé une synthèse éloquente des consultations de l'automne 2013. Cette fois, aux hebdos se sont ajoutées quelques nouvelles dans le quotidien Le Droit et à Radio-Canada. C'est quand même peu. De fait, je trouve cela plus qu'un peu scandaleux.

Vu «l'urgence d'agir», bien démontrée dans la synthèse des consultations, et tenant compte des écarts entre la situation des Franco-Ontariens à l'universitaire et celle de la minorité anglo-québécoise avec ses trois universités de langue anglaise (même les Acadiens et les Franco-Manitobains ont une université bien à eux), on aurait pu espérer que tous ces brillants analystes des grands médias canadiens et québécois saisissent l'importance du dossier et du sommet des États généraux à Toronto pour la suite des événements.

Mais non. Si Québec tentait le moindrement de toucher aux établissements de langue anglaise à l'universitaire - disons pour leur imposer le sort des Franco-Ontariens - la frénésie des médias anglo-canadiens et des pages éditoriales québécoises francophones ne connaîtrait plus de bornes. On aurait même la presse internationale sur le dos et on passerait encore une fois, injustement, pour une bande de xénophobes et de racistes… Pourquoi la situation actuelle des Franco-Ontariens, et le mouvement dirigé par le REFO pour corriger des injustices de longue date, continuent-ils de se buter à une indifférence médiatique immuable?

Au Québec, pourquoi les partis politiques (tous les partis!), les syndicats d'enseignants et d'enseignantes, les organisations intéressées à l'éducation, les mouvements de défense du français, les universités de langue française (et de langue anglaise), les associations étudiantes au collégial et à l'universitaire, les centrales syndicales, et bien d'autres y compris de simples citoyens épris de justice, pourquoi ces gens n'expriment-ils pas leur solidarité avec le projet franco-ontarien urgent d'une seule université de langue française? Même avec ce boycottage ou cette indifférence systématiques des médias, l'information circule dans les réseaux sociaux et finit par filtrer jusqu'à tous ces groupes…

Quant au Canada anglais, le deux poids, deux mesures traditionnel joue ici à son max. Qu'on semble s'énerver au sujet de l'absence du français sur un menu à Montréal et c'est le Pastagate avec son avalanche de manchettes furieuses. Mais que des centaines de milliers de Franco-Ontariens soient privés d'un accès satisfaisant à l'éducation postsecondaire en français et qu'ils soient obligés de fréquenter des institutions de langue anglaise ou bilingues qu'ils ne gouvernent pas (alors que les Anglo-Québécois ont des droits blindés depuis la Confédération), cela ne dérange pas grand monde. Bande d'hypocrites, d'un océan à l'autre!

Il reste quatre jours avant le début du sommet des États généraux sur le postsecondaire en français à Toronto, vendredi. Est-il trop tard pour espérer que quelqu'un, quelque part, dans des salles de rédaction, dans des conseils étudiants, dans des exécutifs syndicaux, dans les directions d'organisations, fasse savoir aux étudiantes et étudiants franco-ontariens qu'ils ne sont pas seuls? Que cette solidarité qui a marqué la lutte pour l'hôpital Montfort existe toujours? Que la francophonie et la francophilie qui les entoure, au Québec, ailleurs au pays, appuie leur cause juste?

La semaine dernière, le mouvement Impératif français et la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (CSN) ont relayé par leurs réseaux des nouvelles sur le sommet des États généraux sur le postsecondaire en Ontario français. Bravo! Un timide début mais tout de même…. Où sont tous les autres, maintenant? Dites quelque chose. Ne sous-estimez pas l'importance de vos appuis publics. Le gouvernement ontarien a l'oreille tendue et prendra des notes. Pour le moment, votre silence est assourdissant!



Voici quelques liens pour vous renseigner davantage:

https://www.facebook.com/EGpostsec?fref=ts - page Facebook des États généraux sur le postsecondaire en Ontario français
#EGpostsec ou @EGpostsec mot-clic et adresse sur Twitter pour retrouver les liens au sommet
http://bit.ly/ZfXpWQ - Synthèse des consultations régionales.
http://bit.ly/1umfnE5 - Les 3, 4 et 5 octobre. Des dates importantes. 
http://bit.ly/1mAxvHw - textes du Droit
http://bit.ly/ZgAH0W - Texte de Radio-Canada




mardi 23 septembre 2014

Les 3, 4 et 5 octobre. Des dates importantes!

