jeudi 28 avril 2016

OUI Québec en terre de mission… à Gatineau...


Hier en début de soirée (mercredi 27 avril), je jasais avec le mathématicien Charles Castonguay à l'assemblée des «OUI Québec», dans le café-bar de l'Université du Québec en Outaouais (UQO), à Gatineau. Nous discutions devant la fenêtre panoramique surplombant la rivière des Outaouais, un peu à l'ouest des chutes Chaudière, avec vue de l'immense complexe fédéral du Pré Tunney, sur l'autre rive, à Ottawa.

Je lui indiquais que nous nous trouvions en face de mon quartier natal, le secteur Saint-François d'Assise à Ottawa, ancien «village» francophone dans la capitale canadienne. Charles Castonguay, pour sa part, pointait vers les chutes pour marquer la direction de son milieu d'enfance, le quartier Saint-Jean-Baptiste d'Ottawa, aujourd'hui presque vidé de sa population canadienne-française (quoique Charles ait grandi dans une famille anglophone, s'étant francisé par la suite). 

Deux ex-Ontariens dans une assemblée d'indépendantistes. Cela peut sembler étrange, sauf si l'on est originaire de ce coin de pays. J'y ai aussi rencontré Richard Nadeau, ancien député bloquiste de Gatineau (2006-2011) aux Communes, né à... Hawkesbury, Ontario. Si on me disait que Gatineau comptait des dizaines de milliers d'ex-Franco-Ontariens, je ne serais nullement surpris…

En 1977, quand l'Association de la jeunesse franco-ontarienne (AJFO) avait organisé des retrouvailles de son ancien «cercle» de Saint-François d'Assise, la moitié des 80 participants avaient donné une adresse québécoise… Dans la dizaine d'années précédente, alors que les quartiers franco-ontariens d'Ottawa se désintégraient à vue d'oeil, des tas de francophones de la capitale avaient traversé la rivière.

Les années 60… les années 70… Des décennies de contestation, avec une lutte intensifiée pour les droits de la langue française, et pour le droit à l'autodétermination du Québec. L'étrange chimie d'une capitale fédérale trop souvent anti-francophone et la présence de noyaux canadiens-français nationalistes des deux côtés de la rivière a créé au confluent des rivières Rideau, Gatineau et Outaouais un terreau fertile pour le militantisme.

Les racines du Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN) s'enfoncent ici, depuis les sorties de Marcel Chaput à l'aube de la Révolution tranquille. Et des recherches démontreraient qu'au RIN, puis par la suite au Parti québécois, des Franco-Ontariens se sont associés dès le début à leurs compatriotes de l'Outaouais québécois. Mais c'était il y a un demi-siècle, ou presque, ou plus, et à voir l'âge moyen des personnes présentes hier soir à la rencontre des «OUI Québec», j'ai eu l'impression que cette vieille génération nationaliste était sur-représentée…

Oh il y avait bien quelques têtes à l'allure estudiantine, et un certain nombre de jeunes adultes, dont Geneviève Gendron-Nadeau, présidente de la table régionale outaouaise des OUI Québec, mais j'aurais pu imaginer la majorité des participants d'hier soir à une assemblée similaire des années 70 ou 80… Claudette Carbonneau, présidente des OUI Québec, a fait valoir qu'à l'heure de la réunion (17 h) les retraités étaient plus disponibles que les jeunes travailleurs (et c'est vrai) mais nous étions rassemblés dans le café-bar de l'UQO où circulent tous les jours des milliers d'étudiants… Ils ne sont pas venus…

Avec une participation d'entre 50 et 70 personnes à l'heure de pointe sur l'une des artères les plus congestionnées de la ville de Gatineau, j'opinerais que c'était plutôt réussi. Et il y avait là des gens de toutes les formations visées dans l'effort de convergence indépendantiste (PQ, ON et QS, entre autres). Tous, toutes semblaient animés d'un esprit de collaboration en dépit de priorités différentes, et tous, toutes, apparaissaient conscients de la gravité des échéances électorales de 2018. Mais le groupe avait le défaut de ses qualités: des convaincus prêchant à des convaincus…

Si, comme l'indiquaient mercredi soir les dirigeants de OUI Québec, Claudette Carbonneau (ancienne présidente de la CSN) et Pierre Curzi (du NMQ), l'objectif est de «monter un solide mouvement citoyen» et de faire pression sur les hiérarchies des partis et gouvernements avec une volonté citoyenne émanant de la base, c'était moins réussi. Les discours enflammés entre militants sont réconfortants mais ne convainquent personne sur la place publique…

J'aurais aimé entendre M. Curzi ou n'importe lequel des participants (y compris moi, j'imagine) s'adresser aux foules massées aux arrêts du Rapibus de Gatineau ou déambulant dans les couloirs des centres commerciaux… L'écart de langage et de culture aurait été tellement énorme qu'ils auraient eu l'impression - presque - de s'adresser à des étrangers. Et pourtant ils sont des nôtres, pourront voter en 2018 et iront probablement appuyer le NON à 75% au prochain référendum s'il y en a un…

Quand bien même les grandes formations politiques indépendantistes s'entendraient comme larrons en foire, et chanteraient «Nous vaincrons» à l'unisson sans fausse note, le problème ici est bien plus fondamental. La langue française, ciment de la nation, est en danger. À Ottawa, en face, la situation risque de devenir critique, et à Gatineau, une anglicisation sournoise fait son bonhomme de chemin dans l'indifférence générale et le silence des élus… Avant même d'essayer de convaincre l'Outaouais urbain d'appuyer un éventuel «OUI», il faudra commencer par lutter pour assurer la pérennité de la langue et de la culture françaises…

Mon épouse ayant besoin de la voiture, je me suis rendu hier à l'assemblée des OUI Québec par autobus, un assez long trajet de près d'une heure… À côté de moi en allant, un couple étudiant se bécotait, discutant entre les mots d'amour des plans pour la fin de semaine et des travaux scolaires à remettre… Tout autour de moi, des gens largement silencieux, collés à leurs petits écrans, certains avec des écouteurs… Un autre voisin, parlant à voix basse au cellulaire, une phrase en français, l'autre en anglais… Au retour, dans un autobus presque vide, une conversation à voix haute entre le chauffeur et un étudiant en ébénisterie, qui se vantait que ses plans de meubles étaient toujours «accurate»… Pas précis, «accurate»… Il l'a répété au moins 10 fois…

Je me demande comment Claudette Carbonneau ou Pierre Curzi auraient abordé ces gens… Bonjour, j'aimerais vous parler de l'indépendance du Québec… Non, pas vraiment… Et pourtant n'est-ce pas là le défi à relever, avant qu'il ne soit trop tard? Bon an mal an, il reste en Outaouais un quart de la population prêt à voter pour les partis souverainistes… Ils se manifestent dans l'isoloir aux quatre ans, mais à l'exception d'une infime minorité militante, ne chuchoteront leurs convictions qu'à ceux et celles qui les partagent, conscients de l'hostilité, voire de la haine orchestrée et entretenue par ici contre ceux et celles qui voudraient bousculer la vieille Confédération bien trop confortable…

