vendredi 30 octobre 2015

Cicatrices à vif, 20 ans plus tard...


Je comprends toute l'importance de commémorer le référendum québécois du 30 octobre 1995, moment clé de notre histoire nationale, mais vous me pardonnerez si je n'ai guère le goût de le ressasser. Ce référendum, plus que celui de 1980 et bien plus que toute élection avant et depuis, a laissé de profondes cicatrices… et elles sont toujours à vif vingt ans plus tard.

N'étant plus à l'emploi de mon ancien quotidien, Le Droit, ni d'un autre média qui exigerait de moi la neutralité que je m'imposais scrupuleusement jadis, je peux évoquer librement les tourments que l'automne 1995 a nourris dans ma région, l'Outaouais, et plus spécifiquement dans ma ville, Gatineau, campée - vous le savez - dans l'ombre du Parlement fédéral et de la capitale canadienne.

La rive nord de l'Outaouais, là où la Gatineau s'y déverse, n'a rien à voir avec le coeur du Saguenay, où les deux tiers des citoyens avaient dit «Oui» au projet de pays en 1995. La présence anglicisante d'Ottawa écrase, faisant de Gatineau la ville la plus bilingue du Québec. Des gens paniquaient à la seule idée que l'indépendance puisse menacer l'accès de l'Outaouais à des milliers d'emplois dans la Fonction publique fédérale. Ici, la haine des «séparatistes» est souvent palpable, au point où de nombreux tenants du «Oui» se faisaient discrets il y a 20 ans, chuchotant presque leurs convictions à l'oreille de ceux qu'ils savaient sympathiques. Aux portes de Gatineau, dans le Pontiac anglicisé, hurlaient des groupes intolérants de partitionnistes…

Dans notre région, la campagne référendaire avait un caractère surréaliste. Certains jours, on avait peine à se croire vraiment au Québec. Pendant que l'enthousiasme des forces du «Oui» se manifestait ouvertement dans les villes, villages et vallées du Saint-Laurent, la métropole de l'Outouais restait bien ficelée à Ottawa par ces cinq ponts qui brouillent la frontière politique et culturelle. À entendre le lourd silence émanant d'une grande partie de l'auditoire souverainiste local, on n'aurait pas deviné qu'entre le quart et le tiers de la population du grand Gatineau allait voter malgré tout pour le «Oui», ce 30 octobre 1995. Dans les derniers jours de la campagne, on pouvait couper la tension au couteau!

Pour ceux qui, comme moi, sont nés en Ontario avant d'élire domicile dans le territoire qu'on appelle aujourd'hui Gatineau (nous sommes des milliers…), la situation était peut-être encore plus éprouvante parce que nous avions de la parenté et des amis des deux bords de la rivière des Outaouais. Comme bien d'autres Franco-Ontariens de ma génération (je suis né en 1946), usés par les luttes incessantes pour affirmer nos droits linguistiques comme minoritaires, j'avais adhéré depuis longtemps au projet de souveraineté québécoise, sans pour autant renier mes racines ontariennes. 

Le débat sur le drapeau canadien (1964-65) et les préparatifs du centenaire de la Confédération (on voulait nous faire célébrer le Canada alors que nous n'avions même pas d'écoles françaises publiques en Ontario) m'avaient rapproché des partisans d'un Québec français et souverain. Au début de 1969, avant de devenir journaliste, j'avais déjà une carte de membre «hors-Québec» du PQ… Je tiens d'ailleurs à noter que si le Parti québécois avait jugé bon de créer une catégorie «hors-Québec», c'est qu'il existait une demande suffisante… tout au moins chez les Franco-Ontariens… Devenu journaliste en juin 1969, j'ai choisi de mettre fin à toute affiliation politique, et ce, jusqu'à aujourd'hui.

Mes convictions n'ont pas changé, toutefois. Au contraire, plus d'une quarantaine d'années de journalisme et de rédaction les ont renforcées. J'ai traversé la rivière en 1975, et dans ma première élection au Québec, celle de 1976, la candidate du PQ dans Hull avait gagné par deux voix… dont la mienne. De fil en aiguille, de victoires en défaites, une succession de joies (la Loi 101) et d'amères déceptions (le coup d'État de 1982) nous avait menés à la campagne référendaire de 1995. J'avais 49 ans, l'âge où l'on se sent vieillir rapidement. La situation de la langue et de la culture française continuait de se détériorer, même dans certaines régions du Québec - dont l'Outaouais. Il fallait une victoire du «Oui» pour ébranler enfin un statu quo constitutionnel qui nous étoufferait. Et pour créer entre l'Outaouais et le reste du Québec des liens au moins aussi puissants que nos ponts avec Ottawa…

Ce 30 octobre 1995, la majorité des gens de l'Outaouais (plus anti-séparatistes que fédéralistes) avaient peur. Je pourrais ajouter qu'une bonne partie des tenants outaouais du «Oui» avaient peur eux aussi des conséquences d'une victoire de leur propre option. S'il y avait une région où le projet d'indépendance allait perturber les routines (et les familles, et les cercles d'amis), c'était bien ici. En dépit des craintes, quelque 30 000 résidents du territoire actuel de Gatineau ont voté «Oui» et se sont accrochés ce soir-là à l'espoir que le reste du Québec réussisse à mettre le projet sur les rails.

La déception fut intense. Perdre dans l'est de Montréal, entouré de sympathisants, n'est sans doute pas facile. Mais perdre à Gatineau, entouré d'adversaires hostiles et hargneux, c'est bien pire. Vingt ans plus tard, c'est comme hier. À vif. 

J'ai aujourd'hui 69 ans. Après un demi-siècle de réflexion, ma vision de l'avenir du Québec n'a rien d'une foi simpliste. Je fais de mon mieux pour conjuguer mon engagement souverainiste et mes combats toujours renouvelés pour les droits des Franco-Ontariens et des autres collectivités francophones à travers le pays. Certains jugeraient cela contradictoire. Je ne suis pas de cet avis.

J'aime toujours brasser des idées. J'espère vivre assez longtemps pour participer à un troisième référendum - sans doute le dernier et, sait-on jamais, peut-être enfin le bon. Et je voterai encore dans ma ville, Gatineau, où y'en aura jamais de faciles… 





mercredi 28 octobre 2015

Canada 1867-2017. Et le Canada français 1867-2017?


Saviez-vous qu'il y a, à l'Université de Guelph, dans le sud de l'Ontario, un professeur qui «étudie la façon dont les Canadiens soulignent leur histoire et leur culture»? Son nom est Matthew Hayday. Un(e) journaliste de la Presse Canadienne (ou de Canadian Press si le texte est traduit de l'anglais) a demandé cette semaine au professeur Hayday de commenter les projets mis de l'avant au ministère du Patrimoine canadien en vue des célébrations du 150e anniversaire de la Confédération en 2017.

La Presse Canadienne avait eu recours à la Loi sur l'accès à l'information pour obtenir la liste des «événements et personnages» qui, selon les fonctionnaires de Patrimoine canadien, pourraient être commémorés en 2017. Mais une simple liste donne une lecture plutôt sèche, pour ne pas dire plate… Alors le(la) journaliste a fait ce que font des tas d'autres scribes - ratisser les universités pour dénicher un(e) expert(e) qui connaît la matière et qui n'a pas la langue dans sa poche…

Finalement, Matthew Hayday constitue un choix intéressant, du point de vue anglophone. Ayant étudié aux universités de Toronto et d'Ottawa, puis à Concordia, ce professeur d'histoire a signé de nombreux textes et quelques livres sur le Québec contemporain, sur le bilinguisme, ainsi que sur le nationalisme, l'identité, les langues officielles et le fédéralisme. Son oeuvre la plus récente, publiée en 2015, s'intitule So They Want Us to Learn French: Promoting and Opposing Bilingualism in English-Speaking Canada. Un livre que je me promets de lire et commenter...