Le Sommet provincial des États généraux sur le postsecondaire
en Ontario français (http://bit.ly/1pjgFrB) aura lieu au début d'octobre.
Après deux années de consultations, on y mettra la touche
finale à un projet de régime scolaire universitaire de langue française. 
Cet événement doit intéresser tous les Québécois, les Acadiens
ainsi que les Canadiens français des autres provinces.
Du 3 au 5 octobre prochain, quelques centaines de Franco-Ontariens et Franco-Ontariennes, étudiants et étudiantes en tête de file, se réuniront à Toronto et y prendront des décisions importantes pour l'avenir de l'Ontario français et de l'ensemble du Canada français, y compris le Québec.

Si les médias ne sont pas au rendez-vous cette fois, si les yeux des publics québécois (francophones et anglophones), acadiens, canadiens-français - et, pourquoi pas, anglo-canadiens - ne sont pas rivés sur les les débats qui se dérouleront dans les salles des écoles Toronto-Ouest et Saint-Frère-André, il y a quelque chose de pourri dans ce royaume d'Elizabeth II.

Depuis 2012, le Regroupement étudiant franco-ontarien (REFO), qui représente les étudiants et étudiantes francophones collégiaux et universitaires, a remis à l'avant-scène le vieux projet d'université de langue française en Ontario. Faut-il rappeler que les Anglo-Québécois ont trois universités, et que si on tentait de leur imposer le sort des Franco-Ontariens au postsecondaire, on verrait des médias anglos hystériques, des appels à l'intervention de l'armée canadienne et une commission d'enquête de l'ONU…

Toujours est-il que le REFO a fait un formidable boulot, organisant l'an dernier et cette année des rencontres de consultation dans toutes les régions de l'Ontario, accumulant des appuis, s'adjoignant deux importants partenaires, l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario et la FESFO (étudiants et étudiantes du secondaire).

Ce qui était au départ le projet d'une poignée d'étudiants et d'étudiantes est devenu l'espoir des forces vives de l'Ontario français. On voit maintenant aux côtés des étudiants du REFO des professeurs, des dirigeants d'associations, ainsi qu'un nombre croissant de citoyens engagés.

Une cause juste

La cause est juste. Pendant que les anglophones du Québec contrôlent un système d'éducation bien à eux et fort bien garni depuis 1867, les francophones hors-Québec ont subi partout des persécutions, les Franco-Ontariens autant que les autres. Les injustices ont été corrigées graduellement du primaire au collégial au cours du dernier demi-siècle, mais pas à l'universitaire.

Alors que les Acadiens du Nouveau-Brunswick s'enorgueillissent de leur Université de Moncton, les Franco-Ontariens - quand ils ne sont pas obligés carrément d'étudier en anglais - doivent fréquenter des institutions universitaires bilingues où ils sont presque invariablement minoritaires et où le processus d'assimilation se poursuit. Il n'y a que la petite Université de Hearst pour sauver la face…

Le gouvernement ontarien aurait pu depuis longtemps remettre les pendules à l'heure, ou tout au moins prendre une position de principe ferme en faveur de la création d'une université de langue française. Mais il se contente de suggestions, de petites mesures à la pièce, et laisse entendre qu'il sera à l'écoute de la «communauté», et notamment à ce qui ressortira du sommet du 3 au 5 octobre.

Mais il n'y a pas que le gouvernement à faire bouger. Les deux monstres sacrés bilingues, l'Université d'Ottawa surtout mais aussi l'Université Laurentienne, ne voudront pas qu'on porte atteinte aux structures qu'elles ont érigées au fil des décennies. Et elles sont puissantes!

Alors Queen's Park regarde où le vent souffle. Si le sommet des «États généraux sur le postsecondaire en Ontario français» tombe à plat, si les étudiants se dégonflent (ce qui apparaît fort improbable), si les appuis se font rares, si l'opinion publique ne se manifeste pas, si les médias traitent l'événement comme une activité marginale, il faudra oublier l'université française… pour longtemps.

Les consultations étudiantes depuis 2012 ont fait ressortir un consensus général sur un élément majeur: la gouvernance. Peu importe la solution proposée, les programmes postsecondaires de langue française, de leur planification à leur réalisation, devront être régis par les francophones eux-mêmes. Restera à définir le modèle et la structure que prendra la future université de langue française, ce sur quoi il ne semble pas, pour l'instant, se dégager de consensus.

Quasi silence médiatique...

