mardi 8 décembre 2015

Crise d'identité - un débat universel

J'avais lu quelques commentaires fort négatifs au sujet de l'émission Crise d'identité (http://bit.ly/1HSEcje), diffusée cette semaine à Télé-Québec, où Bernard Derome tente de décortiquer l'identité «québécoise» avec une brochette d'invités dits «libres-penseurs». Je l'ai visionnée malgré tout, et je dois avouer qu'en dépit d'extraits malheureux au début et d'une orientation parfois trop évidente, l'ensemble était à la fois divertissant et instructif.

Il faut, dès le départ, se mettre dans la tête que jamais, au grand jamais, produira-t-on ici un document identitaire «neutre» ou «objectif». Ce thème est une bombe qui éclate invariablement dans les mains de tous ceux, de toutes celles qui le manient. Avant même de produire la première petite minute de texte ou de film, vous avez la moitié de l'auditoire contre vous, et les médias sociaux en alerte…

Prenons Crise d'identitié. Le choix des personnes interviewées était orienté en faveur de Montréal, et de son prolongement international. Le libellé de certaines questions avait tendance à influencer les réponses. Les extraits du début donnaient un ton qui a certainement dû déplaire aux Québécois plus nationalistes (et qui ne rendait pas justice à la variété des points de vue exprimés). Et le tout semblait vouloir livrer un message, ou encore diriger le débat plutôt que de le refléter. Mais qui suis-je pour juger? En avoir été l'auteur, je serais peut-être tombé dans le même panneau…

Pour faire le point sur cette émission, permettez-moi d'isoler une intervention d'un de nos icônes culturels, Robert Lepage, sur la question de la langue. Je n'ai pas la citation exacte durant l'émission Crise d'identité, mais le sens était le suivant. Si vous voulez «faire» international, allez-y, utilisez l'anglais. Mais pour être universel, servons-nous de notre langue, le français, et parlons de ce que nous connaissons bien - c'est-à-dire de nous, de qui nous sommes, de ce que nous faisons.

Je crois que sans le savoir, il a aussi offert une clef pour optimiser l'écoute de ce documentaire de Télé-Québec. La richesse du documentaire provient en effet du vécu des invités, des milieux dans lesquels ils ont grandi, dans lesquels ils ont évolué, et de ce qu'ils en disent. Quand ils sortent de cette «zone de confort» tout à fait personnelle, et qu'ils errent dans les voies achalandées de l'histoire et de l'actualité d'ici et d'ailleurs, les marges d'erreurs de fait et de perceptions sont surmultipliées.

Ce que Jean-François (alias Jeff) Stinco, guitariste du groupe Simple Plan, pense du fait - pour un groupe québécois - de chanter en anglais a certainement de l'importance, mais comment comprendre ce qu'il avance sans savoir qu'il est originaire du West Island, que sa famille était la seule francophone de sa rue, et qu'il a grandi dans un milieu multiculturel à dominance anglaise? Sa perception identitaire a été façonnée dans son milieu, par ce qu'il est, par ce qu'il a fait… Il aurait été intéressant de poser la même question à un musicien des Cowboys Fringants...

Quand l'humoriste irakien-marocain-québécois Adib Alkhalildey affirme que la langue française, «c'est ma mère, mon pays, et que partout où l'on parle français, je me sens chez moi», on pourrait s'étonner et y voir un rejet d'une identité locale en faveur d'une adhésion mondialiste, jusqu'à ce qu'il raconte son expérience ici au Québec, où il s'est senti exclu de partout. Les Marocains ne le considéraient pas comme l'un des leurs, les Irakiens non plus, et les Québécois le voyaient comme un étranger…

Vu sous cet angle, le témoignage de toutes les personnes interviewées - Boucar Diouf, Dany Laferrière, Fred Pellerin, Brian Mulroney et les autres - apporte une perspective utile au débat identitaire dans la mesure où elle est bien ancrée dans les milieux dont ils sont issus et dans les expériences de vie qui les ont façonnées. Ça aide à oublier un peu le biais anti-nationaliste perceptible de l'offrande, tant par la sélection de ces «libres-penseurs» (comme si les «autres» ne l'étaient pas) que par l'emballage.

