jeudi 30 octobre 2014

«La presse québécoise est libre». Quelques nuances, peut-être?

La déclaration de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ), publiée ce matin, dénonçant le soi-disant «dérapage» du débat sur les liens entre le député Pierre-Karl Péladeau et son statut d'actionnaire majoritaire de Québecor, m'a étonné.

Si le président de la FPJQ, Pierre Craig, s'en était tenu à la légitimité de s'interroger sur le statut de M. Péladeau et l'opportunité de renforcer les règles d'éthique de l'Assemblée nationale, cela aurait été plus acceptable. Mais il a largement dépassé cette borne.

Il a accusé le Parti québécois d'avoir d'avoir voulu noyer le poisson avec une contre-motion qui propose d'élargir le débat au contrôle de l'ensemble des patrons de presse sur leurs médias; et surtout, d'avoir inventé un problème inexistant, d'avoir créé une forêt artificielle pour cacher l'arbre bien réel du conflit d'intérêts de M. Péladeau.

Et il ajoute: «Si André Desmarais, grand patron de La Presse et des six autres quotidiens majeurs de chez nous s'était porté candidat à la chefferie du Parti libéral du Québec, le PQ aurait dénoncé, avec raison, ce conflit d'intérêts.» Je n'en doute pas. Mais il n'a pas poursuivi son raisonnement, car on peut supposer que le PLQ aurait alors, lui aussi, proposé une contre-motion pour étendre le débat à l'ensemble des empires de presse…

M. Craig statue que s'il y avait eu un problème d'influence indue sur l'ensemble des médias du Québec, on le saurait. «La presse québécoise est libre. Elle est même vigoureuse et alerte», écrit-il sans nuances. Et il met en garde les députés «de ne pas inventer un problème là où il n'y en a pas».

Pourquoi suis-je mal à l'aise devant cette position de la FPJQ? Parce qu'elle semble faire abstraction d'une part importante de la réalité politique et du vécu des entreprises de presse dans lesquelles ses membres exercent leur profession.

La situation de Pierre-Karl Péladeau mérite-t-elle qu'on s'en préoccupe sur le plan de l'éthique? Bien sûr. Mais les «M. Net» qui se font promoteurs du débat à l'Assemblée nationale sont-ils eux-mêmes sans péché? N'y a-t-il pas derrière leur motion des objectifs tout aussi politiques qu'éthiques?

Quant à la contre-motion du PQ, a-t-elle, du moins, en partie, pour motif de noyer le poisson et de marquer des points politiques? Bien sûr. Mais cela signifie-t-il qu'elle soit dénuée de fondement et qu'elle ne soulève pas, elle aussi, un problème réel et susceptible d'embarrasser ses adversaires?

Si l'on doit examiner la question des liens entre les dirigeants politiques et les barons de presse, le débat doit englober plus que la simple situation d'un député à l'Assemblée nationale. Les rapports entre les décideurs médiatiques et les décideurs politiques, et les réseaux d'influence qui s'y tissent, se font le plus souvent à l'abri des regards publics.

Quand je suis entré au quotidien Le Droit en 1969, l'entreprise appartenait aux Oblats de Marie Immaculée, une communauté religieuse. On pouvait lire, en page éditoriale : «Journal voué totalement aux intérêts de l'Église et de la patrie et indépendant en politique».

Ce n'était pas par hasard que cela avait été inscrit dans les pages du quotidien. Il y avait au Québec une certaine tradition d'association, officielle ou officieuse, entre les partis politiques et les journaux. L'exemple le plus évident à cette époque? Montréal-Matin et l'Union nationale.

Depuis ce temps, les médias, de plus en plus concentrés, se sont donné une apparence d'indépendance mais des liens existent toujours, sans se manifester à tous les paliers des entreprises. Les conventions collectives, les organismes professionnels et certaines lois ont érigé de solides protections pour les reporters et les salles des nouvelles.

Mais les contrôles se resserrent et les «influences» se font sentir davantage à mesure qu'on grimpe dans l'échelle hiérarchique. Si les chroniqueurs conservent toujours une bonne marge de manoeuvre, les cadres d'information et les éditorialistes sont davantage soumis à des politiques établies et approuvées par les propriétaires.

Ce n'est pas le fruit du hasard si aucune page éditoriale des quotidiens de Gesca n'appuie le Parti québécois ou l'indépendance du Québec. Comme ce n'est pas le fruit du hasard si les quotidiens de Québécor n'ont aucune page éditoriale. Les plumes ne sont pas toutes libres.

Alors quand M. Craig affirme que la presse québécoise est «libre» et qu'on invente un problème, j'aimerais lui rappeler que tout en étant éditorialiste, j'ai essayé la voie «libre» et «vigoureuse» pour tenter de protéger mon quotidien régional, Le Droit, contre les visées de l'empire Gesca/Power qui menace de le faire disparaître. Et qu'on m'a mis à la porte. En 2014.

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Voici le lien au texte que je n'étais pas libre d'écrire comme éditorialiste d'un quotidien de Gesca: bit.ly/S9UxqL.








samedi 25 octobre 2014

Ottawa bilingue? L'indifférence...

Lundi (27 octobre), Jim Watson sera réélu maire d'Ottawa avec une immense majorité --- et avec l'appui à peu près total des quelque 15% d'électeurs francophones de la ville, en dépit de son ferme refus d'accorder au français un statut égal à celui de l'anglais dans la capitale du pays.

Peu importe ce qu'on puisse penser de sa défense d'un bilinguisme «fonctionnel», peu importe la valeur des plaidoyers maintes fois réitérés des défenseurs d'un bilinguisme «officiel», les résultats de l'élection seront le reflet d'un électorat largement indifférent à la question (même chez les francophones), voire hostile (pour une proportion appréciable de la majorité anglophone).

Pour en avoir la preuve, on n'a qu'à vérifier le site Web de la pétition du mouvement pour le bilinguisme officiel à Ottawa. Lancée à l'été 2014, la pétition en ligne avait comme objectif 5000 signatures. C'est ambitieux mais réalisable. Le texte de la pétition se lit comme suit: «Je demande qu'Ottawa, la capitale du Canada, devienne officiellement bilingue./I ask that Ottawa, the capital of Canada, be designated official bilingual.» Une question claire, directe.

Quand je l'ai signée, il y a un mois environ, le nombre de signataires frisait le seuil des 1700. Le résultat de deux mois d'efforts. Et depuis la fin de septembre, un peu plus de 500 nouvelles signatures ont été recueillies. En date d'aujourd'hui, au moment d'écrire ces lignes, 2208 personnes ont endossé la pétition. N'oublions pas qu'il s'agit d'une pétition bilingue, dont les médias de langue anglaise ont fait état. En principe elle vise les 900 000 habitants de la capitale!

Je ne sais pas comment les auteurs du mouvement se sentent, mais personnellement, à leur place, je serais plus que déçu. Au-delà des quelques vagues médiatiques que la pétition a provoquée, c'est le calme plat dans l'opinion publique. La question n'intéresse pas grand-monde, surtout chez les Anglos. Au pif, je serais surpris que plus d'un commentaire sur 20 (chaque signataire peut dire pourquoi il appuie le bilinguisme officiel à Ottawa) ait été rédigé en anglais…

Pire, sur les 2200 et quelque signataires de la pétition, moins de 30% sont originaires de la ville d'Ottawa (j'ai examiné 200 signatures d'affilée, soit 10% du total, et me suis dit qu'il n'y avait pas de raison que ce ne soit pas typique de l'ensemble). Dans l'échantillon que j'ai analysé, 55 des 200 signataires donnaient Ottawa comme ville de résidence. Si cette proportion se maintient pour l'ensemble, le mouvement aurait réussi à mobiliser par sa campagne moins de 600 résidents de la ville, principalement des francophones.