Aux dernières nouvelles, les inscriptions allaient bien et quelques centaines de participants seront au rendez-vous, le 3 octobre. Sur le front médiatique, cependant, il y a lieu de s'inquiéter. Le communiqué du 8 septembre invitant la communauté franco-ontarienne à s'inscrire au sommet des États généraux n'a été repris que par l'Express d'Ottawa et l'Express de Toronto.

Rien à Radio-Canada que je sache, rien dans les pages de nouvelles du quotidien Le Droit que je sache*, aucun avant-papier dans les grands médias québécois. Chez moi j'ai une chemise pleine de coupures de presse, de copies d'articles Web et de liens à des pages Web qui ont rendu compte des consultations jusqu'au printemps 2014. Il y a eu, dans Le Droit, une dizaine d'éditoriaux traitant du dossier universitaire et du projet du REFO. J'en aurais écrit d'autres, mais on m'a mis à la porte le 30 mai…

Et là, on arrive aux derniers kilomètres, presque à la ligne d'arrivée, là où se prennent les décisions les plus importantes, et c'est le silence médiatique quasi complet. C'est un peu scandaleux. On pourrait toujours espérer un texte dans Le Devoir qui, plus que d'autres, s'est intéressé au sort des francophones hors-Québec. Dans les autres quotidiens et médias électroniques québécois, ce sera sans doute le désert habituel, comme dans les grands médias anglo-canadiens.

J'espère avoir tort, mais si le passé est garant du présent et de l'avenir…

Enfin, je fais confiance aux étudiants et à leurs alliés. Cette fois, ils ne lâcheront pas et ils semblent avoir préparé une relève. Et à mes concitoyens québécois, je dis: vous ne devez pas rester indifférents au sort des francophones de l'Ontario et d'ailleurs. Ils ont besoin d'appuis, de solidarité. Et leur vécu peut fort bien devenir le nôtre d'ici une génération ou deux si les tendances actuelles se maintiennent…

En voyant la façon dont l'Ontario traitera leurs demandes justes, on pourra mieux décider quel genre de relation conserver avec le reste du pays…

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*Le lendemain de la rédaction de ce texte de blogue, dans son édition du mercredi 24 septembre, le quotidien Le Droit publie un texte sur le sommet dans un cahier publicitaire sur la Journée des Franco-Ontariens (25 sept.). Cela signifie que le service de la publicité du journal, responsable de ce cahier et de son contenu, a fait le travail de rédaction, et non la salle des nouvelles. Matière à réflexion...



lundi 22 septembre 2014

Les voies de la facilité

On peut comprendre la fatigue. Le combat pour la survie collective dure depuis plus de 200 ans, dans un environnement hostile, sans lumière perceptible au bout du tunnel. Pire, la zizanie règne dans les tribus de la nation…

Les signes d'épuisement surgissent partout ces jours-ci. Chez les intellectuels, les politiciens, les syndicalistes, dans les sondages d'opinion publique. De vieux routiers abandonnent, les jeunes semblent tièdes… Des médias se font éteignoirs…

Alors, pour ceux et celles qui n'ont jamais voulu, ou qui ne veulent plus cheminer vers une destiNation qui paraît désormais hors de portée, voici une recette sûre de repos total. Et le plus merveilleux, c'est que tout ce qui suit est déjà en marche ou en préparation. Vous n'avez qu'à laisser faire...

Il suffit de :

- bilinguiser, puis angliciser tout en douceur les Québécois francophones (on commencera par la 6e année…) plutôt que d'exiger un français de qualité pour tous et toutes. L'assimilation finira par mettre fin aux querelles linguistiques.

- cesser d'enseigner l'histoire nationale et ranger pour de bon les «vieilles chicanes»... Rien comme une Alzheimer collective pour permettre aux puissants de forger des peuples heureux, dociles et malléables…

- oublier la démocratie, un système trop exigeant fondé sur la liberté de l'information, le choc des idées et l'engagement citoyen. On se contentera de chialer contre les politiciens «sales» pendant quatre ans, en attendant de les réélire…

- laisser fermer des journaux et mettre la hache dans des salles de rédaction pour se plier aux impératifs financiers des empires, au lieu de lutter pour des médias vibrants et des plumes libres.

- continuer, pour plusieurs, de se réfugier dans le confort d'une «gauche» minoritaire mais solidaire, plutôt que de marcher main dans la main, le temps qu'il faut, avec ceux et celles qui entrent par la «porte de droite»....

