vendredi 29 juillet 2016

Une censure qui dépasse l'entendement...


Que des apprentis dictateurs islamistes comme le président Erdogan, de Turquie, attaquent et censurent les médias ne surprendra personne. Mais qu'à peine dix-huit mois après #JeSuisCharlie, un des quotidiens les plus respectés de la France, pays phare des libertés, s'associe volontairement à des mesures de censure dépasse l'entendement…

Cette semaine, en effet, le directeur du journal Le Monde écrivait ce qui suit: «À la suite de l'attentat de Nice, nous ne publierons plus de photographies des auteurs de tueries, pour éviter d'éventuels effets de glorification posthume. D'autres débats sur nos pratiques sont en cours.» Différents médias auraient emboîté le pas et selon un article du journaliste Philippe Orfali, à la une du Devoir, l'État français songe à imposer un «code de meilleure conduite» au traitement médiatique du terrorisme.

Ici, au Québec et au Canada, l'État islamique n'a pas (jusqu'à maintenant) commis les horreurs que vit depuis janvier 2015 notre bonne vieille mère-patrie. Sommes-nous qualifiés pour juger le comportement de nos collègues journalistes de France - et d'ailleurs en Europe - face à la couverture complexe d'une guerre différente de toutes celles que nous avons connues par le passé? Oui, nous le sommes!

Pourquoi? Parce que le journalisme reste le journalisme, et que la mission des salles de rédaction est toujours la même, peu importe les circonstances dans lesquelles cette mission est exécutée. Notre rôle (je m'inclus, comme journaliste depuis 47 ans) est d'informer le public. De transmettre le plus complètement possible toute l'information jugée pertinente pour la compréhension d'un événement ou d'une situation, pour que le lecteur ou l'auditeur soit en mesure de formuler une opinion informée.

Les médias ont aussi, dans le cadre de leur mission, le mandat d'interpréter, d'analyser, de commenter et même de juger l'information qu'ils transmettent à la population. Ils doivent faire tout cela dans le cadre d'un certain nombre de lois, de règlements et de règles d'éthique, généralement acceptés et émanant soit de l'État ou de la profession elle-même. Ce qu'ils ne doivent pas faire, cependant, jamais, au grand jamais, c'est devenir eux-mêmes acteur politique et/ou judiciaire, et de se servir de ce rôle usurpé pour instaurer des régimes de censure ou d'autocensure.

Qu'un terroriste puisse saliver à l'idée que sa photo soit diffusée à la une des médias peut dégoûter à juste titre l'honnête citoyen. Mais le journaliste n'a que faire des fantasmes de ce fanatique. Sa seule considération, c'est de savoir s'il est d'intérêt public et pertinent de publier son nom et sa photo, et toute l'information biographique qui peut éclairer la compréhension de son comportement. Si le public et les députés s'en offusquent, tant pis. Et si l'État tente de supprimer telle information, le journaliste et ses médias doivent combattre l'État jusqu'au bout.

J'ai couvert, du début à la fin, la crise d'octobre 1970. Je m'en souviens très bien. Une poignée de felquistes (qui ne terrorisaient pas grand monde…) avaient kidnappé un diplomate britannique et un de nos ministres québécois. Sans diminuer la gravité des gestes posés, et de l'histoire des autres violences sporadiques depuis 1963, on était loin des horreurs d'aujourd'hui… Et pourtant le gouvernement de Pierre Elliot Trudeau a déclaré faussement qu'il existait un état d'insurrection appréhendée, invoqué la Loi des mesures de guerre et emprisonné sans mandat plus de 450 adversaires politiques innocents!

Mais cette Loi des mesures de guerre avait des conséquences directes pour les salles de rédaction des journaux, de la télé et de la radio. Cette loi, prévue pour une vraie guerre, avait été invoquée pour rendre le FLQ hors-la-loi. Ainsi toute information diffusée (par les médias) qui aurait pu être interprétée comme favorisant le FLQ devenait illégale. Devant le spectre de censeurs étatiques ou militaires dans les salles de nouvelles, les médias québécois ont versé dans l'autocensure, avec des conséquences tout à fait prévisibles…

Il faut rappeler aussi qu'en vertu des mesures de guerres, des perquisitions policières avaient eu lieu dans des salles de rédaction et chez des journalistes, dont plusieurs ont été arrêtés et incarcérés sans mandat et sans possibilité de recours judiciaires.

Je me souviens du matin du 16 octobre 1970. J'étais à Montréal ce jour-là avec un collègue journaliste, Paul Terrien. Jusque là, tout était calme au Québec, sauf pour l'activité policière. Il n'y avait pas d'insurrection en préparation, mais le gouvernement s'énervait parce que la lecture du manifeste du FLQ en ondes avait suscité une vague de sympathie au sein d'une partie importante de l'opinion publique. Quand les militaires ont été déployés à l'hôtel de ville et au Palais de justice de Montréal, des familles entières venaient les voir comme attraction touristique et plaçaient leurs enfants à côté des soldats pour prendre des photos (devant les regards ahuris des militaires, souvent anglophones…).

Caricature de Berthio dans Le Devoir, montrant Jean Drapeau, Jean Marchand et Lucien Saulnier utilisant les médias pour s'imposer en désastrologues...

Mais avec plus de 400 opposants en prison et bien d'autres craignant de voir leurs portes défoncées par la police, avec des dirigeants qui faisaient peur au monde avec des histoires inventées de milliers de felquistes en armes, avec l'interruption brutale de la libre circulation de l'information dans les médias, et surtout avec l'assassinat de Pierre Laporte, le lendemain des mesures de guerre, le climat social a vite changé. On a, avec la collaboration de médias trop dociles, fabriqué un climat de peur, voire de terreur, et créé une ambiance favorable à une répression sans trop de critiques…

Un certain nombre de journalistes et de cadres d'information, notamment la rédaction du Devoir, sont restés en mode résistance aux mesures de censure et d'autocensure, mais globalement le changement fut dramatique. Au lieu d'évaluer l'information sur sa pertinence ou sur son importance, on s'interrogeait sur sa perception par l'État: verrait-on telle nouvelle comme étant favorable, ou venant en aide au FLQ? Et si oui, quelles seraient les conséquences? Cela n'a pas duré plus que quelques mois, mais ce fut suffisant pour voir très clairement les effets de la censure sur les rédactions, les médias et l'opinion publique.

Si une information était pertinente, il fallait la publier même si l'effet était de plaire aux felquistes. Si elle était pertinente, il fallait aussi la publier si l'effet était de déplaire aux felquistes et de plaire aux apprentis dictateurs d'Ottawa. La question de principe est la même pour la France d'aujourd'hui, même si la menace terroriste islamiste est bien plus grave et immédiate.

Quand, un jour, la France aura défendu avec succès ses valeurs historiques d'égalité, de liberté et de fraternité contre les voyous islamistes et tous les autres intégristes, peu importe la religion, qui décideront d'utiliser la terreur contre la république, j'ai confiance qu'elle portera sur la censure et l'autocensure le même jugement que porta en 1972, après la crise d'octobre, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec:

«Toute forme de censure doit être condamnée en principe et dans les faits. Son exercice est en fait une admission de faiblesse par une société qui y recourt.»




lundi 25 juillet 2016

Canada, Lettonie, Ukraine…


Si jamais, un jour, le Québec décidait de protéger la langue française dans le cadre d'un État indépendant, et que la France accédait à sa demande d'y stationner quelques bataillons pour contrer une perception de menace des deux grandes fédérations anglo-américaines qui le cernent, le Canada sera bien mal placé pour crier à la vierge offensée…

En effet, ces jours-ci, des troupes canadiennes sont déployées en Lettonie et en Ukraine, deux ex-membres de l'ancienne fédération soviétique qui volent désormais de leurs propres ailes et qui luttent depuis plusieurs décennies pour assurer la pérennité de leur langue nationale - le letton d'une part, et l'ukrainien de l'autre - contre l'envahissement du russe.

Évidemment, le motif officiel de la présence militaire canadienne n'a rien de linguistique, mais tout de même… Justin Trudeau a repris à son compte l'attitude guerrière de son prédécesseur, Stephen Harper, à l'endroit de Moscou, accusé d'être un fauteur de trouve et un aventurier dans certains secteurs de l'ancienne zone d'influence soviétique… On a notamment à l'esprit l'occupation brutale de la péninsule de Crimée, entre autres…

Cependant, derrière les fanfaronnades du ministre des Affaires étrangères, Stéphane Dion, et du premier ministre débarrassé de son déguisement peace and love, l'enjeu de la langue continue de bouillonner. Et en Lettonie comme en Ukraine, les liens avec la situation québécoise dépassent largement les comparaisons théoriques que pourraient élaborer des chercheurs en science politique.