Gatineau a beau être la quatrième ville en importance au Québec, et à 80% francophone (pour le moment), il ne faut jamais oublier que la capitale fédérale, Ottawa, à 85% anglophone et avec une population trois fois plus élevée (900 000 personnes), domine le paysage économique et culturel. Il y a cinq ponts entre les deux villes, et des dizaines (des centaines?) de milliers de personnes font la navette d'une rive à l'autre. Il est plus facile d'être indépendantiste à Chicoutimi qu'à Gatineau. J'y pensais en regardant la rive ontarienne dans le café-bar de l'UQO, mercredi soir…

Je n'ai pas de solution… Devra-t-on, comme cela se fait dans d'autres régions, reprendre le bon vieux porte-à-porte pour rejoindre le public? Je ne sais pas… On ne peut guère compter sur les grands médias. Aucun n'aidera la cause de l'indépendance du Québec. Et pourtant il y a urgence… Si la participation d'hier soir est une indication fiable, plus de la moitié des forces vives du souverainisme seront mortes et enterrées d'ici 20 ou 30 ans (dans vingt ans, si je survis, j'aurai 90 ans…).

J'aurais bien aimé voir notre fleurdelisé flotter à l'ONU avant qu'on inscrive une date de décès sur ma pierre tombale… Hier soir, j'ai trouvé l'assemblée plaisante, et rencontré des gens bien engagés. Mais je n'ai pas vu de lumière au bout du tunnel. Alors si quelqu'un a de bonnes idées, c'est l'temps!





dimanche 24 avril 2016

Tournée régionale de OUI Québec… Que se passe-t-il?


Quand, jadis, j'étais chef des nouvelles au quotidien Le Droit, je m'occupais (avec quelques collègues) des affectations des journalistes. Aussi, pour assurer les suivis aux nouvelles en évolution, j'avais pris l'habitude de découper et de souligner aux endroits appropriés les articles qui laissaient entrevoir une suite,  comme aide-mémoire…

Ainsi, quand un texte sur un épineux débat en comité municipal annonçait une décision finale au conseil à telle ou telle date, je la notais dans mon cahier d'affectation. Même procédure pour une date de comparution en cour, ou un jugement. Ou pour des assemblées ou débats majeurs ayant lieu dans la capitale, dans l'Outaouais ou l'Est ontarien. Les reporters eux-mêmes tenaient aussi des registres semblables, mais enfin, quelques têtes valent parfois mieux qu'une…

Cette vieille habitude des années 70, 80 et 90, je l'ai poursuivie par la suite, pendant mon séjour de 12 ans à l'éditorial, et même maintenant, comme blogueur à la demi-retraite… Et, je dois l'avouer, cela m'irrite quand je vois de grands médias publier des textes de ce genre - que je découpe toujours quand le sujet m'intéresse, et que je classe - pour ensuite constater, à la date du suivi annoncé, que ces mêmes médias n'ont pas donné suite à la nouvelle qu'ils avaient eux-mêmes transmise à leur public.

C'est ainsi que j'ai conservé un texte assez long (voir http://bit.ly/1Q3ixl8), publié le lundi 11 avril 2016 dans l'édition papier du Droit ainsi que dans les éditions Web de La Presse et des quotidiens de Capitales Médias. Sous la signature d'Alain Martineau, de la Presse Canadienne, l'article informait le public lecteur du lancement d'une campagne de l'organisation OUI Québec dans différentes régions de la province, en commençant par une assemblée à Rimouski, prévue le jeudi 21 avril.

Cette assemblée serait suivie par une seconde à Saguenay (le 25) et une troisième à Gatineau, le 27 avril, celle qui m'intéressait le plus parce qu'elle se tient dans mon patelin. D'autres rencontres auraient lieu au cours des mois suivants. Compte tenu de l'importance accordée par tous les médias aux divisions dans le camp souverainiste et aux efforts plus ou moins fructueux de convergence, je me suis dit que la tournée régionale de OUI Québec, une organisation crédible, serait une bonne occasion de voir si ce thème touche véritablement les gens et intéresse les médias hors-Montréal.

Alors hop, le matin du 22 avril, balayage habituel des médias sur le Web, en plus de feuilleter les deux journaux que je reçois en édition papier, Le Droit et Le Devoir. Rien que je vois, ni même dans La Presse ou Le Soleil, ce dernier couvrant davantage la région de Rimouski. Je découvre quelques textes sur la présence de OUI Québec à Rimouski, la veille, dans les pages Web de Radio-Canada et de L'Avantage, l'hebdo de Rimouski, mais rien qui ressemble à un véritable compte rendu de l'assemblée.

La nouvelle de Radio-Canada (voir http://bit.ly/1NqBh3K), mise en ligne en après-midi, le 21 avril, informe les lecteurs et auditeurs que Oui Québec crée une table régionale de son organisation pour le Bas Saint-Laurent et qu'une soixantaine de personnes sont attendues à la rencontre qui doit avoir lieu de 17 h à 19h, à l'Auberge des Gouverneurs de Rimouski. Y a-t-il eu une couverture de l'assemblée même? Peut-être, peut-être pas. Je n'ai rien trouvé…

L'hebdo L'Avantage publie essentiellement la même nouvelle, le même jour (voir http://bit.ly/1XPQnQP). Elle semble émaner d'une conférence de presse de OUI Québec et est accompagnée d'une photo montrant Claudette Charbonneau, présidente de l'organisme, flanquée de Martine Desjardins (présidente du MNQ) et Martin Boucher (président de la nouvelle table régionale de concertation). Encore là, rien sur l'assemblée ou les débats qui pourraient l'avoir animée.

Le mouvement Oui Québec a publié un communiqué de presse annonçant la création d'une table de concertation du Bas Saint-Laurent sur sa propre page Web (voir http://bit.ly/1YOL845). Mais ni sur sa page Facebook ni dans ses envois Twitter n'ai-je trouvé de renseignements sur cette assemblée à Rimouski, pourtant la toute première d'une grande tournée régionale qui se poursuit jusqu'à l'été…

Ce silence me paraît suspect. Si cette assemblée avait été un succès de foule, les organisateurs en auraient abondamment parlé sur les plates-formes accessibles y compris les médias sociaux. Je dois donc présumer que Oui Québec a été déçu de la participation. Secundo, le silence médiatique est fort décevant. Succès ou échec, cette rencontre constituait un événement important dans le contexte du débat sur la division ou la convergence des organisations souverainistes. À quoi faut-il attribuer cette absence médiatique? Aux coupes dans les rédactions ou à la négligence?