- poursuivre les palabres sur des référendums hypothétiques (lointains ou pas) au lieu d'insister sur ce qu'il est possible de faire concrètement aujourd'hui, dans la prochaine année (jusqu'aux élections fédérales) et d'ici 2018 (prochain scrutin québécois) pour sortir du cul-de-sac.

- répéter ad nauseam les mots magiques «ma priorité c'est l'économie», sans jamais véritablement s'attaquer aux abus d'un régime qui s'agenouille devant le capital et laisse pour compte les démunis.

- prêter les eaux de notre fleuve, de nos rivières et lacs, les forêts et le sous-sol québécois à des pollueurs sans scrupules et laisser le nettoyage (ainsi que la facture) des dégâts aux générations futures, si générations futures il y a...

Dans L'urgence de choisir (1971), Pierre Vallières, en décidant de se rallier au PQ, écrivait: «Nous sommes acculés à gagner cette bataille ou à disparaître de l'histoire.» Gagner des batailles, c'est dur. Disparaître tranquillement de l'histoire, c'est moins dur…

S'il y en a, cependant, qui préfèrent la résistance aux voies de la facilité, il nous reste encore un peu de temps… 

vendredi 19 septembre 2014

Le temps ne joue pas contre les Écossais


Contrairement à nous, au Québec, le temps ne joue pas contre les Écossais. Ils pourront se ressayer dans 20 ans, 40 ans, 100 ans ou plus. Ils seront toujours là, au même endroit, avec les mêmes accents, avec la même identité. Plusieurs ont insisté sur les similitudes entre la situation référendaire écossaise et celles que nous avons vécues, notamment celle de 1995. Et il y en a, des similitudes. Mais on n'a pas souligné suffisamment trois (il y en a sans doute davantage) différences fondamentales qui excluent chez nous la patience. Faute de nous affirmer rapidement, nous sommes menacés de disparition.

1. L'histoire

Le peuple écossais évolue sur le même territoire depuis des milliers d'années. L'Écosse a connu l'indépendance pendant des siècles avant d'être subordonnée à Londres. De plus, ce territoire est la partie la plus éloignée, la plus nordique des îles Britanniques. Un isolement insulaire historique. Nous sommes à un carrefour continental stratégique, à quelques centaines de kilomètres du coeur économique nord-américain. Et nous ne sommes ici que depuis 400 ans. Nous n'avons jamais connu l'indépendance, ayant été assujettis d'abord à la couronne française, puis à la Grande-Bretagne, puis relégué à l'état de province dans une fédération que nous ne contrôlons pas. Et les pouvoirs du Québec dans cette fédération ont été réduits avec le rapatriement de 1982.

2.  L'identité

L'identité écossaise est fondée sur l'histoire, l'ethnie (90% de la population est d'origine ethnique écossaise), la culture et la géographie. Mais la langue n'est plus un facteur, même si les dialectes traditionnels conservent un caractère officiel. Les Écossais parlent anglais, comme les autres collectivités des îles Britanniques. Si, jadis, on a pu nous identifier comme un peuple originaire de France, de race blanche, de religion (très) catholique et, bien sûr, de langue française, ce n'est plus le cas. Le Québec s'est laïcisé, et un métissage aussi intense que fécond, commencé avec les Autochtones et poursuivi avec les autres vagues d'immigrants depuis le 19e siècle, a fini par assoir notre identité collective sur un seul socle: une langue et une culture différentes des peuples qui nous cernent. Nous sommes un «petit village francophone encerclé» dans un immense bassin nord-américain unilingue anglais. Et l'érosion s'accélère, d'un recensement à l'autre.

3. Gouvernements hostiles

Les conséquences identitaires d'un «non» référendaire sont minimes en Écosse. Comme le disait un partisan déçu du «oui», «je suis un peu bouleversé mais mon existence ne va pas changer». Et il a un peu raison. L'identité collective n'étant pas en péril, la situation actuelle ne peut qu'aboutir à un accroissement de l'autonomie et du caractère distinct de l'Écosse. Londres semble d'ailleurs prête à tenir ses promesses référendaires. On avance même un échéancier pour la dévolution de nouveaux pouvoirs. Ici, à Ottawa et à Québec, nous avons en place des gouvernements qui, parfois volontairement, parfois inconsciemment, menacent par leurs actions (et inactions) le caractère français du Québec. On l'a vu en 1982 avec le coup d'État de Pierre Elliott Trudeau (refus de reconnaître la société distincte) et on le voit avec la volonté du gouvernement Couillard de bilinguiser l'ensemble des francophones. À moins d'agir très bientôt ici, «notre existence (collective) va changer»…

