dimanche 30 novembre 2014

Ils étaient 125 000 ou «plus de 10 000»?


Comment se fait-il, à cette époque de technologies de précision, où les caméras des satellites peuvent peuvent photographier la planète entière mais aussi prendre des clichés d'une seule maison, d'une seule voiture, et même d'un seul individu, comment se fait-il que tous les experts qui manient ces appareils et leurs logiciels n'aient pas trouvé un moyen tant soit peu efficace d'évaluer des foules à une grande manifestation publique? Cela m'échappe.

Je ne leur demande pas d'estimer à la dizaine près, mais on pourrait sans doute, avec des vues aériennes, arriver à une juste moyenne entre «plus de 10 000 personnes» (selon des comptes rendus médiatiques) et «plus de 100 000 personnes» (selon les évaluations des organisateurs) après la grande manifestation de samedi, à Montréal et à Québec, contre les politiques d'austérité du gouvernement Couillard.

Oublions pour un moment que l'événement ne soit même pas affiché sur les premières pages des sites Web de La Presse, du Soleil, de Radio-Canada et de TVA (le Journal de Montréal et la Gazette en font cependant leur manchette Web), et regardons plutôt le nombre de manifestants, principal indice du succès ou de l'échec d'un tel événement.

D'abord le Collectif Refusons l'austérité (organisateur des marches de Montréal et Québec): «Plus de 125 000 de personnes ont scandé haut et fort qu'elles refusaient net les mesures d'austérité du gouvernement Couillard lors de la gigantesque manifestation organisée par des groupes de la société civile, des associations étudiantes et des organisations syndicales. Ce sont plus de 25 000 à Québec et plus de 100 000 à Montréal qui ont signifié au gouvernement Couillard qu'il devait cesser de faire la sourde oreille, car la population n'accepte pas qu'il démantèle l'État québécois pour le sacrifier sur l'autel de l'austérité.»


Passons maintenant aux appréciations de différents médias. Le seul qui fait état d'évaluations fondées sur des vues aériennes, c'est le Journal de Montréal. On peut y lire le passage suivant, ce matin: «Au plus fort de la manifestation, il y avait peut-être quelques dizaines de milliers de personnes dans les rues du centre-ville selon l’analyse de photos aériennes, moins que les 50 000 attendues par les leaders syndicaux. La CSN a estimé, quant à elle, le nombre de participants à 100 000. »

On ne dit pas comment on «analyse» les photos aériennes, mais quelqu'un, quelque part, en a déduit qu'il y avait «peut-être» (quelle assurance!) «quelques dizaines de milliers de personnes» dans les rues du centre-ville de Montréal. Après un peut-être, on évoque «quelques» dizaines de milliers. Quelques, c'est deux dizaines, trois dizaines, quatre dizaines? Pas très clair, mais on est encore très loin du plus de 100 000 des organisateurs...

À l'opposé, le texte du Devoir ne mentionne aucun chiffre. On a recours à une image qui laisse entendre un nombre élevé, sans le préciser. «Les rues étaient gorgées de manifestants d’un trottoir à l’autre sur plusieurs kilomètres», y écrit-on. Combien de manifestants met-on côte à côte, d'un trottoir à l'autre, sur «plusieurs» (trois? quatre? cinq? plus que ça?) kilomètres? Exercice intéressant, mais qui dépasse mes faibles capacités mathématiques…

Son son site Web, La Presse met en ligne un texte de la Presse canadienne, plutôt qu'un de ses propres journalistes. On y lit, et je cite: «Des dizaines de milliers de manifestants contre l'austérité du gouvernement Couillard se sont fait entendre en simultané, samedi, à Montréal et Québec. (…) À Montréal, ils se sont rassemblés par milliers. (…) À Québec également, ils étaient des milliers à protester contre les politiques d'austérité.» Encore une fois, c'est l'imprécision. «Des» dizaines de milliers… C'est donc plus de 20 000… mais combien?

La Gazette de Montréal ne fait guère mieux que les autres. «Tens of thousands of demonstrators took to the streets in Montreal and Quebec City on Saturday afternoon to show their staunch opposition to the provincial government’s austerity agenda.»