Quoiqu'il en soit, la seconde rencontre a lieu le lundi, 25 avril, à Saguenay (Chicoutimi), à 19 heures. Dans cette ville il y a un quotidien du groupe Capitales Médias, qui doit bien avoir été informé de l'assemblée de OUI Québec. Je vais donc guetter les médias, et notamment les pages du Quotidien du Saguenay, pour des comptes rendus. Si le vide médiatique persiste, je me rendrai peut-être à l'assemblée de Gatineau, le 27 avril, au café de l'Université du Québec en Outaouais, pour en apprendre davantage…

Mais déjà, je serais surpris qu'il y ait foule. D'abord, l'Outaouais a à peu près voté comme certains coins du West Island au référendum de 1995, et secundo, l'événement a lieu en pleine heure de pointe (à 17 h) à l'un des endroits où la circulation est passablement congestionnée… Seuls les plus convaincus s'aventureront sur le boulevard Alexandre-Taché à cette heure-là… Mais sait-on jamais, peut-être la salle sera-t-elle bondée… Ce serait une agréable surprise…




samedi 23 avril 2016

Les «racines»… Vraiment...

Pour justifier la poursuite du projet de construction d'un monument aux «victimes du communisme», la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, a fait cette semaine la déclaration suivante (voir http://bit.ly/1SqDnxh): 

«Pour nous, c'est important de commémorer la présence de huit millions de Canadiens qui ont des racines dans des pays qui ont eu des régimes communistes totalitaires.»


Si j'ai bien compris, on n'érige plus une statue ou un complexe architectural ou je ne sais trop quoi pour honorer ceux et celles qui ont souffert ou sont morts dans une dictature se réclamant du communisme, mais pour «commémorer» la présence - ici, aujourd'hui - de résidents canadiens qui ont des «racines» dans les pays qui ont été soumis à de tels régimes.


Des racines, ça veut dire quoi? Ça identifie des personnes qui ont vécu derrière le rideau de fer et qui ont fui vers le Canada? Ou les parents, grands-parents ou ancêtres de citoyens actuels qui, pour ces derniers, n'ont jamais connu les excès de tels régimes? Ou tout simplement des individus dont l'origine ethnique est associée à ces pays, peu importe l'époque d'émigration de l'ancêtre ou du parent? Impossible à savoir…


L'URSS a été gouvernée par un Parti communiste de 1917 à 1991. Les autres pays de l'Europe de l'Est, de la seconde moitié des années 40 à la fin des années 1980. La Chine depuis 1949, le Vietnam et la Corée du Nord ont suivi après. Cuba depuis 1960, disons… Les Ukrainiens arrivés ici avant la Révolution d'octobre de 1917 sont comptés par Mme Joly. Comme les Roumains, Tchèques, Hongrois, Polonais et autres nés depuis 1990, ou arrivés avant la fin du second conflit mondial…


Faut-il par ailleurs rappeler que ces pays devenus communistes étaient «autre chose» avant, et que ces «autre chose» étaient loin d'être des démocraties exemplaires… Le régime des tsars en Russie, lui-même totalitaire, était d'une cruauté sanglante envers la population. La Roumanie et la Hongrie, pour ne nommer que ces deux-là, avaient été alliées de l'Allemagne nazie...

Parlant de «racines»… Justement, plus de 5 millions de citoyens canadiens ont des ancêtres allemands, italiens, espagnols ou portugais, des pays qui ont vécu sous le joug du fascisme… Le Canada a été l'allié des communistes soviétiques (en dépit des crimes déjà connus de Staline) pour abattre Hitler, un monstre pire que l'ogre de l'URSS. A-t-on jamais érigé un monument aux victimes du fascisme? À ma connaissance, non…


Il y a aussi au Canada neuf millions de personnes ayant des «racines» en Irlande et en Écosse, deux pays conquis, réprimés et colonisés par la couronne anglaise. Sans compter les nombreux descendants d'immigrants victimes de l'Empire britannique (et d'autres empires dont celui de la France) en Afrique et en Asie. Or il n'y a aucun monument aux victimes du colonialisme.


Quant aux victimes de régimes associés ou se réclamant du capitalisme, sans doute les plus nombreuses au cours des deux derniers siècles (voir http://bit.ly/16RLmD7), elles ne sont honorées nulle part. Et, tant qu'à énumérer, pourquoi ne pas inclure les millions de victimes actuelles d'une autre forme de totalitarisme, l'intégrisme religieux.


Avis, donc, à Mme Joly. Si elle veut parler de «racines», la totalité des résidents et résidentes du Canada (exception faite des Autochtones) ont des ancêtres dans des pays qui ont jadis été totalitaires. La démocratie telle qu'on la connaît fait son petit bonhomme de chemin depuis à peine quelques siècles….


Mélanie Joly elle-même, si ses racines sont françaises, peut compter parmi ses ancêtres des gens qui ont souffert sous les dictatures monarchiques des Capet jusqu'au 18e siècle…

La ministre semble croire qu'à la suite d'un sondage non scientifique sur Internet où plus des deux tiers des répondants sont Ontariens, un consensus existe désormais au sujet de ce monument aux «victimes du communisme»… J'aimerais bien voir les résultats d'un sondage scientifique fait auprès d'un public qui aurait en mains toute l'information utile au dossier.

Mais qu'attend la presse écrite et électronique pour souligner l'ineptie de telles déclarations?



mardi 19 avril 2016

Fossoyeurs du français !

Quand le gouvernement de Jean Charest a dévoilé en février 2011 son programme d'anglais intensif, annonçant son intention de «bilinguiser» la sixième année de toutes les écoles françaises du Québec d'ici 2016, on entendit des applaudissements partout, y compris dans les médias francophones.

Seul le quotidien de l'Outaouais, Le Droit, dénonça ce projet avec fermeté... et traita même le gouvernement libéral, sous ma signature éditoriale, de «fossoyeur du français». Voici ce texte (http://bit.ly/23IAJOh), qui reste actuel. Je me permettrai d'en citer un passage:

«Au lieu de faire la promotion d'un français de qualité qui impose le respect, sans pour autant négliger l'anglais et les autres langues, il semble avoir baissé les bras. La langue de chez nous décline, s'incline, et sans l'avouer, Québec en prend acte. C'est décourageant de la part du seul gouvernement d'une majorité de langue française en Amérique du Nord.»

Cinq ans plus tard, grâce à l'intervention salutaire du Parti Québécois pendant l'intérim Marois, le caractère obligatoire de l'anglais intensif a été suspendu mais déjà, un élève francophone sur huit, en sixième année, y est inscrit. Dans la région de Québec, on dépasse le seuil des 60%… et ce programme suicidaire poursuit son petit bonhomme de chemin sous l'oeil bienveillant de l'équipe Couillard.

Et que fait-il pendant ce temps, notre gouvernement, pour améliorer la qualité du français, langue officielle, langue commune, coeur de notre identité comme nation distincte dans cet océan anglo-américain? Rien! Pas de stratégie, pas de plan, aucune volonté politique, zéro! Devant l'urgence d'une majorité dont la moitié des effectifs francophones restent analphabètes fonctionnels, on se croise les bras… et quand il y a un coup de pouce, c'est pour vanter les mérites du bilinguisme et de l'anglais!