On n'a qu'à songer aux deux mandats à la présidence de Lettonie de Mme Vaira Vike-Freiberga (1999-2007). Québécoise d'adoption, ancienne professeure à l'Université de Montréal, récipiendaire de l'Ordre national du Québec, elle avait fait adopter dans son pays une loi semblable à la Loi 101 pour protéger le letton contre le russe. Pire, Mme Vike-Freiberga parle cinq langues mais pas le russe, qu'elle baragouine un peu à la Pauline Marois quand cette dernière s'aventure en anglais…

Dans un pays où 30% de la population est russophone et où la plupart des Lettons comprennent ou parlent le russe, l'indépendance a permis de rétablir la situation de la langue nationale. Les militaires canadiens qui séjournent dans ce pays balte ne font pas seulement un pied de nez aux ambitions militaires de Poutine et compagnie. Ils protègent aussi l'indépendance d'un ancien État fédéré et sa langue contre le puissant voisin dominateur…

L'Ukraine vit sous un régime de tensions linguistiques tout aussi vives. Après 70 ans sous le joug de Moscou, une forte proportion des Ukrainiens parle le russe et au début des années 1990, on disait la culture ukrainienne plutôt anémique. Là, l'indépendance ne semblait pas avoir rétabli la dynamique linguistique en faveur de l'ukrainien, mais depuis le conflit militaire avec la Russie et la perte de la Crimée, suivi de l'engagement accru de l'OTAN, la situation change.

Fait à noter, les quelque 200 militaires canadiens déployés en Ukraine sont tous des francophones du régiment Royal 22e, de Valcartier. Ils ne sont sûrement pas insensibles, étant originaires du Québec, au dilemme linguistique de leurs collègues ukrainiens, qui mènent un combat inégal contre un voisin géant. J'ai peine à croire qu'on n'ait pas abordé le débat linguistique québécois dans les échanges avec les militaires et civils de l'Ukraine…

À la mi-juillet, le premier ministre Trudeau est allé assister à des manoeuvres militaires en Ukraine, et a déclaré que le Canada avait dû se battre «pour ses valeurs» (on ne sait jamais trop ce que cela veut dire avec Justin Trudeau, mais enfin…) et que les soldats canadiens aideraient les Ukrainiens à défendre leur intégrité territoriale et la démocratie. On suppose que la langue ukrainienne fait aussi partie de ces valeurs que l'ancien État membre de l'Union soviétique protège avec son indépendance…

Quoiqu'il en soit, le Canada joue un drôle de rôle, se trouvant à protéger des langues et des cultures menacées dans l'ancienne fédération, et qui ont trouvé leur salut dans l'indépendance. Les souverainistes québécois feraient bien de prendre des notes et de préparer leurs argumentaires pour les lendemains d'un référendum ou d'une élection référendaire gagnants… 




samedi 23 juillet 2016

Ce n'est pas ainsi que j'envisage ma caisse, jadis populaire...


Ce matin, je suis allé au siège social de ma caisse jadis «populaire», la Caisse Desjardins de Gatineau. Je n'y vais pas souvent le samedi, mais j'avais besoin de changer un billet de 100$ en deux billets de 50$, et mes chances d'obtenir deux billets rouges ailleurs étaient plutôt minces… Et comme le centre de services est maintenant ouvert le samedi, de 9 heures à 15 heures… enfin voilà…

Je me présente donc vers 11 heures… Il n'y a que deux caissiers en devoir, mais la file d'attente est courte: deux personnes devant moi… Je n'ai attendu que quelques minutes pour voir mon numéro apparaître à l'écran… Présentez-vous au guichet 4…

- Bonjour. J'ai un billet de 100$. J'aimerais l'échanger contre deux 50$…

- Avez-vous votre carte guichet? Vous avez un compte ici?

- Pourquoi voulez-vous une carte guichet pour prendre un billet et m'en remettre deux de même valeur?

- C'est le règlement…

- J'ai un compte ici, et j'ai ma carte. Mais vous voulez me dire que vous auriez refusé de changer le billet de 100$ pour une personne sans compte et sans carte?

- Oui, on ne fait pas ça pour n'importe qui…

- Il me semble que ce n'est pas très amical, comme politique…

(Silence du caissier)

J'insère ma carte dans la fente, où l'on m'indique à l'écran que la Caisse a reçu 1 billet de 100 $ et qu'elle me remet deux billets de 50$, et que le dépôt net à mon compte est de 0,00$, et que je dois en plus composer mon NIP…

Transaction approuvée, indique la machine après quelques secondes… Et le caissier me remet un reçu papier indiquant que la Caisse a reçu 1 billet de 100 $ et qu'elle m'a remis deux billets de 50$, et que le dépôt net à mon compte est de 0,00$...




Je sais que les institutions financières ont d'excellentes raisons d'accorder la priorité à leurs clients, et que cela entraîne des restrictions pour les non-clients… Mais ma caisse est une coopérative. Il n'y a pas de clients, nous sommes des membres. Et dans l'esprit du coopératisme, même à cette époque de concurrence effrénée avec les banques et les excès de réglementation, je pense que les membres de ma coopérative n'auraient pas d'objection à dépanner un type qui veut de la monnaie (sans transaction) et qui n'a ni carte guichet, ni compte à la Caisse…

Bonjour monsieur, madame… Vous n'avez pas de compte, pas de petite carte Desjardins? Allez ailleurs… on ne veut pas vous voir ici…

On m'aurait peut-être réservé un traitement similaire à une banque… Peut-être pire… Je n'en sais rien… Je ne fréquente pas les banques… Mais ce n'est pas ainsi que j'envisage l'accueil à ma caisse, jadis populaire...

jeudi 21 juillet 2016

Langues officielles: le brouillard...


Quand vient le temps de sonder la population sur les orientations fédérales en matière de langues officielles, le gouvernement de Justin Trudeau apparaît malheureusement comme un clone de son prédécesseur, Stephen Harper… On «consulte» des porte-paroles d'organismes présélectionnés dans quelques douzaines de localités à travers le pays, et on lance en pâture au grand public un sondage Internet conçu en fonction d'on ne sait trop quoi… dont les résultats pourraient ne jamais être connus.

Seule l'appellation de la démarche semble avoir changé. Quand l'ancien ministre harpeurien du Patrimoine canadien, James Moore, avait entrepris sa «consultation» pour la période 2013-2018, on parlait de «feuille de route» pour les langues officielles. Avec Mélanie Joly, en 2016, c'est devenu un «plan d'action» (bit.ly/1Qc8K3n ) des langues officielles, sans échéance précise… On le dit «pluriannuel»… Pour le reste, on croirait presque à un exercice de copier-coller. On reprend l'itinéraire bleu, repeint en rouge…

L'intérêt pour ces «tables rondes» de consultations, qui ont débuté le 20 juin à Alfred (Ontario) et se sont poursuivies jusqu'au début de juillet dans sept villes (St. John's, Waterloo, Toronto, Victoria, Winnipeg et Regina), oscille entre «faible» dans les médias francophones hors-Québec et «quasi nul» dans les milieux médiatiques du Canada anglais et du Québec… du moins jusqu'à maintenant. On peut donc en déduire que l'immense majorité du public québécois et canadien ignore tout de l'affaire…

Les consultations reprendront au début du mois d'août à Sherbrooke, puis dans les Maritimes, mais rien ne laisse entendre qu'elles grimperont au palmarès des manchettes pan-canadiennes. Le fait que plus d'un milliard de dollars en fonds publics soit dans la cagnotte, et que l'ADN linguistique du pays puisse être remis en question, ne semble pas devoir secouer la torpeur des effectifs ayant survécu aux coupes répétées dans nos salles de rédaction… Cela fera l'affaire du gouvernement Trudeau, qui pourra, sans être scruté, entreprendre de re-cuisiner la fibre linguistique du Canada à sa sauce multiculturelle...

Pendant que les grandes oligarchies médiatiques rendent de plus en plus inoffensives leurs salles de nouvelles dégarnies, une population tenue dans l'ignorance devient un terreau fertile pour la propagande  d'un chef de gouvernement adulé et de son équipe auréolée… De fait, y a-t-il un seul (une seule) journaliste qui ait analysé et commenté le contenu du sondage que Patrimoine canadien propose aux sujets canadiens d'Elizabeth Windsor? Faudrait. C'est très instructif.