Bernard Derome enveloppe le tout de son aura professionnelle, mais franchement le ton de certaines de ses questions m'a déçu. Évidemment on ne sait pas si cela vient de lui ou de quelque concepteur du projet, mais je donne un exemple. Vers la fin, il demande à Brian Mulroney si, comme peuple, il ne faudrait pas arrêter de se regarder le nombril. Et l'autre de répondre oui, bien sûr. Ça, ce n'est pas une question, c'est un commentaire interrogateur qui invite (espère) une réponse bien précise… Il y aurait eu mille et une façons de poser cette question autrement, en orientant moins la réponse.

Une autre faiblesse. De toute évidence, les invités à cette table identitaire connaissaient peu la réalité des menaces qui pèsent sur la langue française dans notre coin d'Amérique. Ils ne fréquentent par les colonnes de chiffres des recensements, et ne lisent pas les études sur l'acculturation et l'assimilation. Alors, en cette matière, les statistiques et les diagnostics qu'ils lancent (voulant notamment que le français ne soit pas menacé au Québec) sont largement erronés.

Enfin, heureusement, le corps de l'émission indique très clairement que le débat identitaire est tout sauf… se regarder le nombril. Il ratisse large, de la rue du West Island au village de St-Élie-de-Caxton, des multiples facettes de Montréal aux vélos du Québec au Japon, de l'apport des Québécois venus d'ailleurs à la francophonie mondiale, tout y passe. Peu importe les points de vue, ces gens sont tous reliés par la langue française et par leur appartenance au territoire québécois. Et en ce sens, le débat identitaire d'ici reste ce qu'il a toujours été, un débat universel.



2 commentaires:

  1. "De toute évidence, les invités à cette table identitaire connaissaient peu la réalité des menaces qui pèsent sur la langue française dans notre coin d'Amérique." Bernard Derome a produit un manifeste pour déconstruire nos repères identitaires et cela à Télé-Québec.

    Les loups collabos ont maintenant investi la bergerie!


    Le Canada bilingue de Trudeau ????

    Le rêve de Trudeau père relève aujourd’hui d’un fantasme irréaliste : le Canada est de moins en moins bilingue ?

    Je dirais plutôt un génocide culturel prémédité !

    Voir…
    • Le mensonge de Trudeau !
    • Les résultats de Trudeau!
    • La réalité de Trudeau !
    • Avis de décès: le rêve de Trudeau !


    https://www.facebook.com/?ref=tn_tnmn#!/photo.php?fbid=10153550867058140&set=a.232916908139.169388.652793139&type=1&theater

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  2. Comme vous le dites, monsieur Allard, ce documentaire est un peu tendancieux : Bernard Derome et la plupart de ses invités sous-estiment l'anglicisation progressive du Canada français.

    Un commentaire de Robert Lepage, aux trois quarts de l'émission, m'a particulièrement intéressé : je suis aussi embarrassé que lui que des chanteurs, à la Saint-Jean sur les Plaines, demandent «s'il y a des Québécois de souche icitte !» Quelle impolitesse pour les spectateurs qui ne sont pas «de souche» et qui pourtant sont venus les entendre, donnant là la meilleure preuve de leur désir de s'intégrer !

    Mais Lepage poursuit : «Y a rien de plus impur qu'un Québécois pur laine !» Il a raison, et c'est tant mieux ! Le métissage est beaucoup plus sain que la consanguinité et il est heureux que la plupart d'entre nous comptent des Amérindiens, Irlandais et bien d'autres dans leur arbre généalogique.

    Quand nous utilisons ces maladroites expressions («de souche» ou «pure laine»), nous parlons d'héritage culturel, et non de pureté raciale : nous parlons de ce peuple qui descend des colons venus en Nouvelle-France, mais aussi de tous ceux qui ont adopté sa langue et sa culture, peu importe combien d'ancêtres nés ici ils peuvent revendiquer.

    Quel dommage que l'Amérique du Nord britannique ait adopté le nom de «Canada» au lieu de choisir un nom comme «Boréalie», par exemple. Nous n'aurions pas eu besoin de devenir des Canadiens-Français, puis des Québécois francophones, des «de souche» et des «pure laine». Nous aurions gardé l'appellation «Canadiens» qui, outre nous rapprocher des francos hors Québec, aurait établi plus clairement la distinction avec les Québécois anglophones et allophones qui ne partagent pas cet héritage.

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