Voici un aperçu de l'origine des signataires de la pétition, encore une fois pour mon échantillon de 200 noms consécutifs: Ottawa (55 signatures); Est ontarien (44); autres régions de l'Ontario (19). Près de 60% des répondants sont donc résidents de l'Ontario. À l'extérieur de la province, on retrouve 25 signataires de Gatineau, 16 de la région de Montréal et 16 d'autres coins du Québec. Entre 25 et 30% des signatures seraient donc originaires du Québec.

Les autres signataires de la pétition viennent de l'Ouest canadien (10 personnes), de l'Acadie (7 personnes) et d'autres pays (8 signatures) y compris des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de la France, de l'Espagne et de l'Allemagne. Les municipalités canadiennes comptant plus d'un signataire dans mon échantillonnage de 200 noms sont les suivantes: Ottawa (55), Gatineau (25), Montréal (12), Casselman (7), Edmonton (7), Embrun (6), Rockland (5), Plantagenet (5), Québec (4), Moncton (4), Sudbury (4), St-Albert (3), Deux-Montagnes (3), Newmarket (2), Pembroke (2), Hawkesbury (2), Timmins (2), Lefaivre (2), Hearst (2), St-Isidore de Prescott (2), L'Orignal (2) et Toronto (2).

J'invite les intéressés à visiter le site de la pétition (chn.ge/1uVYCiQ) et à lire les commentaires, souvent instructifs, tantôt pour de bonnes raisons, tantôt pour de mauvaises. Le plus inquiétant que j'ai vu, d'un Franco-Ontarien d'Ottawa par surcroit, se lisait comme suit, et en anglais seulement: «Because I am a proud Franco-Ontarian and would like my native language to be recognized in my town.» Peut-être voulait-il s'adresser au lectorat de langue anglaise… Enfin je l'espère.

Avant que toute cette question du statut linguistique ne redisparaisse dans la brume ottavienne, il serait opportun que les initiateurs du mouvement et de la pétition en faveur du bilinguisme officiel de la capitale fassent un sérieux postmortem…

Au mois d'août, l'Ottawa Citizen avait demandé à ses lecteurs s'ils voulaient qu'Ottawa devienne officiellement bilingue. Plus de 2 600 personnes avaient coché la case suivante (72% de tous les répondants): «It doesn't make sense.» Fin septembre, Le Droit avait publié les résultats d'un sondage de Forum Research démontrant que l'appui de Jim Watson était plus élevé chez les francophones que chez les anglophones…

Mercredi après-midi, le jour de l'attentat à Ottawa, le maire Watson s'est adressé aux médias anglophones et francophones avec des dirigeants de la GRC et des forces armées, pour faire le point. Il a parlé essentiellement en anglais, interjetant quelques phrases en français. Espérons que ce n'est pas là un exemple de ce que pourrait devenir le bilinguisme «fonctionnel».











mercredi 22 octobre 2014

Université franco-ontarienne: le message du recteur Allan Rock et le silence médiatique



La sortie médiatique (mardi 21 octobre) du recteur de l'Université d'Ottawa, Allan Rock, était sans doute prévisible. Cela ne réduit en rien son éclat. L'université bilingue de la capitale fédérale abrite déjà plus de la moitié des Franco-Ontariens qui poursuivent des études universitaires en français en Ontario. Elle est en position de force… une force quasi dominante. Et le recteur n'y va pas par quatre chemins. Je le cite :

«Les francophones de tout l'Ontario ont déjà leur université: c'est l'Université d'Ottawa.» Et pour être bien sûr que tous ont compris le sens du message, il conclut: «J'invite tous les Franco-Ontariens à soutenir leur université, un endroit où la formation en français rime avec excellence, plutôt que de songer è créer un nouvel établissement qui pourrait mettre longtemps à atteindre les normes de qualité que notre université a si bien su établir et promouvoir.»

L'enjeu est de taille, déclarait le président de l'Assemblée de la Francophonie de l'Ontario, Denis Vaillancourt, après le sommet récent sur les études postsecondaires en français, puisqu'il s'agit de créer un «projet de société». Bâtir une institution universitaire «à notre image, qui respirera ce que nous sommes», ce n'est pas n'importe quoi. C'est un projet pour l'ensemble de la collectivité franco-ontarienne. Voilà ce que vient de torpiller M. Rock. Ne perdez pas votre temps, dit-il: vous l'avez déjà, votre université. Soutenez-la, plutôt que de «songer à créer» autre chose…

Arrivant quelques semaines après la déclaration de la ministre Madeleine Meilleur, qui ne veut pas d'université de langue française à Ottawa (l'Université d'Ottawa sert bien les francophones, selon Mme Meilleur), la torpille du recteur Rock pourrait bien achever le projet d'université franco-ontarienne (celui d'une vraie université, pas quelques programmes dans le sud ontarien), à moins d'une réaction forte et immédiate de ceux et celles qui ont tant investi depuis deux ans pour mobiliser l'opinion et faire bouger les autorités à Queen's Park.

Pour le moment, c'est le calme plat. Les médias, pour des motifs qui m'échappent, n'ont même pas rédigé de nouvelles après la déclaration du recteur Allan Rock. Que les médias anglophones aient échappé cette «bombe» n'a rien de surprenant puisqu'ils s'intéressent peu au dossier et que le message de M. Rock n'a été rédigé et expédié qu'en français. A-t-il été envoyé seulement aux médias de langue française? En tout cas, il n'est publié qu'en français sur le site Web de l'Université d'Ottawa (même dans les pages Web anglaises)…

Mais que les médias de langue française - en particulier Le Droit et Radio-Canada - n'en aient pas fait une manchette dès mardi relève de (ici je m'autocensure pour ne pas écrire des mots que je pourrais regretter). Je me contenterai de citer ce qu'écrivait récemment l'éditeur du Droit, Jacques Pronovost, au sujet du rôle du Droit en matière de préservation et de promotion de la langue française dans un milieu où la langue anglaise est omniprésente: «Là est son défi, là est sa lutte, là est sa fierté.»

Quant aux autres médias de langue française, et en particulier les quotidiens du Québec (peut-être à l'exception du Devoir), ainsi que les grandes chaînes de télé, leur indifférence à l'endroit des francophones hors-Québec est légendaire…

Présence médiatique au Bureau des gouverneurs

Il faut dire que l'Université d'Ottawa a su cultiver ses liens avec les médias en accueillant au sein du Bureau des gouverneurs des personnalités médiatiques. L'éditeur actuel du Droit, Jacques Pronovost, y siège, comme ses prédécesseurs. Et n'allez pas croire que la présence médiatique se limite au Droit. Le Bureau des gouverneurs de l'Université d'Ottawa compte présentement (selon la liste sur le site Web) cinq membres des médias. On y trouve notamment Suzanne Morris, vice-présidente de CBC/Radio-Canada; Paul Sarkozy, vice-président, marketing et ventes, de l'Ottawa Citizen; Jeffrey Simpson, chroniqueur politique aux affaires nationales du Globe and Mail; et Michel Picard, ancien chef d'antenne à Radio-Canada et maintenant associé à UniqueFM (94,5FM).

Les chances d'un conflit d'intérêt, il faut l'avouer, restent minces et je doute fort que ces liens aient eu quelque influence sur le traitement du dossier précis qui m'intéresse, celui de l'université franco-ontarienne. Mais je pense qu'il y a lieu de s'interroger sur cette situation, les médias étant appelés à couvrir et à commenter les agissements de l'Université. Que l'institution désire avoir dans son groupe de gouvernance des membres des médias, je peux comprendre. Que ces derniers acceptent... cela pourrait être l'objet d'un bon débat.

