mardi 27 décembre 2011

De l'emploi des mots « national » et « local » dans le Renvoi sur les valeurs mobilières de la Cour suprême du Canada

On a beaucoup écrit sur l'importance, pour tous les juges de la Cour suprême du Canada, de pouvoir comprendre le français sans l'aide d'un interprète ou d'outils de traduction. Le jugement récent dans le dossier de la réglementation du commerce des valeurs mobilières illustre bien les risques d'un emploi imprécis, voire fautif, de mots et de concepts dont l'application peut être différente en français. Je pense notamment à l'utilisation abusive et à mon avis, erronée, des mots « national » et « local ».

Le mot « national » et son pluriel « nationaux », est employé à plus de 75 reprises dans l'arrêt qui estimait inconstitutionnel la création d'un organisme fédéral exclusif de réglementation du commerce des valeurs mobilières. Ses opposés, les mots « local » et « locaux », reviennent une quarantaine de fois dans ce jugement d'une trentaine de pages. C'est dire qu'on voit ces mots dans la majorité des pages du jugement. Pour la Cour suprême, « national » et « fédéral » et « canadien » et « pancanadien » sont des synonymes. Le sens du mot « local » apparaît moins clair, mais est le plus souvent associé à « provincial », parfois à une « localité ».

Dans un contexte où l'une des entités de la fédération canadienne, le Québec, constitue une nation - reconnue comme tel par la Chambre des communes - avec ses institutions nationales, son Assemblée nationale, sa capitale nationale, sa fête nationale, l'utilisation du mot « national » comme synonyme du Canada tout entier apparaît inapproprié, voire erroné. De la part de la plus haute cour du pays, où chaque mot peut être pesé, interprété, et devenir jurisprudence, une telle imprécision dans le maniement des concepts est plus qu'inacceptable. Même en anglais (le jugement a été rédigé dans cette langue et traduit en français), une plus grande précision s'imposait pour tenir compte de la réalité nationale québécoise.

Voici des exemples typiques tirés du Renvoi sur la Loi sur les valeurs mobilières, du 22 décembre 2011 :

1. Dans le deuxième paragraphe du sommaire, au tout début du texte, on écrit : « dans l'espoir de créer, dans les faits, un régime de réglementation nationale des valeurs mobilières ». Ailleurs dans le texte, on verra à différentes reprises « régime national », « organisme national », commission nationale », « régulateur national » ou même « gestion nationale ». Ici comme là, il s'agit de fait d'une réglementation fédérale des valeurs mobilières ou d'un régime fédéral de réglementation des valeurs mobilières, d'un organisme fédéral, d'une commission fédérale, d'un régulateur fédéral ou d'une gestion fédérale. Le mot « fédéral » est précis, correct et tout à fait indiqué.

2. Dans le sixième paragraphe du sommaire (et à plusieurs endroits dans le jugement), on évoque les questions ou matières « d'importance et de portée nationales » ou des enjeux nationaux. Voilà un second sens. Il ne s'agit pas ici de questions nécessairement fédérales, mais de questions qui intéressent l'ensemble du pays. Les juges auraient pu utiliser d'autres termes, comme « pancanadien » ou « canadien », ou encore des expressions ayant le même sens. L'Autorité des marchés financiers du Québec est un organisme national et son mandat est d'intérêt national pour la nation québécoise, mais pas pour la Cour suprême.

3. Au paragraphe (7) du jugement, on évoque la « dimension nationale » de certains aspects du système des valeurs mobilières. Ailleurs, comme au paragraphe 33 et autres, on utilisera l'expression « à l'échelle nationale ». Ce sont des termes et expressions imprécis. L'expression « à l'échelle du pays » serait plus appropriée.

4. Il arrive qu'on évoque parfois « l'intérêt national » ou « un intérêt national » (p. ex. le para. 46). Cette expression est classique mais dans le contexte canadien, et notamment dans un texte juridique, il serait approprié de préciser de quel intérêt national il s'agit. Certainement pas celui du Québec en tout cas...

