Les lectures ou relectures de livres et journaux (de vrais documents en papier, pas des bouts de textes reproduits sur Internet) qu'on a rangés sur nos tablettes au fil des décennies servent parfois à raviver des repères qui se sont effacés avec le temps et qui, au fond, conservent leur pertinence. Ainsi en est-il, entre autres, de ce cahier spécial du Devoir publié le 30 janvier 2000 à l'occasion du 90e anniversaire du quotidien montréalais.
Dans cette édition, on retrouve des textes de différentes époques signés par d'anciens rédacteurs du journal. J'ai en particulier retenu un texte d'André Laurendeau (ancien patron du Devoir et coprésident de la Commission B-B dans les années 1960), publié le 18 novembre 1958 après que le premier ministre de l'époque, Maurice Duplessis, eut appelé un policier pour expulser un journaliste du Devoir, Guy Lamarche, d'une de ses conférences de presse. Il n'avait aucune raison autre que sa hargne contre toute presse qui n'était pas servile...
Ce qui retient mon attention, ce ne sont pas tant les protestations justifiées de M. Laurendeau ou des groupes de journalistes québécois de l'époque, mais l'attitude des médias de langue anglaise, et notamment des journaux anglo-montréalais. Notant le silence initial de la presse anglophone de Montréal, il ajoute que la Gazette a publié là-dessus un article somme toute sympathique au gouvernement Duplessis et que le défunt Star ne voit pas dans l'expulsion du reporter du Devoir quelque chose de mauvais... tout au plus un geste maladroit. À la question qui s'impose - Pourquoi? - André Laurendeau répond ceci :
« Les journaux anglophones du Québec se comportent comme les Britanniques au sein d'une colonie d'Afrique.
« Les Britanniques ont le sens politique, ils détruisent rarement les institutions juridiques d'un pays conquis. Ils entourent le roi nègre mais ils lui passent des fantaisies. Ils lui ont permis à l'occasion de couper des têtes: ce sont les moeurs du pays. Une chose ne leur viendrait pas à l'esprit: et c'est de réclamer d'un roi nègre qu'il se conforme aux hauts standards moraux et politiques des Britanniques.
« Il faut obtenir du roi nègre qu'il collabore et protège les intérêts des Britanniques. Cette collaboration assurée, le reste importe moins. Le roitelet viole les règles de la démocratie? On ne saurait attendre mieux d'un primitif. »
Le colonialisme constituait à l'époque une grille d'analyse fréquente pour expliquer le comportement collectif, passé et actuel des francophones « colonisés » du Québec et de nos « Rhodésiens », pour employer l'expression de René Lévesque. Ce dernier avait aussi analysé le Québec du début des années 1970 d'un point de vue similaire. Il écrivait en 1971 dans dans la préface d'un des volumes de la grande série L'humanité en marche, ce qui suit :
« Ce que nous vivons, et qui dicte la seule démarche susceptible d'aboutir à l'émancipation, c'est un colonialisme feutré qui parvient dangereusement à donner les apparences de son contraire.
« Citoyen d'une société dépendante et bien manipulée, mais nanti de tous les droits dont le libéralisme anglo-saxon a gratifié l'individu, privé de surcroit de cette perception brutale de son infériorité que le racisme impérial imposait à l'homme de couleur, le Québécois devint ce qu'un de nos écrivains de la révolte a décrit d'une formule lapidaire : "le nègre blanc d'Amérique".
« Comme le chien de La Fontaine, le Québec français a si longtemps porté son collier feutré que, souvent, même ceux qui l'ont enfin brisé en gardent, sinon la nostalgie, en tout cas un réflexe conditionné d'incertitude et d'hésitation devant le défi troublant de la responsabilité nationale.
« De ce colonialisme de bonne compagnie, il est en fin de compte bien plus malaisé de sortir que de l'autre, celui qui ne se déguise pas et qui, à force d'exploitation et de violence ouverte, amène les "damnée de la terre" à se dresser en bloc contre lui. »
Il serait intéressant d'analyser le comportement actuel des médias anglophones avec une telle grille d'analyse, notamment dans le débat sur la Charte des valeurs et sur les dérivés de la Loi 101 (y compris le défunt projet de loi 14). Dans l'un comme dans l'autre, le peuple québécois s'affranchit enfin des valeurs « coloniales » traditionnelles, par l'affirmation de principes nettement laïcs et républicains, ainsi que par les multiples tentatives de consécration du français comme langue commune de la nation.
L'époque du Speak white, que ceux de ma génération ont entendu à l'occasion, n'est pas si loin. Sous l'épiderme de plusieurs anglophones, et notamment dans certains médias, couve la vieille attitude que « leur » langue et « leurs » valeurs sont supérieures aux nôtres. Le ton qu'ils emploient toujours, quand on les accule tant soit peu au pied du mur, frise souvent la colère haineuse...
Les relents d'un certain colonialisme...
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