Radio-Canada a diffusé les mêmes chiffres que La Presse, à partir, semble-t-il, des textes de l'agence Presse canadienne. Les plus faibles évaluations proviennent de TVA et de l'agence QMI, qui écrit: «Plusieurs milliers de manifestants ont marché dans une ambiance très festive dans les rues de Montréal et de Québec, samedi, afin de dénoncer les mesures d'austérité du gouvernement Couillard. (…) À Montréal seulement, plus de 10 000 personnes ont marché dans les rues du centre-ville au plus fort de la marche.» Donc, «plusieurs» milliers à Montréal et Québec, et «plus de 10 000» au plus fort de la manif à Montréal...

À Québec, le quotidien Le Soleil écrit: «Des milliers de citoyens ont pris d'assaut la haute-ville de Québec samedi pour dénoncer haut et fort la politique d'austérité du gouvernement libéral et sonner l'alarme devant l'appauvrissement des Québécois en cette ère de coupes budgétaires.» Et voilà… encore «des» milliers… un chiffre qui veut tout et rien dire à la fois… mais ça semble loin des 25 000 manifestants que la Coalition populaire revendique dans la capitale nationale…

Le pire dans tout ça, c'est que le même problème surgit à toute manifestation de taille, peu importe l'endroit, que ce soit à Montréal, Québec, Gatineau, Ottawa ou ailleurs, depuis les années soixante, la décennie où j'ai commencé à être témoin de grands rassemblements. Et dans la mesure où le nombre de manifestants reste un élément déterminant du succès ou de l'importance d'un tel événement, il me semble que les médias devraient pouvoir faire mieux que des «peut-être», des «quelques», des «plusieurs» et autres imprécisions qui témoignent d'un «je ne sais pas» collectif…

125 000? 10 000? Misère...







vendredi 28 novembre 2014

Journée douce-amère à l'Université d'Ottawa

Journée douce-amère, en ce jeudi 27 novembre, où deux conférences (excellentes par ailleurs) ont atténué le plaisir d'une trop rare visite au campus de mon alma mater (l'Université d'Ottawa). Deux conférences qui m'ont rappelé, parfois avec un détachement intellectuel excessif, que le présent de la francophonie québécoise et canadienne reste marqué - de façon indélébile - par les défaites du passé et la précarité perçue de l'avenir.

Inévitables parenthèses

Première parenthèse. J'avais choisi de prendre l'autobus pour éviter la difficulté et les coûts du stationnement au centre-ville d'Ottawa. De chez moi, à Gatineau, c'est un trajet d'une quinzaine de minutes en voiture. Mais il faut compter plus d'une heure et demie en autobus et à pied avec les circuits et horaires de la Société de transport de l'Outaouais (STO). Et après on se demande pourquoi les gens ne laissent pas plus souvent leur auto à la maison…

Seconde parenthèse. Une fois sur le campus, je passe devant le «Monument de la francophonie» de l'Université d'Ottawa, où des chaînes interdisent l'accès au public pour l'hiver même s'il n'y a pas de neige au sol… Et s'il y en avait… depuis quand bâtit-on des structures extérieures trop fragiles pour les rigueurs hivernales? Je n'ai pas pu voir de drapeau franco-ontarien géant, cependant… L'Université n'en a pas voulu au coeur du campus pour ne froisser les anglos… Mais ça reste l'université des Franco-Ontariens… si le recteur Allan Rock le dit, ça doit être vrai… ce même recteur qui n'ose pas appuyer la campagne pour donner au français un caractère officiel à la ville d'Ottawa…

Les francophones de la Basse-Ville

Enfin, retour aux conférences. La première, tenue sur l'heure du lunch sous les auspices du Centre de recherche en civilisation canadienne-française (CRCCF) de l'Université d'Ottawa, avait pour titre: «La rénovation urbaine de la Basse-Ville Est d'Ottawa; chronique de la résistance d'un bastion francophone face au bulldozer municipal». La conférencière, Caroline Ramirez, une Française originaire de Lyon, prépare sa thèse de doctorat sur cet ethnocide des Franco-Ontariens de la Basse-Ville de la capitale. À ceux qui pourraient trouver curieux qu'une étudiante de France se prenne d'affection pour les francophones d'un quartier ouvrier d'Ottawa, soyez informés ce n'est pas la première fois.

Au début des années 1960, deux ans après son arrivée à Ottawa, un immigrant français, Joseph Costisella, avait publié un livre intitulé «Le scandale des écoles séparées en Ontario». Il y dénonçait le «racisme qui frappe aveuglement les Canadiens français» et en particulier les Franco-Ontariens de la capitale. Le livre avait eu un effet choc en 1962. Et il y parlait de la Basse-Ville, le coeur de la francophonie dans la capitale, qu'il appelait «le Harlem d'Ottawa», ajoutant, bien avant Pierre Vallières, que les Canadiens-français étaient «les nègres du Canada».