Les questions, dans ce sondage, brossent le tableau d'un pays inexistant, où deux majorités miroirs, une anglaise (dans neuf provinces et trois territoires) et l'autre française (au Québec), ont chacune leurs minorités de langue officielle, la situation des francophones hors-Québec étant en quelque sorte le reflet de celle des Anglo-Québécois. C'est de la bouillie pour les chats. En réalité, le français reste la seule langue officielle en péril, dans toutes les provinces y compris le Québec, et les Anglo-Québécois ont été (et restent) bien plus choyés que les minorités acadiennes et canadiennes-françaises.

Le questionnaire plus détaillé qui suit le sondage général contient des suggestions erronées et insidieuses. Parmi les pistes d'action fédérale proposées pour répondre aux besoins des anglophones du Québec, on inclut «l'adoption de lois et règlements pour appuyer et encourager le respect des droits des Anglo-Québécois»… Ne laisse-t-on pas entendre ici que les droits des Anglo-Québécois n'ont pas été respectés et que le fédéral pourrait intervenir pour rappeler le Québec à l'ordre? Le sondage ne suggère rien de tel pour aider la francophonie hors-Québec…

Le libellé des questions sur la diversité et le multiculturalisme invite presque les répondants à mettre en doute les valeurs traditionnellement associées aux deux langues officielles du pays. Que faut-il penser quand on demande au public son niveau «d'accord» ou de «désaccord» avec l'énoncé suivant: «Le fait d'avoir deux langues officielles, le français et l'anglais, favorisent (sic) l'ouverture des Canadiens aux autres cultures.» Et on relance tout de suite après avec cette question: «Quel(s) rôle(s) devrait-on donner aux autres langues que le français et l'anglais (langues autochtones et langues d'immigration)?»

De là à croire qu'on prépare à la dualité linguistique le sort que Trudeau père avait réservé jadis au biculturalisme, il n'y a qu'un pas… vite franchi avec un Justin Trudeau…

Ailleurs dans le sondage, on se retrouve devant cette affirmation abracadabrante: «Les langues officielles rayonnent aux quatre coins du pays grâce aux Canadiens bilingues, mais aussi grâce aux nombreuses communautés de langue officielle en situation minoritaire que l'on retrouve dans toutes les provinces et territoires.» Précisons d'abord que les francophones hors Québec, massivement bilingues, font partie des «Canadiens bilingues», comme les Anglo-Québécois qui connaissent le français. Ils ne s'y ajoutent pas comme semble l'indiquer l'énoncé.

Mais le pire, c'est le fondement même de la déclaration. Plus de 22 millions de Canadiens ne connaissent qu'une langue officielle, l'anglais: peut-on sérieusement affirmer qu'ils ne contribuent pas au rayonnement de cette langue eux aussi? Ce privilège serait réservé aux anglos bilingues? Et que dire des quatre millions de francophones unilingues du Québec… Ne font-ils pas rayonner la culture et la langue françaises… l'autre langue officielle? Ne serait-il pas utile aussi de mentionner que des 5 800 000 Canadiens bilingues, près de 3 millions et demi sont de langue maternelle française?

Si votre intention est d'utiliser ce sondage pour faire connaître une opinion qui sort du moule imposé par les stratèges de Patrimoine canadien, vous aurez des problèmes...

Entre-temps, la ministre Mélanie Joly et sa suite continueront de rencontrer les gens qu'ils ont eux-mêmes invités aux tables rondes, pour entendre les mêmes litanies de plaintes et de demandes qu'à l'époque des années Harper et même avant… Et les médias, faute d'effectifs ou de volonté, continueront  de feindre d'ignorer l'existence des consultations sur les langues officielles ou publieront, de temps à autre, quelques trop brefs paragraphes sur la présence de Mme Joly et sa troupe dans les parages…

…………….

«Bon ben bonsoir là
Vous vous r'prendrez
Comptez pas itou

Parce que nous autres
On est pas sorteux…»


- La parenté, Jacques Labrecque, bit.ly/2a4sYLT

samedi 16 juillet 2016

La valeur clé: l'égalité


Dans le sillage de la tuerie de Nice et des autres attentats meurtriers (avant et depuis), entre larmes, réflexions, blâmes et recherche de coupables, il semble y avoir un sentiment général d'impuissance. On voudrait des solutions simples, mais il ne semble pas y en avoir. Et pourtant…

Une chose semble claire. Nous savons qu'au-delà des complexités socio-politiques intérieures et mondiales, des valeurs sont en cause... démocratie, liberté, égalité, laïcité, entre autres. L'enjeu, au fond, il est plutôt là. Et l'issue dépendra des stratégies que nous adopterons, individuellement et collectivement.

D'aucuns nous entraîneraient volontiers dans la voie de la répression et de l'État policier. La sécurité au prix de la liberté. D'autres, dans un élan de fraternité bien naïve, ouvriraient involontairement les portes à des individus et groupes qui nous priveraient volontiers de nos libertés.

Le problème, c'est que dans un cas comme dans l'autre, nos yeux sont tournés vers les auteurs d'actes de violence, et aux mouvances dont ils semblent issus. Il faudrait plutôt que nos sociétés fassent un bon examen de conscience.

Ne serait-il pas opportun de mettre de l'ordre dans nos propres valeurs, de décider lesquelles sont les plus importantes, d'identifier celle ou celles qui sont la base de notre organisation socio-politique, celle ou celles qui sont inviolables, que nous défendrons au prix de nos vies?

Je me permets d'en proposer une - l'égalité de tous les humains. De cette égalité découlent nécessairement tous les autres droits et libertés que nous nous acharnons, pièce par pièce, à enchâsser dans nos édifices juridiques et constitutionnels.

Cette valeur fondamentale nous oblige à promulguer l'égalité des hommes et des femmes, l'égalité des humains de toutes races, l'égalité de chacun, chacune au regard des lois. La valeur de l'égalité est l'essence même de la démocratie, chaque citoyen étant égal dans son droit de participer au choix des dirigeants et à l'édification des lois et règlements.

L'égalité est la clef de voûte. Sans elle, tout s'écroule. Elle doit devenir la norme qui nous permettra de juger si les autres droits et libertés doivent être affirmés ou tempérés. L'égalité assure le droit de chacun, chacune de s'exprimer librement, dans la mesure des lois, en toute sécurité. L'étendard de l'égalité sera hissé devant les individus et organisations (religieuses et autres) qui voudraient inférioriser la femme.

L'égalité de tous, toutes favorisera les valeurs républicaines, où le pouvoir est l'expression de la volonté de citoyens égaux, et non un don de droit divin à un roi ou une reine dont nous serions les sujets inégaux. L'égalité sera aussi le fondement de la neutralité ou de la laïcité de l'État, qui doit assurer un accueil et un service égal à tous les citoyens, peu importe leurs allégeances personnelles.

La défense et la promotion de l'égalité ont par ailleurs le mérite d'être des actions positives en soi, dont l'effet sera d'édifier une société et un monde plus justes, et de dresser un mur de béton devant ceux et celles qui voudraient attaquer nos valeurs les plus chères par la violence.

Bien sûr, il nous faudra toujours des policiers et des militaires, et il y aura toujours des criminels et des terroristes à combattre avec tous les moyens à notre disposition. Mais le vrai fond de l'affaire, ce n'est pas tant de chasser les coupables que de savoir ce que l'on défend, et pourquoi on le défend. C'est là que réside pour le moment notre faiblesse…




jeudi 14 juillet 2016

Vous n'écouterez plus «Mommy, Daddy» de la même façon...