Encore une fois, et je veux être très clair là-dessus, ces gens remplissent sans doute leur mandat avec compétence et intégrité. À une personne comme Michel Picard (je ne connais pas vraiment les autres), je donnerais l'absolution sans question, sans confession. Non, il s'agit plutôt de s'interroger sur la portée des liens personnels et institutionnels qui pourraient finir par se tisser entre les médias et l'Université; sur l'opportunité d'associer des gens des médias comme décideurs de l'Université, comme membres d'un groupe intime où ils ont l'occasion de côtoyer régulièrement le recteur Allan Rock, qui siège lui aussi au Bureau des gouverneurs.

Donc...

Résumons. L'Université d'Ottawa, le joueur le plus important au postsecondaire en français, a sorti ses gros canons en début de semaine. Le gouvernement Wynne appuie le principe de l'université franco-ontarienne du bout des lèvres et la ministre Madeleine Meilleur semble être sur la même longueur d'ondes que le recteur Allan Rock. Les étudiants et leurs partenaires sont unis sur le principe de la gouvernance mais divisés sur la forme que pourrait prendre une éventuelle université de langue française. Et ce silence… 






vendredi 17 octobre 2014

Le massacre des Maillardvilliens et autres grincements...

Trop souvent, dans l'histoire des collectivités canadiennes-françaises et acadiennes hors-Québec, on a fini par étouffer les voix de ceux et celles - rares, il faut le dire - qui ont tenté de dénoncer avec un langage plus acéré des situations d'injustice et de discrimination dont ils s'estimaient victimes. Hier comme aujourd'hui, enterrer le plus possible les «vieilles chicanes» a souvent été le mot d'ordre...

Malgré tout, entre les milliers de pages de rapports officiels et les trop fréquentes déclarations ronronnantes sur la «vitalité» de la langue et la culture françaises à l'extérieur du Québec (et même parfois à l'intérieur), des cris rauques ont été entendus à l'occasion, projetant un vécu émaillé de petites persécutions quotidiennes émanant d'une majorité hostile, voire ouvertement raciste. Les Anglo-Québécois, depuis toujours privilégiés, n'ont aucune idée de ce qu'ont pu subir les groupes francophones hors-Québec depuis la Confédération.

Je propose aux lecteurs intéressés trois lettres, une de 1971 publiée dans le magazine Point de mire, les deux autres de 1992 parues dans les quotidiens Le Droit et La Presse, et laisserai à chacun, chacune, le soin de juger de la crédibilité des auteurs. Parfois l'exaspération peut pousser à l'exagération, mais j'ai vécu moi-même en Ontario quelques expériences similaires à certaines décrites ci-dessous, dans les décennies 1950, 60 et 70. Un retour attentif sur l'histoire de ce pays rend leurs récits plausibles.

1. Le premier texte concerne l'agglomération jadis franco-canadienne de Maillardville, aujourd'hui un quartier de la ville de Coquitlam, Colombie-Britannique. La lettre évoque un patelin de 7 000 habitants mais selon le recensement de 2011, il ne reste dans toute la ville de Coquitlam (125 000 habitants) que 1 420 personnes de langue maternelle française, dont moins de 400 indiquent le français comme langue principale à la maison… Il existe toujours, cependant, une Société francophone (http://www.maillardville.com) et un Centre francophone de Maillardville. 

Voici donc la lettre intitulée «Le massacre des Maillardvilliens», publiée dans le magazine Point de mire, le 23 octobre 1971, et signée J. Ardouin, Maillardville (Colombie-Britannique):

«Des dizaines de Canadiens français installés à Maillardville, en Colombie-Britannique, un patelin d'à peu près 7 000 habitants, envisagent revenir s'installer au Québec. S'ils avaient l'assurance de pouvoir y travailler, ils n'hésiteraient pas.

«Malgré la lutte active que mène M. Roméo Paquette depuis des années pour empêcher le génocide de cette communauté francophone, les anglophones sont sur le point de gagner la partie. Ils ont presque réussi, par le chantage, l'hypocrisie et le racisme à assimiler le plus grand nombre, utilisant l'école pour arriver à leurs fins, ostracisant ceux-là qui, désespérément, refusent d'abandonner. "Anglicization is almost complete."


«À Maillardville, les basses besognes sont le lot des Canadiens français. Les postes-clés appartiennent d'autorité aux anglophones. Pour échapper à la misère, nourrir les familles, les Maillardvilliens apprennent tôt la résignation, premier pas vers l'assimilation.

«En tout cas, ils ne tardent pas à comprendre, obligés de fouler aux pieds leur dignité, que le bilinguisme. hors du Québec, n'est qu'un songe creux. Là où les anglophones sont en majorité, comme c'est le cas en Colombie, le racisme ne tarde pas à montrer les dents…


«Humiliés, insultés quotidiennement parce qu'ils parlent français, traités de "white niggers", de "pea soup" ou de "frog" par de stupides anglophones, obligés de parler leur langue en cachette, comme s'il s'agissait d'un geste honteux, les Maillardvilliens n'ont plus qu'une seule solution: regagner le Québec. C'est ce qu'ils feraient sans hésitation s'il n'y avait tant de chômage.»


2. La seconde lettre est signée par Pauline Tétreault, résidente de l'Outaouais, et a paru dans Le Droit en décembre 1992. La municipalité rurale de La Broquerie (Manitoba) compte aujourd'hui 5 200 habitants dont 850 de langue maternelle française (660 utilisent principalement le français à la maison):


«Je suis née à La Broquerie, au Manitoba, dans un petit village à 98% francophone à l'époque. J'ai fait toutes mes études en anglais seulement… J'ai vécu mon enfance dans la crainte et la peur des inspecteurs anglophones protestants qui visitaient nos écoles régulièrement. Nous devions cacher tous nos livres et cahiers de français avant leur arrivée afin d'éviter de sévères sanctions.


«J'ai donc décidé, il y a 25 ans, de venir vivre au Québec afin de ne pas m'assimiler. Je veux tout simplement dire aux anglophones du Québec qu'ils sont chanceux de vivre dans un Québec accueillant où tous leurs droits sont respectés et non bafoués comme les miens l'ont été au Manitoba. C'est pour cette raison et beaucoup d'autres que je veux vivre dans un Québec français...»


3. La dernière, signée par Sigfried Kleinschmidt, est publiée dans La Presse en novembre 1992. Âgé de 76 ans, M. Kleinschmidt avait quitté Winnipeg l'année précédente pour s'installer au Québec: 


«Là, je dois vous dire que j'en avais plein le dos d'entendre des francophones se faire traiter de "crazy Frenchmen" et ma femme était fatiguée de se faire dire "speak white". Laissez-moi vous dire que je suis venu ici pour faire la souveraineté, ce qui signifie sortir de la Confédération canadienne avec honneur et dignité.»


En lisant la lettre de M. Ardouin de Maillardville, je me suis souvenu d'une visite dans une ville du Sud ontarien, il y a une vingtaine d'années. Notre groupe était le seul qui soit francophone à une réception, et j'avais remarqué que les gens nous jetaient des coups d'oeil en entendant notre conversation «en langue étrangère». Mais ce qui m'a le plus frappé, ce fut un type qui s'est approché et nous a glissé à l'oreille, en chuchotant, que lui aussi était francophone… Puis il s'est éloigné… On a compris…

Et je me suis rappelé que l'épisode des inspecteurs à La Broquerie avait aussi été le lot des élèves franco-Ontariens à l'époque du Règlement 17. C'était moins pire qu'en Louisiane, où les élèves qui parlaient français étaient physiquement battus, mais les épisodes de répression ont laissé des marques indélébiles sur le comportement et les attitudes des francophones minoritaires.