5. L'emploi du mot « local » est tout aussi imprécis, voire erroné, quand il est présenté en opposition au mot national. Une affaire qui concerne l'ensemble du Québec est en soi nationale et non locale. Une affaire qui concerne tout l'Ontario n'est pas en soi nationale mais elle n'est pas locale non plus. Tout dépend du contexte. Par rapport au pays, une affaire qui ne concerne que Sherbrooke, Windsor ou Saskatoon est sans doute locale. Par rapport à la planète entière, une affaire qui ne concerne que le Canada peut être considérée comme locale. Le mot est en soi imprécis et devrait être évité, à moins d'être clairement défini, dans un texte juridique comme celui du Renvoi sur les valeurs mobilières.

6. On voit un peu partout dans le texte de la Cour suprême des expressions comme « questions locales », « caractère local », « lois locales », « à l'échelle locale », « de nature locale », « réglementations locales », « politique locale », « matières locales », « intérêt local », « économies locales », toutes aussi imprécises les unes que les autres. Une question d'intérêt provincial ou interprovincial n'est pas en soi locale. De la part de juristes, une telle imprécision est inacceptable. Au Canada anglais, ces notions ne semblent poser aucun problème, mais les juges francophones, ceux du Québec particulièrement, auraient dû mettre les points sur les « i ».

Je ne suis pas juriste et peut-être me répondra-t-on que l'emploi des mots national et local sont devenus usuels dans la langage judiciaire canadien. Si tel est le cas, il est temps que cela change. Dans le contexte de l'affirmation et de la reconnaissance du Québec comme nation, le langage juridique doit s'adapter. Cela risque de poser des problèmes de traduction, étant donné que la majorité des jugements sont rédigés en anglais et que deux des neuf juges sont unilingues anglais. Mais ça, c'est une toute autre question...


Pierre Allard






samedi 17 décembre 2011

«Mon âme fait maintenant partie du cyber espace»

Un extrait des pages de nécrologie du quotidien Le Droit du samedi 17 décembre. Pour ceux qui étudieront plus tard l'effet des nouvelles technologies sur les modes de vie... et d'annonce de décès. J'ai vu au fil des ans de nombreux avis de décès originaux, souvent écrits à la première personne du singulier, mais jamais un comme celui-ci.

Garneau, Jeannette
Parution: 2011-12-17 au 2011-12-17 dans Le Droit - 2777212
AVIS D’ABSENCE PROLONGÉE JEANNETTE GARNEAU (née Croteau) Mon disque dur, après avoir tourné pendant 80 ans, s’est éteint le 11 décembre 2011 à 11 h 00 p.m. Mon âme fait maintenant partie du cyber espace… Voici mon dernier courriel : Je salue mes enfants : Francine (Denis), feu Daniel (Mado), Luc (Ginette), Sylvie (Marc) et Marc (France). Je salue également mes petits-enfants : Sophie, Véronik, Annick, Valérie, Marilyn et Samuel ainsi que mon arrière-petit-fils Cédrik. Enfin, je salue ma soeur Raymonde (feu Georges)ainsi que mon frère feu Michel et tous les membres des familles Garneau et Croteau ainsi que tous les amis que j’ai côtoyés en personne et en ligne. Je suis partie rejoindre mon Pit (Laurier l’amour de ma vie) et mon fils Daniel. Salutations particulières à la communauté EBAY et Archambault musique LOL. Je vous remercie tous de votre amour et on se reverra un jour. À la prochaine…Hors ligne…Click !!!!! Jeannette P.S. Vous pouvez m’envoyer vos messages de condoléances à mon courriel : jgarn@vl.videotron.ca Il n’y aura aucune cérémonie religieuse ou autre, tel que je le désirais.

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mercredi 7 décembre 2011

Le début de la fin?