Des immigrants ne s'intègrent pas? Refusent de suivre les cours de français? Trouvent plus facilement des emplois en anglais? Pas de coup de barre, pas d'intervention, on laisse faire. Les recensements montrent des taux d'anglicisation perceptibles des Québécois francophones dans le West Island, dans la couronne montréalaise et en Outaouais? Silence, indifférence, incrédulité. La Loi 101 est allègrement violée en matière d'affichage commercial un peu partout? Ce sont les policiers linguistiques de l'OLF qu'on dénoncera, plutôt que les violations… 

J'ai cherché des indications de braises encore chaudes en matière de promotion de la qualité du français, à l'école ou dans la société en général, et l'article médiatique le plus récent me semble être celui de Jocelyne Richer, de la Presse canadienne, en date du 15 décembre 2015, sous le titre Pas de stratégie pour le français à l'école (http://bit.ly/26dFe24). Je le cite:

«Conscient des lacunes observées chez les élèves à la fin du secondaire, en orthographe et en grammaire, l'ex-ministre de l'Éducation Yves Bolduc s'était engagé publiquement en décembre 2014 à adopter une stratégie destinée à renforcer l'apprentissage du français au primaire et au secondaire.»

Un an plus tard, force est de constater qu'on n'a pas donné suite à cette promesse, même si, comme le note Mme Richer, «le problème tend à s'accroître d'année en année»… Nous sommes maintenant en avril 2016, et si quelqu'un a entendu parler d'un vigoureux coup de barre en faveur du français, à l'école ou au travail, qu'on m'en informe… parce que je ne suis pas au courant…

Il n'y a qu'une conclusion possible, celle que je proposais en février 2011 en commentant le projet d'anglais intensif: le gouvernement Couillard, à l'instar de celui de Jean Charest, reste un «fossoyeur du français»! Non seulement ne prend-il pas les moyens requis pour défendre notre langue et notre culture, il contribue activement à sa perte… autant par son inaction que par son encouragement incessant du bilinguisme et de l'apprentissage de l'anglais.

Et tous, toutes, vous savez fort bien où mènera cette honte inavouée, individuelle et collective, de peiner pour s'exprimer correctement dans notre propre langue… Pas besoin de faire un dessin…

---------------------------------

«...et nous n'aurons su dire que le balbutiement gêné d'un malheureux qui ne sait nommer son mal, et qui s'en va comme un mauvais plaisant honteux de sa souffrance comme d'un mensonge…» - Paul Chamberland, L'afficheur hurle, Parti Pris, 1964



lundi 18 avril 2016

Une bombe à fragmentation...

Photo à la manifestation du 18 février à Toronto
-----------------------------------------------------
«Nous savons, grâce à des recherches et des statistiques relativement récentes (notamment celles de chercheurs tels que le professeur Raymond Mougeon), que les élèves francophones du Centre-Sud-Ouest, de Toronto en particulier, ne désirent pas étudier dans une université unilingue francophone, préférant une institution bilingue, et pourtant, plusieurs insistent toujours pour que Toronto accueille (une future université franco-ontarienne).

«Nous savons que le bilinguisme n'est ni perçu ni vécu de la même façon à Toronto qu'il ne l'est dans les régions où la concentration de francophones est plus forte. Le bilinguisme à Toronto n'est pas simplement une question instrumentale, mais bien d'identité. La majorité des jeunes Franco-Ontariens de la région du Centre-Sud-Ouest s'identifient principalement comme bilingues.»
-------------------------------------------------------

C'est une véritable bombe à fragmentation que Donald Ipperciel, principal du Collège universitaire bilingue Glendon, à Toronto, vient de lancer dans le débat jusque là assez paisible sur le projet d'université franco-ontarienne. 


Le recteur Allan Rock, de l'Université d'Ottawa, n'y était pas allé avec le dos de la cuillère en octobre 2014 quand il avait affirmé péremptoirement que l'université franco-ontarienne existait déjà (l'Université d'Ottawa en étant l'incarnation…), mais son collègue de Glendon va bien plus loin!

Dans son texte à #OnFr, la tribune d'actualité du Groupe Média TFO (voir http://bit.ly/20O2boq), Donald Ipperciel attaque sur trois fronts l'évolution actuelle du projet d'université de langue française, mis en branle dans sa mouture la plus récente par le Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO) auquel se sont associés la FESFO (élèves du secondaire franco-ontarien) et l'AFO (Assemblée de la Francophonie de l'Ontario):

1) Il s'oppose à Toronto comme site d'un éventuel premier campus de cette université, un choix qui semblait pourtant rallier le gouvernement Wynne et les organismes de l'Ontario français.

2) Il affirme que les élèves franco-ontariens du Centre-Sud-Ouest ne veulent pas d'une université de langue française, s'appuyant sur des études inédites du chercheur Raymond Mougeon qu'il faudra mettre vite dans le domaine public…

3) Et le coup de grâce… il ajoute que la majorité des étudiants franco-ontariens du Centre-Sud-Ouest de la province ne se considèrent plus francophones... mais bilingues. C'est l'identité culturelle même de cette jeunesse qu'il met en cause!

On pouvait certes d'en prendre à l'arrogance du recteur Allan Rock, soi-disant francophile, dans sa proclamation de l'Université d'Ottawa comme vaisseau amiral de l'universitaire franco-ontarien, mais au moins cette institution s'est-elle donnée comme vocation partielle d'offrir un cheminement académique unilingue français dans l'immense majorité des disciplines.

Elle ne s'intéresse pas d'abord à une clientèle qui, au niveau identitaire, titube sur la frontière culturelle en attendant, presque invariablement, dans la génération suivante, de devenir unilingue anglaise. Mais ce que dit M. Ipperciel, de sa clientèle torontoise et du sud-ouest ontarien, c'est que l'environnement anglophone a asséné un coup mortel aux espoirs francophones et qu'en attendant l'assimilation totale, le mieux qu'on puisse espérer pour attirer ces jeunes francos-anglos, c'est un milieu universitaire bilingue où l'on met en place des éléments de construction identitaire…

Évidemment, par le ton, le message de M. Ipperciel ressemble beaucoup à celui que les autorités relancent régulièrement aux générations montantes quand, croyant avoir décelé une injustice à corriger, ces dernières agitent de nobles idéaux. Les jeunes, leur dit-on, vos rêves sont très beaux mais nos manières d'agir se forgent depuis des générations, elles ont fait leurs preuves et surtout, elles s'appuient sur des données solides et récentes qu'apparemment, vous ne possédez pas!

Eh bien, ces données, attribuées à un chercheur crédible, Raymond Mougeon, qui a «entrepris de vastes enquêtes sur les communautés francophones de l'Ontario» (voir http://bit.ly/1WB3siz), doivent être mises sur la table sans délai, pour être examinées par d'autres que ceux qui s'en servent pour opposer le projet d'université franco-ontarienne. Les RÉFO, FESFO et AFO doivent les exiger, compte tenu de l'utilisation qu'on vient de faire de ces travaux de recherche.