La conférencière Ramirez a repris le fil de l'histoire à partir de 1963, quand des quartiers d'Ottawa ont été identifiés en vue de projets majeurs de rénovation urbaine. La Basse-Ville comptait parmi les priorités, moins cependant que les Plaines Lebreton (quartier pauvre mi-anglais mi-français, au sud du pont des Chaudières) que la Commission de la capitale nationale a exproprié et rasé manu militari au milieu des années 1960. À l'approche du centenaire de la Confédération, cependant, la Basse-Ville était de plus en plus dans la mire d'autorités largement anglophones et francophobes.

Mme Ramirez, s'appuyant sur des recherches exhaustives, a fait l'étalage d'un processus où, systématiquement, les résidants de la Basse-Ville ont subi les assauts d'une municipalité qui ne les informait qu'en anglais, même si le quartier était à 80% ou plus francophone, et qui ne tenait pas compte des protestations et des objectifs formulés par les représentants des citoyens du quartier. Quand, finalement, de véritables mécanismes de consultation ont été mis sur pied, il était trop tard, le dommage était fait… et irréparable. Trop de gens avaient été expropriés, et le quartier était défiguré.

En 1974, la proportion de francophones dans la Basse-Ville Est avait chuté à 72% et aujourd'hui, les francophones y sont minoritaires… La communauté canadienne-française qui y était solidement implantée depuis le 19e siècle a été déracinée et dispersée partout dans la ville, en banlieue et même sur les rives québécoises de l'Outaouais. Là où les riches et puissants voyaient «un quartier dégradé, un ghetto», les francophones étaient «chez eux». 

Pourquoi, dans les quartiers cossus, s'imagine-t-on que les gens sont moins heureux quand ils ont des revenus modestes et des logements vieillots? On peut réparer au lieu de démolir. J'ai passé une partie fort heureuse de mon enfance dans un autre quartier ouvrier francophone d'Ottawa (Mechanicsville), et nous vivions quatre familles dans la même maison… D'ailleurs, après le «massacre urbain» et le «meurtre social» (expressions du comité de citoyens de la Basse-Ville Est), à la fin des années 1970, on se souvenait avec nostalgie que c'était autrefois «un quartier plaisant»…

Ce qui m'a déçu dans la conférence, c'est que les questions identitaires ont été abordées à peu près seulement du point de vue des citoyens francophones de la Basse-Ville, qui se sont ouvertement inquiétés - avec raison - de l'anglicisation éventuelle de leur territoire. On n'a pas poussé l'investigation du racisme antifrancophone chez les dirigeants de la municipalité, racisme dénoncé dans le livre de Costisella quelques années plus tôt et dont tout Franco-Ontarien ayant eu à traiter avec la municipalité (ou, pire, ayant travaillé à la municipalité) à cette époque pourrait attester.

La plaie est encore trop vive pour ceux et celles qui ont été Ottaviens francophones, comme moi. À cet égard, le détachement intellectuel des universitaires, sans doute un peu nécessaire, est parfois difficile à supporter…

La conscience historique des jeunes

La deuxième conférence, organisée en fin d'après-midi par le Centre interdisciplinaire de recherche sur la citoyenneté et les minorités (CIRCEM) et tenue dans l'édifice de la Faculté des sciences sociales de l'Université, avait pour titre: «Je me souviens? Le passé du Québec et de l'Ontario français dans la conscience de leur jeunesse».  Il y a avait de fait deux conférenciers: Jocelyn Létourneau, prof à l'Université Laval dont les recherches ont été publiées cette année (voir texte du quotidien Le Soleil  à http://bit.ly/1b60CwD), et Stéphane Lévesque, de l'Université d'Ottawa, qui traitait plus spécifiquement de l'Ontario français.

Sur une période de dix ans (2003-2013), le professeur Létourneau a demandé à des milliers d'élèves du secondaire et d'étudiants universitaires de raconter l'histoire du Québec en un court texte (5000 textes ont été recensés) ou en une seule phrase (environ 3500 de ces phrases existent, et ce sont elles qui sont interprétées dans le livre de 2014). Ce qu'il a constaté, c'est que les jeunes ont une mémoire historique et une conscience historique (la conscience historique, c'est ce qu'on fait de la mémoire historique) bien avant de suivre des cours d'histoire.