Quoiqu'il en soit, le professeur Hayday a jeté un coup d'oeil à la liste de projets de Patrimoine canadien pour le 150e anniversaire de la Confédération et est arrivé à la conclusion que le ministère fédéral avait fait bien peu de cas de la nation québécoise et de l'ensemble du Canada français (voir l'article de la Presse Canadienne à http://bit.ly/1KEU5Uw). On accordait, en comparaison, plus de visibilité aux femmes, aux Autochtones, aux Noirs et même aux Japonais pour leur internement pendant la Seconde Guerre mondiale.

Bien sûr, Patrimoine canadien avait l'intention d'insister sur l'adoption de la Loi sur les langues officielles mais comme le souligne M. Hayday, cette loi ne constitue pas une contribution du Canada français comme tel. Clairement, les fonctionnaires avaient évité les «épisodes litigieux» entre francophones et anglophones, entre Anglo-Canadiens et Franco-Québécois. «Il est intéressant de constater, dit-il, qu'on a voulu évoquer volontiers l'histoire parfois tendue avec les Premières Nations, mais beaucoup moins celle avec le Canada français ou le Québec».

Le professeur de l'Université de Guelph se demande s'il faut voir dans ces choix un reflet des priorités chères aux conservateurs et si, avec le nouveau gouvernement Trudeau, l'orientation va changer à Patrimoine canadien. Sans doute, mais les fonctionnaires fédéraux vont se trouver devant le même dilemme que sous Harper, celui de trouver au Canada français et au Québec des «événements et personnages», litigieux ou pas, qui s'accordent avec l'ambiance de célébration qu'Ottawa souhaite pour 2017…



Passez en revue les 148 années de la Confédération, de 1867 à 2015, et dites-moi ce qu'on finira par retenir comme événement «francophone» dans un pays où la plupart des grandes décisions sont prises par la majorité anglo-canadienne (majorité = droit de décider) et subies par la (les) minorité(s) de langue française… Même les deux premiers ministres franco-québécois les plus célèbres, Wilfrid Laurier et Pierre Trudeau, restent controversés au pays et contestés chez les francophones.

Ce Laurier qui qualifia en 1867 la Confédération de seconde étape de Durham pour notre anglicisation, et qui en 1885 déclara que s'il avait été aux côtés de Louis Riel en Saskatchewan, il aurait pris les armes contre le gouvernement canadien, ce même Laurier devait sonner le glas des droits franco-manitobains en 1896. Et que dire de Pierre Trudeau qui, un an après la Loi sur les langues officielles, fit jeter des centaines d'innocents en prison à l'automne 1970 et élimina toute reconnaissance de la spécificité québécoise dans la Constitution en 1982 après la nuit des longs couteaux…

Quand on y pense, Patrimoine canadien - et le professeur Hayday - auraient bien de la difficulté à trouver un seul événement émanant du Canada français ou du Québec qui serait de nature à inciter à célébrer le 150e anniversaire de la Confédération (peut-être les deux défaites du Oui en 1980 et en 1995?). De l'abolition des droits scolaires aux conscriptions et aux mesures de guerre, en passant par toute la gamme des injustices commises à notre endroit, on pourrait trouver nombre de situations, de combats, de victoires à commémorer… mais à peu près toutes porteraient plus à réflexion qu'à célébration…

Bien sûr, on pourrait délaisser les thèmes directement reliés à l'histoire de la fédération canadienne et aligner de nombreuses réalisations de francophones de ce pays - par exemple la création de toutes pièces et l'expansion des caisses Desjardins, l'une des plus importantes coopératives financières du monde, les grands succès de Radio-Canada, les oeuvres primées ici et partout de plusieurs de nos grands chansonniers, musiciens, cinéastes, auteurs, etc. et bien plus. Mais on finirait - en grattant au-delà du vernis - par comprendre que la majorité de ces réussites ont une portée plus québécoise que canadienne.



En 2017, on risque de finir par célébrer les yeux fermés et les oreilles bouchées le programme «national» d'assurance-maladie, les missions de paix aux Nations Unies, le prix Nobel à Lester Pearson, le bras spatial canadien et «nos» astronautes, le centenaire du droit de vote aux femmes (mais pas au Québec où ça ne fait que 75 ans), la Charte des droits et libertés, la participation aux deux grandes guerres, etc. Les Anglo-Canadiens, qui se disent simplement Canadian et non English Canadian, comme s'ils occupaient la totalité de l'identité, y verront leur oeuvre, leur héritage, leur patrimoine.

Quant à «nous», Québécois, Acadiens, Canadiens français, l'année 2017 servira à… (tiens je laisse à chacun, chacune, le soin de compléter la conclusion)…



lundi 26 octobre 2015

Université de langue française: l'ineptie du gouvernement ontarien

L'excellente caricature de Bado dans Le Droit, 25 avril 2015

Vous voulez savoir à quel genre d'ineptie se butent les Franco-Ontariens quand ils tentent d'affirmer des droits élémentaires qui auraient dû être reconnus depuis plus d'un siècle?

Vous n'avez qu'à lire cette citation de la première ministre de l'Ontario, Kathleen Wynne, rapportée par le journaliste Jean-François Dugas (http://bit.ly/2050Uu6) dans le quotidien Le Droit vendredi dernier, 23 octobre: «Je sais que la francophonie souhaite améliorer les débouchés pour leurs études postsecondaires. Pour moi, il est très important de déterminer s'il s'agit d'un nouvel édifice, de nouveaux programmes ou encore d'une nouvelle institution. À l'heure actuelle, je ne sais pas, mais il est très important de trouver une solution.»

Décidément, Mme Wynne ne semble pas avoir compris grand-chose à la campagne que mènent depuis maintenant plus de trois ans le Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO) et ses organismes partenaires (AFO, FESFO) en faveur de la création d'une université de langue française en Ontario. La première ministre se demande s'il faudra construire un nouvel édifice, créer de nouveaux programmes ou encore mettre sur pied une nouvelle institution… ajoutant qu'il est «très important de trouver une solution»

Mais une solution à quoi? Si elle - ou un membre de son gouvernement - avait pris quelques notes en février 2015 lors de la conférence de presse du RÉFO (regroupement des étudiants de langue française au postsecondaire), de l'AFO (Assemblée de la francophonie de l'Ontario) et de la FESFO (étudiants francophones au secondaire), elle aurait vu que les porte-parole de l'Ontario français lui proposaient une démarche à la fois claire et logique.

En effet, après avoir dressé le bilan de plus de deux ans de consultations exhaustives, les représentants franco-ontariens avaient demandé à la première ministre Wynne de prendre d'abord et avant tout l'engagement de créer une université de langue française en Ontario, puis de former un «Conseil des gouverneurs transitoire» chargé d'assurer le démarrage de cette université avant 2018 (bit.ly/17ffg4n).