Il ne faut pas que ces lettres de simples citoyens sombrent dans un oubli permanent. Ils témoignent d'une réalité dont nous subissons toujours les conséquences.






jeudi 16 octobre 2014

Le français, une perte de temps?

Quand on vit dans la région de la capitale fédérale (et sans doute ailleurs, y compris au Québec), on s'aperçoit très vite que demander d'être servi en français, ou vouloir vivre ou fonctionner en français, peut souvent occasionner des pertes de temps considérables.

Je viens de passer près d'une heure en attente (en 3 tranches de 15 à 20 minutes) avant de réussir à parler à un préposé francophone de SiriusXM Canada (radio satellite) au sujet d'un réabonnement. Entre le deuxième et le troisième essais, j'ai composé le «1» pour le service en anglais et obtenu une réponse immédiate! Cela vous arrive-t-il souvent?. À moi, oui.

Et pas seulement au téléphone. À chacune de mes visites au magasin Apple d'Ottawa (il n'y en a pas à Gatineau), j'exige de parler à un employé capable de me servir en français. Et là je reste planté dans un coin, à attendre qu'on trouve une expertise francophone, pendant que d'autres clients - dont plusieurs de langue française - passent devant moi pour être servis sans délai… en anglais.

Mais ce problème, car c'en est un, est répandu. À peu près tous ceux et celles qui appuient sur le «2» pour le service en français, ou qui demandent un interlocuteur francophone aux endroits où ils sont censés être disponibles, ont perdu des minutes, parfois des heures. En les raboutant, nous avons collectivement perdu des années!

Le plus récent à s'en apercevoir? Le Commissaire aux langues officielles, Graham Fraser, dans le rapport annuel 2013-2014 qu'il a rendu public la semaine dernière. Mécontent de se buter à des répondeurs en appuyant sur le «2» (pendant que le «1» apportait une réponse humaine immédiate) au Centre de services aux employeurs de Service Canada, un citoyen a décidé de porter plainte au Commissariat aux langues officielles (CLO), qui a décidé d'enquêter. Le problème serait réglé… pour l'instant.

Ce n'est là qu'une des 476 plaintes jugées recevables au cours de la dernière année par le CLO. Et même si toutes ne portaient pas sur les délais d'attente au téléphone ou en personne, toutes ont sûrement fait perdre du temps à ceux et celles qui se sont sentis lésés au point de porter plainte - une procédure qui exige temps, effort, et patience.

Mentionnons en passant une statistique qui ne fait pas partie du rapport annuel du Commissaire aux langues officielles et qui, à ma connaissance, n'a été rapportée que dans l'Ottawa Citizen. Des 476 plaintes recevables, 400 (84%) provenaient de citoyens de langue française. Dans un pays où les francophones forment moins de 25% de la population, cela en dit long sur la situation qui prévaut!

Les Anglo-Canadiens - la majorité qui décide toujours - ne perdent pas de temps, eux, à s'inquiéter des répercussions de leurs décisions pour les francophones du pays.

Le rapport annuel du CLO évoque la fermeture de la «Ferme de recherches Hervé J. Michaud», au Nouveau-Brunswick, ordonnée par Agriculture et Agroalimentaire Canada dans le cadre des coupes budgétaires. Les agriculteurs acadiens devront maintenant trouver ailleurs l'expertise francophone qui leur était offerte. Où la trouveront-ils, et quels délais devront-ils subir?

Et que penser de cette autre plainte d'un citoyen qui reçoit des communications du Musée canadien de l'histoire en anglais seulement parce que l'institution fédérale utilise des listes d'abonnés de magazines et que ce type (Jacques Thibault) achète la revue Maclean's? Combien de temps faut-il pour s'informer, et pour ensuite suivre la procédure de plainte?

Le Commissaire raconte aussi le cas d'un poste fédéral dans une zone bilingue où la direction d'Environnement Canada exige des compétences inférieures en français… Encore une fois, un fonctionnaire a dû s'astreindre à s'informer, puis à entreprendre une longue contestation…

Tantôt, c'est un employé fédéral (sûrement pas le seul) qui reçoit des documents unilingues anglais de son assureur. Combien de temps a-t-il dû endurer cette situation, pour finalement porter plainte au Commissaire? «J'ai vécu 10 années de frustration et de stress», dit-il…

Et ça, c'est sans compter les situations où il est impossible de composer le «2» parce que les services en français sont inexistants (dans le secteur privé surtout) ou parce que personne ne parle français…

Le rapport du Commissaire est toujours rédigé dans un langage élégant, de façon à donner l'impression d'une certaine égalité entre les collectivités anglophone et francophone du Canada… alors qu'une seule des deux langues est constamment malmenée: le français!

L'impression laissée après une lecture attentive du rapport annuel, c'est que le français est effectivement une perte de temps pour un grand nombre d'Anglo-Canadiens, et pas les moindres. Et le résultat, pour les francophones qui ont encore la volonté de protéger leur langue et leur culture, ce sont de nouvelles pertes de temps à quémander des droits qu'on aurait dû considérer acquis.

Le pire dans tout ça, c'est que la situation continue de se détériorer… For service in French, press 2… (attente) Your call is important to us, please hold… please hold… please hold...



mardi 14 octobre 2014

Québec français, Ottawa bilingue… même combat!

Après avoir lu les propos délirants de Gilles Paquet, professeur émérite de l'Université d'Ottawa, publiés dans un texte d'une rare férocité où il attaque les promoteurs d'un statut bilingue officiel pour la ville d'Ottawa, vus comme des «intégristes» à l'origine d'un climat de «terreur», il est impérieux que des voix se fassent entendre pour remettre les pendules à l'heure.

Je craignais, en lisant les comptes rendus*(voir liens à la fin du texte de blogue) dans Le Droit et Radio-Canada, que les titres et les citations rapportés ne rendent pas justice à l'ensemble de ses arguments, présentés dans un texte plus étoffé sur le site optimumonline.ca, ou que les journalistes aient cédé devant la tentation de monter en épingle les propos les plus extrêmes du professeur Paquet. Ce n'est pas le cas. De fait, après lecture complète de son pamphlet venimeux (sept pages en petits caractères) intitulé Bilinguisme officiel pour Ottawa? Non, et voilà pourquoi!, on constate que l'original est encore plus horrifiant que les résumés médiatiques. On se demande de fait si l'auteur est toujours en contact avec la réalité franco-ontarienne…

Il faudrait, pour y répondre, prendre les pages une à une pour démontrer à quel point certaines des accusations de M. Paquet sont gratuites et la distance qui sépare son royaume imaginaire du vécu des francophones dans la ville d'Ottawa. Le cadre de ce blogue se prête peu à un tel exercice mais je m'y astreindrai s'il le faut. Je conçois par ailleurs qu'il soit possible de valoriser le bilinguisme officiel dans la capitale canadienne, ou de s'y opposer, en se fondant sur un cheminement rationnel qu'on pourra juger au mérite.

SEUL le français est menacé!

Ce qu'il faut rétablir au départ, c'est la réalité. La base historique, la pierre d'assise, le fondement de tous les conflits linguistiques au Canada (y compris au Québec), de toutes les récriminations, de toutes les revendications, a été et reste aujourd'hui la protection et la promotion de la langue et de la culture françaises. SEULE la langue française est menacée au pays, que l'on se trouve à Montréal, à Ottawa, à Moncton ou à Saint-Boniface au Manitoba. Si on s'éloigne de cette réalité, si on l'oublie en chemin, plus rien n'a de sens et on aboutit à des prises de position comme celles du professeur Paquet.

