mercredi 25 juillet 2012

L'avenir des minorités francophones

J'ai lu hier avec beaucoup d'intérêt un article du professeur François Charbonneau, de l'Université d'Ottawa, intitulé L'avenir des minorités francophones du Canada après la reconnaissance. L'article vient d'être publié dans la Revue internationale d'études canadiennes. Il aborde la question de l'avenir des minorités d'un angle plutôt inédit (du moins pour moi). Les minorités ayant obtenu - par des luttes politiques et judiciaires - les principaux droits linguistiques qu'elles réclamaient, ayant donc été « reconnues » par l'État fédéral et les provinces, l'effort de lutte qu'elles soutiennent depuis plus d'une centaine d'années s'essouffle faute de causes. Je n'ai jamais vu auparavant d'analyse sur les effets de la reconnaissance des droits linguistiques et, à ce titre, je trouve l'oeuvre fort originale. Pour qui s'intéresse au sort des francophones hors Québec, c'est une lecture qui s'impose.

J'aurais cependant certaines réserves quant aux termes employés et à certaines interprétations de l'histoire des collectivités canadiennes-françaises (j'exclus ici les Acadiens) vivant dans les provinces à majorité anglaise à l'ouest du Québec, et notamment les Franco-Ontariens, ceux que je connais le mieux, ayant milité longtemps autrefois dans des organisations de revendication, y compris l'ancienne ACFO. M. Charbonneau emploie le mot « communauté » en parlant des Franco-Ontariens et des autres minorités. Au sens où je le comprends, communauté se dit d'un groupe de personnes qui vivent ensemble ou qui partagent les mêmes idées et les mêmes objectifs. Ce mot dégage une certaine intimité, évoque une parenté qui dépasse le simple fait de vivre sur le même territoire.

Quand j'étais jeune, dans mon petit coin francophone d'Ottawa (St-François d'Assise), il existait réellement une communauté. Les gens se connaissaient, allaient à la même église, aux mêmes écoles, parlaient avec le même accent, et ils étaient solidaires. C'était sans doute la même chose dans la Basse-Ville francophone d'Ottawa, à Eastview (Vanier) et dans les nombreux villages de l'Est ontarien où tout se déroulait en français. Mais ces communautés se connaissaient peu entre elles. Sur le plan de la reconnaissance, du moins celui de la reconnaissance des droits abordés par M. Charbonneau, l'identité n'était pas communautaire, elle était nationale : ou bien canadienne (ce qui signifiait francophone pour les anciens, les autres étant les Anglais) ou bien canadienne-française. C'est cette identité nationale que partageaient les francophones de l'Est, du Nord et du Sud ontarien, ainsi que les Franco-Manitobains, Fransaskois, Franco-Albertans et Franco-Colombiens. À cet égard, je crois donc qu'il serait justifié de parler de « collectivités » francophones, plutôt que de communautés.

Quand M. Charbonneau note l'essoufflement des luttes linguistiques et laisse entendre que la fin de ces luttes marque peut-être « la fin des communautés elles-mêmes », je comprends ce à quoi il fait allusion. Les vieux sentiments communautaires se sont en effet effrités, mais je ne crois pas qu'il y ait de lien avec la fin des luttes. En Ontario français, les communautés ont disparu ou sont en voie de disparaître, à plusieurs endroits, pour bien d'autres facteurs qui s'accumulent depuis une soixantaine d'années : arrivée de la télé dans les années 1950, éclatement des quartiers urbains francophones dans les années 60 et 70, influence de la musique américaine et britannique, croissance des mariages exogames, immigration, prolifération des technologies de masse avec l'ordinateur personnel puis avec l'Internet, etc. Aujourd'hui, pour retrouver des communautés authentiques, il faut aller dans des villages ou dans des petites villes comme Hearst ou Hawkesbury. Mais la collectivité (groupe d'individus sur un même territoire, ayant des intérêts communs) demeure.

Quant à l'identité nationale des francophones hors Québec (sauf les Acadiens qui forment à eux seuls une nation), et notamment des Franco-Ontariens, les années 1960 ont marqué un tournant fondamental avec la prise de conscience que l'identité nationale québécoise en reformulation ne les incluait pas (peut-être s'est-on rendu compte qu'elle ne les avait jamais vraiment inclus...). Les décennies qui ont suivi m'ont semblé être marquées par un repli sur soi en matière d'identité, suivi d'un effritement identitaire fatal chez une proportion appréciable de la population francophone. Cette évolution a été documentée par un sondage Léger et Léger, commandé au début des années 1990 par l'ACFO Ottawa-Carleton, où l'on constatait que les 60 ans et plus s'identifiaient majoritairement comme Canadiens français, que l'identité franco-ontarienne perçait davantage chez les adultes d'âge moyen et que chez les plus jeunes, la plus forte proportion se disait « bilingue ». Une double identité où, dans le contexte ontarien, la composante francophone souffrait le plus.