Le RÉFO et ses alliés ont accompli le quasi impossible depuis quatre ans avec les moyens du bord. Ils sont démunis face aux puissantes bureaucraties gouvernementales et universitaires. L'Université d'Ottawa à elle seule administre un budget de près d'un milliard de dollars par année. Le rouleau compresseur est en marche, même si quelques profs ont commencé à élever la voix et à lancer des défis aux recteurs des universités bilingues…

Ottawa et Glendon ont sorti leurs griffes… Les étudiants franco-ontariens et leurs alliés de tous âges doivent rester à l'offensive et exiger que toutes les parties jouent cartes sur table. Et surtout, ne jamais oublier que la justice n'a rien à voir avec le soi-disant «réalisme» d'un projet. Le pragmatisme ne doit pas servir à défendre l'injustifiable.









vendredi 15 avril 2016

Deux poids, deux mesures ???

N'étant pas juriste, on me demandera sans doute de quoi je me mêle… Mais il me semble que la Cour suprême, avec sa décision sur les Métis (dont je veux bien me réjouir avec ces derniers)… il me semble, dis-je, que cette Cour suprême nage en plein «deux poids, deux mesures» quand on compare son jugement avec celui rendu en novembre 2015 dans la cause Caron-Boutet.

Voilà comment je vois les choses, simplement. Trop simplement sans doute mais quand même… Les neuf suprêmes ont devant eux deux collectivités (peu importe le nombre de plaignants) qui se disent victimes d'injustices remontant presque à la naissance de la Confédération: les francophones de l'Ouest (notamment ceux de l'Alberta et de la Saskatchewan) et les Métis (associés historiquement davantage à l'Ouest mais répartis partout au pays).

Ces deux groupes sont rendus devant la Cour suprême parce que les lois manquent de clarté au sujet des droits qu'ils invoquent. Alors ils s'en remettent à de vieilles ententes, pré-Confédération même, à un ensemble de traditions et coutumes, ainsi qu'à certaines pratiques gouvernementales et administratives pour appuyer leurs revendications. Et il n'y a pas de doute que s'ils gagnent leurs causes, dans un cas comme dans l'autre, les conséquences seront majeures.

Une victoire des plaignants Caron et Boutet, qui contestent des contraventions en anglais seulement, pourrait remettre en question le statut unilingue de deux provinces. Une victoire des Métis assurant leur reconnaissance comme Indiens à part entière ajouterait d'importantes responsabilités juridiques et financières au gouvernement canadien sur l'ensemble de son territoire. Sans aucun doute, la Cour devait rendre, en novembre comme en avril 2016, des décisions aussi politiques que judiciaires.

Et voilà où se pose la question. Pour réparer une série d'injustices historiques, et pour favoriser une réconciliation voulue par le Parlement avec les peuples autochtones, la Cour interprète les traditions et pratiques généreusement et se trouve à élargir le sens des lois existantes en faveur des Métis. Comment se fait-il alors que quelques mois auparavant, devant un argumentaire tout au moins aussi solide de traditions et d'injustices en matière de droits linguistiques, elle ait refusé aux Franco-Albertains et Fransaskois le même quota de générosité?

Tant par la substance de la décision Caron-Boutet que par le fait que deux des neuf juges étaient incapables de comprendre les plaignants dans leur langue maternelle (le français), les francophones ont été traités comme des citoyens de second ordre. J'aimerais bien entendre ce qu'en pensent les avocats et avocates qui se butent à une cour suprême de plus en plus hostile, depuis quelques années, quand vient le temps d'affirmer les revendications juridiques de minorités de langue française…

Qu'en pensez-vous?



mercredi 13 avril 2016

Un monument aux victimes de tous les «ismes»?

J'aurais cru que le gouvernement Trudeau aurait pris grand plaisir à retirer tous les signes les plus voyants des sombres années Harper. Bien sûr on a rétabli le questionnaire long obligatoire du recensement 2016, remis à leur places les tableaux d'Alfred Pellan aux Affaires extérieures et supprimé le symbolisme militaire à Bal de neige (le festival d'hiver d'Ottawa), mais le ménage n'est pas complet.

Je ne sais pas si la nouvelle administration a conservé les photos de la reine d'Angleterre dans les ambassades et consulats du Canada, ou si les autorités ont l'intention de rétablir les anciennes appellations des forces armées. J'imagine que oui… Il reste cependant un projet (au moins) de l'ère Harper que l'équipe de Justin Trudeau semble vouloir mener à terme - le monument aux victimes du communisme, à Ottawa. Oh, on en changera probablement l'appellation et le descriptif, mais le fond du message demeurera le même: identifier le «communisme» comme une composante de l'axe du mal…

Les dirigeants actuels à Ottawa sont conscients que cela est largement faux, et ils savent pourquoi… Ils ont à leur service une armée d'experts - historiens, linguistes, interprètes, politicologues, sociologues, etc. - qui peuvent expliquer les différences de fond entre l'idéal du communisme et les gouvernements des États qui ont utilisé cet idéal pour le transformer et justifier des régimes autoritaires et meurtriers. J'ai déjà évoqué le fond de cette problématique dans un texte de blogue l'an dernier: http://bit.ly/16RLmD7.

On pourrait utiliser les mêmes raccourcis éthiques et moraux pour justifier un monument encore plus imposant aux victimes du capitalisme. Mais nos deux grands partis fédéraux étant les représentants du grand capital, ils n'ont aucun intérêt à le faire. Des partis légitimes d'ici y compris le NPD, et aux États-Unis le vieux Bernie Sanders, ont rendu le mot «socialisme» relativement inoffensif, mais la présence dans l'histoire d'ogres comme Staline, ainsi que les régimes qu'il asservissait, ou de Pol Pot, ou d'un fou comme Kim Jong-un, qui se réclament (faussement) du communisme, fait que le communisme-bashing reste vendable en 2016… 

Pourtant, il ne subsiste plus qu'une poignée de régimes s'affirmant plus ou moins communistes sur la planète - Chine, Viet-Nam, Corée du Nord, Cuba, et quelques autres - pendant que les tenants d'un capitalisme débridé, déréglementé et cupide à l'excès continuent d'étendre leurs tentacules sur la planète et d'accumuler par millions de nouvelles victimes à tous les ans.

Stephen Harper et son entourage épeurant ont tout fait pendant neuf ans pour tirer le pays à droite et en arrière vers des valeurs rétrogrades et antidémocratiques. Leur insistance sur les exploits militaires, leur promotion outrancière de la monarchie, leur manque total de respect pour les institutions parlementaires,  leur poussée de privatisations de services gouvernementaux, et leur asservissement de la fonction publique au secteur privé, tout cela faisait partie d'une offensive calculée et intégrée. Le monument aux victimes du communisme émane de la même stratégie globale.

Ce monument, tel que conçu, constitue un affront à l'histoire et à la vérité. Que le gouvernement actuel veuille le réaliser, même avec des modifications, nous dit à quel point il est capable de servir les mêmes intérêts idéologiques que le précédent. Patrimoine canadien a réalisé un sondage en février 2016 sur ce projet, dont nous n'avons pas les résultats. Il devait annoncer un projet modifié au début du printemps. Ce délai est à peu près dépassé. On saura sans doute très bientôt à quoi s'en tenir. Voir http://bit.ly/20zsqis.

Une chose est sûre. Ce monument a essentiellement une valeur symbolique, mais les symboles ont une grande importance dans toute société. Les monuments qu'on érige témoignent aussi des valeurs que l'État épouse et défend...