Dans toutes les comparaisons qu'on nous lance présentement entre Québécois et Écossais, il me semble important de ne pas oublier quelques traits fondamentaux qui nous distinguent… Contrairement à l'Écosse, le temps joue contre nous.









jeudi 18 septembre 2014

La recherche des ancêtres


Les écrits restent. On se rend compte à quel point c'est vrai quand on essaie de se renseigner sur ses ancêtres et que les seuls «écrits» se trouvent dans des presbytères, dans des registres de cimetières ou encore, aux Archives publiques. On peut chercher, mais rien ne garantit qu'on va trouver. C'aurait été tellement plus simple si chacun, chacune avait mis sur papier quelques détails sur soi, sur sa famille, sur ses parents et grands-parents. Mais nous n'étions pas - du moins pas ma famille - des «écriveux»… Le plus souvent, les souvenirs sont morts avec ceux qui en avaient la garde.

Récemment, ma mère, toujours débordante de projets à 90 ans, m'a demandé d'aller avec elle au cimetière St-Paul d'Aylmer (ville de Gatineau), où ses grands-parents Alfred Longpré et Sara Dicaire sont enterrés. Retracer les lignes maternelles est toujours plus compliqué - mais bien plus intéressant - dans une société où le nom transmis de génération en génération était celui du père. Si j'accompagne les ancêtres Allard depuis les origines françaises, je suivrai le trajet linéaire des grands-pères, de leur arrivée à Charlesbourg au 17e siècle à leur émigration à Ottawa au 19e et 20e siècles…

Mais si je fais marche arrière en incluant les grands-mères, l'éventail s'élargit et ma recherche finit par porter sur des dizaines (centaines?) de noms de familles différents, de toutes les régions du Québec et d'ailleurs, dans les Maritimes ou en Ontario. Par exemple:

* Ma mère (Germaine) est une Jubinville, née en 1924 à Aylmer;
* Sa mère (Eva) une Longpré, née en 1897 à Mattawa (Ontario);
* Sa mère (Sara) une Dicaire, née en 1878;
* Sa mère (Anisome ou Onesime) une Danis, née en 1845;
* Sa mère (Émilie) une Brière, née en 1820 à St-Benoît;
* Sa mère (Hippolyte) une Demers, née en 1801 à Pierrefonds;
* Sa mère (Elisabeth) une Fresne, née en 1776 à Montréal;
* Sa mère (Cécile) une Dubé née en 1736 à Lachine;
* Sa mère (Marguerite) une Sigouin, née à St-Pierre, Île d'Orléans en 1707;
* Sa mère (Anne-Louise) une Dubeau, née à Québec en 1682;
* Sa mère une Jousselot, née dans le Poitou, en France, en 1658;
* Sa mère (Ozanne) une Drapeau, née en 1626.

Je pourrais faire les mêmes recherches pour les lignées maternelles de mon autre grand-mère, Alexina Tremblay (mariée à Joseph Allard), ou à celles de la mère de Joseph Allard, Éléonore Beaulne, ou à celles de la mère de mon grand-père Wilfrid Jubinville (époux d'Eva Longpré), dont le nom de famille était Maurice. Si tous, toutes avaient noté quelques détails sur leur vie, c'est toute la petite histoire du Québec qui serait enrichie.

Qui sait ce qu'auraient pu nous raconter Michel Dicaire (grand-père de Sara Dicaire) et son épouse Adèle Labelle, mariés à Saint-Eustache en 1835, deux ans avant la rébellion des Patriotes de 1837? On sait seulement qu'ils ont fini par quitter leur région natale (ils étaient originaires de St-Benoît, Deux-Montagnes) pour s'installer en Outaouais. Mon arrière-arrière-arrière grand-mère Adèle Labelle est décédée à Hull en 1897, et est enterrée au cimetière Notre-Dame de Grâce, à Gatineau. Sa tombe est disparue aujourd'hui, et si des dossiers sur elle existent toujours, ils sont aux Archives publiques…

Nous avons tout au moins retrouvé le monument d'Alfred Longpré (aussi appelé Médéric) au cimetière St-Paul. On indique qu'il est l'époux de Sara Dicaire, mais rien sur la pierre tombale ne dit que Sara est enterrée avec lui… Même chose pour son père Magloire, inhumé dans le lot voisin… Son épouse Anisome (ou Onésime) Danis, que ma mère a connue (elle est morte en 1933), était Autochtone ou Métis, et les autorités du cimetière m'ont assurée qu'elle n'est pas enterrée avec son mari… Peut-être est-elle avec sa famille, ailleurs… on ne sait pas. Une autre interrogation.