Ce «Conseil des gouverneurs transitoire» aurait entre autres pour mandat:

1) de commander une étude sur les scénarios d'implantation de l'université;
2) de prioriser un premier campus dans le centre-sud-ouest de la province (probablement à Toronto);
3) d'assurer une garantie de financement;
4) de proposer un projet de charte universitaire; et
5) de nommer une administration centrale ainsi qu'un sénat académique.

Je suis de ceux qui croient que la priorité au centre-sud-ouest est mal avisée, et que l'effort principal doit porter sur les régions d'Ottawa et Sudbury (sans pour autant délaisser la région torontoise). Mais ça c'est un autre débat. Ce que la première ministre ne peut contester, c'est la clarté des étapes présentées: un oui de principe à l'université, un conseil des gouverneurs, une étude des scénarios d'implantation, un financement, une charte, une administration.


Déjà à l'automne 2013, on trouvait que la décision tardait...

Elle a reçu cette proposition il y a huit mois déjà et son gouvernement avait sans doute suivi les consultations régionales, le sommet provincial et les rapports entre 2012 et 2015. N'importe quel expert à son service (et elle en a des tonnes…) lui aurait dit qu'avant de parler d'un édifice, de nouveaux programmes ou de création de l'institution, il faudrait passer par une étude sérieuse des scénarios possibles d'implantation d'une université de langue française.

Ce gouvernement, francophile dans ses discours mais parfois frileux dans son action, aurait pu dire oui de façon très officielle au projet d'université de langue française dès 2012, quand a débuté la revendication du RÉFO, et mettre à l'oeuvre une batterie d'experts qui aurait sans doute déjà terminé une ébauche de scénarios d'implantation. Mais non, rien n'a été fait et il paraît évident, à ce stade, qu'on ne voudra pas trop toucher aux deux principales institutions bilingues, l'Université d'Ottawa et l'Université Laurentienne, toutes deux des foyers d'assimilation depuis des décennies.

Aujourd'hui, fin octobre 2015, devant des demandes claires et précises, la première ministre Wynne se demande toujours ce qui se passe… «À l'heure actuelle, je ne sais pas», ose-t-elle déclarer. Si le gouvernement Couillard traitait ainsi les étudiants et étudiantes anglo-québécois, on crierait à la xénophobie et au racisme from coast to coast… mais comme il ne s'agit que de francophones hors-Québec… Bof… ça peut attendre…


Pour conclure, un rappel d'une caricature à la une d'octobre 1968 dans La Rotonde, journal étudiant de langue française de l'Université d'Ottawa, pour démontrer l'effet d'assimilation d'une université bilingue… On demandait déjà à cette époque une université de langue française...














dimanche 25 octobre 2015

À qui voulons-nous confier notre droit de parole à Ottawa?

Quand Pierre Elliott Trudeau et sa cohorte de députés libéraux du Québec ont entériné la nuit des longs couteux de 1981 et imposé leur coup d'État constitutionnel l'année suivante, cette Charte des droits et libertés qui refuse de reconnaître même l'existence d'une société distincte au Québec, ils l'ont fait en se disant légitimes représentants des citoyens québécois qui les avaient élus. Et ils avaient raison!

Quand le nouveau gouvernement Trudeau reprendra à son compte la contestation judiciaire de la Loi 99 du Québec qui affirme la légalité d'un vote de sécession à 50% plus un, il le fera avec l'accord de ses 40 députés québécois, et en affirmant que ces derniers représentent la volonté des citoyens qui les ont élus le 19 octobre 2015. Et il aura raison!

Quand un gouvernement fédéral, quel qu'il soit, dépensera des milliards pour acheter des avions de chasse F-35, pour s'ingérer dans les compétences provinciales en éducation, en santé, en affaires urbaines, pour affirmer sa présence aux Nations Unies ou dans différentes organisations ou traités internationaux, il le fera avec mes impôts, nos impôts… en vertu de priorités et politiques adoptées avec l'accord de députés québécois siégeant dans les rangs gouvernementaux.

Pendant 18 ans, de 1993 à 2011, les gouvernements Chrétien, Martin et Harper n'ont pas eu ce luxe de leurs prédécesseurs, celui de pouvoir dire qu'une majorité des députés du Québec avaient été élue sous leur bannière. Le Bloc leur rappelait à tous les jours que que les Québécois forment une nation distincte, que cette nation ne se reconnaît pas toujours dans les partis pan-canadiens et qu'elle a, si elle choisit de le faire, le droit de s'exprimer collectivement au Parlement fédéral.

On voudrait aujourd'hui, même dans les rangs souverainistes, nous faire croire à la non-pertinence du Bloc, ainsi qu'à l'inutilité de s'engager comme indépendantistes au palier fédéral. C'est oublier qu'il n'existe plus de partis authentiquement fédéralistes à Ottawa. Tous sont désormais centralisateurs à l'excès et se soucient peu de l'équilibre qui doit exister entre l'État central et les États fédérés dans une vraie fédération. 

Élire une majorité de députés libéraux, conservateurs et/ou néo-démocrates à Ottawa, c'est voter contre soi-même, comme nation, et cela est vrai qu'on soit indépendantiste ou authentiquement fédéraliste. De Duplessis à Lesage à Bourassa à Lévesque à Parizeau à Landry à Charest à Couillard, tous les gouvernements québécois ont eu maille à partir avec l'appareil fédéral. Et la présence massive de députés québécois francophones au gouvernement central n'y a pas changé grand-chose…

Alors, tant qu'à avoir une quarantaine, une cinquantaine ou une soixantaine de députés qui remplissent bien tranquillement quelques fauteuils ministériels et beaucoup de sièges d'arrière-ban, tous soumis implacablement à la discipline d'un parti qui sera toujours ultimement le reflet de la majorité (anglo-canadienne), pourquoi ne pas assumer pleinement et dignement notre statut de minoritaire en se tenant debout… dans une formation qui soit bien davantage à notre image (culturelle et politique).

Entre un député trop souvent silencieux qui estampille des décisions pan-canadiennes prises par le premier ministre, le cabinet ou le grand capital qui tire ses ficelles, et celui ou celle du Bloc québécois qui dit à cette majorité canadienne «voici que nous ferions si nous avions seuls le droit de décider», le résultat sera peut-être plus souvent qu'autrement le même mais au moins les élus du Bloc auront-ils eu l'occasion de parler plus librement, dans l'honneur et la dignité. 

De toute façon, peu importe la situation, que mon député soit libéral, néo-démocrate ou bloquiste, il sera minoritaire comme Québécois et comme francophone dans ce parlement. Il (elle) pourra critiquer, vociférer, suggérer, commenter, rire, pleurer… mais pas décider. Ça, on peut le faire seulement à Québec. Mais tant que le gouvernement fédéral dépensera nos sous et prétendra parler en notre nom, nous avons le devoir de conserver à Ottawa notre droit de parole.

La question, c'est de savoir à qui nous voulons confier ce droit de parole. Quant à moi, j'ai la conviction que dix députés du Bloc québécois, libres d'intervenir selon leurs convictions, les yeux rivés sur le pays que nous espérons bâtir un jour, serviront mieux nos aspirations nationales - fédéralistes, autonomistes ou indépendantistes - que 40 élus libéraux enfermés dans une discipline ordonnée par une majorité dont les intérêts divergent très souvent des nôtres, au point parfois de s'y opposer.