Y'a rien comme les statistiques pour éloigner des lecteurs. Les chiffres, par définition, sont des abstractions. Quatre plus deux égalent six? Un enfant demandera sagement, quatre quoi… deux quoi? Montrez-lui quatre pommes et deux pommes et faites-le compter. Là, tout s'éclaire. L'adulte, même s'il comprend bien le concept, aimera toujours mieux voir six belles pommes rouges que le chiffre six… Et il préférera le chiffre 20 d'un billet de banque à celui d'une colonne de statistiques…

Comment alors parler de l'assimilation (de l'anglicisation si vous préférez) sans éviter l'étalement de chiffres et de pourcentages? C'est quasiment impossible. Et je sais ce que ça donne. Depuis 50 ans que je décortique les données linguistiques des recensements fédéraux, je n'ai pas rencontré grand monde qui s'en passionne. Quand on essaie d'en parler, c'est plutôt des silences ennuyés, quelques bâillements et vite, passons à autre chose… Et les belles pommes rouges, ici, ne me seront d'aucune utilité…

J'ose donc un exemple. En 1997, j'assistais, à l'Université d'Ottawa, à un colloque sur le 30e anniversaire des assises montréalaises des États généraux du Canada français. J'y ai rencontré un militant franco-ontarien, ancien délégué comme moi aux États généraux, résidant de la banlieue est d'Ottawa, où il y a de fortes concentrations de francophones. Il m'a confié sa détresse parce qu'à la maison, ses enfants lui répondaient en anglais, même s'il leur parlait en français… Je parie que les enfants de ses enfants ont de fortes chances de ne plus parler français du tout…

Ça c'est l'assimilation sans chiffres, sans statistiques, dans une famille où le père et la mère étaient francophones. Autour de 2010, j'ai eu à préparer des textes sur une école secondaire française d'Ottawa et j'y ai passé quelques jours à entendre les élèves parler presque exclusivement anglais entre eux dans les couloirs. Ils étaient de toute évidence bilingues, et à l'extérieur de la classe, ainsi que dans bien des foyers, l'anglais dominait. La prochaine génération sera moins bilingue, puisque les trois quarts de ces jeunes seront en couple exogame (un francophone, un anglophone) et que, selon Statistique Canada, les trois quarts des enfants des couples exogames seront anglophones…

Ces exemples sont tirés de l'Ontario, parce que c'est à Ottawa que j'ai grandi et que c'est un milieu que je fréquente toujours. Et croyez-moi, Ottawa n'est pas le pire endroit pour un Franco-Ontarien. Vous vous dites sans doute que bah, c'est dans une province où les francophones sont en minorité et que cela ne se produit pas chez nous, au Québec. Si c'est ce que vous pensez, vous vous trompez. Dans le Pontiac, dans la Basse-Gatineau, dans l'ouest de l'île de Montréal, on se croirait parfois en Ontario…

Prenons le pire cas, celui du Pontiac, où les anglophones majoritaires n'ont jamais hésité à malmener les communautés de langue française autour d'eux… Imaginons François Tremblay (nom fictif) arrivant avec sa famille, au début du 20e siècle, dans le village de Chichester, près de l'Île-aux-Allumettes et subissant le sort habituellement réservé aux francophones dans ce coin de pays. Ses enfants seraient vite devenus bilingues dans des écoles où l'on appliquait l'inique Règlement 17 de l'Ontario, et les enfants de ses enfants auraient peut-être eu de la difficulté à communiquer avec lui en français. Trois générations plus tard, on verrait plein de Stephen ou de Frank Tremblay, ou de Donna ou Margaret…

C'est ainsi que fonctionne l'assimilation… Là je me permets enfin quelques chiffres pour l'illustrer. Je reviens à Chichester. Au recensement de 1961, 64% des résidents de Chichester avaient un nom de famille français ou étaient d'origine française, mais seulement 30% étaient de langue maternelle française… Plus de la moitié, déjà perdus… Depuis 1971, aux recensements, on a introduit le concept de la langue d'usage (la langue la plus souvent parlée à la maison) et on n'utilise plus les données sur l'origine ethnique. On a rayé des tableaux de l'assimilation ces générations antérieures perdues pour utiliser désormais comme point de repère les données sur la langue maternelle…

Or, en 2011, dans Chichester toujours, les résidents de langue maternelle française ne formaient plus que 9,6% de la population (contre 30% en 1961), et ceux et celles qui ont le français comme langue d'usage n'étaient que 4,1% de la population. Concrètement, il y avait 158 personnes de langue maternelle française dans le village en 1961, et seulement 35 en 2011 (et seulement 15 qui utilisaient surtout le français à la maison)… Vous pouvez trouver ces chiffres plates, mais vous conviendrez qu'ils sont dramatiques… Surtout si l'on considère que la majorité de ces gens avaient des grands-parents ou des arrière-grands-parents francophones…

Alors essayez, à l'avenir, d'imaginer de telles statistiques comme des êtres humains. Vous, par exemple. Vos enfants parlant anglais entre eux, alors que vous les avez élevés en français. Vos petits-enfants coupés de votre culture et de votre langue, vous appelant «grandpa», «grand-dad», «grandma»… n'écoutant plus vos chansons, ne lisant plus vos livres, s'abreuvant aux médias de langue anglaise, devenant ou devenus des étrangers culturels… Vous n'écouteriez sans doute plus la chanson «Mommy Daddy» (bit.ly/WbX19I) de la même façon…

L'an prochain, on aura en main (en octobre probablement), les données linguistiques du recensement de 2016… Si quelqu'un vous en parle, essayez de ne pas bâiller…


mercredi 13 juillet 2016

Francophonie du Pontiac. À quand la pierre tombale?

Un livre à lire absolument!

Assistera-t-on, lentement et dans l'indifférence totale, à la disparition de la francophonie dans le Pontiac... une région qui, faudrait-il le souligner, se trouve bel et bien au Québec? Après un siècle et demi de domination anglophone, émaillée de persécutions à l'endroit des populations de langue française, ce qui reste de la francophonie agonise…

Dans ce coin de l'Outaouais, on trouve d'un côté des collectivités solidement anglophones, majoritairement unilingues, et des communautés bilingues de langue maternelle française… Ces dernières se sont fait imposer depuis longtemps, à coups de bâtons, cette «bonne entente» qui fait de l'anglais la langue usuelle de communication entre francophones et anglophones. D'une génération à l'autre, une partie de ces bilingues, constatant l'inutilité et l'infériorité du français, l'abandonnent et ne conservent en souvenir qu'un nom de famille prononcé à l'anglaise…

Un siècle de répression, l'oeuvre d'une classe dirigeante anglo-raciste et d'un clergé ontarien anti-francophone (le Pontiac étant rattaché au diocèse de Pembroke, en Ontario), avec la complicité quasi criminelle des puissances politiques à Québec et Ottawa, a laissé des marques indélébiles. Dominés jusqu'à la soumission, la majorité des francophones se diraient probablement heureux, en 2016, de cette «bonne entente» dont ils font les frais. L'anglicisation n'a pas seulement usé leur résistance, elle a érodé leur identité…

Aujourd'hui, ils ne sont peut-être plus que treize irréductibles à poursuivre la lutte plus que centenaire contre les injustices faites aux francophones du Pontiac. On ne connaît même pas l'identité de  tous ces patriotes, sauf qu'ils s'appellent le «Groupe des 13» (voir bit.ly/29QJrn8). On sait qui est leur porte-parole, Mme Lise Séguin. D'autres - craintifs à juste titre dans une région de persécution - apportent leur soutien sous la couverture de l'anonymat. Ils sont peut-être les derniers militants et crient dans un désert politique et médiatique. On en est presque à l'extrême onction…

Il y a quelques jours, le mouvement Impératif français a tenté de mobiliser l'opinion publique en faveur des Pontissois de langue française (voir bit.ly/29tgABi), mais sa démarche a frappé dans le vide… Quelques petits textes sur le Web (La Presse,  L'actualité) et un article dans le journal Le Droit, ainsi qu'une mention ça et là à la radio… puis rien. Aucun commentaire de l'Église, des gouvernements ou des députés. Zéro. Même nos vaillants patriotes indépendantistes, si prompts à lever des boucliers pour défendre langue et patrie, ne semblent pas avoir de temps à perdre avec quelques milliers des leurs au bord du précipice…

J'oscille entre le découragement et la colère. L'inaction est totale. L'Église catholique, qui n'avait pas consulté les francophones du Pontiac pour les confier aux griffes anglo-ontariennes, semble souhaiter maintenant une expression de volonté de rattachement au Québec, sachant fort bien que telle demande ne viendra pas… Les vaincus ne combattent plus, ils se résignent et se convainquent qu'ils sont bien heureux ainsi. L'archidiocèse de Gatineau, par la voix de Mgr Durocher, doit les rapatrier au Québec sans consultation ou se faire complice des péchés graves du passé. 

