mardi 12 mai 2015

Vous souvenez-vous de la Déclaration de Sherbrooke?

Finalement, après quatre ans de présence à Ottawa comme opposition officielle avec une majorité de Québécois francophones dans sa députation, le Nouveau Parti démocratique (NPD) s'est comporté comme la plupart des grandes formations pan-canadiennes face au Québec et à la francophonie. Ce parti avait pourtant l'opportunité, grâce à la fenêtre ouverte par Jack Layton au printemps 2011, d'amorcer un dégel de l'ère glaciaire constitutionnelle laissée en héritage par les libéraux et consolidée par l'inaction des gouvernements Harper depuis 2006.

Pour remplacer le Bloc comme porte-voix de la nation québécoise, le NPD arrivait armé d'une vision des relations Québec-Canada adoptée en 2006 par son conseil fédéral et intitulée «Déclaration de Sherbrooke». À ce que je sache, même si cela ne paraît guère depuis l'élection du 2 mai 2011, c'est toujours la position officielle du NPD fédéral… Cette vision, pour résumer, est fondée sur un fédéralisme asymétrique où Ottawa devient la capitale «nationale» des neuf provinces à majorité anglophone, pendant que Québec renforce son statut de capitale «nationale» des Québécois.

Cela équivaut à laisser au NPD le champ libre de centraliser encore plus de pouvoirs provinciaux à Ottawa, mais seulement pour le Canada anglais. À chaque fois, le Québec a droit de retrait avec pleine compensation. La solution à long terme serait donc, au-delà d'une série de compétences clairement attribuée au gouvernement fédéral, le développement d'une fédération avec deux capitales nationales, au sein de laquelle le Québec verrait son «statut particulier» devenir «très particulier»…

La Déclaration de Sherbrooke est très claire quant à cette vision: «la construction de l'État moderne et d'un projet de société pour les Québécoises et les Québécois s'est faite principalement autour de l'État québécois. (…) Le rôle de l'État fédéral était plus souvent qu'autrement vu comme étant secondaire ou périphérique. Cette vision contraste évidemment avec celle portée par une majorité des gens des autres provinces, qui voient le gouvernement fédéral comme étant leur gouvernement "national", avec un rôle secondaire aux provinces.»

Et la déclaration du NPD fédéral ajoute que ce «nationalisme québécois peut être une force, et non une menace, pour le Canada». En page éditoriale du Droit, quelques semaines après l'élection de mai 2011, j'écrivais: «Voilà le Canada que Jack Layton s'est engagé à construire. Un pays avec un fédéralisme de plus en plus centralisateur, sauf pour le Québec. Un pays où Ottawa devient le gouvernement "national" de neuf des dix provinces. S'il veut faire avaler ça au Canada anglais, il aura bien du monde è convaincre. Il doit s'atteler à la tâche tout de suite et marteler son message sans répit pendant quatre ans», jusqu'aux élections de 2015…

On ne saura jamais ce que M. Layton aurait fini par faire. Il est décédé quelques mois après. Ce qu'on sait, cependant, c'est que son successeur Thomas Mulcair a rangé le message central de la Déclaration de Sherbrooke sur une tablette bien cachée… Il n'a pas sorti son bâton de pèlerin pour aller prêcher aux anglophones de Hamilton, Brandon, Saskatoon, Red Deer, Kelowna, Fredericton ou St. John's les vertus d'un fédéralisme asymétrique et la valeur d'une coexistence bi-nationale constitutionnelle…

Au contraire, dans certains grands dossiers concernant le Québec et la francophonie, il s'est positionné comme chef typique d'un parti pan-canadien soucieux de ne pas être trop identifié au fleurdelisé… même si (ou parce que?) la majorité de sa députation provient du Québec… Dans le débat sur la Charte, durant l'intermède Marois, il a surpassé bien des collègues d'ailleurs au pays par son zèle multiculturel, allant jusqu'à proposer de puiser dans les fonds du NPD pour défendre les personnes ou organismes qui contesteraient la charte québécoise des valeurs devant les tribunaux.

Et en 2013, quand le gouvernement néo-démocrate de Nouvelle-Écosse a mis fin au statut protégé de quelques circonscriptions acadiennes, décision dénoncée par l'ensemble de la francophonie canadienne,  la direction fédérale du NPD n'est pas montée au front pour défendre la minorité acadienne contre cette ultime persécution… On tasse ses principes quand des «amis» politiques sont en cause… mais inventer une discrimination inexistante pour taper sur le PQ, ça, c'est permis…

La semaine dernière, le chef néo-démocrate Tom Mulcair a ouvertement proposé de créer un ministère fédéral des Affaires urbaines… un envahissement évident d'un champ de compétences des provinces étant donné que les municipalités relèvent de la juridiction exclusive de ces dernières… Et il n'a pas fait cette proposition pour plaire à Toronto, Calgary ou Vancouver… C'était pour Montréal… Une violation flagrante du coeur de la Déclaration de Sherbrooke, de ses propres politiques officielles…

Tom Mulcair a sans doute compris ce que tous les chefs politiques fédéraux finissent par comprendre: que la francophonie n'est jamais très populaire au Canada anglais et que la moindre concession constitutionnelle au Québec est toujours une concession de trop… Et, faut-il le rappeler, nos représentants à Ottawa seront toujours en minorité dans un parti au pouvoir, avec les conséquences que l'on connaît: une fois qu'on accepte cette évidence, on se réconcilie vite avec le principe d'un Bloc Québécois, qui nous représente dans la dignité sans espoir d'exercer un pouvoir qui nous est, de toute façon, collectivement inaccessible à Ottawa .

Je reviens à ma conclusion de novembre 2011, formulée après quelques mois d'absence du Bloc et son remplacement par 59 députés néo-démocrates québécois… «Sur la scène fédérale, le Bloc correspond le mieux aux aspirations pacifiques et social-démocrates de notre petite nation en devenir et en péril. Sans lui, qui "nous" représentera à Ottawa en attendant, comme peuple, de pouvoir faire mieux?»


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