Certains commentateurs ont trouvé plutôt catastrophique le résultat de 19,3% des voix et de dix circonscriptions obtenu le 19 octobre par le Bloc québécois. J'ai suivi de près les sondages quotidiens de la maison Nanos (toujours une moyenne de 3 jours), et comme Nanos était «sur le piton» le jour de l'élection, peut-être l'était-il aussi depuis le début d'août. Et une chose apparaît claire. Le score du Bloc aurait été bien pire vers la fin septembre, et au moment même où la marée libérale avalait le NPD et bloquait les conservateurs, le Bloc continuait sa (très) lente remontée…

Finalement le Bloc est allé chercher le quart des votes francophones face à des vents contraires et à une opposition médiatique quasi mur à mur. Le travail de rebâtissage et de rajeunissement entrepris par Mario Beaulieu, suivi du ralliement de Gilles Duceppe et de Pierre Karl Péladeau à l'été, commençait à donner des résultats tangibles à la mi-octobre, en dépit des nombreux oracles de malheur. Une présence efficace des dix élus du Bloc aux Communes, s'ajoutant à la poursuite de la mobilisation sur le terrain, contribuera à créer un terreau fertile pour l'élection de 2018 au Québec.

Avec 68 députés libéraux, néo-démocrates et conservateurs du Québec aux Communes, tous affirmant leur légitimité, avec raison, le Québec aura bien besoin de la dizaine bloquiste au cours des trois prochaines années…






vendredi 23 octobre 2015

Sondages, médias, élections: un débat pour la FPJQ?

Le lendemain de l'élection fédérale, le texte médiatique qui a le plus capté mon attention n'avait rien à voir avec les comptes rendus des résultats ou les commentaires des vainqueurs et vaincus. Il s'agissait d'un papier signé Louise Leduc et publié dans l'édition Web de La Presse, sous le titre Les sondages auraient stimulé le vote libéral. Les médias évoquent peu le rôle insidieux des sondages dans le processus électoral parce que ce faisant, ils risqueraient parfois de s'incriminer…

Mais voilà que se glisse dans les vagues de chiffres, de pourcentages, de déclarations et d'anecdotes ce diagnostic de Claire Durand, professeure titulaire de sociologie à l'Université de Montréal et spécialiste des sondages. Une experte qui semble être ni à la solde des médias, ni des grandes maisons qui ont déversé plus de 60 sondages sur la tête du public pendant deux mois et demi de campagne. Or, selon Mme Durand, ces sondages ont joué un rôle déterminant dans le résultat de l'élection !

«Cette élection, a-t-elle déclaré à la journaliste de La Presse, s'alignait pour être celle du vote stratégique, celle où beaucoup de Canadiens voteraient pour se débarrasser des conservateurs. À partir du moment où les libéraux se sont mis à monter (dans les sondages), ceux qui voulaient à tout prix défaire les conservateurs sont montés dans le train.» Les maisons comme Léger, Ekos, Forum Research, Ipsos Reid, etc., ainsi que les médias qui les publient, ont ainsi contribué de façon plus qu'appréciable à la vague de dernière heure qui a donné à Justin Trudeau sa majorité.

L'éthique des médias

Ainsi, une proportion importante des électeurs n'a pas voté en fonction de ses convictions, ou en fonction des enjeux de la campagne, mais stratégiquement - contre les conservateurs. Or, cela n'est possible que lorsqu'on connaît, par le biais de sondages d'opinion publique, vers quel parti soufflent les vents favorables. Et cela pose - ou devrait poser - une question fondamentale d'éthique pour les médias. En commandant ou en donnant la priorité à la publication de sondages, les organes de presse délaissent leur mandat premier de couverture de l'actualité pour créer eux-mêmes des nouvelles qui ont pour effet de faire dérailler les campagnes des partis politiques et modifier les perceptions des citoyens.

Depuis des décennies, je réclame soit l'interdiction volontaire, soit le contrôle sévère de la publication de sondages sur les intentions de vote en période électorale. En 2012, comme éditorialiste au quotidien Le Droit (http://bit.ly/1GwiLU8), je faisais le constat suivant: «Les sondages ont beau avoir comme première fonction de mesurer l'opinion, le public sera influencé par leur diffusion au sein des médias. La question se pose donc: l'attention consacrée aux sondages modifie-t-elle le cours des campagnes électorales et détourne-t-elle les électeurs des véritables enjeux?»

Trois effets des sondages

Et la réponse est oui. L'an dernier, dans Le Devoir, Patrick Préville, spécialiste en relations publiques et en mesures d'impact, évoquait une étude démontrant que jusqu'à 25% des répondants (les indécis, les «mous») pouvaient modifier leur adhésion en cours de route en fonction des résultats de sondages. Je ne sais pas ce que cela a pu donner durant la campagne fédérale qui vient de se terminer, mais c'est «si c'est 100% de 25%», comme dit la célèbre pub de Patrick Huard, ça fait pas mal de monde…

Selon M. Préville, les principaux effets de la publication de sondages durant une campagne électorale sont les suivants:

1. «En connaissant les résultats possibles d'une élection, les électeurs auraient tendance à voter "stratégique" plutôt que de voter selon leurs convictions. Ce qui est un non-sens en démocratie.»
2. la contagion: «toute tendance marquée pour un parti ou pour un autre a ainsi le pouvoir d'influencer les électeurs qui voudront faire partie du "buzz".»
3. fausse confiance et faux découragement: «bof, pas nécessaire d'aller voter, mon vote ne servira à rien; mon parti est vraiment en avance ou vraiment en retard sur les concurrents.»

Alain Garrigou, professeur de sociologie politique et directeur de l'Observatoire des sondages en France, conclut ainsi: «En devenant un instrument de plus en plus banal du choix électoral, il est fatal que les sondages interviennent de plus en plus dans le choix. Les électeurs conçoivent d'autant moins un choix de conviction qu'ils sont systématiquement conditionnés par les chiffres qui leur annoncent un ordre d'arrivée et les incitent à devenir calculateurs, c'est-à-dire à moins ajuster leur vote en fonction de leur préférence qu'en fonction de la probabilité de la victoire.»

Matière à réflexion...

N'y a-t-il pas là matière à réflexion pour l'électorat, pour tout citoyen soucieux du fonctionnement équitable des processus démocratiques? Sans sondages à tort et à travers, les libéraux auraient-ils eu une majorité? Probablement pas. Les médias doivent-ils remettre en question leur rôle? Les propriétaires d'empires médiatiques, le plus souvent associés (au fédéral) aux rouges et aux bleus, ont tout avantage à voir élus ceux dont ils peuvent tirer les ficelles. Les journalistes, eux, par contre, devraient être aux barricades pour défendre leur intégrité, celle de leurs médias, et le processus démocratique.

Mais dans les salles de rédaction, pour cette question comme pour d'autres, le silence est assourdissant. À la suite de l'élection du 19 octobre, et ce, pour éviter une récidive au scrutin québécois de 2018, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec devrait inscrire cette question au programme du congrès 2015. Le fera-t-elle? Elle a un atelier intitulé Retour sur la couverture des élections fédérales. L'occasion serait belle d'insister sur l'effet des sondages. Quand les frères Desmarais de Power/Gesca ont annoncé en mai 2014 la disparition à moyen terme des versions imprimées de six des dix quotidiens du Québec, la FPJQ n'avait pas jugé cette situation digne du moindre petit atelier au congrès de novembre 2014… Cette année, on risque cependant d'en parler pas mal plus...