Même la Cour suprême du Canada, dans quelques-uns de ses jugements sur la Charte des droits et libertés, sur les droits scolaires des minorités francophones et sur la Loi 101, a reconnu la symétrie de l'argument des francophones hors-Québec et des Québécois francophones. Les juges fédéraux ont accepté comme une évidence que le français, minoritaire au Canada et en Amérique du Nord, est menacé en Ontario, dans l'Ouest et dans les Maritimes, mais aussi au Québec. La protection et la promotion du français justifient donc un certain unilinguisme français au Québec mais aussi des régions tampons bilingues à l'extérieur du Québec!

J'ai de la difficulté à croire que M. Paquet ait étudié à fond les statistiques linguistiques des recensements fédéraux depuis un demi-siècle. L'érosion du français hors-Québec, et même dans certains coins du Québec, est démontrée dans toute sa froide horreur statistique. Et si le professeur de l'Université d'Ottawa veut une dimension plus humaine, il n'a qu'à se promener dans les écoles franco-ontariennes pour constater quels défis les enseignants et les administrations scolaires doivent relever pour assurer la pérennité du français au sein des générations futures.

Les lois sont des outils

Une fois accepté ce constat du besoin de défendre et de promouvoir la langue française, au Québec comme à l'extérieur du Québec, le professeur Paquet aura encore besoin d'un bon cours d'histoire. Il verra comment les provinces à majorité anglophone ont jugé bon, partout, d'utiliser leurs lois pour éliminer des droits linguistiques scolaires que la Constitution de 1867 n'avait pas protégés. Et il devra se rendre à l'évidence que sans l'article 23 de la Loi constitutionnelle de 1982, les minorités francophones hors-Québec seraient encore souvent sans écoles bien à elles et que, surtout, elles n'en auraient pas la gouvernance.

Si les lois n'avaient aucune utilité, on laisserait la société dans une bienfaisante anarchie… Or, à Ottawa comme dans l'ensemble de l'Ontario, le fait est que depuis la Confédération, les francophones ont été persécutés à diverses époques et qu'aujourd'hui, en dépit de très nettes améliorations dans les politiques de services en français, ils restent largement victimes de négligence. Et que là comme ailleurs, si des individus plus militants, plus engagés que d'autres ne prenaient pas l'initiative de mobiliser l'opinion publique et d'avoir recours aux tribunaux, la protection et la promotion du français resteraient le dernier des soucis d'une majorité anglophone souvent hostile et de médias anglo-canadiens qui versent parfois dans l'hystérie…

Ottawa officiellement bilingue et Gatineau officiellement unilingue? Oui, en effet! Parce qu'aux deux endroits, seul le français a besoin de protection et de promotion. Que les anglophones aient de la difficulté à comprendre ça, je peux concevoir. Mais que cela puisse échapper à un universitaire francophone, sommité dans son domaine, vivant dans la région d'Ottawa depuis plus de 40 ans, ça, je ne le comprends pas. Le Québec français et l'Ottawa bilingue, c'est le même combat, pour les mêmes motifs. Et si cela offusque des individus et des groupes anglophones qui n'hésiteraient pas à nous enlever les droits que nous leur avons arrachés, si cela crée des frictions au sein de la «dualité» canadienne, si cela trouble une paix linguistique dont les francophones ont toujours fait les frais, eh bien, M. Paquet… tant pis!

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* Liens aux textes
Le Droit - bit.ly/1z5LomF
Radio-Canada - bit.ly/1voOMqv
Texte intégral de M. Paquet - bit.ly/1trxU2f


jeudi 9 octobre 2014

La patente à Drainville?????

La Charte des valeurs serait maintenant «la patente à Drainville»? Je lisais cet après-midi le «chronique-éditorial-pamphlet» d'Yves Boisvert, dans La Presse, et cela m'a ramené aux jours les plus sombres du débat sur la Charte, où le traitement du sujet dans les médias ne passera pas à l'histoire comme l'une des heures les plus glorieuses du journalisme québécois (et anglo-canadien).

Alors qu'au sein du public francophone du Québec, le projet de Charte suscitait un appui solidement majoritaire et que rien, dans les rues, ne rappelait l'ambiance volatile du printemps étudiant de l'année précédente, une série abracadabrante de textes et de caricatures incendiaires se sont succédés dans les pages d'opinion et de nouvelles - atteignant un niveau rarement égalé dans certains journaux (francophones et anglophones) y compris le vaisseau amiral de la chaîne Power/Gesca, La Presse. Voir mon blogue du 16 septembre 2013 à ce sujet (bit.ly/151HN5j).

Des plumes aiguisées et venimeuses ont contribué, j'ose espérer involontairement, à transformer un projet noble de neutralité religieuse de l'État en manifestation d'intolérance et de xénophobie. Avant l'offensive médiatique contre la Charte des valeurs, l'appui de principe au projet dépassait le seuil des 70% chez les francophones. Si la campagne électorale de 2014 avait essentiellement porté sur la Charte au lieu d'être transformée en chicane référendaire, le PQ aurait bien pu obtenir sa majorité.

Évidemment, ce qui est arrivé, est arrivé. Le Parti québécois est à la dérive, du moins temporairement, attaqué de toutes parts, sur sa gauche comme sur sa droite, et au lieu de tirer à boulets rouges contre un adversaire puissant à l'offensive, comme c'était le cas à l'automne dernier, quelques-unes des plumes médiatiques qui griffaient l'ancien projet de Charte des valeurs (et même des péquistes bien en vue) s'en donnent à coeur joie, comme des vautours achevant le moribond.

J'espère que M. Drainville tiendra bon dans la tempête, parce que l'avenir lui donnera raison. Il a fallu des siècles pour comprendre que religion et politique n'ont jamais fait bon ménage. Encore aujourd'hui, on voit les horreurs vécues dans des pays avec des religions d'État ou avec des factions religieuses intégristes violentes. À une époque et dans une région de grande diversité comme la nôtre, diversité culturelle autant que religieuse, l'État se doit d'épouser une neutralité stricte pour accueillir tous les citoyens, peu importe leurs convictions, dans le respect et l'égalité.

J'ai appuyé cette Charte sans beaucoup de réserves du début à la fin et je ne renie pas cet appui aujourd'hui. Ce n'était pas trop demander, aux employés de l'État, de ne pas afficher de signes religieux (ou anti-religieux) ostentatoires. À titre de représentants de l'autorité de l'État - comme fonctionnaires, enseignants, infirmières, policiers, etc. - ils ne peuvent exiger de pouvoir imposer visuellement leurs croyances à des citoyens qui, eux, sont obligés de les rencontrer pour obtenir des services auxquels ils ont droit. J'ai écrit à quelques reprises sur ce sujet dans mon blogue (voir liens ci-dessous).

En éditorial, en 2010, dans Le Droit, bien avant la Charte, j'avais abordé cette question en commentant le projet de loi 94 du gouvernement Charest sur les accommodements raisonnables. J'écrivais alors: «Les employés des ministères, commissions scolaires, hôpitaux et autres organisations publiques sont le visage de l'État. Ceux et celles qui servent le public représentent l'État, l'incarnent. En vertu du principe de neutralité religieuse, l'affichage de symboles religieux – hijab, croix chrétienne, étoile juive, kirpan ou autre – devrait être exclu, ici, des accommodements raisonnables. De plus, le voile islamique est vu par la majorité des citoyens comme un symbole de l'inégalité des femmes chez les Musulmans.»