Quant à Québec, son indifférence est carrément criminelle. Au début des années 1930, les francophones du Pontiac étaient tellement découragés de l'absence du gouvernement québécois qu'ils ont fait appel aux organisations franco-ontariennes, habituées aux luttes scolaires… Au lieu d'avoir le regard constamment fixé vers le Nord, d'offrir à rabais nos ressources aux multinationales et de vouloir bilinguiser tous les jeunes francophones, notre demi-État devrait au moins avoir la décence de venir enquêter sur ce qui est arrivé aux nôtres - avec son consentement - dans le Haut-Outaouais.

Un petit jet de venin pour les médias. En 1955, le journaliste Pierre Laporte, du Devoir, s'était aventuré au Pontiac et avait été horrifié par le sort réservé aux francophones. Il avait porté leurs souffrances à la une du quotidien montréalais. Rien n'a changé. Le quotidien Le Droit, en nouvelles et en éditorial, revient périodiquement sur les malheurs de la francophonie pontissoise. Et rien ne change. Mais où sont-ils, les autres médias? Silence assourdissant. Si ça se passait à Montréal, on en entendrait sûrement parler au National… Mais à Fort-Coulonge? À l'Île-du-Grand-Calumet? Oubliez ça…

Même les inspecteurs de l'Office de la langue française ne s'y rendent plus, depuis qu'ils ont été chassés de Shawville il y a une vingtaine d'années… Faudrait peut-être que Québec leur achète quelques blindés canadiens d'Arabie saoudite pour les protéger… Ce que Québec pourrait faire, cependant, avec quelques milliers de son deux millions de surplus, c'est faire l'inventaire de la situation des francophones du Pontiac, et en tirer les conclusions qui s'imposent. Mais c'est sans doute trop espérer de ce gouvernement Couillard sans couilles…

Je ne suis qu'un citoyen de l'Outaouais, ancien journaliste et éditorialiste, indépendantiste même (ce n'est pas un avantage ici), sans influence autre que celle conférée par l'Internet. Mais je lance ce cri aux forces vives du Québec. Il y a ici une injustice historique à corriger. La grande majorité des francophones du Pontiac ne réclameront pas votre soutien, n'étant guère disposés ou en mesure de combattre. Mais il en reste au moins 13 qui luttent. Ces treize, même s'ils étaient les derniers, méritent que le tamtam patriotique québécois les appuie, et fasse connaître partout ce qu'on a fait aux leurs depuis 1867, en réclamant justice!

Si rien ne bouge cette fois, alors il ne restera qu'à ériger, à la frontière ouest de la ville de Gatineau, une pierre tombale à la mémoire de ces vaillants Pontissois qui ont persévéré pendant si longtemps avant de disparaître, usés par de trop nombreux combats et lâchement abandonnés par leurs compatriotes des autres régions du Québec…










mardi 12 juillet 2016

Mains de bûcheron, coeur de patriote

J'ai entrepris de lire le très beau livre d'Anne-Marie Sicotte sur les Patriotes de 1837-38, et au-delà des centaines d'images et illustrations de l'époque, le texte fait ressortir l'état permanent de résistance à l'oppression, doublé d'efforts trop souvent infructueux de libération, dans lequel se trouvaient les habitants d'ici («les enfants du sol») depuis la création du Bas-Canada en 1791…

Un petit peuple insuffisamment instruit, dépouillé d'instruments économiques et militaires, ayant comme seule arme le berceau et un pouvoir politique fragile canalisé par le Parti patriote, se butait à la puissance de l'Empire britannique, de son armée, et d'une clique fanatique anti-francophone qui n'hésitait pas à recourir à la corruption et à la violence pour maintenir les privilèges du conquérant... et pour s'enrichir… Dans un tel régime, nous étions en effet «nés pour un p'tit pain»…

Ayant reçu ce livre en cadeau d'une de mes filles pour la fête des pères, je n'ai pu m'empêcher de penser à quel point les générations subséquentes (jusqu'à celle de mon père en tout cas, et peut-être même la mienne) avaient hérité du vécu de cette époque. Nous portons encore les marques que ces combats - et leur échec - ont laissées sur notre psyché collective.


Mon papa à l'aube de ses 70 ans

Je repensais à la vie de mon père et me suis dit qu'il aurait sans doute fait - à sa façon bien sûr - un bon patriote, s'il avait vécu au Bas-Canada (Québec) au début du 19e siècle. Mais il est né à Ottawa, en 1924, dans un quartier canadien-français modeste (Mechanicsville, paroisse Saint-François d'Assise). Presque tous les quartiers pauvres ou modestes de la capitale fédérale étaient partiellement ou majoritairement occupés par des Canadiens français… Pas un hasard…

Mon papa a donc grandi et vécu toute sa vie en Ontario, un milieu qui, par ses vexations à l'endroit des francophones, n'était pas sans rappeler le quotidien des anciens Canadiens du bassin du Saint-Laurent, à l'époque de l'oppression coloniale.

Quand Aurèle Allard (mon père) est né, le Règlement XVII interdisant l'enseignement en français était toujours en vigueur en Ontario. Même après qu'il fut tombé en désuétude, en 1927, les Franco-Ontariens devaient fréquenter des écoles «bilingues» au primaire et des écoles publiques anglaises au secondaire… Les rares écoles secondaires «bilingues» étaient privées… et payantes.

Mon père aurait bien voulu s'instruire… mais en l'absence d'un réseau scolaire de langue française, en pleine dépression par surcroit, devant gagner des sous, il a quitté les bancs d'école à l'âge de 13 ans… Je me souviens toujours de son apprentissage à l'âge adulte, par correspondance, de l'algèbre, de la géométrie, de la trigonométrie… avec ses petits manuels bleus en anglais…

J'étais tout jeune, et déjà il nous martelait constamment le même message… Je n'ai pas pu aller à l'université… mais tous mes enfants auront un diplôme universitaire!

Il avait aussi du talent, sur le plan musical, ayant étudié le piano, et même joué dans des concerts au sous-sol de l'église paroissiale. Il aimait surtout la musique classique, mais vivait dans un quartier où les gars de 12 et 13 ans étaient souvent confrontés à des durs à cuire. Jouer du classique au piano était sans doute mal vu, et lui a attiré à l'occasion les railleries de camarades. Un rêve abandonné à l'adolescence…

Son père (Joseph Allard) et sa mère (Alexina Tremblay) étaient épiciers, et Aurèle aurait bien voulu prendre en main le petit commerce familial. Il aurait sans doute été bon épicier. Mais les traditions voulaient que ce soit le fils aîné qui prenne la relève, et mon père était le deuxième garçon… L'épicerie ne survécut pas longtemps au départ de mon grand-père et de ma grand-mère...

Mon papa finit par faire carrière comme fonctionnaire municipal à Ottawa, un des milieux les plus anti-francophones du pays. J'ai encore en mémoire les comptes rendus de sa journée de travail au souper, et de l'entendre passer à l'anglais pour raconter ses conversations avec ses patrons. L'hôtel de ville d'Ottawa était un véritable nid de têtes carrées et de francs-maçons…

Sans doute est-ce pour cette raison qu'il avait adhéré, comme son père avant lui, à l'Ordre de Jacques-Cartier (nous ne l'avions pas su à l'époque, même ma mère n'en savait rien)… «La Patente» était probablement l'un des seuls moyens à sa portée pour résister au copinage dans les directions unilingues anglaises de l'administration municipale. Une société secrète canadienne-française pour contrer les sociétés secrètes anglo-orangistes...

J'ai la certitude que s'il n'avait pas été canadien-français, mon père aurait gravi plus d'échelons au sein de la fonction publique municipale. Le premier poste de gestion qu'on lui a finalement offert, fin années 1960 ou début années 1970, était un cadeau empoisonné… la direction du projet de rénovation de la Basse-Ville, dont l'effet (et l'intention?) fut de disloquer le principal quartier majoritairement francophone de la ville.

Aux funérailles de mon père, en 1998, un des dirigeants du comité de citoyens de la Basse-Ville (lui aussi décédé il y a quelques années) m'a confié que papa tenait le groupe populaire informé des plus sombres desseins des dirigeants municipaux, permettant aux Basse-Villiens menacés d'expropriation de mieux étoffer leurs revendications.