Certains jours, quand le silence persiste trop, on se croirait presque dans l'univers évoqué par les films Matrix. Avant qu'il ne soit trop tard, il faudrait créer un peu partout des foyers de résistance dans ce monde où les remises en question se font décidément trop rares…


jeudi 22 octobre 2015

Poser les jalons d'une histoire orale de la francophonie d'Ottawa


Garer sa voiture sur le campus de l'Université d'Ottawa au mois d'octobre ressemble à une scène de Mission impossible… Pour arriver au minuscule terrain de stationnement que je reluque, il faut traverser une avenue piétonnière où circule une marée bidirectionnelle d'étudiants et d'étudiantes, presque sans interruption. Arrivé de peine et de misère au parc de voitures, je le découvre sans surprise plein à craquer… et dois immédiatement rebrousser chemin à travers ces vagues estudiantines en mouvement perpétuel…

La chance me sourit… Je repère un espace de stationnement miraculeusement libéré tout près, sur une rue du campus… et me dirige vers le parcomètre où je dépose 12$ (j'avais prévu le coup) pour m'assurer de ne pas écoper contravention ou, pire, sabot de Denver. Ça coûte cher mais c'est pour une bonne cause. Je prévois en effet assister ce midi (22 octobre) à une conférence de la directrice du département de géographie de l'Université, Anne Gilbert, intitulée Mémoires de la francophonie d'Ottawa.

La courte balade à pied entre la voiture et le pavillon des Arts où la conférence a lieu me permet de prendre un bain de jeunesse. Se retrouver à 69 ans au coeur de son alma mater, entouré de centaines, voire de milliers d'étudiants et d'étudiantes qui dépassent à peine ou pas la vingtaine, captant des bribes d'innombrables conversations animées, il me semble avoir le pas plus léger et l'esprit plus alerte. Et pourtant ils doivent bien s'apercevoir que je porte plus de décennies que leurs profs les plus ridés…

Peu importe, aujourd'hui, je suis comme eux. J'ai mon carnet de notes et mon stylo (ainsi que mon iPod au cas où…). Ayant jadis été Franco-Ontarien et Ottawa étant ma ville natale, le thème de la conférence m'intéresse au plus haut point et je compte bien en retirer quelques nouvelles pistes dans mon étude incessante de la francophonie de mon ex-patelin. De toute façon, avec Anne Gilbert, jusqu'à récemment directrice du Centre de recherche en civilisation canadienne-française (CRCCF) de l'Université d'Ottawa, on n'a rien à craindre. C'est toujours du solide.

Aujourd'hui, elle s'adresse à une quarantaine ou une cinquantaine de personnes dans cette petite salle de la faculté des Arts que l'on semble toujours réserver pour les causeries du CRCCF. Beaucoup de têtes familières. Des habitués. D'autres profs? Quelques invités? Peu d'étudiants ou étudiantes. Et surtout pas de médias, qui auraient avantage à venir y cueillir de bons reportages. Personne du Droit, de Radio-Canada, de TFO. Même pas de La Rotonde, le journal étudiant de langue française de l'Université…

Pourtant le drame du déclin des collectivités francophones d'Ottawa depuis les années cinquante et soixante a été fertile en manchettes. Entre l'éviction brutale des plaines Lebreton, l'agonie du quartier St-François d'Assise, le quasi-ethnocide de la Basse-Ville, coeur francophone d'Ottawa, puis la dispersion des familles canadiennes-françaises aux quatre coins de la capitale, c'est la plus importante base urbaine des Franco-Ontariens qui s'effrite. Tout ce qui permettra de mieux comprendre et d'endiguer le phénomène doit être suivi de près et communiqué le plus largement possible.

Les documents disponibles - archives publiques et privées, compte rendus médiatiques, rapports et procès-verbaux d'organisations, etc. - s'accumulent depuis longtemps et sont régulièrement épluchés. Mais il y a du neuf et c'est ce dont Mme Gilbert voulait nous entretenir. Le Chantier Ottawa du CRCCF a entrepris d'emmagasiner, au moyen d'entrevues enregistrées, une partie de l'histoire orale des Canadiens français de la capitale. Voilà un projet qui mérite certes de «faire des petits»…

Pour amorcer ce nouveau volet des recherches historiques, l'équipe a choisi «huit grands témoins» de l'époque charnière des années 1960 et 1970, une époque de bouleversements et de changements accélérés dans la situation des francophones d'Ottawa. Triées avec soin, ces personnes (Georges Bédard, Lucien Bradet, Fernan Carrière, Pierre de Blois, Rolande Faucher, Gérard Lévesque, Jacqueline Pelletier et Alain Poitier) sont vues comme «leaders, entrepreneurs et visionnaires» dans leur domaine respectif.

Les témoignages recueillis ne couvrent pas l'ensemble de la problématique, mais ils apportent un éclairage très personnel et pertinent sur des événements documentés, ainsi que perceptions permettant d'interpréter des archives qui, autrement, n'auraient peut-être d'autre saveur que celle de l'encre séché sur le papier… Combien d'enregistrements semblables aurait-on pu réaliser avec des acteurs et actrices de l'histoire locale, aujourd'hui décédés? Ce qui est sûr, c'est que la présentation d'extraits d'entrevues des huit grands témoins donne le goût d'en entendre davantage, et que cette expérience doit se poursuivre.

Mme Gilbert annonce d'ailleurs la publication d'un livre intitulé Ottawa lieu de vie française en 2017, dans lequel seront incorporés ces premiers jalons d'une histoire orale des Franco-Ontariens de la capitale canadienne. Un beau projet pour le chantier Ottawa du CRCCF… Et un bon sujet de mise à jour pour les médias...

En sortant du pavillon des Arts et me retrouvant au milieu d'une foule d'étudiants et d'étudiantes s'exprimant très majoritairement en anglais, je me suis dit que le projet du CRCCF serait encore plus percutant s'il émanait d'une université véritablement franco-ontarienne…





samedi 17 octobre 2015

Jack et le Québec avaient ouvert une belle brèche...


Le 2 mai 2011, en offrant aux troupes de Jack Layton une soixantaine de sièges, les Québécois ont entrouvert une porte jusque là fermée au Nouveau Parti démocratie: un accès fragile mais réel, après quatre ans de purgatoire comme Opposition officielle, aux clés du pouvoir à Ottawa. Pour y arriver, le parti aurait besoin d'un «sans faute» aux Communes... suivi d'un autre «sans faute» durant la campagne électorale de 2015.

Malheureusement pour le NPD, celui que les Québécois appelaient affectueusement «Jack» est décédé quelques mois plus tard. Son successeur Thomas Mulcair, malgré ses talents indéniables de bagarreur efficace dans l'arène parlementaire, avait des antécédents bariolés, ayant été ministre libéral au Québec et avocat des droits des Anglo-Québécois contre la Loi 101. Le fil idéologique et linguistique sur lequel il serait obligé de se balancer serait fort mince et instable…

De plus, le NPD se retrouvait dans la position, plutôt inhabituelle, d'un parti pancanadien dont la majorité des députés étaient québécois et/ou francophones, alors que sa clientèle traditionnelle et loyale était très majoritairement anglo-canadienne. Parler aux uns et aux autres sans se faire accuser d'un double langage serait ardu, ce dont M. Mulcair s'est d'ailleurs aperçu au cours des derniers mois.