Le thème central de la Charte, la neutralité/laïcité de l'État, n'avait rien à voir avec le nationalisme du Parti québécois. Le projet de loi Charest était-il une manifestation du nationalisme canadien des libéraux? Non. Les débats qui ont cours et les lois qui sont adoptées dans divers pays européens sur la neutralité de l'État, sont-ils des émanations d'un quelconque nationalisme? Non. Partout, ce débat est un prolongement de la grande évolution de la démocratie et de la laïcisation de l'État dans les pays occidentaux. C'est l'élévation graduelle de l'État à un niveau plus civilisé que celui des débats sectaires.

Je ne doute pas qu'il y aurait eu une période d'adaptation ou de transition si la charte du PQ avait été adoptée. Mais le débat n'aurait pas duré longtemps. Après quelques années de mise en oeuvre, les gens auraient reconnu la valeur pour tous, chrétiens, juifs, musulmans, bouddhistes, agnostiques, athées et autres, d'être traités par l'État dans un climat d'égalité et de respect, et d'être servis par des employés qui sont un fidèle reflet de cette égalité, de cette absence de parti pris.

Le projet de Charte de 2013 aurait contribué à consacrer l'égalité des citoyens et l'égalité hommes-femmes au sein d'un État qui a l'obligation de représenter et servir tous les citoyens sans distinction. Les principes qu'il défendait et les objectifs qu'il visait méritaient alors, et méritent encore aujourd'hui, le respect. La patente à Drainville… Vraiment! 

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Quelques liens...
* Assez, c'est assez! Blogue du 28 août 2013 bit.ly/17lMWqT
* Médias, Charte des valeurs et opinion publique. Blogue du 12 septembre 2013 bit.ly/18eNmDH
* Un commentaire intéressant, mais… Blogue du 17 octobre 2013 bit.ly/1aTqMxt




mardi 7 octobre 2014

Université franco-ontarienne: on va où?

Sur le principe, pourtant, tout le monde s'accordait, et s'accorde toujours. Les francophones de l'Ontario ont le droit d'avoir leur propre université, et doivent pouvoir assumer la gestion de leurs programmes universitaires en français. Après tout, les voisins anglo-québécois n'ont-ils pas trois universités bien à eux? Une pour les Franco-Ontariens, ce n'est certes pas trop demander…

Après deux années de consultations et un quasi-consensus sur la légitimité de cette revendication, on se croyait tout près du but avec la tenue du sommet des États généraux sur le postsecondaire en Ontario français, en fin de semaine, à Toronto. Le Regroupement étudiant franco-ontarien (REFO), initiateur de cette plus récente campagne pour une université de langue française en Ontario, avait à ses côtés deux partenaires de taille, l'Assemblée de la Francophonie de l'Ontario (AFO) et la FESFO (étudiants et étudiantes du secondaire). Et le climat politique semblait favorable avec la réélection majoritaire du gouvernement Wynne…

Et voilà que tout à coup, quelque chose semble tourner moins rond. Ce qui apparaissait clair semble enveloppé d'un brouillard. Au lieu de sortir du sommet avec un objectif précis et des troupes prêtes pour l'assaut final, on parle d'attendre, d'étude de faisabilité, on voit apparaître partout la mention de l'année 2025 comme date d'aboutissement (c'est très, très loin…). Aucun modèle d'université ne semble rallier la majorité, du moins si on se fie à la couverture médiatique poreuse, et même si l'organisation des États généraux sur le postsecondaire en Ontario français fait se son mieux pour donner un spin positif aux assises de fin de semaine, le pied paraît avoir glissé de l'accélérateur au frein.

Pire, la ministre du gouvernement ontarien sur laquelle les francophones auraient dû pouvoir le plus compter, Madeleine Meilleur, vient de jeter une douche froide sur le processus de création éventuelle d'une université franco-ontarienne et l'obtention par les francophones de la gestion d'un réseau complet d'institutions francophones au postsecondaire.

Pas à Ottawa?????

En entrevue avec la station UniqueFM d'Ottawa (94,5 FM), Mme Meilleur a dit clairement que sa seule priorité, pour le moment, est l'augmentation de l'offre en français dans le secteur centre-sud-ouest de l'Ontario (corridor Toronto-London-Windsor) et qu'elle s'oppose à la création d'une université de langue française à Ottawa où, dit-elle, l'Université d'Ottawa dessert bien les francophones… Elle s'interroge même sur les conséquences d'une théorique université de langue française à Toronto (!) pour l'Université Laurentienne (bilingue) et l'Université de Hearst...

Décidément, avec une amie comme Mme Meilleur à l'universitaire, les Franco-Ontariens n'ont pas besoin d'ennemis. On me demandera sans doute de quoi je me mêle, étant Québécois. Mais je suis né et j'ai vécu les 29 premières années de ma vie en Ontario. J'ai étudié à l'Université d'Ottawa à une époque où les étudiants francophones étaient (faiblement) majoritaires et déjà, à la fin des années 60, la dynamique de l'institution bilingue - comme dans toutes les écoles bilingues ontariennes - était anglicisante. Elle l'est encore davantage aujourd'hui. En 1969-70, les mouvements de jeunes franco-ontariens et l'ancienne ACFO ont tenté d'obtenir la francisation totale de l'Université d'Ottawa, sans succès. J'y étais, et je ne souhaite pas que le REFO et ses alliés connaissent le même sort en 2014.

Le défi d'aujourd'hui, avec un projet plus vaste et une mobilisation mieux coordonnée, est certes plus complexe que notre vieil assaut contre la campus de la Côte de sable en 1969. Mais il faut se méfier de perdre la forêt de vue quand on s'approche trop des arbres. Il ne faut pas retarder des décisions essentielles en s'embourbant dans la mécanique et les modèles institutionnels. À Queen's Park, rien n'empêche de prendre immédiatement une décision de principe sur la création d'une université franco-ontarienne, quitte à laisser aux experts le soin décortiquer ce que cela implique pour l'offre existante et les meilleurs façons d'assurer une transition vers un modèle choisi par les Franco-Ontariens.

Imaginez...

J'écoutais hier l'entrevue de Mme Meilleur et je lisais certains des comptes rendus qui ont filtré du sommet, et je me demandais ce qui serait arrivé dans les années 1960 si on avait procédé de la même façon pour la création du réseau d'écoles françaises au primaire et au secondaire. Aurait-on dit, en 1966: faudrait surtout pas créer des écoles élémentaires et secondaires de langue française à Ottawa, où des écoles bilingues desservent déjà les francophones depuis longtemps. Non, ouvrons plutôt quelques écoles françaises à titre expérimental dans un coin de la province où les francophones sont très, très minoritaires et où l'offre de services est la plus déficiente… et encore, attendons une étude de faisabilité…

Et autour des années 80 et 90, quand il fut question, enfin, de créer des collèges communautaires de langue française, selon le principe appliqué aujourd'hui à l'universitaire, on n'aurait pas mis sur pied La Cité, à Ottawa, puis qu'il existait déjà le Collège Algonquin, bilingue, qui accueillait les étudiants et étudiantes francophones. On aurait campé le nouveau collège de langue française quelque part dans le sud de la province, là où l'offre est la plus insuffisante… Vraiment pas… 

Et si c'était arrivé au Québec...