Ce dont je suis sûr, c'est que ce que je fais là avec mes ancêtres, tous, toutes peuvent le faire aussi… en n'oubliant pas de laisser quelques notes pour les générations futures. Qui sait ce que ces recherches pourront nous apprendre? Peut-être des récits palpitants, comme celui de mon arrière grand-père Alfred Longpré, mort en héros en sauvant la vie d'un bûcheron dans un chantier forestier. Ou simplement la joie de savoir que j'ai, quelque part, de lointains cousins qui s'appellent Brière, Demers, Sigouin, Dubeau, Beaulne, Deschamps, Drapeau, Labelle, Doré, Caille, Deguire, Poirier, Parent, Masson, etc.

Ou encore l'intérêt d'apprendre que le premier des Dicaire, dans les années 1600, était originaire d'Angleterre et de Terre-Neuve et s'appelait Dicker. Prononcé à la française, cela fait Dicaire. Arrivée ici vers la fin du 17e siècle, il a vite modifié son nom à Dicaire et voilà… J'ai donc, dans un lointain passé, un ancêtre britannique. Ça je ne le savais pas. Ma grand-mère Eva m'avait parlé de ses racines autochtones, et mon grand-père Jubinville m'avait parlé d'une arrière-grand-mère espagnole… Tous les autres étaient originaires de France… l'ancêtre Allard ayant émigré de Rouen, en Normandie.

Enfin, je viens à peine de commencer mes recherches… c'est à suivre…

mercredi 3 septembre 2014

«How come it's not the same…»*

Derrière les arides données des recensements, il y a toujours des gens qui s'expriment… des communautés, des villes et des villages qui se décrivent. Et si on se donne tant soit peu la peine de débroussailler ces multiples colonnes de chiffres, des fenêtres s'ouvrent sur un passé presque toujours instructif. Mon intérêt de longue date pour les questions linguistiques (passé franco-ontarien oblige…) m'a poussé à analyser les tableaux sur la langue maternelle, les langues officielles, la langue d'usage, et leur évolution au fil des décennies.

L'alignement des recensements fédéraux depuis un demi-siècle présente un portrait implacable de la progression de l'anglicisation au sein des minorités francophones hors-Québec, et même dans les régions québécoises où la présence de l'anglais se fait le plus sentir (notamment la grande région montréalaise et l'Outaouais). Mais parfois, il peut être intéressant d'isoler un recensement particulier et de tenter, par ses données, de faire revivre une époque révolue.

La fin d'une époque

Ainsi, cette semaine, en cherchant des données linguistiques sur la ville de Cornwall pour un texte de blogue (http://bit.ly/1qlYWof), j'ai découvert quelques pages archivées du recensement de 1951. Pourquoi cette année serait-elle digne d'une attention spéciale? Me souvenant de la première décennie des années 1950, je crois que ce recensement a «photographié» la fin d'une époque, et que le suivant, celui de 1961, marquait le début de la transition vers l'univers actuel.

Au début des années 1950, l'Église catholique conservait encore son emprise sur les collectivités canadiennes-françaises, au Québec bien sûr mais aussi en Ontario français. Les anciennes valeurs étaient encore largement transmises. C'étaient aussi les dernières années avant la télévision, une innovation qui allait changer le cours de notre histoire. Chez les Franco-Ontariens, les 60 ans et plus avaient connu les écoles d'avant-règlement 17, et les liens tissés par les pionniers des communautés francophones, urbaines et rurales, tenaient bon.

Dans des régions rurales de l'Est et du Nord ontarien, ainsi que dans certains quartiers urbains d'Ottawa, de Sudbury, de Cornwall et même à Welland au sud, la langue de la rue restait le français. J'ai grandi dans l'un de ces milieux, à Ottawa, et peux témoigner qu'à moins d'en sortir, il était possible (au début des années 1950) d'y vivre en français. Les années 1960 allaient tout chambarder - le tissu urbain, les valeurs sociales et politiques, les technologies et bien plus, et dans leur sillage, la dynamique linguistique. Voilà pourquoi le recensement de 1951 devrait nous interpeler.