En mai 2011, quelques semaines après l'élection fédérale, j'avais écrit en éditorial, dans le quotidien Le Droit: «Jack Layton (il est décédé en août 2011) devra convaincre le Canada anglais d'accentuer le statut déjà particulier du Québec. Il devra expliquer ce que signifie fédéralisme asymétrique. Il doit réaffirmer la Déclaration de Sherbrooke… Il doit leur faire comprendre que les Québécois ne partagent pas la vision du Canada anglais, qui voit son gouvernement "national" à Ottawa. Le gouvernement "national" des Québécois siège dans la Vieille Capitale.»

Et j'ajoutais: «S'il veut faire avaler ça au Canada anglais, il aura bien du monde à convaincre. Il doit s'atteler à la tâche tout de suite et marteler le message sans répit pendant quatre ans, sans le diluer.» Je ne suis pas sûr que M. Layton aurait relevé ce défi. Il louvoyait déjà sur le «50% + 1» à un référendum sur la souveraineté, un élément de la Déclaration de Sherbrooke. On ne saura jamais. Ses jours étaient comptés.

Ce que l'on sait, c'est que son successeur Thomas Mulcair a ressorti la Déclaration de Sherbrooke sur le tard, pendant la campagne électorale, lors des débats télévisés, quand Justin Trudeau l'a attaqué sur le principe du «50% + 1».  Entre-temps, entre 2011 et 2015, le NPD-Mulcair avait réussi à ébranler plusieurs appuis québécois francophones en s'opposant, entre autres, au projet de charte de laïcité du gouvernement Marois. Et rien n'avait été fait pendant quatre ans pour convertir le Canada anglais à l'asymétrie…

En dépit de ces errements dans les méandres des deux solitudes, le NPD avait réussi à arriver à l'aube de cette campagne électorale en tête des sondages et s'est retrouvé clairement, pour quelques semaines, favori dans la course aux intentions de vote… surtout au Québec où ses appuis frisaient le seuil des 50%! La table était mise pour la dégringolade, et je crains que Thomas Mulcair - comme tous les chefs de tous les partis - ne finisse par porter le bonnet d'âne. De fait, ses jours politiques pourraient bien être comptés…

De mon point de vue, M. Mulcair a commis deux erreurs majeures dans cette campagne qui, s'ajoutant aux négligences de quatre ans dans le dossier fédéralisme asymétrique, ont contribué à le couler. Il a sous-estimé le parti-pris des médias (et de leurs sondages), et trop orienté le NPD vers le centre de l'échiquier politique. Est-ce à cause de son passé au pouvoir comme libéral, dans cet univers où tout gravite le plus loin possible des extrêmes et où les grands médias appartenant au grand capital tirent de nombreuses ficelles, je ne sais pas mais M. Mulcair n'a pas relevé les défis qui l'attendaient comme un véritable néo-démocrate… comme un Jack Layton, comme Ed Broadbent, comme Tommy Douglas.

Les vrais néo-démocrates, ceux et celles qui sont tombés dans la marmite quand ils ou elles étaient petits, naviguent à gauche du centre, et sont habitués à être boudés, quand ça compte, par les grandes pages éditoriales du pays. Après tout le NPD c'est la gauche, ce sont les socialistes, les syndicalistes, les laissés-pour-compte, les démunis… leurs intérêts ne pas ceux que défendent - sauf exception - les propriétaires des grandes chaînes médiatiques canadiennes. 

C'est dans une campagne électorale fédérale ou provinciale qu'on peut vraiment mesurer l'indépendance des salles de rédaction, et il y a nettement place à l'amélioration. Le journaliste individuel peut toujours proclamer sur la Bible (ou autre chose…) que personne ne l'a influencé dans sa rédaction mais quand on aligne l'ensemble du fonctionnement - choix des nouvelles, tri des manchettes, confection des titres, placement dans l'ordre des priorités, contenu des éditoriaux et chroniques, sélection des photos, etc. - le produit porte invariablement l'empreinte des intérêts des actionnaires.

Thomas Mulcair avait connu la sympathie des médias durant son séjour avec les libéraux. Croyait-il vraiment, avec une opinion publique disposée à écarter neuf ans de règne conservateur obscurantiste, que les médias mettraient les options néo-démocrates et libérales sur le même pied? Au Québec, le NPD aurait été toléré comme alternative au Bloc, mais guère plus. Dès que Trudeau le jeune s'est montré moins nul qu'annoncé, les puissances médiatiques ont largué Mulcair comme le marginal qu'ils auraient voulu qu'il soit dès le départ…

Le chef néo-démocrate pensait-il vraiment qu'en louvoyant vers le centre de l'échiquier politique (un autre legs de son passé libéral?), sur le plan fiscal entre autres, que les grands médias imprimés et électroniques du pays feraient la promotion enthousiaste de son option pour le 19 octobre? M. Mulcair aurait mieux fait de se camper carrément à gauche et d'incarner un changement qui l'aurait peut-être maintenu en tête des sondages. Que je jeune Trudeau puisse être vu par des millions de Canadiens comme l'incarnation du changement à l'heure actuelle en dit long sur les manquements du NPD…

Personnellement, je n'appuie pas le NPD, ayant depuis longtemps opté comme Québécois pour le Bloc et n'ayant pas vacillé dans cet appui. Mais si j'avais habité une autre province, comme anglophone ou francophone, j'aurais souhaité que Tommy Douglas et ses héritiers aient une chance de montrer au reste du pays ce que pourrait donner une gouvernance fédérale autre que celle des vieilles cliques libérales et conservatrices soumises au grand capital.

Jack et le Québec avaient ouvert une belle brèche pour l'ensemble des Canadiens. Or, lundi, j'ai l'impression que cette fenêtre se sera transformée en mur de béton à moins d'un miracle. Si j'étais Thomas Mulcair, je prendrais ce qui reste des finances de combat pour allumer des milliers de lampions à St-Jude. Sait-on jamais…










jeudi 15 octobre 2015

Into the heartbeat of humanity...

(Pour des amis américains et anglo-canadiens rencontrés en Europe durant un récent séjour, j'avais promis de traduire en anglais ce que j'écrirais sur notre voyage en Europe centrale. Alors voilà…)

I had never set foot on German soil before now. Having read countless books and articles on the Second World War and having visited with great emotion the invasion beaches in Normandy in the fall of 2013, I was looking forward to learn more - in Germany itself - about some of the cities and regions that suffered from battles and massive bombings.

The river cruise on the Danube, Main and Rhine that I had undertaken with my wife had first brought us to Budapest (Hungary), Vienna (Austria) and Bratislava (Slovakia). All these cities still bear the scars of the 39-45 war. But contemplating the Viennese balcony from which Hitler pronounced the annexation of Austria to the Reich in 1938 is nothing compared to the shiver of horror felt as we rode across the Zeppelin Champ in Nuremberg, where the Nazis held their historic rallies.


Downtown Wertheim today

However, it was in the small town of Wertheim (pop. 11,000), just north of Bavaria, that I experienced one of these pivotal moments you hope for during this type of voyage. The municipality was left relatively unscathed by the Second World War and has lost little of its medieval charm. The day on which British bombers were set to flatten it in 1944 or 1945, a heavy fog coated the town and the planes flew to their secondary target, destroying Wurzburg, 30 km away.