Je me permets de reprendre ici une phrase du texte du Soleil, opportune: «Que ce soit lors d'un party de famille, en écoutant une chanson des Cowboys fringants, en visionnant le film 1839 de Pierre Falardeau ou en lisant les journaux, les futurs adultes glanent ça et là suffisamment d'information pour se faire une idée du passé du territoire qu'ils habitent, explique M. Létourneau.» Ils simplifient à leur façon «la complexité du monde», ils «savent sans connaître»… Ce qui est sûr, c'est que la majorité voient un passé sombre, fait de défaites (en commençant par les Plaines d'Abraham). «Ç'a été dur», et pour trop d'entre eux, on ne va nulle part…

Aux élèves franco-ontariens, le professeur Lévesque a demandé une synthèse de l'histoire de l'Ontario mais invariablement, les étudiants n'ont parlé que de l'Ontario français, de ses combats, de ses gains mais aussi de la précarité de ces gains. Rien n'est acquis. C'est, comme au Québec, un récit de survivance, et, comme au Québec, «les sources d'autorité des jeunes sont la mémoire et l'identité… et non la preuve historique.»

Encore une fois, j'ai été frappé par l'attitude des conférenciers, et notamment celle de M. Létourneau, qui semble collectionner ces textes et les données qui en résultent pour le simple plaisir de la connaissance et de sa transmission. Peut-être est-ce la bonne attitude pour un prof, ou peut-être l'ai-je mal interprété. Il a devant lui des milliers de jeunes dont la conscience historique a souvent peu à voir avec la réalité historique. «Ils savent sans connaître»… Et cela ne semble pas l'émouvoir.

Il est allé jusqu'à dire que les jeunes immigrants n'avaient pas vraiment besoin d'assimiler nos vieilles chicanes pour devenir des citoyens exemplaires… Donc, peu importe qu'ils connaissent ou non l'histoire du Québec et du reste du Canada… On peut être bon citoyen sans savoir pourquoi la majorité des francophones de souche réagissent comme ils le font dans des situations qui mettent en jeu leur langue, leur culture ou leur identité. J'ai peine à suivre un tel raisonnement !

Le professeur Lévesque semblait, pour sa part, espérer qu'un enseignement de l'histoire puisse contribuer à développer «une pensée narrative chez les jeunes» et «les amener à être capables de bâtir de meilleurs récits historiques». J'aime mieux ça.





mardi 25 novembre 2014

En ce beau lundi 24 novembre 2014...

Pour moi qui déteste l'hiver et le froid depuis la petite enfance, l'annonce d'un maximum de 16 degrés en ce lundi 24 novembre avait de quoi réjouir, surtout après plusieurs jours de températures sous le point de congélation et une première tempête de neige plutôt désagréable… L'ultime occasion de poser mes lumières de Noël à l'extérieur dans un relatif confort, avant les -10 et les -20…

Il faut dire que sur le plan physique, ce ne fut pas la meilleure des années. Fin novembre 2013, après la première neige de l'hiver 2013-2014, j'avais glissé sur la rue glacée. Visite à l'urgence, des centaines de dollars pour la physiothérapie, puis une échographie (aussi payée de ma poche) pour apprendre que j'ai deux muscles sectionnés dans l'épaule et qu'une chirurgie s'impose pour retrouver la mobilité du bras droit - et je suis droitier…

Or, à moins d'aller à Thetford Mines où les listes d'attente sont moins longues, je devrai patienter à Gatineau et brûler des lampions. Toujours est-il que cela crée des problèmes quand on grimpe dans une échelle pour poser des lumières de Noël sous les gouttières… Je dois tout faire avec le bras gauche… et comble de malheur j'ai une tendinite au pouce… gauche. Enfin rien n'est impossible et je peux toujours compter sur l'aide de mon frère (qui est aussi mon voisin) pour les gouttières plus hautes, qui nécessitent le recours à une échelle extensible…

Franchement, cette année, j'aurais été tenté de laisser les lumières dans leurs boîtes, bien rangées dans le garage, mais la douceur du 24 novembre m'a privé de l'excuse météo… J'ai quand même attendu un peu en matinée, au cas où le mercure ne se comporte pas selon les prévisions ou qu'une pluie forte interdise le travail extérieur. Vers 10 heures, cependant, le thermomètre extérieur franchit la barre des 10 degrés et le ciel s'éclaircit… À l'oeuvre!