Allez proposer au gouvernement Trudeau d'ériger une statue aux victimes de l'islamisme, et voyez sa réaction. On vous chassera en agitant des colliers de gousses d'ail et en vous accusant de souffler sur les braises de l'intolérance. Apparemment, pour l'islamisme, nos vaillants dirigeants savent distinguer entre la philosophie et les extrémistes qui s'en servent pour tuer des gens et brimer les libertés. Puissent-ils se servir un jour de cette même qualité de jugement pour faire les distinctions qui s'imposent entre le communisme comme doctrine et les dictateurs qui l'ont détournée à des fins parfois monstrueuses.









mardi 12 avril 2016

Léo Dorais… plus qu'un avis de décès?


Quand on est à quelques mois de ses 70 ans, il y a une page du journal quotidien qu'on regarde toujours attentivement: les avis de décès. Surtout les mercredis et samedis, où une véritable hécatombe nous attend dans cinq, six ou plus pages de nécrologie… On ne sait jamais quand on y verra le visage d'une connaissance, d'un ami, voire d'un parent éloigné que le tamtam familial (téléphone, courriel, Facebook) n'aura pas transporté jusqu'à nous…

Jadis, à l'époque où j'ai débuté dans ce métier (fin années 60), les chefs des nouvelles épluchaient les avis de décès - auxquels ils avaient accès avant publication - pour voir s'il n'y avait pas dans le lot des individus ayant suffisamment marqué l'actualité pour justifier un texte de la rédaction dans les pages de nouvelles, s'ajoutant à la nécrologie. Je ne sais pas s'ils (elles) font toujours ça en 2016, mais il arrive à l'occasion qu'une personne ayant défrayé les manchettes des journaux et de la télé à une époque révolue décède dans un relatif anonymat, sa vie se résumant alors (médiatiquement) à quelques paragraphes biographiques et familiaux suivis de l'annonce d'un service funéraire.


Ce fut le cas ce matin (12 avril), quand j'ai vu le nom et la photo de Léo Dorais dans la section nécrologique de mon quotidien régional, Le Droit. Il avait terminé sa carrière professionnelle et ses années de retraite en Ontario mais les souvenirs que je conservais de lui remontaient à mes premières journées de journalisme alors qu'il menait la barque mouvementée de l'UQAM (Université du Québec à Montréal). Il en fut d'ailleurs le recteur-fondateur.



La revue Point de mire lui avait consacré sa page couverture et un interview de fond en septembre 1970, quelques semaines avant la crise d'octobre, sous le titre Un recteur dans la tourmente universitaire. Plus tard, il évolua à l'ACDI, et fut, comme secrétaire général des Musées nationaux du Canada, l'un des concepteurs du Musée canadien de la photographie, du Musée des civilisations (devenu Musée de l'histoire sous Harper) et du Musée des Beaux-Arts à Ottawa. Il fut aussi professeur à l'Université d'Ottawa, et bien plus.

Il est décédé le 8 avril… et son avis de décès est paru ce mardi matin, 12 avril, sous une photo embrouillée (comme elles le sont souvent dans ces avis…). En mi-matinée, je n'avais pas vu de texte dans les pages de nouvelles du Droit, et une recherche Web n'a rien donné pour La Presse, Le Devoir et le Journal de Montréal… Radio-Canada et TVA non plus… Même le site Web de l'UQAM n'en fait pas mention… L'essentiel de sa carrière s'étant déroulée avant l'ère Internet, sa présence Web est négligeable, mais quand même…

Peut-être verra-t-on plus tard aujourd'hui (mardi 12 avril) ou demain, des courts rappels de sa présence et de son oeuvre à des périodes troubles de la vie universitaire montréalaise, et de son rôle comme l'un des architectes de grands musées fédéraux dans la région de la capitale canadienne.

Plusieurs de ceux et celles qui ont marqué leur milieu avant l'arrivée du Web dans les années 1990 (Léo Dorais était né en 1929) sont-ils condamnés, trop souvent, à l'oubli? Peut-être. En tout cas, si aucun média ne souligne le passage de M. Dorais sur cette terre au moment où il la quitte, il restera sur Internet ce petit texte de blogue et les avis de décès. C'est mieux que rien…

-----------

* Ce texte de blogue a été publié le matin du mardi 12 avril.

* L'après-midi du 12 avril, l'UQAM a mis une nouvelle en ligne. http://bit.ly/22sMwdz

* Le jeudi 14 avril, la Fondation pour l'avancement du théâtre francophone au Canada publié un texte. http://bit.ly/1TajCwj

* Le soir du vendredi 15 avril, Le Devoir a publié un texte complet. http://bit.ly/1SkDcJe





samedi 9 avril 2016

Awignahan !!!

Image de la page Facebook des Cowboys fringants

Voir les Cowboys fringants en spectacle à l'aube de ses 70 ans, c'est spécial!

Ce jeudi soir, 7 avril 2016, je me suis retrouvé avec 800 autres spectateurs de tous âges - même des enfants - à la Maison de la culture de Gatineau, criant et applaudissant, debout du début à la fin…

J'étais certainement l'un des plus vieux et ayant été journaliste une bonne partie de ma vie, mon sens de l'observation finit toujours par prendre le dessus. Ce qui ne m'empêche pas d'être fan inconditionnel…

Le plus frappant fut de voir comment ces gens tranquilles et ordonnés - jeunes et moins jeunes - se sont transformés, dès le premier accord de guitare, en foule déchaînée, hurlant et chantant avec les Cowboys des chansons et des airs que la moitié de la salle connaissait par coeur...

Plus personne n'était assis. Ceux et celles qui le pouvaient se sont massés contre la scène. Jusqu'au dernier rappel, l'auditoire et les musiciens-interprètes ne feront plus qu'un! La foule fredonne et chante à tue-tête avec le groupe, tape des mains, sautille, danse, répond au moindre voeu de la scène où s'époumonent Karl, Marie-Annick, Jean-François, Jérôme et le reste de la troupe…

L'espace d'une soirée, 800 personnes font ce qu'elles n'oseraient jamais, ailleurs. Entonnent des airs de rébellion, poings levés, crient leur colère contre les exploiteurs, les pollueurs, les politiciens corrompus, mettent le Québec en berne, dénoncent «le français au pilori» dans «Montréal City». Le tout à des rythmes infernaux qu'accentuent deux batteries et une basse débridée!

«Comment chanter ce qu'on ne sait pas dire?», demandait Louise Forestier en 1973 dans son percutant hymne Pourquoi chanter? Les Cowboys ont apparemment trouvé la réponse à cette question. Le temps d'un spectacle, nos bardes nationaux libèrent la parole réfoulée et les émotions enfouies. On chante ce qu'on n'osera jamais dire demain, et surtout ce qu'on n'osera jamais faire…

Les Cowboys perpétuent ainsi une très vieille tradition. Réprimés par les Anglais, asservis par une Église où tout était péché, nous avons malgré tout, à travers l'histoire, conservé nos chansons, parfois grivoises, et défié les curés avec nos violons, le tapage de pieds et la danse. La musique a été et reste le miroir de notre âme, bien plus que les bulletins qu'on dépose dans les urnes aux quatre ans…

Depuis près d'une vingtaine d'années, les Cowboys fringants jouent, crient et chantent ce que «nous» sommes. Cette originalité, cette unicité, cette lumière intense que notre petite nation projette parfois dans la nuit de l'univers. L'affirmation musicale que ce «nous», trop souvent attaqué par un multiculturalisme assassin, reste un élément précieux voire essentiel de la diversité planétaire.