Une doctorante de l'Université d'Ottawa qui prépare une thèse sur la rénovation de la Basse-Ville d'Ottawa a d'ailleurs découvert une motion de blâme officielle contre mon père dans un obscur procès-verbal de 1974, où on lui reproche d'avoir signé une pétition des citoyens contre l'arrêt du programme d'animation sociale dans le quartier… avec une citation du maire, affirmant «This is not the first time this has happened»…

Éventuellement, il est devenu gérant du Marché By, toujours dans la Basse-Ville, et a subi les foudres de ses patrons anglais jusqu'à la fin… avec quelques accidents cardiaques en chemin… Je me souviens d'être allé au bureau du maire de l'époque (vers 1980), Marion Dewar, pour l'avertir que si mon père mourait du harcèlement dont il se plaignait, je remuerais mer et monde pour rendre justice à sa mémoire…

Mme Dewar m'avait répondu qu'elle était au courant de sa situation… et peu de temps après, il put prendre sa retraite sans pénalité à 58 ans…

Malgré tout ce qu'il a subi dans cette ville, il est demeuré fier Canadien jusqu'à la fin, hostile aux revendications des indépendantistes québécois, ce qui a suscité bien des chicanes à la maison à partir des années 60. Il a dû regretter, certains jours, d'avoir tant voulu que j'étudie à l'université, où je suis devenu fan des Bourgault et Lévesque… Et pourtant, il en est presque venu aux coups avec un collègue qui me connaissait et qui m'avait traité de séparatiste... Lui pouvait m'engueuler, pas les autres…

Je peux témoigner de son amour et de son altruisme… Combien de fois a-t-il tapé à la machine (il faisait 80 mots sans faute à la minute!) nos dissertations tard en soirée, alors qu'il devait se rendre au travail tôt le lendemain? Combien de fois s'est-il privé (ma mère aussi) pour nous offrir plus que l'essentiel, pour payer de leurs poches nos études «bilingues» privées au secondaire? Je le revois encore, prétendant qu'il n'avait pas d'appétit quand des invités inattendus étaient à table, désireux de s'assurer que tous mangent à leur faim… pour se servir discrètement après, s'il en restait… mais il en restait toujours.

J'aurais aimé qu'il puisse aller à l'université. Ou avoir sa petite épicerie. Ou devenir pianiste accompli. Et surtout, être reconnu à sa juste valeur dans un milieu de travail dépourvu de francophobie. Il a fait son possible pour léguer à la génération suivante de meilleures chances de succès que les siennes. Et j'imagine que ma génération a poursuivi à sa façon l'oeuvre et les combats de la précédente. Un autre bout de chemin, sans toucher au but. C'est comme ça, depuis le temps des Patriotes…

Je l'aurais vu à Saint-Denis en 1837… Il aurait été un redoutable combattant. Durant la Seconde Guerre mondiale, il avait d'ailleurs tenté en vain de s'enrôler dans l'armée canadienne. Il ne faisait pas le poids (physiquement). Quand on l'a finalement accepté au début de 1945 (il avait gagné quelques kilos), il était trop tard pour monter au front. La guerre achevait. Avoir été allemand, je n'aurais pas voulu le voir avancer contre moi…

Mon papa avait ses défauts et ses qualités. Comme moi. Comme nous tous. Mais c'était une personne - et un père - exceptionnel. Un fonctionnaire municipal hors du commun, avec des mains de bûcheron et un coeur de patriote.

Avec Germaine, sa compagne de vie fidèle et solide comme le roc de Gibraltar, toujours alerte et dynamique à l'âge de 91 ans, ils formaient un puissant duo.

Papa, tu nous a quittés il y a près de 18 ans. Mais pour cette fête des pères 2016, avec quelques semaines de retard, je me permets d'épingler ce billet au babillard de l'au-delà...

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Papa, excuse-moi de l'avoir diffusé le 12 juillet, fête des Orangistes...




vendredi 8 juillet 2016

Mal à l'aise de parler avec des Québécois?


Ce que j'ai lu ce matin dans un texte de Radio-Canada sur les consultations linguistiques de Patrimoine canadien, j'ai peine à le croire… En plus d'essayer de comprendre comment un texte à ce point bourré d'à peu près et de trous ait pu passer la grille d'autorisation de la société d'État, j'ai été estomaqué en prenant connaissance des déclarations d'une porte-parole d'un organisme de jeunesse franco-manitobain, propos retransmis sans vérification et sans suivi sur le site Web de Radio-Canada...

Le titre de l'article (voir bit.ly/29FJjrC), d'abord, fait sursauter: «Les jeunes Franco-Manitobains mal à l'aise de parler avec des Québécois». Cette affirmation, attribuée à Justin Johnson, président du Conseil jeunesse provincial (CPJ), est lancée sans autre précision dans le premier paragraphe du texte, puisque, selon toute vraisemblance, la journaliste auteure de l'article n'y était pas. Le reste du reportage est consacré à un interview téléphonique avec Roxane Dupuis, directrice générale du CPJ.

Voici la suite, ahurissante: «Lors d'un entretien téléphonique, la directrice générale du CJP, Roxane Dupuis, a même affirmé que beaucoup de jeunes "se font traiter d'anglophones" et "se font dire que leur français n'est pas assez bon" à cause de leur accent lorsqu'ils parlent avec des Québécois. Cette insécurité linguistique pousse beaucoup de jeunes à passer à l'anglais pour éviter des commentaires désagréables…» 

Allons-y d'abord pour les fautes journalistiques. Au-delà du fait que le passage de Justin Johnson à Roxane Dupuis mérite d'être élucidé, les imprécisions et généralisations suggérées abondent. D'abord, «beaucoup de jeunes», ça signifie quoi au juste? Deux, 100, 1000? Des étudiants du secondaire, de l'universitaire, des jeunes travailleurs? Et ils «se font traiter d'anglophones» par qui? Quand? Où? Au Manitoba? Au Québec? Ailleurs? Dans quelles circonstances?

Et se font-ils dire que leur français «n'est pas assez bon» à cause de leur accent, ou parce que ça ressemble à du franglais? Mon expérience, je dis bien mon expérience, c'est que les Québécois font bon accueil aux accents, même quand il s'agit d'un accent anglais ou étranger, si la personne parle un français correct. Les problèmes se manifestent quand l'interlocuteur a de la difficulté à s'exprimer en français, et il est vrai qu'alors bien des Québécois, mais aussi des Franco-Ontariens, des Acadiens et sans doute, des Franco-Manitobains, passent trop vite à l'anglais pour dépanner.

Toujours est-il que cette perception, de toute évidence partagée par certains, d'un accueil plus ou moins désagréable des Québécois pousserait «beaucoup de jeunes à passer à l'anglais». Mais croit-on vraiment cela? Même quand il n'y a pas de Québécois aux alentours, à la maison même, la majorité des jeunes Franco-Manitobains s'expriment surtout en anglais… Vérifiez les données très claires des recensements. Les Canadiens français et Métis du Manitoba ont été victimes de persécutions historiques qui sont en bonne partie responsables du haut taux d'assimilation. Qu'on en ait tant réchappé tient presque du prodige, et pour moi, ces résistants sont des héros.

Mais faire fi de l'histoire et laisser entendre qu'aujourd'hui, beaucoup de jeunes passent à l'anglais parce que des Québécois n'aiment pas leur accent… Là, vraiment, on dépasse les bornes…

Quant au rôle des médias et encore là, j'ai peine à croire ce que j'ai lu, Mme Dupuis suggère que le «standard radio-canadien» du français empêche de voir la beauté et la richesse des accents, et notamment, on suppose, la richesse et de la beauté de l'accent franco-manitobain. Non je ne m'aventure pas plus loin ici… Suffit de dire qu'il me semble que notre société d'État doit en tout temps donner l'exemple d'un français correct et universel…

La journaliste aurait pu approfondir un peu ces thèmes par des questions qui m'apparaissent évidentes, dignes en tous cas de la personne chargée de l'affecter à ce reportage. Avoir été son patron, j'aurais tout au moins demandé un commentaire à la direction de Radio-Canada sur la qualité du français parlé en ondes.

Je ne nie pas que des Québécois puissent être parfois «chiants» face à des francophones hors-Québec. J'en ai eu l'expérience. Mais l'immense majorité ne le sont pas et s'ils ont un défaut, c'est plutôt de ne pas connaître la francophonie des autres provinces et là, il faudra parler des écoles et des médias. Se servir d'une perception trop souvent erronée comme motif de passer à l'anglais, c'est bien trop facile…



jeudi 7 juillet 2016

Une Loi 101 pour les taxes scolaires!!!


