dimanche 15 mai 2011

Éditorial du Droit du 7 décembre 2005

Éditorial – édition du mercredi 7 décembre 2005 – Quotidien LeDroit

Vaincu sans combattre

par Pierre Allard

Il n’est pas trop tard pour le chef néo-démocrate Jack Layton de congédier les stratèges qui lui ont proposé de viser moins que le pouvoir à Ottawa. Invoquant sans doute un quelconque « réalisme » politique fondé sur les résultats des élections précédentes et une accumulation de sondages et d’études, des bonzes du NPD ont conclu qu’une victoire était hors de portée et pire, l’ont fait avouer au chef qui déclarait en début de campagne viser tout au plus « une augmentation substantielle du nombre de députés néo-démocrates aux Communes ». Une chance d’influencer davantage le parti au pouvoir, à condition qu’il soit minoritaire bien sûr…

Ainsi au premier jour, sans même combattre, le NPD vient de lancer la serviette et de s’avouer vaincu, se reléguant à un rôle de soutien au Parlement et se privant de l’option – offerte uniquement en période électorale – de présenter au public canadien un programme de gouvernement et de le soumettre au suffrage universel. M. Layton devra donc se limiter à critiquer les projets des libéraux et des conservateurs, au lieu de présenter lui-même sa propre vision du pouvoir néo-démocrate. Sa campagne devient par le fait même régionale, axée sur les grandes agglomérations urbaines ou industrielles hors Québec et sur les provinces de l’Ouest (sauf l’Alberta) où ses appuis électoraux se concentrent.

Le NPD aurait pourtant eu d’excellentes raisons de se présenter comme la seule alternative crédible aux deux grands partis dans un climat où une opinion publique volatile se montre plus que d’habitude ouverte au changement. Les scandales révélés par l’enquête Gomery n’ont pas fini d’éclabousser un Parti libéral divisé et de nombreux électeurs, même chez les rouges, envisagent de voter ailleurs malgré une pluie de milliards en annonces et promesses. Par ailleurs, la transformation de Stephen Harper en modéré n’a pas éteint toutes les inquiétudes d’un électorat qui incline peu à droite ces temps-ci. Le terrain n’aura jamais été aussi favorable au NPD qui, au lieu de foncer dans la brèche, se terre dans ses châteaux forts.

Les sondages – qui s’abattront sur nous en rafale d’ici le 23 janvier – démontreraient selon certains que le NPD ne peut prendre le pouvoir. Le passé révèle l’absurdité d’une telle remarque. On n’a qu’à penser aux débandades de John Turner en 1984 et de Kim Campbell en 1993. Les deux menaient dans les sondages au début de la campagne. Pourquoi l’élection de janvier 2006 serait-elle à l’abri d’un imprévu qui viendrait bouleverser tous les savants calculs des sondeurs ? Les électeurs canadiens sont-ils figés dans leurs choix au point d’avoir perdu leur faculté de juger ? L’opinion publique n’est pas immuable et un tsunami électoral, quoique improbable, peut toujours se produire.

Mais les revirements, s’il y en a, ont peu de chances de favoriser le NPD si celui-ci se retire de la « vraie » course. Quand M. Layton parle d’environnement, de santé ou de bois d’œuvre, on veut savoir ce que fera un gouvernement néo-démocrate, et non ce que feront une trentaine ou une quarantaine de députés du NPD qui espèrent détenir la balance du pouvoir. En s’avouant vaincu, M. Layton continuera de voir filer des appuis et risque même de démobiliser ses troupes. À la grandeur du pays, la campagne électorale perdra de sa saveur. Voilà certes une stratégie incompréhensible, et regrettable.

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