Imaginez le scénario s'il se déroulait au Québec, que le tandem McGill-Concordia était bilingue, et que c'étaient les anglophones qui n'avaient pas de réseau postsecondaire bien à eux (c'est difficile à imaginer, mais essayez…). Non, non, diraient-ils, on ne peut pas créer d'université anglaise dans le centre-ouest de Montréal, là où la masse d'élèves anglophones est concentrée, ça nuirait aux institutions bilingues qui rendent de bons services à nos étudiants de langue anglaise… Allons plutôt ouvrir un campus à Québec, ou Drummondville, ou Rimouski… où l'offre est déficiente… Ça n'aurait pas de bon sens, comme ça n'a pas de bon sens d'écarter Ottawa du scénario franco-ontarien!

Des études de faisabilité il en faut et il en faudra. Tout le monde en convient. Mais cela ne doit pas empêcher la collectivité franco-ontarienne de garder l'oeil bien fixé sur le but ultime, et cela ne doit pas ralentir le processus de décision. Il est minuit moins cinq, et dix ans c'est trop long. Les décisions auraient dû être prises dès 1867, ou à la fin des années 1960 quand on a décidé que le temps était venu (sous la menace québécoise) de réparer une injustice centenaire. On dira bien ce que l'on voudra, et je sais qu'il existe des tiraillements de longue date entre les régions franco-ontariennes (n'oubliez jamais que l'Ontario, c'est grand comme un pays), mais le campus principal d'une future université doit être situé là où se trouve la plus importante masse d'étudiants et d'étudiantes francophones: à Ottawa.

Une décision immédiate!

Plus de la moitié des étudiants franco-ontariens inscrits à l'universitaire en français étudient à l'Université d'Ottawa. Je maintiens ce que j'ai écrit au début de janvier 2014 dans un texte de blogue (et ce, en conformité avec la douzaine d'éditoriaux que j'ai signés dans Le Droit): «il faut décréter sans délai, par loi, l'existence d'une université de langue française et ordonner que tous les programmes francophones actuels dans des institutions bilingues en fassent partie. Et que le tout passe sous gouvernance franco-ontarienne!» Nos armées d'experts en gestion de crise, après de futurs palabres avec le REFO et ses alliés, arriveront par la suite à assurer la transition vers une gouvernance francophone des programmes universitaires en français et à préférer un modèle institutionnel.

La clé de l'universitaire franco-ontarien est à Ottawa et à Sudbury. Que l'on inclue des offres de services ailleurs, à Toronto, à Windsor, à Hearst, à Timmins ou ailleurs, cela va de soi. Mais le point de départ, ce sont les deux «monstres» bilingues: l'Université d'Ottawa et l'Université Laurentienne. En 1970, dans son mémoire sur le projet de francisation de l'Université d'Ottawa, l'Association canadienne-française de l'Ontario écrivait: «Pourquoi une minorité, qui a besoin de toutes ses énergies pour survivre et vivre, devrait-elle se payer le luxe d'une université bilingue dont le coût serait peut-être une assimilation lente mais certaine?» Et ça c'était à une époque où l'environnement universitaire était nettement plus francophone qu'aujourd'hui sur le campus.

L'audace!

Personne ne nie que l'offre en français se soit améliorée à Ottawa. Je ne sais pas pour Laurentienne. Là n'est pas la question. La question c'est de savoir si les Franco-Ontariens auront ou non leur réseau scolaire du primaire jusqu'à l'universitaire. Et si oui, cela veut dire - comme à l'élémentaire, comme au secondaire, comme au collégial - mettre fin à une situation qui oblige les francophones à étudier dans des institutions bilingues qu'ils ne contrôlent pas et où ils sont minoritaires. Si ce n'est pas le coeur du problème, qu'on le dise et qu'on arrête de perdre du temps pour un dossier qui risque de ne jamais aboutir.

L'heure n'est pas à la prudence mais à l'audace. On aura tout le temps voulu, après quelques décisions clés, pour une bonne dose de prudence!

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Comme je n'assistais pas au sommet des États généraux du postsecondaire en Ontario français, l'information que je possède est nécessairement fragmentaire. Si j'ai mal interprété ce que j'en ai lu et ce que j'ai vu et entendu, je n'hésiterai pas, comme toujours, à rectifier le tir et à faire des mea culpa. La seule liste des modèles à l'étude que j'ai vue dans les médias était dans l'excellent texte de F.-P. Dufault (TFO), à lire à bit.ly/1nXCz9Y.

  









samedi 4 octobre 2014

Université franco-ontarienne: le désert médiatique...

Comme à tous les samedis matins, en plus d'éplucher Le Droit et Le Devoir que je reçois à la maison, je m'installe devant mon iMac panoramique pour faire le tour des sites Web des autres quotidiens du Québec, de l'Acadie ainsi que des manchettes des grands quotidiens parisiens. Aujourd'hui, vu mon intérêt spécial pour le sommet des États généraux sur le postsecondaire en Ontario français qui se déroule en fin de semaine (3-5 oct.) dans la Ville-Reine, j'ai ajouté à ma liste Radio-CanadaL'Express de Toronto, le Globe and Mail, le Toronto Star et le Toronto Sun… 

C'était désolant… Pas que je m'attendais à une ruée sur ce dossier pourtant majeur et qui, s'il mettait en jeu les Anglo-Québécois plutôt que les Franco-Ontariens, ferait la une des quotidiens d'un bout à l'autre du pays avec l'habituel excès de trémolos… Mais tout de même, je conservais l'espoir que Le Droit ait délégué un journaliste au sommet pour se racheter du vide complet dans l'édition de vendredi, et que d'autres médias en fassent une mention dans leurs pages… Je suis resté sur ma faim…

Le Droit, qui a suivi le cheminement du projet d'université franco-ontarienne depuis deux ans, s'est contenté d'une brève entrevue avec une porte-parole du Regroupement étudiant franco-ontarien (RÉFO), Geneviève Latour, et le président de l'Assemblée de la francophonie de l'Ontario (AFO), Denis Vaillancourt. Un texte de longueur moyenne, avec une photo prise en 2013 (!!!), en page 5 du journal, sans mention à la une. C'est mieux que rien, et mieux que la plupart des autres médias, mais pour Le Droit, compte tenu de son mandat historique, c'est inacceptable.

Mon ancien quotidien aux racines franco-ontariennes aurait dû être présent à Toronto pour rendre compte des débats, sur le Web et dans ses pages imprimées, pour y retransmettre l'ambiance, pour interviewer des participants, pour offrir des témoignages du vécu des jeunes francophones ontariens face à l'offre insatisfaisante de programmes francophones au postsecondaire et à l'absence d'une université à leur image et dont ils assumeraient la gouvernance. Ce n'est pas trop demander au Droit de faire ça, surtout quand la direction proclame sur tous les toits son engagement et sa loyauté envers la francophonie!

Enfin passons… Mentionnons que Radio-Canada avait sur son site Web quelques nouvelles et entrevues passées en ondes la veille, notamment à Ottawa et à Sudbury. De plus, selon les gazouillis sur Twitter, il semble que le réseau public ait sur place au moins un journaliste. Je n'ai pas vu, toutefois, d'élément me permettant de croire que le sujet se soit rendu jusque dans les bulletins pan-canadiens ou au grand Téléjournal. Si quelqu'un en sait plus, n'hésitez pas à me le faire savoir.

Revenons aux quotidiens. À l'exception du texte dans Le Droit, je n'ai RIEN trouvé dans La Presse, Le Devoir, le Journal de Montréal, le Journal de QuébecLe Soleil, le Quotidien du Saguenay, Le Nouvelliste, La Tribune, La Voix de l'Est, L'Acadie nouvelle. Rien vu non plus dans l'hebdo de langue française de Toronto, ni dans les trois quotidiens de langue anglaise de la Ville-Reine… Si j'ai mal cherché (les yeux fermés comme un homme, dirait mon épouse), je suis confiant qu'on me corrigera…

Je n'ai pas beaucoup fouillé la jungle de la radio privée, mais j'ai noté que UniqueFM Ottawa (94,5) avait diffusé un reportage et que la station 104,7 Outaouais avait propagé une nouvelle sur le sommet franco-ontarien dans l'ensemble de l'univers Web du réseau, y compris à Montréal et à Québec. Mais comme je suis un gars de l'imprimé, la radio n'est pas ma spécialité… Je surveillais ce matin, essentiellement, la presse écrite... 