L'augmentation dramatique du nombre de bilingues français-anglais au sein des collectivités francophones indique à peu près toujours une transition, en quelques générations tout au plus, vers l'abandon du français et l'anglicisation totale d'une partie des effectifs. La présence d'une proportion appréciable d'unilingues français reste donc un indicateur assez sûr de la possibilité de vivre en français dans un milieu donné…

Destination 1951...


Ainsi, le recensement de 1951 indique-t-il une population de 341 503 francophones en Ontario (chiffres de langue maternelle), y compris 78 974 personnes qui donnent comme seule langue officielle connue le français. Ce n'est pas une mesure parfaite de l'unilinguisme (surtout avec la croissance du nombre d'allophones pouvant connaître une langue non officielle en plus du français), mais on n'a pas mieux à notre disposition. Le ratio entre les deux révèle, pour 1951, que plus de 20% des Franco-Ontariens ne parlaient que le français, comparativement à moins de 10% en 2011.

Les écarts sont encore plus révélateurs dans des milieux à fortes majorités francophones. Dans la ville de Hawkesbury, entre Ottawa et la frontière québécoise, où la population est francophone à 90%, près de la moitié des Franco-Ontariens sont unilingues français en 1951! Pour l'ensemble du comté rural de Prescott (qui inclut Hawkesbury), près de 55% des francophones sont unilingues. Aujourd'hui, même s'ils restent majoritaires à 80% dans Hawkesbury, la proportion unilingue de Franco-Ontariens a chuté à moins de 30%. C'est encore appréciable, mais en nette baisse.

Dans les régions rurales situées entre Hawkesbury et Ottawa, plus de 60% des Franco-Ontariens étaient unilingues. Aujourd'hui, les proportions oscillent entre 20 et 25%, et on note, dans ces régions où les francophones restent fortement majoritaires, une tendance croissante des transferts linguistiques vers l'anglais, surtout à mesure qu'on s'approche de la capitale fédérale. Je n'ai pas trouvé de données par quartier pour Ottawa, mais en 1951, dans l'ancienne ville de Vanier (Eastview) annexée par Ottawa, plus du quart des Franco-Ontariens (majoritaires à 63%) sont unilingues français. Aujourd'hui, la proportion d'unilingues français, au sein de la collectivité francophone, oscille entre 5 et 10%.

Les taux d'assimilation, autour du début des années 50, sont en hausse mais encore relativement modestes. On remarque cependant que les milieux les plus bilingues au recensement de 1951 - Windsor, Welland, Cornwall, Sudbury, North Bay et même certains quartiers d'Ottawa - sont ceux où les transferts linguistiques vers l'anglais ont été les plus importants au cours du dernier demi-siècle.

L'étape du bilinguisme

Le bilinguisme collectif intense, là comme maintenant, n'était qu'une étape vers l'assimilation. À Windsor, les francophones étaient bilingues à plus de 90% en 1951 et formaient plus de 10% de la population. Depuis 60 ans, leur nombre a chuté de moitié en absolu et passé, en proportion, de 10,4% à 2,6% (et à seulement 0,8% selon la langue d'usage). Que restera-t-il d'ici 20 ou 30 ans? Aujourd'hui, les situations à Cornwall et dans d'autres localités, même au Québec (comme dans certains coins du Pontiac), appellent une comparaison avec celle de Windsor il y a un demi-siècle…

Un dernier coup d'oeil sur 1951… La ville de Hull, au Québec cette fois, comptait 43 383 habitants dont 39 220 francophones. Près de la moitié de ces francophones étaient unilingues français. Aujourd'hui, selon les chiffres du recensement de 2011, Hull compte 73% de francophones, dont environ le tiers est unilingue. Le nombre de bilingues est en hausse, et la dynamique linguistique actuelle favorise de plus en plus les transferts vers l'anglais… Le phénomène qu'ont vécu les collectivités francophones de l'Est ontariens apparaît désormais en Outaouais… et dans la région de la métropole…

La transition s'amorce chez nous… et on a aux commandes un gouvernement qui propose ouvertement de nous angliciser… ça promet… Ça intéresse toujours quelqu'un?

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* De la chanson Mommy, Daddy, de Marc Gélinas (http://bit.ly/WbX19I)







mardi 2 septembre 2014

Faut-il pleurer, faut-il en rire?