Dans un tiroir que je n'aime pas ouvrir, au fond de mon cerveau, je conserve une impression qui ressurgit de temps à autre. La Loi 101, me dis-je, doux-amer, ne visait pas que les anglophones et allophones récalcitrants. Elle avait aussi pour but de mettre au pas ces milliers de francophones qui, trop longtemps colonisés, s'affichaient volontiers en anglais ou auraient inscrit leurs enfants aux écoles anglaises…

Le libre choix aux francophones en matière linguistique aurait sans doute menacé la pérennité du français au Québec tout autant, ou presque, qu'une liberté totale accordée aux non-francophones. Ça, Camille Laurin le savait sans doute en 1977 quand il a fait adopter la Charte de la langue française. Depuis 2011, l'accueil plus qu'enthousiaste au projet d'anglais intensif à l'élémentaire témoigne de l'extrême fragilité de la volonté de francisation au sein de la majorité francophone…

Alors qu'il faudrait renforcer une Loi 101 triturée par les tribunaux depuis les années 1980, une mixture toxique de coups bas et de négligence continue de la mettre à genoux. Alors que le français langue de travail agonise à Montréal et que les transferts linguistiques vers l'anglais deviennent alarmants de recensement en recensement, le gouvernement de Philippe Couillard voudrait que tous les jeunes Québécois apprennent l'anglais…

Ces derniers jours, on a appris à Gatineau, d'abord sur les ondes de la radio 104,7FM puis dans les pages du quotidien Le Droit et à la télé locale (Radio-Canada et TVA), qu'un libre choix partiel pour le paiement des taxes scolaires menace l'équilibre fiscal entre commissions scolaires francophones et anglophones - au détriment, du moins en Outaouais, des commissions scolaires de langue française. Que les médias nationaux à Montréal, à Québec et ailleurs n'aient pas propulsé cette nouvelle en manchette constitue un scandale!

Ce qu'il faut savoir, c'est que la Loi sur l'instruction publique oblige les contribuables qui ont des enfants à l'école à payer leurs taxes à la commission scolaire que fréquentent leurs enfants. Donc, ces francophones paient leurs taxes aux commissions scolaires de langue française, et ces anglophones aux commissions scolaires anglaises. Le problème survient quand le contribuable n'a pas d'enfants à l'école: il ou elle peut payer ses taxes scolaires à n'importe quelle commissions scolaire sur son territoire, y compris aux écoles anglaises…

Or, quand la nouvelle s'est propagée que la Commission scolaire anglaise Western Québec demandait 22$ de moins par année en taxes scolaires que la Commission scolaire francophone des Draveurs (secteur est de Gatineau, ainsi que les municipalités de Cantley, Val-des-Monts et Denholm), pas moins de 4130 francophones du territoire des Draveurs, sans enfants à l'école, ont signifié leur intention de payer leurs taxes à Western Québec.

En 2015-2016, la CS des Draveurs a perdu 6% de ses contribuables et les francophones qui continuent de payer leurs taxes aux écoles françaises verront leur facture bondir de 5%, et ce, après des hausses coriaces ces dernières années. Que 4130 francophones abandonnent les écoles françaises pour 22$ en dit long sur la situation économique en 2016, et témoigne encore davantage de leur indifférence totale à l'endroit du sort de la langue française en Outaouais et ailleurs au Québec…

Qu'ils aient le droit de la faire, légalement, n'a aucun sens et menace de saper l'une des bases financières du réseau des écoles françaises et de la Loi 101. Le quotidien Le Droit a publié la nouvelle (voir bit.ly/29diDxq) mais n'a fait aucun suivi jusqu'à maintenant. Même chose pour les médias électroniques. Au moins en a-t-on parlé dans les pages et sur les ondes locales. Et les autres régions du Québec? Qu'arriverait-il à Montréal si, pour une différence de 22$, 25000 contribuables francophones sans enfants à l'école décidaient tout à coup de payer leurs taxes à la commission scolaire anglophone?

Selon quel principe abroge-t-on - avec raison - le libre choix de l'école pour les francophones et allophones, pour ensuite le réintroduire quand arrive la facture de taxes scolaires? Ça n'a aucun bon sens et ça va carrément contre tout ce que représente la Loi 101. Les députés de la région gatinoise ont été informés, et n'ont rien déclaré en public quant à leurs intentions. Cela ne me surprend guère. Ils n'ont pas levé le petit doigt pour défendre les francophones en Outaouais depuis des lunes…

Si le gouvernement Couillard ne colmate pas cette brèche inexcusable, il s'en fera le complice. Il doit légiférer sans délai. Quant aux grands médias nationaux, presse imprimée comme radio, télévision et Web, je m'interroge de plus en plus sur leur capacité de saisir l'importance de certaines nouvelles et sur leur volonté de les couvrir comme il se doit.

Celle-ci est majeure, et le silence médiatique est assourdissant...


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Lien à la nouvelle de Radio-Canada Gatineau bit.ly/29lqchI
Lien à la nouvelle de TVA Gatineau bit.ly/29lUvEI



mercredi 6 juillet 2016

Vacances sur le pouce...

…un morceau de ma carte de juillet 1970...

En juillet 1970, j'étais franco-ontarien, et journaliste au quotidien Le Droit depuis une année complète. Cela me donnait droit à quelques semaines de vacances payées… Une première pour moi… Mais que fait-on à 23 ans (et à cette époque) quand on a peu de sous, pas de voiture et le goût de l'aventure? On jette l'essentiel dans un sac à dos et on sort le pouce au bord de la route... 

Même si on a l'impression d'avoir toute sa vie devant soi, certaines choses paraissent urgentes… La fenêtre entre les études et les obligations de la vie adulte est souvent très courte, et si on n'en profite pas pour «oser» un peu, on craint de le regretter pour toujours… Alors contre l'avis de mes parents, avec 25 kilos sur le dos (y compris une petite tente qui me servirait d'abri), le matin du 16 juillet 1970, je suis devenu auto-stoppeur sur la route 17, à l'est des limites de la ville d'Ottawa.

Armé d'une carte flambant neuve du Québec (que j'annotais et que j'ai toujours), j'avais l'intention de traverser la rivière des Outaouais à Hawkesbury et de me diriger vers Québec, puis vers le Bas du fleuve, jusqu'aux pointes de la Gaspésie et, ultimement, en région acadienne du Nouveau-Brunswick… sans me raser, parce que je voulais revenir avec une barbe… pas pour me donner un air contestataire, simplement parce que je n'aimais pas les rasoirs…

Comme je n'avais jamais fait de l'auto-stop, je ne savais pas trop à quoi m'attendre en cette matinée de juillet… Je me voyais déjà en train de rentrer à la maison le soir même, avec un vilain coup de soleil, ayant vu passer des milliers de voitures et de camions sans qu'un seul ne s'arrête pour me cueillir… Ou pire, accepter un lift de malfaiteurs qui me prendraient mon sac à dos et mon argent… Et je n'avais comme protection qu'un couteau de chasse qui me faisait peur rien qu'à le regarder…

Mais je ne suis pas revenu à domicile bredouille. Le premier soir, j'avais déjà roulé dans six véhicules et je m'arrêtais à Saint-Roch-de-l'Achigan, entre Saint-Jérôme et Joliette, pour ma seule nuit dans une maison - invité par la famille d'un de mes collègues au Droit. En me saluant, le lendemain matin, M. Dugas m'avait dit ne pas trop comprendre pourquoi je voudrais me promener avec 25 kilos de bagages sur le dos… Je ne comprenais pas trop moi-même… C'était nécessaire...

Le lendemain, déjà aguerri et plus confiant dans la crédibilité de mon pouce droit, mon périple a véritablement pris son envol (façon de parler). Après cette deuxième journée, où un sexagénaire, ancien combattant de la Guerre civile espagnole (1936-39), avait passé quelques heures à me raconter sa lutte perdante contre Franco et les fascistes, je crois que j'aurais pu continuer à faire du pouce pour des mois et des mois… en espérant des échanges aussi enrichissants avec d'innombrables étrangers.