Puisque des mouvements comme le REFO, l'AFO et la FESFO (étudiants et étudiantes du secondaire) n'ont pas à leur emploi une armée de relationnistes pour inonder de communiqués et d'invitations les directions des salles de rédaction, il faut compter - dans les salles de nouvelles - sur la bonne vieille méthode de suivre les grands dossiers, de prendre des notes, d'évaluer et de prendre des décisions en fonction de l'importance des sujets à couvrir. J'ai peine à croire que, bien informés, un rédacteur ou un éditeur puisse décider de mettre à la poubelle le sommet sur le postsecondaire en Ontario français. Alors?

Je dois conclure que les patrons des quotidiens (français et anglais) ne sont pas au courant ou qu'ils ne s'intéressent pas à cet enjeu de la francophonie hors-Québec . Ce qui fait que peu importe la valeur de leurs revendications, et l'urgence d'y répondre, les jeunes Franco-Ontariens continueront - dans un avenir prévisible - à crier dans un désert médiatique hors-Ontario (sauf peut-être occasionnellement au Devoir), et qu'ils devront utiliser avec le plus d'efficacité possible les leviers que leur offrent les médias sociaux.

Crier dans le désert… c'est déjà mieux que le silence total…






vendredi 3 octobre 2014

«Les guerriers sont fatigués»...

Quand j'étais Franco-Ontarien, et même maintenant à Gatineau, je n'ai jamais été un grand défenseur de nos versions du bilinguisme institutionnel et du bilinguisme collectif, qui m'ont le plus souvent parus - du moins dans les milieux où j'ai vécu - comme une étape ou une transition vers un état d'assimilation accrue ou un éventuel unilinguisme anglais. Alors pourquoi cela me poigne-t-il aux tripes quand des gens se lèvent pour attaquer le bilinguisme municipal à Ottawa ou critiquer les Franco-Ontariens?

Cette semaine, l'hebdomadaire L'Express d'Ottawa publiait un texte reproduisant une déclaration d'un candidat (Mark Scharfe) aux élections municipales dans la circonscription d'Osgoode, en banlieue sud du noyau urbain, proposant de suspendre les services bilingues de la ville et de remettre 10% des sommes ainsi économisées aux banques alimentaires. Pour se justifier, il déclara ce qui suit: «J'ai pris des cours de français pour devenir bilingue, mais quand j'ai essayé de parler, les francophones ont toujours eu le réflexe de passer à l'anglais en entendant mon accent. Je ne pouvais dès lors trouver personne dans Vanier (un quartier plus francophone que d'autres à Ottawa) qui ne parle pas anglais. Pour moi, devenir bilingue a toujours été une perte de temps.»

D'autre part, dans un texte somme toute pondéré, publié sur le Web par Sympatico Actualités, le chroniqueur québécois Renart Léveillé, conclut que «le bilinguisme de la minorité francophone (d'Ottawa) n'encourage pas le bilinguisme des anglophones», que les francophones «ont perdu ce petit quelque chose qui leur aurait donné le goût de partager leur langue maternelle comme vecteur culturel avec quelqu'un qui visiblement s'y intéressait», qu'ils ont «perdu le goût de prendre la mesure de leurs actions pour la pérennité du français». Plutôt que d'aider un anglophone (comme Mark Scharfe) à faire l'apprentissage du français, «ils ont décidé de prendre la voie de la facilité».

Je tiens à préciser d'abord que j'accepte que les opinions émises par MM. Scharfe et Léveillé sont faites de bonne foi, qu'ils sont ouverts au dialogue. Ma réplique décousue et partielle ne vise qu'à ajouter au débat quelques éléments dont ils n'ont peut-être pas tenu compte ou qu'ils ignorent, et qui pourraient les amener à nuancer ou modifier leurs propos.

1. L'histoire. La persécution du français en Ontario a commencé au début du 20e siècle, et des générations successives de Franco-Ontariens subi des injustices qui ont laissé des traces individuelles et collectives. Ce n'est pas le fruit du hasard si, instinctivement, une grande partie des francophones de la capitale passe à l'anglais devant un anglophone, même avec un anglophone qui parle français. Si M. Scharfe était mieux informé du passé franco-ontarien, il verrait la situation autrement…

2. La décision. M. Léveillé évoque la décision de prendre la voie de la facilité. Une professeure de l'Université d'Ottawa, Phyllis Dalley, disait un peu le «pile» du «face» de M. Léveillé dans le journal étudiant La Rotonde: «Être francophone en Ontario, c'est devoir faire le choix à chaque jour de poursuivre ou délaisser la langue française.» Cette façon de voir, selon moi, est erronée. Le nombre de personnes qui font de tels choix est très limité. L'immense majorité s'intègre, sans y réfléchir, à son milieu. L'assimilation est un phénomène sociologique, et non individuel…

3. La persévérance. Même pour ceux et celles qui prennent la «décision» de rester francophones en Ontario, la lutte est constante, quotidienne, et surtout usante. «Les guerriers sont fatigués», écrivait de façon opportune l'éditorialiste Pierre Bergeron dans Le Droit. Après des mois, des années, des générations de persévérance dans un milieu hostile, raciste même à l'occasion, bien des gens décrochent ou, comme certains, traversent la rivière pour vivre en français sur la rive québécoise. Depuis 50 ans, des milliers de Franco-Ontariens l'ont fait dans la région d'Ottawa et de l'Est ontarien.

Quand je retourne dans mon quartier natal de Saint-François d'Assise et constate la quasi-disparition d'une communauté jadis francophone et florissante, quand je vois l'immense complexe d'édifices fédéraux qui a signé la mort du quartier, quand je vois d'anciennes maisonnettes propres en état de délabrement sur certaines rues; quand, au centre-ville, je vois le panneau municipal «Communauté LOWERTOWN» alors que tout le monde disait autrefois «Basse-Ville»; quand je vois les terrains vagues des Plaines Lebreton dont les habitants, à forte proportion francophones, ont été expulsés manu militari il y a un demi-siècle, je me dis que ce qui reste des anciennes communautés franco-ontariennes, aujourd'hui éparpillées, ne méritent pas les critiques dont elles sont l'objet et que les services en français de la ville d'Ottawa sont une faible compensation pour les injustices criantes du passé.

Ceux et celles qui continuent de défendre la langue et la culture françaises, aujourd'hui, en Ontario, méritent notre appui et notre solidarité. Et tout en conservant un bon sens critique et en ne me privant pas de mettre les points sur les «i» quand il le faut, j'ai pour eux la plus grande admiration. Quant au tiers et plus des anciens Franco-Ontariens qui ont totalement perdu leur langue au fil des années, je me permets de citer l'auteur Omer Latour, de Cornwall, parlant de l'assimilation des siens: «Vous me demandez pourquoi ils sont morts? Je vous demande comment ils ont fait pour résister si longtemps.» 

Et aux Québécois qui seraient tentés de croire que tout ceci ne les concerne pas, je laisse toujours cette citation de l'auteur Pierre Albert, servie comme avertissement: « Un jour, dit le dernier des Franco-Ontariens, il y aura peut-être le dernier des Québécois.»