La première tâche… étendre les quatre jeux de lumières sur le gazon (réapparu avec la fonte rapide de la neige) et remplacer les ampoules brûlées… Avez-vous remarqué comment, chaque année, on remet séparément chaque jeu de lumières dans une boîte et que l'année suivante, toutes les cordes s'extirpent comme une immense boule de fils et de lumières dans un enchevêtrement impossible à démêler? La tentation est grande de prendre la boîte et son contenu et de les lancer dans le bac à recyclage…

Finalement, cinq jeux de lumières sont étendus sur la pelouse - les quatre «vieux» et un nouveau qu'on vient d'acheter… La première tâche sera d'installer sur le nouveau jeu de lumières les «pinces polyvalentes» (les clips…) qui permettent de les fixer sous les gouttières du toit… À regarder les images, ce devrait être facile, mais en réalité on se casse les doigts à chaque pince… Pire, après en avoir posé cinq ou six, je m'aperçois que je les attache à la mauvaise corde (à un des vieux jeux de lumières n'avait pas besoin de pinces…).

Je recommence… en marmonnant quelques paroles très sombres… pour enfin réussir à attacher 25 pinces autour des 25 lumières du nouveau jeu… L'escabeau est en place (j'ai commencé il y a plus d'une heure et demie) et le défi sera maintenant de poser les pinces de la main gauche et de rester en équilibre avec la main droite sur l'escabeau… Solidement installé, les deux pieds plantés sur la troisième marche, je m'aperçois au moment de fixer la première lumière que les pinces sont attachées à l'envers… toutes les 25…

Heureusement le thermomètre frise les 15 degrés à l'heure du midi… c'est confortable. Patience. Patience. Patience. Il faut descendre de l'escabeau, enlever toutes les pinces… les 25… une à une… et les attacher de nouveau… toutes les 25, une à une… en s'égratignant les doigts… Mais voilà, c'est fait. À l'attaque… Une, deux de fixées puis, à la troisième, la maudite pince s'éjecte et vole au sol… Avec mon bras droit qui ne lève plus avec force, impossible de réparer sur l'escabeau. Il faudra redescendre au sol avec le jeu de lumières au complet et attacher de nouveau la (juron) de troisième pince…

Heureusement que personne ne me filme… Ce serait viral sur YouTube… Cela fait quelques heures que je m'acharne sur ces lumières et aucune n'est posée! Mais il fait beau et je suis dehors! Et rendu là, c'est devenu de l'acharnement. Elles ne m'auront pas! Alors je recommence, avec le nouveau jeu de lumières, les pinces attachées du bon côté, et tout à coup, le ciel s'ouvre pour déverser un torrent de pluie, m'obligeant à interrompre la pose pour une dizaine de minutes… Décidément…

Victoire! Le premier jeu de lumières est enfin attaché aux gouttières… Au rythme où je progresse, tout devrait être terminé avant Noël… Pour les passants, s'ils me regardent, c'est sans doute la rigolade… Un type qui se parle tout seul, qui monte et redescend sans cesse d'un escabeau, avec des boîtes au sol, des lumières de remplacement éparpillées sur les marches du perron, un amoncellement d'ampoules remplacées (sur l'herbe), quatre jeux de lumière serpentant sur la pelouse…

Et voilà tout à coup mon frère Robert qui, ayant sans doute flairé la détresse et la frustration de son frère-voisin, apparaît à la rescousse… armé de deux bras en santé et d'une échelle extensible… Le temps de le dire, le reste de la pose (grâce à lui) s'est accompli en un temps record… Une heure de plus et les lumières sont fixées, la guirlande ficelée, l'échelle et l'escabeau rangés ! Le seul hic, en branchant le tout, une lumière de la plus haute gouttière est décédée… L'échelle extensible ressort… et mon frère grimpe pour la remplacer!

Vers 14 h 30, tout est terminé. Il fait 18 degrés et le soleil rayonne! En manches courtes à la fin de novembre, les doigts égratignés, l'épaule un peu irritée! Mais notre maison se joint désormais aux autres qui, dans le quartier, illuminent la soirée et la nuit à l'époque la plus sombre de l'année. Je les ai allumées hier soir, et c'était bien! J'en ai presque oublié les péripéties de la fin d'avant-midi… C'est pour cela que je les ai consignées au blogue, pour m'en souvenir l'an prochain quand (peut-être mon épaule sera-t-elle réparée) je retrouverai la boule de fils et de lumières entremêlés dans les boîtes au garage…

En passant, c'est aujourd'hui le 25 novembre et il ne reste qu'un mois avant Noël !

samedi 22 novembre 2014

Un Québec de moins en moins français...

