mercredi 16 septembre 2015

Les sondages, les médias et le Bloc...

Au cours d'une discussion récente où j'avais indiqué mon intention de voter pour le candidat du Bloc québécois, mon interlocuteur m'a lancé: «mais c'est un vote perdu»… Sa réaction, instinctive, est loin d'être inusitée. On pourrait presque dire qu'elle va de soi pour un grand nombre de citoyens. Combien de fois avez-vous entendu des gens affirmer, après une élection, qu'ils avaient «perdu leur vote» parce qu'ils avaient appuyé une candidate ou un candidat défait? Or, personne - moi inclus - n'aime «perdre son vote», peu importe le scrutin. 

Jadis, avant les sondages d'opinion publique ultra médiatisés, les électeurs avaient à leur disposition de l'information sur les candidats, les programmes des partis, l'histoire et le contexte politique, s'ajoutant aux convictions personnelles et aux actualités, pour fixer leur choix électoral. Ce n'est que le lendemain de l'élection qu'on reconnaissait, en comparant les mines réjouies et renfrognées, ceux et celles qui avait «perdu» leur vote. Et on aurait beau avoir expliqué aux «perdants» qu'en démocratie, on gagne toujours à voter selon ses convictions, même dans la défaite, la victoire d'un adversaire reste comme une arête dans la gorge pendant quatre ans…

Mais depuis un demi-siècle, les électorats ont un moyen beaucoup plus sûr de voter pour un gagnant, un moyen qui peut devenir redoutablement efficace, surtout si l'on fait partie de ces groupes qu'on appelle les «indécis» ou les «sympathisants mous»… De fait, selon une étude effectuée en 2012 et rapportée dans les pages d'opinion du quotidien Le Devoir (http://bit.ly/1hw8MeH), environ le quart des électeurs sont susceptibles de changer d'idée, le plus souvent en faveur des favoris, en prenant connaissance des sondages d'intentions de vote durant une campagne électorale.

Or, au cours de la campagne fédérale actuelle, les médias ont déjà fait état de plus de 35 sondages pan-canadiens et s'il existe dans ce bourbier de données une constante, c'est l'avance plus qu'appréciable du NPD au Québec et dans ma circonscription, Gatineau, tout particulièrement, où la néo-démocrate Françoise Boivin a accaparé en 2011 plus de 60% des voix exprimées! Une majorité de 25 000! Si le NPD perd Gatineau, il est en danger partout et rien n'indique un danger imminent. Alors pourquoi voudrait-on «perdre» son vote en appuyant le candidat du Bloc, qui pourrait - même en finissant second comme en 2011 - rafler tout au plus de 15 à 20% des votes?

Le problème, ici, ne réside pas dans la réponse à cette question, mais bien dans le fait qu'on puisse même la poser. En soi, une majorité de 25 000 - quoique énorme - peut être renversée. Toujours dans ma circonscription, en 1980, le candidat libéral René Cousineau avait gagné avec 79% des voix et une majorité de 31 000 votes. En 1984, la candidate conservatrice Claudy Mailly l'a battu avec 8000 voix de majorité… Sans doute un peu beaucoup grâce aux sondages annonçant un raz-de-marée en faveur du parti de Brian Mulroney…

J'ai entendu ce matin, aux nouvelles de Radio-Canada, que des dizaines de milliers d'électeurs de la côte ouest s'étaient engagés à voter «stratégique»… en donnant leur appui à la candidate ou au candidat ayant la meilleure chance de «gagner» contre le porte-étendard conservateur. La FTQ a adopté la même «stratégie» au Québec. On demande donc aux gens de se pincer le nez, et de soutenir un parti qui ne correspond pas à leurs convictions. Je peux concevoir que cette option puisse avoir une valeur, mais elle ne devient possible qu'avec les sondages, grâce auxquels on peut savoir quelle formation, dans telle ou telle circonscription, a le plus de chances de défaire le candidat gouvernemental...

L'étude de 2012 démontrait certains effets probables de la publication des sondages en période électorale - des effets que le bon sens le plus élémentaire aurait permis de déduire. Pour une certaine partie de l'électorat, les sondages ont un effet d'entraînement vers la formation perçue comme ayant la meilleure chance de gagner, et ils ont aussi comme conséquence d'encourager les meneurs à redoubler d'ardeur, tout en décourageant et en démobilisant les partisans des formations «perdantes» à ces scrutins virtuels aux marges d'erreur les plus variables…

Un jour, pas très lointain, j'espère qu'on reprochera aux médias de notre époque d'avoir délaissé leur mission première - de couvrir, analyser et commenter l'actualité - pour créer eux-même des manchettes avec des sondages qu'ils parrainent, des manchettes qui constituent une intrusion dans le processus démocratique et qui mènent à des analyses comme celle publiée dans le Huffington Post Québec (http://huff.to/1MawKy1) où, à partir de sondages, on décortique les «résultats» probables d'une élection qui aura lieu dans plus d'un mois et qui peut toujours - si le passé est garant de l'avenir - réserver des tas de surprises.

Au lieu de suivre loyalement le Bloc québécois, comme tous les partis, en couvrant, analysant et commentant les activités de son chef, de ses candidats, le programme et les enjeux, on fait son autopsie à partir de sondages - comme si les vrais bulletins de vote étaient déjà comptés. Or, quel effet ces sondages et ces «analyses» et commentaires peuvent-ils avoir sur la partie indécise ou «molle» de l'électorat, et même sur les soutiens traditionnels du Bloc? Je vous laisse le soin de répondre à cette question, mais vous pouvez sans doute en saisir la portée…

Il est bien possible que le Bloc disparaisse… ou pas. Cette décision aurait dû appartenir aux électeurs, après des choix fondés sur les enjeux et la valeur des programmes, sans influence indue des pages et écrans des grands médias avec leurs maisons de sondages… En démocratie, il n'y a jamais de vote perdu. Sans défaites, il n'y a jamais de victoires. Sans opposition, il n'y a jamais de débats.

Les facteurs historiques et actuels qui ont rendu nécessaire la présence du Bloc québécois n'ont pas foncièrement changé depuis 1990, et restent en attente de solutions. Bien informés, les citoyens verront dans l'option du Bloc une avenue aussi plausible et réaliste que celles des autres formations. Mais quand, jour après jour, on nous lance à l'aide de sondages dans les journaux, à la radio, à la télé, sur Internet, que le Bloc est à l'agonie… on a moins tendance à juger le parti au mérite. Pourquoi, de toute façon, aller «perdre» son vote?

J'ai une petite nouvelle pour vous. Même si, le 19 octobre, je suis tout fin seul à voter pour le Bloc dans la circonscription de Gatineau, j'aurai «gagné» mon élection et j'aurai un grand sourire le lendemain. Parce que j'aurai voté selon mes convictions. Mais je ne serai pas seul...

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