lundi 23 mai 2011

Éditorial du Droit du 13 mai 2005

Spectacle disgracieux

par Pierre Allard

Assez, c’est assez ! Pendant que les témoins à la Commission Gomery nous abreuvent d’histoires cauchemardesques et de scénarios dignes de films de gangsters, les députés des quatre partis aux Communes nous livrent un spectacle tout aussi désolant. Vraiment, si un jour les politiciens de ce pays doivent un jour redorer leur blason auprès d’un public de plus en plus cynique, ce ne sera pas grâce aux comportements rocambolesques dont ils ont fait preuve cette semaine.

Le feu dans les yeux, l’insulte à la bouche, les députés du gouvernement et des partis de l’opposition semblent avoir oublié leur obligation fondamentale envers l’intérêt public et n’agissent plus que dans leurs propres intérêts. Le premier ministre Martin, s’appuyant sur la béquille du NPD, distribue des millions à gauche et à droite, pas pour le bien du pays mais pour s’accrocher au pouvoir quelques jours, quelques semaines de plus.

Le leader de l’opposition conservatrice Stephen Harper et le chef bloquiste Gilles Duceppe, formant une alliance pour le moins suspecte, auraient bien pu attendre le rapport de la Commission Gomery avant de nous relancer en période électorale. Cela aurait même pu les avantager compte tenu des révélations accablantes des derniers jours. Mais non, sentant la bête libérale grièvement blessée, ils tiennent à l’achever avant qu’elle ne puisse panser ses blessures. Et le bien du pays ? On verra après les élections…

Pendant ce temps, le gouvernement et les Communes sont paralysés. Depuis le vote de mardi, perdu par les libéraux 153 à 150, c’est la guerre totale. Hier encore, l’opposition conservatrice et bloquiste a fermé le Parlement. D’ici jeudi prochain, date à laquelle Paul Martin propose un vote de confiance, le sort du parti au pouvoir semble reposer sur le vote de quelques indépendants qu’on tentera sans doute de soudoyer et sur la capacité de deux députés conservateurs cancéreux de reporter leurs traitements.

Une semaine de plus de ce cirque quotidien, c’est une semaine de trop ! Or, les quatre partis semblent avoir emprunté des voies sans issue. M. Martin, en reportant les journées d’opposition aux Communes et en s’adressant directement au peuple, a reconnu qu’il ne contrôlait plus la situation. MM. Harper et Duceppe, en niant la légitimité morale et constitutionnelle du gouvernement, ne se sont laissés aucune marge de manœuvre. Même le NPD, en associant son sort à celui des libéraux, est devenu prisonnier de ses choix.

Face à l’impasse au Parlement, il ne reste plus qu’à espérer un dénouement rapide. Entendez-vous jusqu’à l’automne ou séparez-vous tout de suite mais de grâce, messieurs, mesdames les députés, mettez fin à ce spectacle disgracieux. Tout le pays en souffre, et l’électorat, qui prononcera le verdict final, risque de vous surprendre.

Publié dans le quotidien LeDroit, le 13 mai 2005.

jeudi 19 mai 2011

Données intéressantes sur les couples exogames

Extrait du nouveau document de Statistique Canada, « Les langues au Canada, Recensement de 2006 ».

La langue maternelle majoritaire est très présente au sein des couples formés d’au moins un membre du groupe minoritaire de langue officielle. Pour les anglophones du Québec, 32 % des conjoints sont de langue maternelle française. Pour les francophones vivant à l’extérieur du Québec, la part de la langue maternelle anglaise parmi les conjoints atteint 16 % au Nouveau-Brunswick, 42 % en Ontario et 46 % au Manitoba. Celle-ci dépasse 50 % dans les autres provinces et territoires : 53 % dans les Territoires du Nord-Ouest, 55 % en Nouvelle-Écosse, 56 % à l’Île-du-Prince-Édouard, 57 % au Yukon, 60 % en Alberta et en Saskatchewan, 64 % en Colombie-Britannique et 70 % à Terre-Neuve.

Partout ou presque, à l’échelle des provinces et territoires à l’extérieur du Québec, les francophones vivent au sein de couples dont le conjoint est très souvent de langue maternelle anglaise. Le Nouveau-Brunswick fait exception en raison de la forte concentration des francophones dans le nord et l’est de la province, ce qui fournit moins d’occasions de rencontres avec des anglophones sur le marché matrimonial.

Source : http://www.pch.gc.ca/pgm/lo-ol/pubs/npc/10-160_PCH-LanguesAuCanada-fra.pdf

mercredi 18 mai 2011

Défendre le français, pas le bilinguisme

Éditorial du Droit – édition du jeudi 23 mars 2006

Stratégies à repenser ?

par Pierre Allard

Remettre en question le bilinguisme dans les milieux franco-ontariens risque toujours de provoquer une levée de boucliers, mais le temps ne serait-il pas mûr pour une réflexion collective à cet égard ? Le débat est amorcé avec vigueur à l’Université d’Ottawa et, sur le plan municipal, Casselman est devenue cette semaine la troisième municipalité de l’Est ontarien à se doter d’un règlement sur l’affichage bilingue.

Le congrès récent des enseignants franco-ontariens a mis en lumière le déclin des effectifs scolaires francophones et des taux d’assimilations fort préoccupants. À l’Université d’Ottawa, le nombre d’étudiants francophones stagne alors que la proportion d’anglophones ne cesse d’augmenter. Et dans les municipalités à forte majorité francophone comme Clarence-Rockland, La Nation et Casselman, les francophones se butent souvent à un affichage unilingue anglais.