Chronologie récente d'un Québec de moins en moins français… 

* octobre 2012 - Dévoilement des statistiques linguistiques du recensement de 2011, démontrant une fois de plus l'érosion inquiétante du français hors Québec, mais aussi une dynamique linguistique qui favorise l'anglais au Québec même, notamment en Outaouais et dans la grande région montréalaise.

* novembre-décembre 2012 - Une analyse des plus récents chiffres du recensement démontre hors de tout doute un lien direct entre le bilinguisme collectif des francophones et les transferts linguistiques vers l'anglais. Plus une collectivité francophone est bilingue, dans le contexte canadien et nord-américain, plus le taux d'assimilation à l'anglais s'accélère.

* mars 2013 - La classe politique outaouaise, y compris la députée (et maintenant ministre) Stéphanie Vallée, se porte à la défense des municipalités «bilingues» de la région, même quand celles-ci ne répondent plus aux critères de la Loi 101. Comme d'habitude, les libéraux sont prompts à défendre les anglophones de l'Outaouais, pendant qu'ils ne lèvent pas le petit doigt pour contrer l'assimilation des francophones dans plusieurs coins de la vallée de la Gatineau et du Pontiac, et même à Gatineau.

* novembre 2013 - Dans son rapport annuel, le Commissaire fédéral aux langues officielles dresse son bilan habituel du piétinement historique et actuel du français dans les institutions fédérales… et constate cette année un déclin du bilinguisme chez les anglophones! Et pourquoi pas? Ils ont rarement besoin d'utiliser le français, même au Québec...

*février 2014 - L'Université du Québec en Outaouais envisage une formation en médecine en collaboration avec l'Université McGill, et le quart de l'enseignement serait dispensé en anglais (dans une université de langue française). La réaction de l'ex-ministre libéral de la santé, Yves Bolduc? «Les cours en anglais sont loin d'être un inconvénient. Il faut encourager le bilinguisme.» La candidate libérale dans Hull, Maryse Gaudreault, toujours combative, explique que la région devra se satisfaire de «ça ou rien». Édifiant!

* février 2014 - Le congrès du Parti libéral du Canada se tient à Montréal, et à peu près tout s'y déroule… en anglais. Le journaliste du Devoir rapporte que dans les trois ateliers politiques qu'il a suivis, «tout s'est déroulé en anglais, à part quelques bribes de phrases ici et là». Avec un Québec complètement bilingue comme le souhaitent les libéraux «provinciaux», cela ne devrait plus causer de problème...

* mars 2014 - Philippe Couillard, alors en campagne électorale, prône le bilinguisme pour tous les enfants du Québec. La prochaine génération entièrement bilingue, c'est ce qu'il souhaite. « Il n'y a pas un parent au Québec qui ne souhaite pas que son enfant ait accès au bilinguisme», dit-il. Inutile d'ajouter qu'il entend relancer avec énergie le programme suicidaire d'anglais intensif en 6e année!

* mars 2014 - À peine remis de la crise du «Pastagate» à Montréal, l'Office québécois de la langue française est de nouveau la cible de toutes les critiques quand il tente d'obliger une commerçante de Chelsea à franciser sa publicité sur Facebook. Pendant ce temps, on oublie que c'est le français qui est menacé, même au Québec, pas l'anglais…

* avril 2014 - Plusieurs députés libéraux élus à l'Assemblée nationale en avril prêtent serment en anglais et en français, et pas seulement des députés de circonscriptions où il y a de fortes proportions d'anglophones. Pour ceux et celles qui n'auraient pas compris ce que signifie pour la langue française l'élection de ce gouvernement, le message est désormais clair!

* mai 2014 - En avant toutes pour le programme d'anglais intensif sous Yves Bolduc! Un berger aveugle qui nous mène droit au précipice. Offrez un programme semblable aux francophones hors-Québec, qui ont lutté pendant des générations contre le bilinguisme à l'école, et ils vous chasseront à coups de balai. Ils savent que le bilinguisme scolaire, c'est l'assimilation à l'anglais.

* mai 2014 - La ministre québécoise de la Culture, Hélène David, affirme: «C't'une langue difficile, le français». Le chroniqueur Christian Rioux, du Devoir, y va d'un commentaire opportun: notre ministre, écrit-il, semble «traîner sa langue maternelle comme un boulet».