Dans cette deuxième rangée de la salle Odyssée, tout près du groupe, en voyant Marie-Annick, Karl et les autres dégainer chanson sur chanson, en entendant le violon, l'accordéon et les guitares, en m'épuisant rien qu'à les voir danser et courir sur la scène, j'ai compris que ma réaction était viscérale. Que cette musique est au fond de nous, qu'elle garde notre âme en vie, qu'elle est au coeur de cette «mère-chanson» de Fred Pellerin, et qu'elle bloque la voie à l'oubli… Nous ne sommes peut-être pas que des Étoiles filantes...

«Quand un peuple perd la mémoire, c'est son âme qui crie famine», chantent les Cowboys dans Louis Hébert, de leur plus récent album, Octobre. Jeudi soir, j'ai nourri mon âme.

Merci les Cowboys. Et en attendant ce jour où, dans un monde de justice et de fraternité, on pourra se serrer doucement les uns contre les autres en chantant Tant qu'on aura de l'amour, je continuerai de me régaler de vos plus belles et rebelles chansons.

Et mon slogan sera désormais un mot simple, bien à nous, que je trouve irrévérencieux, un défi de fermeté et de bonne humeur que vous, les Cowboys, avez repris à la mode du jour:

AWIGNAHAN!*

------------
Voir, pour l'origine d'Awignahan http://bit.ly/1Q0jBGF

Et la chanson des Cowboys fringants http://bit.ly/22k1Wkb


jeudi 7 avril 2016

«La 50, y'a rien qui Labatt»… On ne parlait pas de l'autoroute...


Le 8 avril 1970, je n'avais que 23 ans et, à titre de courriériste parlementaire au quotidien Le Droit, j'étais affecté à la couverture de la campagne en vue des élections québécoises du 29 avril. Cette journée-là, le premier ministre sortant, Jean-Jacques Bertrand, de l'Union nationale, avait annoncé la construction des premiers tronçons d'une nouvelle autoroute: la 50!

«Montréal a eu son tour, Québec a eu son tour. Il est maintenant temps que Hull et la région de l'Outaouais aient leur tour», avait-il déclaré. Avant le milieu des années 70, promettait-on, une vingtaine de kilomètres d'autoroute traverseraient quatre villes de l'époque (Gatineau, Pointe-Gatineau, Hull et Aylmer). Viendrait par la suite l'engagement de prolonger ce tronçon vers l'est jusqu'à Berthierville (à la 40) et vers l'ouest jusqu'à la ville ontarienne de Pembroke, aux limites du Pontiac.

Ce qui s'est passé entre avril 1970 et le parachèvement de ce qu'on appelle généreusement l'«autoroute» 50, en l'an 2012 (j'avais désormais 66 ans!) pourrait faire l'objet d'un roman tragicomique, à l'image du sort que Québec réserve habituellement à une population outaouaise fidèle (aux libéraux) et docile… Aucune autre autoroute québécoise n'a été construite de façon aussi bizarre pendant 42 ans, et aucune ne lui ressemble. Pas surprenant qu'on ait de la difficulté à lui trouver un nom approprié…

La partie urbaine de l'autoroute qui vire au sud et mène au centre-ville de Gatineau ainsi qu'au pont Macdonald-Cartier (vers Ottawa) s'appelait au début la «550». La vraie 50 devait rester au nord du périmètre urbain, d'est en ouest, et traverser le parc de la Gatineau vers le Pontiac. Cette partie de l'autoroute n'a jamais été construite… Si vous roulez sur la 148 à l'ouest de Gatineau, dans la municipalité de Pontiac, vous verrez la route s'élargir à quatre voies séparées sur quelques kilomètres… pour aucune raison. On a enlevé les affiches «50» , il y a une vingtaine d'années peut-être…

Les résidents de longue date vous parleront du viaduc au centre-ville de Hull (traversant l'autoroute 5) qui ne menait nulle part, et du merveilleux pont à quatre voies sur la rivière du Lièvre, à Masson-Angers, accessible pendant des années par… hélicoptère seulement. Ou du bout orphelin de la 50 au sud de Lachute. Combien d'années? Plusieurs… Et quand on a finalement relié les cases remplies pendant deux ou trois décennies, on l'a fait parcimonieusement, avec une route à deux voies, émaillée d'aires de dépassement.

Le résultat? En empruntant la 50 vers l'ouest à Mirabel, à la jonction de l'autoroute des Laurentides (la 15), une vraie celle-là, on fonce sur un tronçon à quatre voies jusqu'à l'éléphant blanc de Mirabel, avec son hôtel désert, son aéroport désert et ses quelques avions de fret aérien. Après c'est deux voies jusqu'aux quatre voies du contournement de Lachute, puis deux voies de nouveau avec zones de dépassement occasionnelles jusqu'à la ville de Gatineau. Et n'oubliez pas: il n'y a qu'un seul secteur de restauration, à Lachute. Entre Lachute et Gatineau, rien que des paysages…

L'autoroute 50, au-delà de l'absence à peu près totale de stations d'essence, de restos et d'aires de repos, a tous les défauts de sa construction en slalom - de deux à quatre à deux à trois à deux à quatre voies, et ainsi de suite. Vous voulez rouler à 100? Bonne chance! Vous pourriez devoir suivre un lambin à 80 ou 90 sans possibilité de dépasser ou, plus souvent, vous retrouver avec un casse-cou qui voudrait bien propulser son bolide à 130 ou 140 et qui vous grimpe presque sur le pare-choc arrière en attendant la prochaine voie de dépassement.

Parfois, aucun panneau n'indique l'élargissement de l'autoroute, ou son rétrécissement après un bout à trois voies. On voit ça et là, comme partout, des affiches indiquant la présence de cerfs (orignaux je ne suis pas sûr) mais aucun avertissement du danger des troupeaux de dindons, parfois nombreux et toujours menaçants. Heureusement ces bestioles peuvent voler sur de courtes distances et ainsi éviter votre pare-brise de peu… Des croix plantées au bord du chemin marquent l'emplacement d'accidents mortels survenus sur la 50… Plus qu'ailleurs? Je ne sais pas…

Mon GPS de voiture, qui ne reconnaît pas les nouveaux tronçons de l'autoroute, appelle la 50 «Maurice-Richard» mais il se trompe (de fait il se trompe souvent, j'ai un GPS pourri…). On cherche toujours un nom à cette «route-autoroute»… Il me semble que Maurice Richard mérite mieux… Un joueur célèbre de hockey a grandi dans une ville que traverse la 50… Guy Lafleur, à Thurso, mais lui aussi mérite décidément mieux que ça…

Le nom «Louis-Joseph Papineau» irait comme un gant à la 50, surtout que l'autoroute traverse la Petite-Nation où l'ancien chef patriote est enterré, sur le territoire de son ancienne seigneurie. On dira sans doute que lui aussi aurait droit à une véritable autoroute à quatre voies, mais en attendant que cela se réalise un jour, d'ici l'an 2100 ou après, inscrire le nom de Louis-Joseph Papineau sur les cartes routières du Québec a tout de même du mérite.

