mercredi 2 décembre 2015

Les francophones, «citoyens de second ordre»...


J'étais enrhumé, hier matin (1er décembre), et j'aurais dû rester tranquillement à la maison. Mais je me suis tout de même déplacé vers le centre-ville d'Ottawa en dépit d'une prévision de verglas, arrêtant au passage à la caisse pop pour prendre 20 $ en monnaie que boufferaient en bonne partie les parcomètres ultra gourmands du campus de l'Université d'Ottawa…

Ma destination? Rien pour faire courir les foules… un panel sur l'heure du lunch, à la faculté de droit, sur le jugement Caron-Boutet rendu le 20 novembre par la Cour suprême... celui qui a éteint l'espoir de voir un statut officiel reconnu à la langue française dans les provinces d'Alberta et de Saskatchewan. Je me disais qu'à chaud, un échange entre trois juristes et une politicologue ferait jaillir des étincelles…

Attentes déçues! Oh, le panel ne manquait pas de compétence. Les trois juristes présents - deux de l'Université d'Ottawa (Sébastien Grammond et François Larocque) et l'autre du Commissariat aux langues officielles (Christine Ruest-Norreena) - avaient même participé à divers titres à l'appel de MM. Caron et Boutet devant la Cour suprême. Leurs explications étaient claires et instructives.

Mais je n'étais pas là pour prendre des notes ou, comme d'autres étudiants, pour faire créditer ma présence comme activité de formation continue. Je voulais un débat, des échanges, tout au moins un peu d'émotion, de colère, de paroles poings-en-l'air de la part de ces gens que six des neuf juges du plus haut tribunal du pays venaient de débouter… Or le ton était monocorde, plate, soumis.

Il a fallu attendre la politicologue, Linda Cardinal, pour voir des éclairs de feu dans les yeux et sentir l'odeur de poudre dans le verbe… Il était temps, elle était la dernière à prendre la parole et il n'y aurait pas, à toutes fins utiles, de période de questions après. N'étant pas avocate (avantage et désavantage à la fois dans le contexte), elle pouvait se permettre de déborder le cadre des considérations strictement légales et constitutionnelles.

La première salve de Mme Cardinal est venue quand elle a prêté aux six juges majoritaires de la Cour suprême des intentions au moins aussi politiques que juridiques. S'étant sans doute rendus compte qu'une victoire de Caron-Boutet mettrait cens dessus dessous l'univers gouvernemental et administratif à Edmonton et Régina, ils ont officialisé le statu quo linguistique en dépit de preuves convaincantes «pour ne pas bousculer les pratiques juridiques présentes».

Après ce petit coup d'éperon vous-savez-où, Mme Cardinal y est allée d'un plus gros boulet de canon. Ces juges, a-t-elle dit, ont relégué les francophones de l'Ouest - et je présume, de l'ensemble du pays - au rôle «de citoyens de second ordre». Le message qu'ils ont lancé est clair, et il n'est lancé qu'aux francophones: à moins de pouvoir démontrer noir sur blanc avec des textes de loi, préférablement constitutionnels, que vous avez des droits linguistiques, vous n'en avez pas…

Ne venez pas nous parler de vieux traités, de pratiques établies, de promesses verbales, de politiques administratives, d'engagements que tout le monde semblait comprendre en 1870 mais qu'on interprète à toutes les sauces en 2015, la seule chose qui compte, c'est un article de loi qui donne au français un caractère officiel. Vous ne l'avez pas? Tant pis! Et d'ajouter Mme Cardinal, voilà une leçon qu'il faudra rappeler au maire d'Ottawa quand il tentera encore une fois de convaincre les francophones de la capitale que le bilinguisme de fait suffit…

Après le panel, qui m'a un peu frustré, comme un film qui finit mal, je me suis demandé s'il y avait une loi qui empêche des juristes ou des professeurs de droit d'élever le ton, de s'emporter, de s'indigner à l'occasion d'un événement filmé pour YouTube… J'aurais aimé qu'un des deux avocats de l'Université d'Ottawa conteste sur la place publique le statut d'inégalité imposé aux plaignants francophones, qui ont dû accepter d'être jugés par au moins deux magistrats suprêmes unilingues anglais… un traitement qu'on n'a jamais imposé à un seul anglophone du Canada depuis 1867…

J'aurais aimé entendre l'un d'eux dire qu'il avait exigé que ces deux juges se récusent… ou qu'il clame bien haut l'injustice d'avoir reçu une décision rédigée en anglais (avec traduction française)… alors que les plaignants étaient francophones. J'aurais aimé que l'un d'eux affirme clairement que les francophones ne sont pas égaux aux anglophones en Cour suprême... et qu'il faudra trouver un moyen de corriger la situation sans délai.

Que peuvent faire les francophones quand la Cour suprême rend officielle une situation illégale, comme ce fut le cas le 20 novembre 2015? Il n'y a plus d'appel possible. C'est le sort qu'on réserve à «des citoyens de second ordre»…


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