* mai 2014 - Patrimoine canadien, qui met des dizaines de millions à promouvoir la langue anglaise au Québec, refuse à nouveau de subventionner «L'Outaouais en fête», célébration annuelle de la fête nationale du Québec au Parc des Cèdres, à Gatineau. Promouvoir l'identité française du Québec? Ben voyons…

* juin 2014 - Le ministre québécois des Finances, Carlos Leitao, lit le discours du budget en français et en anglais à l'Assemblée nationale. Au cas où on n'aurait pas compris que le Québec, version libérale, devient une province bilingue...

* juillet 2014 - Le débat fait rage autour de l'essor du franglais, tant en musique que dans la rue… «De plus en plus de Québécois peinent à parler, à créer en français», constate le chroniqueur Mathieu Bock-Côté, dans le Journal de Montréal.

* août 2014 - Pendant ce temps, hors Québec, les francophones se butent désormais à des tribunaux de plus en plus hostiles. Après la décision anti-francophone de la Cour suprême concernant le droit de présenter des preuves en français en Colombie-Britannique, l'année précédente, voilà que les Franco-Albertains goûtent à leur tour à la médecine amère de la Cour d'appel de l'Alberta. Indifférence quasi totale au pays et au Québec...

* septembre 2014 - La prépondérance de l'anglais sur le Web est «un phénomène irréversible», dit le premier ministre Couillard. Et ça ne le préoccupe pas. Pourquoi? « Les autres pays du monde dont la langue est également dans un statut difficile parfois (sic), que ce soient les pays scandinaves ou d'autres, ne voient pas de menace là-dedans.» Et voilà!

* octobre 2014 - Le couple Thibodeau, qui poursuit Air Canada pour défendre le droit d'être servi en français à bord de ses avions, se fait dire par la Cour suprême du pays qu'il devra se contenter des plates excuses du transporteur aérien. Tout ça sous un déversement de colère haineuse en provenance du Canada anglais… 

* novembre 2014 - Le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, s'adresse uniquement en anglais à un important forum international en Islande. Fallait se faire comprendre, dit-il... Pourtant, le représentant de Vladimir Poutine n'a parlé qu'en… russe, et la chancelière Angela Merkel n'a parlé qu'en… allemand.

* novembre 2014 - Selon un mémoire de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal (SSJBM), plus du tiers du personnel du réseau public de la santé au Québec a l'anglais comme langue régulière ou principale de travail. Ces chiffres n'ont pas été contestés.

* novembre 2014 - La SSJBM dévoile qu'entre 2008 et 2013, Ottawa a injecté 45 millions de dollars pour promouvoir les services en anglais dans le réseau québécois de la santé. Patrimoine canadien, qui considère le Québec entier comme une zone bilingue, se vante d'avoir financé la traduction en anglais de documents d'information sanitaire au Saguenay-Lac-Saint-Jean (bit.ly/1to3mYP)!

Voyez-vous une tendance? Moi, si!


samedi 15 novembre 2014

L'âme de la résistance

Lettre ouverte rédigée à la demande de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, dans le cadre de la remise du Grand Prix de journalisme Olivar-Asselin (bit.ly/1EN65mO), le vendredi 14 novembre 2014. 
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Comme journaliste, j’ai mal à l’âme. Dans un coin d’Amérique où l’accès à l’information et la liberté de presse ont été élevés au rang de droits constitutionnels, où des conseils de presse sont chargés de défendre cet accès et cette liberté, où des organismes professionnels et des syndicats ont tissé au prix d’âpres luttes une toile de protections pour assurer aux travailleurs et travailleuses de l’information le libre exercice de leurs professions, j’aurais espéré voir des milieux journalistiques plus combatifs devant les récents coups de boutoir technologiques, économiques et sociopolitiques.

Ces derniers siècles, autour du monde, des journalistes ont lutté et payé le prix fort pour assurer la liberté de presse et la liberté d’expression. Ce combat n’est pas terminé, et ne le sera sans doute jamais. L’an dernier, selon Reporters sans frontières, 2 160 journalistes ont été agressés ou menacés; 826 interpellés ou arrêtés; 178 ont été emprisonnés et 71 sont morts en exercice ! Tout cela peut sembler bien éloigné, vu du relatif confort des salles de rédaction québécoises et canadiennes. Et pourtant…

Vrai, nous sommes à des lieues de l’Afghanistan, de la Syrie, du Mali ou de l’Iran. Nos photographes et reporters ne risquent guère d’être abattus ou décapités en devoir. Cela ne signifie pas pour autant que l’accès à l’information et le personnel des médias soient à l’abri des périls dans l’oasis nord-américaine, et que nous puissions baisser nos gardes. Que la menace soit incolore et inodore n’altère en rien le résultat final. Entre la puissance des empires médiatiques, la cupidité débridée des marchés financiers et les explosions technologiques, il y a un précipice droit devant, ici, chez nous.