«Faut-il pleurer, faut-il en rire?» - Jean Ferrat
La chronique d'aujourd'hui de mon (ex-)collègue Denis Gratton, intitulée Un pied de nez historique
(http://bit.ly/1pEfj0b), mérite sans doute d'être conservée comme objet de méditation. Elle est la preuve, comme l'écrivait dans les années 1960 et 1970 l'auteur Omer Latour, que «dans la réalité des relations anglo-françaises de cette petite ville (Cornwall), la réalité dépasse la fiction»…

Voilà une équipe de football d'un collège classique de langue française de Cornwall, qui joue en 1964 dans une ligue québécoise de langue française. Non seulement les dirigeants du collège donnent-ils à l'équipe un nom anglais, les Cornwall College Classics (pour que le nom soit compris de la majorité anglophone de la ville…), mais les joueurs se parlent anglais sur le terrain pour faire croire à leurs adversaires québécois qu'ils sont anglophones (pour en tirer un avantage stratégique)… C'est bien là une bonne partie du drame franco-ontarien résumé en une anecdote sportive…

Dans ma propre école secondaire (une institution privée associée à l'Université d'Ottawa, dirigée par les Oblats de Marie Immaculée), la grande majorité des élèves étaient francophones et pourtant, l'anglais était dominant. Quand le conseil étudiant, où il n'y avait qu'un anglophone, avait décidé (justement en 1964) de délibérer en français, l'aumônier oblat avait tenté d'imposer l'anglais par «charité chrétienne» pour le seul anglophone… qui était (comme la majorité des élèves de langue anglaise) unilingue…

Nos enseignants (certains d'entre eux, en tout cas) nous répétaient - et nous finissions par le croire - que nous étions supérieurs aux anglophones parce que nous parlions les deux langues… Ils négligeaient de nous dire que nous étions obligés de parler les deux langues, entre autres, parce qu'en Ontario, les écoles françaises - contrairement aux écoles anglaises du Québec - avaient été interdites en 1912 et qu'encore un demi-siècle plus tard, il n'y avait pas de réseau d'écoles publiques franco-ontariennes…

Face à des majorités anglophones intolérantes et souvent hostiles, nous nous sommes trop longtemps consolés de cette soi-disant «supériorité» bilingue - bien temporaire d'ailleurs parce que dans plusieurs régions de l'Ontario, y compris Cornwall - la majorité des descendants des «bilingues» des années 1960 sont en voie de devenir ou sont devenus unilingues anglais dans la vie quotidienne… Comme quoi le nom des Classics et la communication en anglais des joueurs avait quelque chose de prophétique…

Oh, je ne les blâme pas. Loin de là! Il faut avoir vécu cette époque pour savoir que la pression était grande d'agir ainsi. Au secondaire, quand j'avais 15 ans (en 1962), dans le milieu qu'on nous imposait, je parlais anglais la plupart du temps avec mes collègues de classe… francophones. Et l'exemple venait de haut… En 1964, l'Association canadienne-française d'éducation de l'Ontario (ACFEO) soumettait des mémoires unilingues anglais au gouvernement ontarien…

Cornwall, d'après ce que j'ai lu et ce qui m'a été raconté, était (avec Ottawa) un des milieux où les francophones ont été les plus rabattus… Et dans cette petite ville industrielle sur les rives du Saint-Laurent, à quelques km du Québec, l'effet a été foudroyant. En 1961, les francophones formaient (selon la langue maternelle) 38,6% de la population de plus de 45 000 habitants. Aujourd'hui, selon le recensement de 2011, ils sont moins de 25% (langue maternelle) et à peine 12% selon la langue d'usage (la plus souvent parlée è la maison). Le taux d'assimilation dépasse les 50%!

Alors moi, cet épisode du «pied de nez» aux Québécois, je le trouve plus triste que drôle…

Je me permets de terminer avec la totalité du sombre poème d'Omer Latour sur sa ville, Cornwall (publié aux Éditions de l'Université d'Ottawa) :

«Je n'ai rien inventé.
Ce n'était pas nécessaire.

Dans les relations anglo-françaises de cette petite ville,
la réalité dépasse la fiction.

Dieu merci, le combat est presque fini.
L'assimilation totale apporte enfin le repos
et la paix à tous ces gens obscurs qui ont
lutté dans un combat par trop inégal.

Vous me demandez pourquoi ils sont morts?
Je vous demande comment ils ont fait
pour résister si longtemps.»