Et si jamais un jour on a à Québec un gouvernement avec un peu de vision, ou des députés qui voient un peu plus loin que leur réélection, on pourrait rappeler que cette autoroute devait aboutir à la 40 et servir de lien entre la capitale, la métropole et la quatrième région urbaine du Québec, Gatineau, avec près de 300 000 habitants. Mieux encore, en la prolongeant vers le nord-ouest et en complétant la 148 vers l'Abitibi-Témiscamingue (il ne manque que 150 km), la 50 pourrait devenir un axe Abitibi-Outaouais-Montréal-Québec au lieu d'un cul-de-sac aboutissant aux ponts vers l'Ontario…

«Montréal a eu son tour, Québec a eu son tour»… C'était en 1970… L'Outaouais attend toujours…



mercredi 6 avril 2016

Promouvoir le français? Quelle erreur...

Vous savez, tous ces efforts consentis depuis quelques centaines d'années pour protéger la langue et la culture française et, plus récemment avec la Loi 101, pour en faire la langue commune du Québec, y compris la langue de travail? Eh bien, à croire les propagandistes du programme Charest-Couillard d'anglais intensif en 6e année du primaire, nous nous sommes royalement trompés. C'est l'anglais qu'il fallait promouvoir…

Le mois dernier, le quotidien Le Soleil a publié un texte (http://bit.ly/1XgIuDL) faisant le point sur le projet de bilinguisation des sixièmes années dans les écoles françaises du Québec, lancé en février 2011 et visant à joindre 100% des élèves francophones en 2015-2016. Le problème pour les tenants de l'anglais intensif, c'est qu'il y a eu l'intermède Marois de septembre 2012 à avril 2014, et que la ministre Marie Malavoy a rendu le programme facultatif. Méchants péquistes, c'est toujours de leur faute…

Le résultat, c'est qu'au printemps 2016, seulement 13% des écoliers de 6e année (des écoles françaises, n'oubliez pas, on n'a rien imposé de semblable aux Anglos…) peuvent goûter aux délices d'une immersion totale en anglais pendant cinq mois, soit la moitié de l'année scolaire. Seuls les gens de Québec et de Lévis font leur part, semble-t-il: dans leur coin environ 60% des élèves de 6e année se bilinguisent à vive allure! C'est 72% à Lévis! Les champions!

Dans ces régions où, à l'exception des touristes, l'anglais est quasi inexistant, c'est la ruée vers la langue de Shakespeare, et le bonheur total à croire les enseignants! En plongeant pendant une demi-année dans la langue et la culture des conquérants et de l'impérium anglo-américain, les élèves ont non seulement étudié en anglais, ils ont amélioré leurs notes en français, en mathématique, et l'anglais intensif a augmenté l'estime de soi des élèves en difficulté d'apprentissage! Alléluia! Alléluia!

Le message est clair. Qu'attend-on pour imposer ce paradis d'anglicisation à l'ensemble du Québec, à cette racaille unilingue française ou «barlingue» à la française qui, de toute façon, compte environ 50% d'analphabètes fonctionnels? Ils seraient bien plus heureux de devenir analphabètes dans deux langues, plutôt qu'une seule, en attendant de faire comme un nombre croissant de Montréalais, de Pontissois et de Canadiens français et Acadiens hors-Québec… s'assimiler pour de bon à la majorité anglophone…

De toute évidence, l'anglais intensif fait la joie de ceux qui tombent dans cette marmite. Personne «ne reviendrait en arrière», déclare-t-on… Pourquoi gaspillerait-on alors de précieuses ressources pédagogiques à enseigner un français de qualité à la jeune génération, un français de qualité qu'ils pourraient ensuite imposer dans la société, le commerce et le travail? Quelle idée stupide René Lévesque avait-il eu au début des années 1960, de croire qu'on pourrait construire des barrages en français?

Au fond, Lord Durham avait raison en 1839. C'était nous rendre service, nous assimiler à la langue des maîtres. Combien de conflits auraient été évités s'il n'y avait pas eu d'écoles françaises en Ontario, dans l'Ouest, en Acadie? La majorité anglaise n'aurait pas eu à adopter des lois pour les bannir. Personne n'aurait été persécuté. Tous ces dédoublements linguistiques auraient été inutiles. Comme l'écrivait Omer Latour* au sujet de ses concitoyens franco-ontariens à Cornwall, «l'assimilation totale apporte enfin le repos et la paix»

Jean Charest et Philippe Couillard s'en sont rendus compte. Ils sont right fiers de ce début d'anglicisation de nos écoles. On dirait qu'ils ont compris que les découvertes majeures de nos scientifiques ne franchiraient jamais les frontières des Appalaches et de l'Outaouais à moins d'être rédigées en anglais… Que nos sportifs ne pourraient jamais battre de records mondiaux sans pouvoir accorder d'interviews dans la langue de Genie Bouchard… Que nos artistes et auteurs seraient bien plus heureux et appréciés s'ils s'adressaient à la planète dans la lingua franca… Que les partisans du français langue de travail à Montréal ne sont que des xénophobes...

Quel malheur que seules quelques-unes des régions les plus unilingues françaises du Québec semblent avoir assimilé les vertus de l'anglais intensif… Comment expliquer ce refus généralisé de l'anglais intensif dans la région de Montréal et dans l'Outaouais, où la proximité de l'Ontario et les assauts quotidiens d'un anglais omniprésent semblent aller de pair avec le projet d'anglicisation Charest-Couillard? Le français y boîte déjà, et des 6e années à demi anglaises pourraient contribuer à l'achever à long terme, et ainsi assurer un avenir sans conflit linguistique.

Hé, avec des meilleures notes, une satisfaction générale, une estime de soi renforcée et le bonheur de s'exprimer en anglais, qu'est-ce qu'on attend pour étendre l'anglais intensif à l'ensemble de l'élémentaire, et au secondaire? C'est compliqué et audacieux à court terme, mais ce serait temporaire. En quelques générations, on pourrait revenir à l'unilinguisme… anglais cependant… 

Comme disait Claude Péloquin il y a 45 ans: «Vous êtes pas écoeurés de mourir...»? Finissons-en...

-----------------------
* Omer Latour, Bande de caves, Les Éditions de l'Université d'Ottawa, 1981.
------------------------

Note du rédacteur: pour la nième fois, je ne suis pas contre le bilinguisme. Apprendre une seconde, une troisième langue par choix constitue un enrichissement. Ce à quoi je m'oppose c'est au bilinguisme collectif imposé qui mène à l'anglicisation, qui ne constitue qu'une étape plus ou moins longue vers un nouvel unilinguisme… anglais cette fois.