My wife and I had chosen, this October 7, to join a city centre walking tour and a complimentary visit to the Jewish cemetery in Wertheim. I don't remember the name of our guide (I should have jotted it down), but she was not a historian. A simple housewife, she insisted, who had studied enough about the region and its history to enlighten tourists. I wish I had had more teachers like her at university…

Assembled in a downtown square, across the street where there had been a Jewish synagog until the 1930s', with a Jewish community nearby, we listened to her talk without reservation about the fate of German Jews and millions of other Jews from countries overrun by Hitler's armies. At the end of the war, she quipped, most of the people here said they had not been aware of the atrocities.


The same spot in 1938...

Expressing her skepticism, our guide showed us a 1938 photograph of a Nazi rally - banners with swastikas, soldiers, a crowd of people from Wertheim - on the very same spot we were standing. Her message was clear: A majority of people here and elsewhere in Germany were favorable to Hitler and his brand of antisemitism, and the German nation must bear collective responsibility for "the final solution."

But - there always seems to be a "but" somewhere - she reminded us that before the war, Hitler had not yet resolved to kill all the German Jews (there were still 200,000 of them in 1939, in Germany). He mostly wanted their possessions and their money. These Jews could have left Germany if other nations had been willing to welcome them. However, except for the United States and a few others, the doors of immigration were closed.

Canadian Prime Minister Mackenzie King, said the guide, had declared that one more Jew was one Jew too many… At least that's what I heard (she spoke to us in English). (I checked upon my return and the exact quote, concerning the immigration of Jews, is "None is too many", attributed to a high-level Canadian official and not to the Prime Minister). In substance, however, she was right…

Having accepted the legacy and the responsibility for the horrors committed by her own people, she could, in all fairness, tell visitors that they should also search their own back yards and possibly nuance their judgments accordingly.



Walking to the Jewish cemetery, a few minutes later, our guide showed us a banner hanging from an apartment balcony on which was written, in English: Refugees Welcome. She took the opportunity to mention that Germany was getting ready to accept 1.5 million Syrian and other refugees in a country of 80 million people roughly the size of the state of Montana. I got the feeling that in doing this, Germans are still atoning - in their souls - for the crimes committed by their fathers and grandfathers…


The entrance of the Jewish cemetery

At the cemetery, which is perched on a hill so steep that standing can become a challenge, the destruction of tombstones was only partial. For reasons that escape me, considering the barbaric nature of the Nazi regime, many of the tombs are unharmed. Little stones placed on them, in the Jewish tradition, suggest that people still come here to honor the dead. A place of pilgrimage for some no doubt, a place to reflect about humanity for us.

Having returned to Québec, I find myself once again surrounded by the events of this interminable federal election campaign (much shorter than ours, said many of our new American friends) and the major issues that confront our little North American French-speaking nation. I feel, however, that part of me will be forever changed by this short sojourn into territories where, from my point of view at least, the heartbeat of humanity seems to be felt with much greater intensity!


Là où le coeur de l'humanité semble battre avec plus d'intensité...

Je n'avais jamais mis les pieds en Allemagne avant ce début d'octobre 2015. Ayant beaucoup lu sur la Seconde Guerre mondiale et visité avec grande émotion les plages du débarquement en Normandie, à l'automne 2013, j'étais curieux d'en apprendre davantage, en sol allemand, au sujet de quelques-unes des villes ou localités gravement touchées par les combats ou les bombardements.

La croisière fluviale sur le Danube, la Main et le Rhin que j'avais entreprise avec mon épouse nous avait d'abord dirigés vers Budapest (Hongrie), Vienne (Autriche) et Bratislava (Slovaquie). Toutes portent des cicatrices de la guerre 39-45. Mais contempler le balcon où Hitler, au coeur de Vienne, a proclamé l'annexion de l'Autriche au Reich, ce n'est rien comparé au frisson d'horreur ressenti au «Zeppelin champ» de Nuremberg, en Allemagne, siège des plus grands déploiements nazis…

Le centre-ville de Wertheim

Et pourtant, c'est dans la petite ville de Wertheim (11 000 habitants), juste au nord de la Bavière, que s'est produit l'un de ces moments souhaités dans ce genre de voyage. Cette municipalité aux allures presque médiévales n'a pas été ravagée par la guerre. Elle conserve tout son charme ancien. Le jour où les bombardiers anglais allaient l'aplatir en 1944 ou 1945, un brouillard enveloppait la région et les avions ont détruit à la place leur objectif secondaire, la ville de Wurzburg, à 30 kilomètres de là.

Mon épouse et moi avions choisi, ce 7 octobre 2015, de suivre un guide de l'endroit pour une visite à pied du centre-ville, puis du cimetière juif de Wertheim. Je ne me souviens pas du nom de notre guide (j'aurais dû le noter), mais elle n'était pas historienne. Juste une femme au foyer, insistait-elle, qui s'était donné la peine de mieux connaître sa région et son histoire. J'aurais aimé avoir des pédagogues comme elle à l'université…

Rassemblés à un carrefour du centre-ville, tout près de l'endroit où il y avait jadis (jusqu'aux années 30) une synagogue et une communauté juive, nous l'avons écoutée évoquer sans esquive le sort réservé aux Juifs allemands et aux millions d'autres des pays conquis par les armées hitlériennes. À la fin de la guerre, disait-elle, les gens d'ici ont pour la plupart affirmé ne pas avoir été au courant des atrocités commises par le régime.

La photo du même centre-ville en 1938

Se disant très sceptique face à ce déni collectif, notre guide allemande a sorti un carnet de photos - dont une de 1938 montrant l'endroit précis où nous nous trouvions. La rue était pavoisée de croix gammées et remplie de soldats et de citoyens participant à une quelconque cérémonie nazie. Son message était clair: Hitler et son programme antisémite avaient ici, comme ailleurs en Allemagne, une majorité d'adhérents et la nation allemande doit porter une responsabilité collective pour «la solution finale».

Mais - il y a toujours un «mais», n'est-ce pas? - elle a rappelé qu'avant la guerre, Hitler ne s'était pas encore résolu à tuer les Juifs allemands (il en restait 200 000 en 1939). Il voulait surtout leurs biens et leur argent. Ils auraient pu quitter le pays à condition que d'autres nations soient prêtes à les accueillir. Or, à l'exception des États-Unis, les preneurs se sont faits rares.

Le premier ministre canadien Mackenzie King, ajouta-t-elle, avait alors déclaré qu'un Juif de plus était un Juif de trop… Ce que j'ai entendu, en anglais, c'était quelque chose comme «One Jew is one too many»… (J'ai vérifié au retour du voyage, et la citation, prononcée par un fonctionnaire canadien de haut rang, pas le premier ministre, était «None is too many»…). Enfin, sur le fond elle avait raison.

Ayant accepté l'héritage et la responsabilité des horreurs commises par les siens, elle pouvait bien se permettre de noter à ses visiteurs qu'ils doivent aussi scruter leur histoire et apporter, parfois, des nuances qui s'imposent dans leurs jugements.


