vendredi 15 mai 2015

L'odeur suspecte d'un jugement...


Ce jugement de la Cour suprême au sujet des droits scolaires des Franco-Yukonnais a une odeur suspecte. Toute l'affaire des droits scolaires des francophones du Yukon, qui traîne depuis une quinzaine d'années, a une odeur suspecte. On me dira que je n'ai pas de preuves pour formuler des allégations dans ce dossier qui se déroule à des milliers de kilomètres de chez nous, mais mon instinct d'ex-Franco-Ontarien formé aux querelles linguistiques dans un milieu anglo-dominant hostile me dit que mes cousins culturels du Yukon viennent de se faire passer un sapin…

Je dois avouer que c'est l'un des jugements les plus étranges que j'aie eu l'occasion de lire… La majeure partie de la décision de la Cour suprême ne porte pas sur le fond des droits scolaires mais sur la contestation - par le Yukon - de l'impartialité du juge du premier procès, Vital Ouellette, qui, de toute évidence, avait paru favoriser les Franco-Yukonnais jusque dans son comportement au tribunal. Sa décision subséquente, largement favorable aux francophones, a sans doute fait déborder le vase chez les autorités du Yukon qui ont interjeté appel…

Le fait que le juge Ouellette ait été gouverneur de la Fondation franco-albertaine a dû immédiatement le rendre suspect à de nombreux anglophones qui n'appliqueraient sans doute pas des critères similaires pour juger de la partialité des leurs… La Cour suprême affirme d'ailleurs que ce lien avec la Fondation franco-albertaine ne peut être retenu contre lui et rejette, pour cette raison (officiellement du moins), l'allégation de partialité qu'a retenue contre le juge d'instance la Cour d'appel. Mais nos grands juristes de la rue Wellington (à Ottawa) ont estimé tout de même que certains des comportements du juge Ouellette au tribunal auraient ou faire naître une «crainte raisonnable de partialité».

Dans ces «incidents» où l'impartialité du juge de procès francophone est remise en question, les autorités du Yukon (par l'entremise de leur avocat) ont été rabroués en cour. Je n'étais pas là, et peut-être ont-ils raison de se sentir lésés, mais je pose la question: et si le juge Ouellette avait raison? Il a accusé le Yukon de «jouer un petit jeu» et de vouloir retarder indûment le procès… Est-ce possible? Ce procès, terminé en 2011, constitue l'aboutissement de refus et de conflits avec le gouvernement du Yukon qui remontent à au moins 2002… Je dirais qu'il y a matière à croire que les Franco-Yukonnais ont été indûment patients et que le juge pouvait «raisonnablement» conclure que le Yukon ne faisait rien pour accélérer les procédures ou régler le dossier…

Même si la Cour suprême finit par rejeter la conclusion de la Cour d'appel, notamment par rapport aux liens entre le juge Ouellette et la Fondation franco-albertaine, elle le fait du bout de la langue et tout le ton de l'argumentaire… enfin si j'étais le juge Ouellette je n'aimerais pas du tout ces passages plus amers que doux de la décision de la plus haute instance judiciaire canadienne…

Quoiqu'il en soit, s'il fallait qu'on passe au peigne fin tous les jugements défavorables aux francophones depuis la Confédération - de la pendaison de Riel à la Loi 101 - pour y déceler des manifestations de partialité et de préjugés anti-canadiens-français ou québécois, je suis prêt à gager ma chemise qu'on trouverait là matière à rédiger une encyclopédie...

Mais revenons aux Franco-Yukonnais. Après avoir péniblement évacué la question de l'impartialité, la Cour suprême revient sur le noeud de l'affaire - les critères d'admission aux écoles de langue française et la langue de communication entre la Commission scolaire francophone et le gouvernement territorial.

Encore là, il y a une drôle d'odeur. Après avoir reconnu, comme la Cour d'appel du Yukon, que la Commission scolaire francophone n'avait pas le droit de déterminer seule les critères d'admission à l'école française (pour les élargir bien sûr), les augustes juristes d'Ottawa suggèrent une stratégie aux Franco-Yukonnais pour leur prochain procès et leur proposent un argument majeur (par rapport à l'article 23 de la Charte canadienne) auquel ils pourraient éventuellement - à la Cour suprême - réserver un accueil plus chaleureux…

Comme je vois cela, la Cour suprême dit aux Franco-Yukonnais: on vous renvoie entre les griffes d'une Cour d'appel qui n'aimait pas trop le comportement de votre juge franco-albertain, qui vous refusera presque certainement les droits que vous réclamez, qui vous fera perdre une autre année ou deux ou trois et vous fera dépenser des tas de sous pendant que votre minorité se débat pour sa survie… mais n'ayez crainte, au bout du tunnel, vous aboutirez sans doute chez nous… et on vous attendra avec de chaudes couvertures, un bon café, et peut-être une reconnaissance de droits scolaires qui vous sont refusés depuis toujours…

Patience les amis…. «Justice n'a pas été rendue» mais soyez doux avec vos maîtres anglophones… n'utilisez plus de juges trop combatifs… célébrez bien fort les 150 ans de la Confédération… et on verra ensuite!

C'est ce que mes tripes ex-franco-ontariennes ressentent… Je me trompe sûrement…


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Déclaration officielle de l'Association franco-yukonnaire après le jugement de la Cour suprême:

« Depuis le dépôt du recours judiciaire en 2009, temps, énergie et argent ont été investis en vain. Demander à une petite communauté comme la nôtre de s'engager dans un deuxième procès n'est pas réaliste et freine son développement. Des millions ont été dépensés et justice n'a pas été rendue. »


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