Apprentissage intensif de l'anglais en 6e année dans les écoles françaises du Québec

L'indifférence du Québec - et particulièrement des médias de langue française - face au projet d'écoles bilingues en 6e année pour les jeunes francophones est incompréhensible. Peut-être faut-il avoir grandi dans un régime d'écoles bilingues (ce fut mon cas, autrefois, à Ottawa) pour voir à quel point l'enseignement bilingue constitue une menace pour notre langue, notre culture et notre identité. Voici quelques observations en vrac qui me semblent pertinentes et qui offrent des avenues pour éclairer un débat qui ne semble pas vouloir s'amorcer...

1. Les élèves du Saguenay, du Bas du Fleuve, de la Mauricie et de la plupart des régions du Québec n'ont pas besoin d'un apprentissage intensif de l'anglais; pour ceux de certains quartiers de Montréal et de Gatineau, où l'assimilation est déjà en marche, c'est carrément une menace. Regardez du côté des Franco-Ontariens : eux, ils ont besoin de l'anglais quotidiennement, tout le temps! Alors pourquoi évitent-ils les écoles et les classes bilingues comme la peste? Parce que ce sont des instruments d'assimilation et de destruction identitaire. Ils l'ont appris à la dure.

2. Parlons d'ailleurs d'identité. Dans un sondage Léger à Ottawa en 1995, la section locale de l'ACFO (Association canadienne-française de l'Ontario) a découvert que chez les 18-24 ans, l'identité la plus souvent citée était « bilingue », devançant francophone, canadien-français ou franco-ontarien. « Bilingue », c'est une double identité et devinez laquelle des deux dominera. Le bilinguisme individuel est un atout, le bilinguisme collectif est synonyme d'assimilation.

3. Le principal problème, au Québec, n'est pas l'apprentissage de l'anglais. Le Québec est déjà l'État avec la population la plus bilingue du pays. Le grand drame, c'est l'état affreux du français. Regardez Facebook, Twitter, parlez aux profs des écoles primaires, secondaires, des universités. Quantité de jeunes (et d'adultes) sont des analphabètes fonctionnels.

4. Il faut viser l'excellence dans la langue maternelle d'abord : se donner une solide base identitaire, savoir bien lire et écrire en français, continuer de créer dans sa langue. Une oeuvre exceptionnelle en français, qu'elle soit culturelle, politique, économique ou scientifique, aura une valeur universelle et se fera remarquer des autres nations, qui la traduiront dans leurs langues.

5. La connaissance de l'anglais -- et d'autres langues -- est certes souhaitable, mais l'omniprésence de l'anglais, son effet de rouleau compresseur, ici et ailleurs, constitue une menace pour la survie et à l'épanouissement de la plupart des autres langues et cultures de la planète, y compris la nôtre.

6. Alors, pourquoi « bilinguiser » la 6e année des écoles françaises, au moment où les jeunes sont en plein apprentissage de leur propre langue? On brise le rythme d'apprentissage déjà cahoteux à l'aube du secondaire et on leur livre un message pernicieux dont ils ne comprendront que trop bien le sens profond : l'anglais est essentiel, plus encore que le français.

7. Ce message sera, d'ailleurs, tout aussi bien compris à l'extérieur du Québec où le français est déjà, dans la plupart des provinces, à l'agonie. Si vous comprenez tous l'anglais, diront un nombre croissant d'Anglo-Canadiens, pourquoi devrions-nous fournir des services en français ou apprendre votre langue?

8. Le gouvernement Charest est devenu un fossoyeur du français et l'apprentissage intensif de l'anglais en 6e année sera un gros clou dans notre cercueil. J'ai de plus en plus l'impression que nous approchons du début de la fin comme peuple. Quelques recensements de plus et le français sera en bonne voie de marginalisation au Canada, et en mode survie au Québec.

9. Notre ultime combat pour l'avenir du français est commencé et si la tendance se maintient, comme dirait l'autre, nous irons bientôt rejoindre les espèces en péril. Nous avons peut-être une dernière chance de prendre notre avenir en main. Il faudra vite la saisir.

Pierre Allard