La toile de fond est claire : une seule des deux langues officielles est menacée, et vous savez laquelle. Pourquoi alors cette obstination d’un grand nombre des nôtres à ne miser que sur le bilinguisme comme moyen de défense du français ? Promouvoir le bilinguisme après tout c’est faire la promotion des deux langues, et donc aussi de l’anglais. Si par exemple Alfred-Plantagenet venait à adopter un règlement semblable à celui de Casselman et des autres, obligerait-on les nouveaux commerces d’Alfred, où plusieurs n’affichent qu’en français, à angliciser leurs affiches ?

Un débat de fond sur cette question a eu lieu dans le domaine scolaire dans les années 60. Les francophones ontariens ont cessé de réclamer des écoles bilingues, véritables foyers d’assimilation, pour revendiquer plutôt un réseau complet d’écoles de langue française. Aujourd’hui ce réseau est acquis – sauf à l’université – et personne ne songerait un instant à le remettre en question. On ne voudrait plus d’écoles bilingues, tous ayant reconnu la nécessité de créer des espaces scolaires francophones, même à l’université.

La question se pose maintenant dans nos municipalités. L’Est ontarien demeure, avec quelques coins du Nord ontarien, la seule région où les Franco-Ontariens forment de solides majorités et vivent dans une société largement francophone. Pourquoi ne pas l’affirmer ? Au lieu de demander aux commerces d’afficher en anglais et en français, pourquoi ne pas tout simplement légiférer une présence du français, sans pour autant limiter la présence de l’anglais et d’autres langues ?

Dans l’ouest de la ville d’Ottawa, où les anglophones forment l’immense majorité, personne ne s’offusque de voir des vitrines commerciales unilingues anglaises. De même façon, dans une municipalité comme Casselman, Alfred ou Hawkesbury, rien ne devrait empêcher les commerces de pouvoir s’afficher en français seulement ou en français d’abord. Il en va différemment bien sûr des institutions municipales, provinciales et fédérales, celles-ci ayant à juste titre l’obligation d’offrir des services bilingues.

La question est donc posée et mérite qu’on y pense. Dans le contexte actuel, soit celui d’une menace constante à la survie et à l’essor du français, le bilinguisme intégral reste-t-il toujours notre meilleure stratégie ?


dimanche 15 mai 2011

Éditorial du Droit du 7 décembre 2005

Éditorial – édition du mercredi 7 décembre 2005 – Quotidien LeDroit

Vaincu sans combattre

par Pierre Allard

Il n’est pas trop tard pour le chef néo-démocrate Jack Layton de congédier les stratèges qui lui ont proposé de viser moins que le pouvoir à Ottawa. Invoquant sans doute un quelconque « réalisme » politique fondé sur les résultats des élections précédentes et une accumulation de sondages et d’études, des bonzes du NPD ont conclu qu’une victoire était hors de portée et pire, l’ont fait avouer au chef qui déclarait en début de campagne viser tout au plus « une augmentation substantielle du nombre de députés néo-démocrates aux Communes ». Une chance d’influencer davantage le parti au pouvoir, à condition qu’il soit minoritaire bien sûr…

Ainsi au premier jour, sans même combattre, le NPD vient de lancer la serviette et de s’avouer vaincu, se reléguant à un rôle de soutien au Parlement et se privant de l’option – offerte uniquement en période électorale – de présenter au public canadien un programme de gouvernement et de le soumettre au suffrage universel. M. Layton devra donc se limiter à critiquer les projets des libéraux et des conservateurs, au lieu de présenter lui-même sa propre vision du pouvoir néo-démocrate. Sa campagne devient par le fait même régionale, axée sur les grandes agglomérations urbaines ou industrielles hors Québec et sur les provinces de l’Ouest (sauf l’Alberta) où ses appuis électoraux se concentrent.

Le NPD aurait pourtant eu d’excellentes raisons de se présenter comme la seule alternative crédible aux deux grands partis dans un climat où une opinion publique volatile se montre plus que d’habitude ouverte au changement. Les scandales révélés par l’enquête Gomery n’ont pas fini d’éclabousser un Parti libéral divisé et de nombreux électeurs, même chez les rouges, envisagent de voter ailleurs malgré une pluie de milliards en annonces et promesses. Par ailleurs, la transformation de Stephen Harper en modéré n’a pas éteint toutes les inquiétudes d’un électorat qui incline peu à droite ces temps-ci. Le terrain n’aura jamais été aussi favorable au NPD qui, au lieu de foncer dans la brèche, se terre dans ses châteaux forts.

Les sondages – qui s’abattront sur nous en rafale d’ici le 23 janvier – démontreraient selon certains que le NPD ne peut prendre le pouvoir. Le passé révèle l’absurdité d’une telle remarque. On n’a qu’à penser aux débandades de John Turner en 1984 et de Kim Campbell en 1993. Les deux menaient dans les sondages au début de la campagne. Pourquoi l’élection de janvier 2006 serait-elle à l’abri d’un imprévu qui viendrait bouleverser tous les savants calculs des sondeurs ? Les électeurs canadiens sont-ils figés dans leurs choix au point d’avoir perdu leur faculté de juger ? L’opinion publique n’est pas immuable et un tsunami électoral, quoique improbable, peut toujours se produire.

Mais les revirements, s’il y en a, ont peu de chances de favoriser le NPD si celui-ci se retire de la « vraie » course. Quand M. Layton parle d’environnement, de santé ou de bois d’œuvre, on veut savoir ce que fera un gouvernement néo-démocrate, et non ce que feront une trentaine ou une quarantaine de députés du NPD qui espèrent détenir la balance du pouvoir. En s’avouant vaincu, M. Layton continuera de voir filer des appuis et risque même de démobiliser ses troupes. À la grandeur du pays, la campagne électorale perdra de sa saveur. Voilà certes une stratégie incompréhensible, et regrettable.