mardi 2 septembre 2014

Faut-il pleurer, faut-il en rire?

«Faut-il pleurer, faut-il en rire?» - Jean Ferrat
La chronique d'aujourd'hui de mon (ex-)collègue Denis Gratton, intitulée Un pied de nez historique
(http://bit.ly/1pEfj0b), mérite sans doute d'être conservée comme objet de méditation. Elle est la preuve, comme l'écrivait dans les années 1960 et 1970 l'auteur Omer Latour, que «dans la réalité des relations anglo-françaises de cette petite ville (Cornwall), la réalité dépasse la fiction»…

Voilà une équipe de football d'un collège classique de langue française de Cornwall, qui joue en 1964 dans une ligue québécoise de langue française. Non seulement les dirigeants du collège donnent-ils à l'équipe un nom anglais, les Cornwall College Classics (pour que le nom soit compris de la majorité anglophone de la ville…), mais les joueurs se parlent anglais sur le terrain pour faire croire à leurs adversaires québécois qu'ils sont anglophones (pour en tirer un avantage stratégique)… C'est bien là une bonne partie du drame franco-ontarien résumé en une anecdote sportive…

Dans ma propre école secondaire (une institution privée associée à l'Université d'Ottawa, dirigée par les Oblats de Marie Immaculée), la grande majorité des élèves étaient francophones et pourtant, l'anglais était dominant. Quand le conseil étudiant, où il n'y avait qu'un anglophone, avait décidé (justement en 1964) de délibérer en français, l'aumônier oblat avait tenté d'imposer l'anglais par «charité chrétienne» pour le seul anglophone… qui était (comme la majorité des élèves de langue anglaise) unilingue…

Nos enseignants (certains d'entre eux, en tout cas) nous répétaient - et nous finissions par le croire - que nous étions supérieurs aux anglophones parce que nous parlions les deux langues… Ils négligeaient de nous dire que nous étions obligés de parler les deux langues, entre autres, parce qu'en Ontario, les écoles françaises - contrairement aux écoles anglaises du Québec - avaient été interdites en 1912 et qu'encore un demi-siècle plus tard, il n'y avait pas de réseau d'écoles publiques franco-ontariennes…

Face à des majorités anglophones intolérantes et souvent hostiles, nous nous sommes trop longtemps consolés de cette soi-disant «supériorité» bilingue - bien temporaire d'ailleurs parce que dans plusieurs régions de l'Ontario, y compris Cornwall - la majorité des descendants des «bilingues» des années 1960 sont en voie de devenir ou sont devenus unilingues anglais dans la vie quotidienne… Comme quoi le nom des Classics et la communication en anglais des joueurs avait quelque chose de prophétique…

Oh, je ne les blâme pas. Loin de là! Il faut avoir vécu cette époque pour savoir que la pression était grande d'agir ainsi. Au secondaire, quand j'avais 15 ans (en 1962), dans le milieu qu'on nous imposait, je parlais anglais la plupart du temps avec mes collègues de classe… francophones. Et l'exemple venait de haut… En 1964, l'Association canadienne-française d'éducation de l'Ontario (ACFEO) soumettait des mémoires unilingues anglais au gouvernement ontarien…

Cornwall, d'après ce que j'ai lu et ce qui m'a été raconté, était (avec Ottawa) un des milieux où les francophones ont été les plus rabattus… Et dans cette petite ville industrielle sur les rives du Saint-Laurent, à quelques km du Québec, l'effet a été foudroyant. En 1961, les francophones formaient (selon la langue maternelle) 38,6% de la population de plus de 45 000 habitants. Aujourd'hui, selon le recensement de 2011, ils sont moins de 25% (langue maternelle) et à peine 12% selon la langue d'usage (la plus souvent parlée è la maison). Le taux d'assimilation dépasse les 50%!

Alors moi, cet épisode du «pied de nez» aux Québécois, je le trouve plus triste que drôle…

Je me permets de terminer avec la totalité du sombre poème d'Omer Latour sur sa ville, Cornwall (publié aux Éditions de l'Université d'Ottawa) :

«Je n'ai rien inventé.
Ce n'était pas nécessaire.

Dans les relations anglo-françaises de cette petite ville,
la réalité dépasse la fiction.

Dieu merci, le combat est presque fini.
L'assimilation totale apporte enfin le repos
et la paix à tous ces gens obscurs qui ont
lutté dans un combat par trop inégal.

Vous me demandez pourquoi ils sont morts?
Je vous demande comment ils ont fait
pour résister si longtemps.»

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