Mais à la longue, les conversations deviennent répétitives, les gens voulant toujours (et à juste titre) en savoir davantage sur cette jeune personne mal rasée qui ne semble viser aucune destination précise et qu'ils embarquent dans leur voiture… Par contre, le paysage, lui, change constamment. Je n'avais jamais vu le fleuve en aval de Québec. Resté sur la rive nord pour visiter Charlevoix, j'ai pris le traversier de Saint-Siméon à Rivière-du-Loup… où déjà, le Saint-Laurent, c'est la mer…

J'avais commencé à découvrir les «joies» de coucher sous la tente… une autre expérience nouvelle pour moi, pur citadin… J'ai d'ailleurs pu vérifier l'imperméabilité de mon équipement dès la deuxième nuit, à l'ombre de la cathédrale de Sainte-Anne de Beaupré, sous une série de violents orages…

Les 20 et 21 juillet, j'ai rodé dans la région de Gaspé, puis à Percé où régnait une activité fébrile en cet été 1970, deux mois et demie après l'élection de Robert Bourassa et quelques mois avant les événements qu'on appellerait la crise d'octobre. Des jeunes, plus ou moins de mon âge, y distribuaient des journaux sympathiques au FLQ, que je regrette de ne pas avoir conservés…

Quelques jours plus tard, au Nouveau-Brunswick, après avoir servi d'interprète entre un Acadien unilingue français et un vendeur de camion unilingue anglais, j'ai poussé une pointe jusqu'au long, long, long village de Caraquet, dans la péninsule acadienne. Ce fut la limite est de mon aventure. Il était temps de revenir sur mes pas, et le seul souvenir matériel qui me reste, à part la carte routière, c'est un exemplaire du mensuel de Caraquet, Le voilier, numéro de juillet 1970…



Sur le chemin du retour, une barbe rousse avait poussé sous mes cheveux bruns… À force de marcher avec quelques douzaines de kilos d'équipement sur le dos, j'étais aussi en excellente forme… et je me souviens d'avoir couru 4 km pour arriver à l'heure au traversier de Rivière-du-Loup… Si j'essayais ça aujourd'hui, on me transporterait à l'hôpital après une centaine de mètres...

Il m'est arrivé de rencontrer d'autres auto-stoppeurs, tel ce couple à La Malbaie, en revenant, agressé par un groupe de durs à cuire. Le garçon, immobilisé à la pointe d'un couteau, avait dû assister impuissant au viol de sa copine… Comme on les avait menacés de mort s'ils allaient à la police, ils se demandaient ce qu'ils devaient faire… Je crois que c'est là que j'ai décidé d'arrêter à Québec et de prendre le train pour revenir à Ottawa, chez moi…

Comme j'ai dû utiliser toute ma réserve de fonds pour acheter le billet de train du lendemain (départ vers 6 heures du matin, je crois), j'espérais dormir sur un banc à la gare… Mais non, on fermait les portes en fin de soirée. La nuit, je l'ai finalement passée sur un banc public de la terrasse Dufferin, à repousser les avances de gais… Faut croire que c'était un lieu qu'ils fréquentaient à l'époque… J'ai peu dormi…

Fin juillet, j'étais de retour au travail… plein de souvenirs, d'images des routes québécoises, du fleuve, de la mer, des villages, de la quarantaine d'individus et de familles avec qui j'avais voyagé pendant deux semaines… et avec ma barbe rousse, que j'ai gardée jusqu'à qu'elle blanchisse trop, en 1997… heureux d'avoir complété mon périple, et jurant de ne plus jamais recommencer…

Dommage qu'on n'ait pas eu à l'époque Internet, Facebook et Twitter, j'aurais davantage de photos et de textes pour revivre cette petite aventure… Mais c'était en l'an 1970… 




dimanche 3 juillet 2016

L'information mange la claque...


Si j'avais été propriétaire des quotidiens de langue française de Montréal et d'Ottawa-Gatineau, j'aurais convoqué tous mes directeurs de l'information et chefs des nouvelles le matin du samedi 2 juillet, après avoir pris connaissance de la misérable couverture de la Fête du Canada, la veille, tant dans la capitale fédérale que dans la grande région de la métropole.

Je n'aurais pas blâmé les scribes et photographes lancés dans la mêlée des spectacles, manifestations, déclarations, rassemblements et défilés. Dans les circonstances, ils ont sans doute fait de leur mieux. Mais c'était raté (surtout les textes, nécessairement superficiels...), et la responsabilité doit être assumée par les patrons des salles de nouvelles. Ce qu'ils ont permis de publier ne respectait pas principes de base d'un bon journalisme.

Que je sois indépendantiste n'a rien à voir avec le jugement que je formule ici. Je ne veux pas que la presse écrite fasse de la propagande, soit en faisant l'éloge, soit en attaquant le message de la Fête du Canada. Je veux juste savoir ce qui s'est passé aux endroits où les activités de la Fête du Canada avaient une importance suffisante pour justifier un reportage. C'était certainement le cas à Ottawa et Montréal…

Or, en lisant les rapports des grands journaux de langue française - Le Devoir, La Presse, le Journal de Montréal et Le Droit - je ne passais même pas près de répondre aux questions élémentaires qui sont censées inspirer chaque journaliste quand il ou elle prépare un compte rendu d'évènement: les célèbres «qui? quoi? où? quand? comment? pourquoi?» et variantes…

Que la télé ait transmis en direct certaines de ces activités ne réduit en rien la responsabilité des éditions papier des journaux (et j'inclus La Presse* parce qu'elle publie le samedi et que le 1er juillet tombait un vendredi…).

Que s'est-il passé sur les principaux sites de célébration, et à quelques autres (comme Brossard) qui présentaient des attraits particuliers? Combien de gens étaient présents? Étaient-ils surtout des non-francophones (on en a l'impression dans le Journal de Montréal)? Quels dirigeants assistaient? Qu'ont-ils déclaré? Qu'en ont dit les organisateurs (et qui étaient-ils?) A-t-on sollicité des commentaires dans la foule, des artistes et/ou participants, ou d'autres groupes ayant un intérêt? Etc.

Après avoir lu les articles des journaux (ceux que je reçois à la maison, c.-à-d. Le Droit et Le Devoir, et les autres sur le Web), je ne suis resté sur ma faim... Même la déclaration de Justin Trudeau sur l'existence d'une seule «nation» au Canada, qui aurait dû faire bondir tous les francophones du Québec, de l'Acadie et du reste du Canada, ainsi que tous les parlementaires fédéraux qui ont reconnu la nation québécoise en 2006, a à peine été mentionnée - et seulement dans le Journal de Montréal. Elle a cependant réussi à mettre les réseaux sociaux en émoi…

Combien de personnes ont-elles participé dans les deux villes? Seul Le Devoir mentionne des chiffres pour la Colline parlementaire, à Ottawa, mais n'indique pas leur source (Radio-Canada devait par la suite indiquer qu'ils provenaient de la GRC), ni de quel moment de la journée il s'agit. Probablement vers l'heure du spectacle de midi. Mais il y avait un second spectacle en soirée, et les orages, et les feux d'artifice… Et à Montréal, le long du défilé, c'était bondé ou pas? Quels étaient les thèmes des principaux chars allégoriques, etc.? Sais pas... C'étaient en majorité des anglophones, des allophones? Des francophones? Sais pas…

Les quotidiens Le Devoir et le Journal de Montréal publient régulièrement les sondages de la maison Léger. Celle-ci a annoncé dans son «sacdechiffres» du 1er juillet que 21% des Québécois avaient l'intention de participer à des activités de la Fête du Canada (contre 43% pour la Fête nationale la semaine précédente). Y'a pas un cadre d'information ou un reporter qui a songé à demander à M. Léger une répartition entre francophones et non-francophones de ce 21% et de ce 43%? C'est pertinent, pourtant.

Et ces 21% et 43%, sont-ils en hausse ou en baisse par rapport aux années précédentes? Sur la Colline parlementaire et au centre-ville d'Ottawa, c'était comment par rapport aux fêtes du Canada des dernières années? Qu'en disent les responsables? Mêmes questions pour la métropole… Évidemment, si on ne délègue qu'un ou une journaliste en lui donnant un espace restreint dans les pages du journal, on aura ce qu'on a eu…

En remplacement d'une information complète, on finira par avaler une abondance de commentaires pas toujours polis (et bien souvent trop peu informés) sur Facebook et Twitter, ainsi qu'une brochette de chroniques et de textes de blogues (y compris le mien)…

Oh, remarquez, il n'y a pas que la couverture médiatique de la Fête du Canada qui soit en cause… Ce n'était pas beaucoup mieux pour la Fête nationale… Ou pour des tas d'autres activités de foules, difficiles à couvrir, qui nécessitent un investissement additionnel en personnel et en espace rédactionnel… Dans cette ère d'austérité, l'information mange la claque…

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* Je n'ai rien vu sur le site Web de La Presse, mais il y avait un texte de nouvelles brèves sur la Fête du Canada à Ottawa et dans la région de Montréal dans La Presse +.