En 2014, les travailleurs et travailleuses des médias semblent à la fois intoxiqués et anesthésiés par de nouveaux supports numériques qui promettaient de multiplier et d’enrichir les sources d’information, mais qu’on voudrait maintenant utiliser pour sonner le glas de 500 ans de civilisation de l’imprimé. Pas moins de six journaux papier de Gesca, sur un total de dix quotidiens de langue française au Québec, sont menacés de fermeture à moyen terme ! C’est le coprésident de Power Corporation, André Desmarais, qui l’affirme. Récemment, les scribes de Québecor ont eux aussi goûté à la médecine amère de leur empire. Aujourd’hui, Radio-Canada étouffe sous les compressions successives. N’est-ce pas suffisant pour attiser quelques débats de fond et sonner l’alarme ?

Quand Le Soleil a annoncé des coupes touchant une trentaine de rédacteurs, la semaine dernière, la nouvelle est passée à peu près inaperçue dans les quotidiens de Gesca (un court texte dans l’édition papier du Soleil). Quand la «liberté de presse» devient liberté de ne pas informer, au gré des propriétaires d’empires, il y a lieu de s’inquiéter. Les compressions nationales et régionales à Radio-Canada/CBC relevant du secteur public, où en principe, nous sommes tous et toutes propriétaires, le débat s’y fait heureusement plus vif. Mais dans le privé, où l’appétit excessif du profit ne semble pouvoir être assouvi que par des gadgets électroniques et des réductions de personnel, le lectorat est amorphe, à l’image de trop d’artisans actuels de la presse écrite.

J’ai eu la chance d’être initié au journalisme au quotidien Le Droit, à la fin des années 1960. L’entreprise, qui appartenait aux Oblats de Marie Immaculée, était indépendante, prospère et comptait près de 400 employés. Après plus de 30 ans aux mains des groupes Unimédia, Hollinger et Gesca (Power Corp), elle s’est rétrécie comme peau de chagrin, trop souvent privée par le siège social de revenus qui auraient pu bonifier le produit régional. Et avec l’imminence d’une transition au numérique dans le sillage de La Presse +, le conglomérat annonçait en mai 2014 la disparition possible du Droit… comme celle des autres quotidiens régionaux de Gesca.

Devant le silence public des salles de rédaction, j’ai protesté sur mon blogue personnel contre le sort réservé à l’information régionale dans les empires (en premier lieu celui au sein duquel j’œuvrais alors comme éditorialiste contractuel), appelant journalistes et autres artisans de la presse écrite à se faire entendre pour assurer la pérennité de leur journal. On m’a mis à la porte… après plus de 40 ans de loyaux services! Personne au sein de Gesca n’a dénoncé publiquement cette atteinte à la liberté d’expression. Le communiqué d’appui offert par l’instance outaouaise de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) a été censuré au Droit et ailleurs dans Gesca. Et cette censure n’a suscité aucune dénonciation syndicale ou professionnelle.

Il y a près de 45 ans, quand la direction de l’information du Droit avait censuré un communiqué intersyndical et retiré les signatures de ses journalistes, le personnel de la salle des nouvelles était descendu dans la rue, avec l’appui et la présence des présidents des grandes centrales syndicales. L’année suivante, en octobre 1971, nous manifestions à Montréal avec plus de 10 000 personnes en appui à nos collègues de La Presse, inquiets de la fermeture possible de leur quotidien. En 2014, devant une menace bien plus grave à l'information régionale et à l’ensemble de la presse écrite, il n'y a ni mobilisation structurée, ni intersyndicale, ni alertes lancées par les syndicats des salles de rédaction… Seule la FPJQ s'agite, un peu...

Comme si les coupes à répétition et les menaces d’éventuelles fermetures ne suffisaient pas, faudra-t-il aussi les subir dans la presse écrite sans faire trop de vagues, les considérer comme inévitables, nécessaires et se contenter de sauver quelques meubles ? En sommes-nous vraiment là ? Où est passée l’âme de la résistance ?