Les combats menés avec grand succès par certains individus devant les tribunaux depuis les années 1980 avec l'aide de la Charte, et la lutte très collective pour l'hôpital Montfort à partir de 1997, se sont déroulés sans avoir d'effet majeur sur l'évolution socioculturelle et identitaire des francophones des différentes régions de l'Ontario. Les victoires sont arrivées trop tard. Elles auraient eu de plus importantes répercussions dans les années 1940 et 1950. Les tribunaux ont accordé des droits à une population où, à bien des endroits, l'assimilation avait déjà fait son oeuvre. Le lien qui semble exister entre l'essoufflement des luttes et l'effritement communautaire est, selon moi, plus apparent que réel. Je crois que le phénomène que je perçois en Ontario vaut probablement pour les provinces plus à l'ouest.

L'étude du professeur Charbonneau ouvre un chapitre intéressant dans l'analyse de l'évolution des minorités francophones hors Québec. Pour qui s'intéresse à la question, elle se lit comme un roman et fournit d'essentiels points de repère. J'ai toujours cru que la seule façon de sauver les meubles, hors Québec, était de regarder la réalité en face, sans détours, sans lunettes roses. Voilà un document sur lequel on peut réellement bâtir.

Pierre Allard



Lien vers l'article : http://www.erudit.org/revue/ijcs/2012/v/n45-46/1009900ar.pdf

mardi 24 juillet 2012

Gatineau: recul du français dans l'indifférence générale?

Samedi dernier, je poussais mon panier d'épicerie au IGA local. La musique de fond s'interrompt et une voix annonce que des baguettes chaudes sont disponibles au comptoir de boulangerie. Puis, la même voix répète l'annonce... en anglais! La mémoire nous joue parfois de vilains tours, mais j'avais nettement l'impression que ce bilinguisme était nouveau. J'avais d'ailleurs remarqué depuis un certain temps les traductions anglaises un peu partout, dans les allées du magasin.

Ça m'a rappelé le jour de la Fête nationale, alors que tout était fermé et que j'avais dû aller faire une épicerie d'urgence à Ottawa, où le 24 juin ne signifie absolument rien pour la majorité. Business as usual. J'ai choisi de me rendre au Metro de la rue Rideau, dans un des quartiers les plus francophones de la capitale. Quelle ne fut pas ma surprise d'y voir un magasin à toutes fins utiles unilingue anglais, tant par son affichage que par son personnel. Ç'a m'a frappé parce que dans les allées, tous les clients que j'ai croisés parlaient français entre eux.

Dans mon quartier de Gatineau, la proportion de francophones doit friser les 85 à 90%. Dans les quartiers d'Ottawa où la proportion d'anglophones est aussi élevée, il ne faut même pas songer - sauf exception - à s'adresser en français aux employés d'un supermarché. Il faut absolument connaître l'anglais. Mais voilà que chez nous, en pleine Loi 101, la petite minorité d'anglophones est servie à souhait. Aucun incitatif pour eux d'apprendre notre langue et de, tant soit peu, s'intégrer...

En y pensant bien, j'avais remarqué qu'à mon dépanneur, la radio étant branchée sur une station de langue anglaise d'Ottawa, alors qu'il existe une variété de stations de Gatineau et d'Ottawa en français. Même phénomène il y a quelques semaines, quand j'ai accompagné mon épouse à une clinique médicale dans le secteur du Plateau, du côté de l'ancienne ville de Hull. Dans un quartier très majoritairement francophone du Québec, on y entendait une musique, des publicités et des bulletins de nouvelles en anglais. C'était insultant, mais personne - y compris moi - n'a protesté.

Dans notre région, qui fait partie d'une agglomération urbaine interprovinciale de 1 200 000 habitants, les francophones représentent plus de 30% de la population et demeurent majoritairement dans la ville de Gatineau (plus de 250 000 personnes) où ils forment 80% de la population. Les anciens quartiers francophones d'Ottawa ont disparu et il ne reste que Gatineau pour présenter un visage français ici. Or, j'ai l'impression que ce visage français s'érode rapidement.

Ça reste à confirmer mais j'ai l'intention d'approfondir mes interrogations. J'a passé les 30 premières années de ma vie à Ottawa et j'ai, comme ancien militant franco-ontarien, participé au combat pour les droits du français. Quand je me suis marié, j'ai traversé la rivière pour que mes enfants n'aient pas à lutter quotidiennement pour utiliser leur langue maternelle. Or, voilà qu'en 2012, je risque d'avoir à entreprendre ici des combats que j'espérais passés.

Je serais tenté de dire que le français recule ici dans l'indifférence générale. J'espère me tromper, mais...