vendredi 10 janvier 2014

Syndicalistes, professeurs, artistes...

À ceux et celles qui n'ont jamais cru que les mesures de guerre étaient d'abord dirigées contre le FLQ en octobre 1970, un petit chapitre du livre Un bodyguard pour mon âme*, de Percy Gagnon (ex-policier, 15 ans aux enquêtes criminelles) viendra renforcer vos convictions.

À l'époque, M. Gagnon était membre de l'escouade des homicides, attaché au quartier général de la Sûreté du Québec (dans la ville de Québec). Au moment de la promulgation de la Loi sur les mesures de guerre (16 octobre), c'était partout le branle-bas de combat dans les corps policiers québécois et fédéraux.

Après la découverte du corps du ministre Pierre Laporte, raconte l'auteur, il avait été décidé de procéder à une opération spéciale partout au Québec, en fin de nuit. Les mesures de guerre permettaient les perquisitions et arrestations sans mandat s'il y avait une perception de lien avec le Front de libération du Québec. Les personnes arrêtées pouvaient être incarcérées sans motif et sans le droit de consulter un avocat. Des kidnappings légalisés !

Percy Gagnon écrit à ce sujet:  « Le commandant me montra une liste de personnes qui lui avait été envoyée par le quartier général de Montréal, qui comprenait des noms de personnes qui demeuraient un peu partout au Québec, liste qui avait été compilée par une escouade spéciale travaillant au service de renseignements sur des personnes qui pouvaient être reliées de près ou de loin, à l'organisation du FLQ. Ces personnes devaient être trouvées et arrêtées sans mandat en vertu de la Loi sur les mesures de guerre, et détenues » en prison.

M. Gagnon a alors rassemblé son escouade pendant la nuit pour discuter de l'opération imminente. « Nous avons commencé à lire la liste des gens que nous devions arrêter et nous reconnaissions des personnes telles que des syndicalistes, des professeurs d'université, des artistes, etc. Je voyais bien qu'il n'y avait personne parmi nous qui avait la motivation au coeur de prendre la route et d'aller arrêter ces gens-là. » Il était déjà évident que la rafle visait autre chose que le FLQ...

C'est alors que Percy Gagnon eut une idée brillante. Plutôt que d'emprisonner des innocents, pourquoi ne pas utiliser les pouvoirs immenses des mesures de guerre pour s'attaquer à de vrais criminels? « Tous les voleurs de banque que nous soupçonnons et contre lesquels nous n'avons pas assez de preuves pour porter des accusations, celle loi nous permet de perquisitionner, sans mandat, leurs lieux de résidence, de les arrêter sans mandats et de les détenir pour une période indéfinie, soit tout le temps dont nous aurons besoin pour monter la preuve contre eux... »

À l'un des policiers qui rétorquait qu'il n'y avait pas de lien évident avec le FLQ, le policier Gagnon a répondu : « Qui te dit que l'argent qu'ils volent des banques ne sert pas à financer des membres du FLQ? » Et voilà ! Vers 5 heures du matin, ils se sont mis à enfoncer les portes de suspects, mitraillettes à la main. Mais c'étaient leurs suspects, pas ceux de « la liste »...

Devant les protestations, un des policiers répondait : « C'est la guerre, on n'a pas besoin de mandat. C'est la guerre à Trudeau et si tu n'es pas content, t'a juste la peine de l'appeler. » « Je crois, conclut M. Gagnon, que cette nuit-là, j'ai eu le plus beau party de toute ma carrière policière ! »

Conclusion? « Les jours et les semaines passèrent. Les voleurs de banque, bloqués dans leurs cellules, sans pouvoir sortir sous caution, sans avocat, se sont mis à parler. Nous avons éclairci une série de vols de coffre-forts et de vols à main armée. »

Ce que je retiens ce cette histoire, c'est que les mesures de guerre visaient d'abord, comme dit M. Gagnon, des syndicalistes, des professeurs, des artistes... et non le FLQ. Et que c'était tellement évident que des policiers de la SQ à Québec ont refusé d'obéir aux ordres donnés d'arrêter une série de personnes qui n'avaient commis aucun acte illégal et qui n'étaient aucunement liés aux activités criminelles du FLQ.

La preuve que les enquêteurs à Montréal étaient déjà sur des pistes précises ? Le jour de l'opération dont parle Percy Gagnon, le 18 octobre, un mandat d'arrestation a été émis contre Paul Rose, chef de la cellule Chénier (cellule responsable de la mort de Pierre Laporte)...

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Un bodyguard pour mon âme, par Percy Gagnon, publié au début de 2012.
www.bodyguardpourmoname.com


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