En se rendant à pied au cimetière juif, quelques minutes plus tard, elle a montré une bannière accrochée à un balcon d'appartement, sur laquelle on pouvait lire (en anglais) Refugees welcome. Notre brave guide n'a pas manqué de souligner que l'Allemagne s'apprêtait à accueillir 1,5 million de ces réfugiés syriens et autres dans un territoire qui compte déjà plus de 80 millions d'habitants et qui n'est guerre plus grand que l'État américain du Montana… Dans leur âme, les Allemands expient toujours - en accueillant ces migrants - les crimes des générations précédentes…

Au cimetière, planté sur une colline à pic où l'on a peine à se tenir sans s'accrocher, la destruction n'a été que partielle. Une grande partie des tombes, pour une raison inexplicable compte tenu de la barbarie du régime nazi, sont intactes. Les petites pierres déposées sur les tombes, selon la tradition juive, semblent indiquer que des descendants viennent toujours rendre hommage aux anciens enterrés ici. Un lieu de pèlerinage pour certains, de réflexion pour nous…

L'entrée du cimetière juif de Wertheim

En revenant au Québec, je me trouve replongé dans cette campagne électorale interminable (moins longue que chez nous, m'ont dit de nombreux Américains rencontrés durant la croisière) et dans les enjeux familiers de notre petite nation nord-américaine. Mais je resterai marqué par ce court séjour dans des pays que je n'avais jamais visités, et où le coeur de l'humanité semble battre avec plus d'intensité - et depuis bien plus longtemps - qu'ici…

mercredi 14 octobre 2015

Non mais d'où sort-il?

De toute évidence, le ministre québécois des Affaires intergouvernementales canadiennes, Jean-Marc Fournier (ou celui ou celle qui écrit ses textes d'opinion), ne connaît pas grand chose à la francophonie hors-Québec. Il en a fourni la preuve dans un texte presque risible - qui porte sa signature - paru le jeudi 8 octobre dans la page «Idées» du quotidien Le Devoir, dans lequel il semble vouloir offrir sa «vision» de la francophonie canadienne (http://bit.ly/1PqNns9).

J'étais à l'extérieur du pays au moment de sa publication (je l'ai lu hier) et je ne sais pas si M. Fournier a reçu ou pas quelques taloches verbales bien méritées. Si ses propos ont suscité l'indifférence habituellement réservée aux enjeux des minorités canadiennes-françaises et acadiennes, il serait temps que quelques plumes s'aiguisent pour rétablir les faits…

Commençons par le début. Le train de M. Fournier déraille avant même de quitter la gare. Il écrit: «ils sont 2,6 millions de francophones et francophiles à l'extérieur du Québec. Ils se sont battus pour pouvoir étudier en français, travailler en français, vivre en français». Deux virgule six millions de «francophones et francophiles»? Ce chiffre provient du recensement fédéral de 2011 (plus précisément c'est 2 584 685) et il englobe tous les Canadiens hors-Québec qui disent «connaître» le français.

Cette population se divise en deux groupes, principalement: 1) ceux et celles qui ont le français comme langue maternelle (près d'un million) et 2) ceux et celles - anglophones et allophones - qui ont appris le français comme langue seconde ou tierce (environ 1,6 million). Et ajoutons que sur ce premier million ayant le français comme langue maternelle, moins de 600 000 l'utilisent comme langue principale à la maison.

Il y a au maximum, donc, un million de francophones hors-Québec. Et rien ne démontre que cette masse d'anglophones et allophones bilingues ou plurilingues (l'autre 1,6 million) soient francophiles. Par le passé, l'immense majorité d'entre eux ont été passablement silencieux quand les droits du français ont été attaqués dans leurs provinces. Ce sont les éléments les plus militants du million de Canadiens français et Acadiens qui ont dû porter le poids des luttes historiques et qui doivent poursuivre le combat actuel «pour étudier en français, travailler en français, vivre en français».

L'allusion du ministre semble par ailleurs suggérer que ces objectifs ont été en grande partie atteints, même s'il reste «encore des défis à relever»… Il n'y a pas de doute que les injustices scolaires les plus criantes du premier siècle de la Confédération ont été réparées depuis les années 1960, mais des brèches importantes n'ont pas été colmatées. Il n'y a pas d'université franco-ontarienne. Et année après année, des francophones hors-Québec font appel aux tribunaux pour obtenir justice… Quant aux possibilités de travailler en français, ou de vivre en français, j'invite M. Fournier à tenter sa chance à Ottawa, Sudbury, Moncton, Winnipeg ou Toronto… Yes sir...

Après avoir une fois de plus parlé de ce fictif «2,6 millions», qu'il qualifie par ailleurs de «force francophone», il affirme que les indépendantistes «veulent ignorer (cette force) pour promouvoir leur vision d'un Québec français séparé d'un Canada anglais». Je comprends M. Fournier de vouloir attaquer les séparatistes à chaque occasion, mais l'enjeu soulevé par le chroniqueur Michel David (http://bit.ly/1KclHSN), du Devoir, auquel il répond, n'avait rien à voir avec la souveraineté. Il évoquait la possibilité d'appliquer la Loi 101 aux organismes et entreprises de compétence fédérale (les banques, par ex.)…

Il n'était donc pas question ici de suspendre l'application au Québec de la Loi sur langues officielles, comme le laisse entendre M. Fournier. Seules les institutions fédérales (ministères, etc.) et les sociétés d'État fédérales (Radio-Canada, par ex.) sont soumises aux dispositions de cette loi et si l'on avait à s'en plaindre, ce serait plutôt qu'elle soit insuffisamment respectée. Par exemple, cette loi donne aux francophones le droit de travailler en français dans les institutions fédérales, mais en réalité…

Par la suite, le ministre va jusqu'à prétendre, faisant fi des rapports de l'Office de la langue française, des données du recensement canadien et des analyses de Statistique Canada, ainsi que du simple bon sens, que «les progrès du français au Québec sont évidents»… et que «nier qu'il se porte relativement bien au Québec est le fruit d'un aveuglement volontaire». Non mais d'où sort-il? L'assimilation à l'anglais est déjà perceptible dans des régions comme l'Outaouais et le grand Montréal, mais il y a pire. La qualité du français parlé et écrit au Québec (et hors-Québec) laisse grandement à désirer. Près de 50% de nos adultes sont des analphabètes fonctionnels… Et on se lance dans l'anglais intensif?

Que l'on salue les combats sans fin des francophones dans les provinces à majorité anglaise, soit! Que le Québec appuie leurs revendications, soit! Que leurs victoires deviennent sources de fierté, soit! Mais cela ne justifie pas - par incompréhension ou à cause de connaissances insuffisantes - de trafiquer les effectifs des collectivités francophones ou de fausser la réalité linguistique et culturelle, tant québécoise que hors-québécoise.

Le ministre Fournier a bien raison quand il conclut que les francophones des autres provinces «doivent pouvoir compter sur l'appui du Québec». Mais pas de n'importe quel Québec. D'un Québec français, d'un Québec fort, rayonnant, d'un Québec qui s'informe des «vraies affaires» en matière de langue et de culture, d'un Québec qui se comporte en véritable chef de file et non en lavette, d'un Québec qui - peu importe l'objectif final - devra être bien plus qu'une simple province pas tout à fait comme les autres. 

Ils ne sont pas 2,6 millions, M. Fournier. Loin de là. Mais qu'ils soient 600 000 ou 1 million, ils restent les avant-postes de la francophonie en terre d'Amérique. Leurs combats sont les nôtres. Leurs victoires, les nôtres. Leurs défaites, les nôtres. Mais surtout, n'oubliez pas que nos combats, nos victoires, nos défaites, sont aussi les leurs. Offrons-leur donc quelques victoires!

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Un dernier mot…

En utilisant la méthode de calcul qui donne 2,6 millions de francophones hors-Québec, on obtient 3 692 585 anglophones au Québec (anglophones plus les francophones et allophones qui connaissent l'anglais) - soit 47% de la population !