vendredi 24 janvier 2014

Signes religieux, liberté de religion, liberté d'expression: on jase là...

Cela me fascine d'entendre les gens argumenter autour des principes justifiant (ou pas) le projet de charte des valeurs, ou sur les conséquences appréhendées de leur application. Quant à moi, ma position en faveur d'une séparation totale de la religion et de l'État, y compris l'interdiction de signes religieux visibles, est simple et facile à expliquer. On sera pour ou on sera contre sans avoir à peser mille et un détails et nuances... On adopte, ou on rejette...

Les libéraux

Les libéraux de Philippe Couillard ont justement des tas de problèmes parce qu'ils s'éloignent de ce que je croyais être leur position de départ, soit l'autorisation complète des signes religieux et une opposition tous azimuts au projet de charte du gouvernement Marois. Je ne partage pas cette vision des choses, mais elle a le mérite d'être claire. De toute évidence, une partie de l'électorat libéral, et même certains députés, n'étant pas aussi tranchés, M. Couillard a tenté d'échafauder un compromis.

Et comme il fallait le prévoir, il s'est enfargé dans les signes religieux, et notamment dans la perception que certains signes religieux - surtout ceux de la religion musulmane - consacrent une infériorisation de la femme. Or, aujourd'hui, fort heureusement, on ne badine plus avec l'égalité des sexes. Dans sa plus récente position, le PLQ prône donc - pour le personnel de l'État - l'interdiction de la burqa, du niqab et du tchador, sans doute les plus visibles et englobants des vêtements destinés aux femmes musulmanes.

« Nous considérons que le port de ces trois vêtements par la femme est l'instrumentalisation de la religion pour des fins d'oppression et de soumission », a déclaré M. Couillard, cité dans Le Devoir. Fort bien. C'est une opinion que je partage, mais qui serait sûrement dénoncée par certains chefs religieux musulmans. Et on pourrait sans doute trouver des femmes qui jureraient qu'elles ont librement choisi de porter une burqa, un niqab ou un tchador...

Ce que je ne comprends pas, et qui à mon avis est indéfendable, c'est pourquoi seulement les trois vêtements les plus visibles infériorisent la femme. Le foulard, le hijab ne le font-ils pas autant? La seule différence, c'est qu'ils sont moins énormes, moins englobants. Dans le cas du tchador comme du foulard, on trouvera des gens pour dire qu'il s'agit d'un libre choix, et d'autres pour dire qu'il s'agit d'une obligation... Alors c'est quoi, une grosse infériorisation on interdit, mais on permet les plus petites? L'inégalité hommes-femmes peut être tolérée si l'écart ne dépasse pas une certaine marge?

C'est un peu comme affirmer qu'un vol de millions $ sera interdit, mais que les petits larcins de quelques milliers de dollars seront tolérés... Un vol c'est un vol... Un signe religieux, c'est un signe religieux... Qu'il puisse être imposé par surcroit le rend simplement plus odieux...

La liberté de religion et d'expression

L'autre argument qui me chicote, c'est celui de la liberté de religion et d'expression, qui serait brimé par l'interdiction, faite au personnel de l'État, de porter des signes religieux ostentatoires. D'abord, il me semble qu'on oublie trop vite que les codes vestimentaires font partie de nombreux milieux de travail, dans les secteurs privé et public, depuis fort longtemps. Je n'ai jamais beaucoup aimé ces codes vestimentaires et les ai contestés à l'occasion quand je les croyais injustifiés... particulièrement le port obligatoire de la cravate pour les hommes à plusieurs endroits...

Par contre, il y en a de ces codes qui sont justifiés. Personne ne contestera aujourd'hui l'obligation de porter des vêtements de sécurité quand le danger d'un emploi l'exige. Et cela peut avoir des conséquences pour certains signes religieux... on ne peut guère porter un turban sous un casque protecteur de chantier de construction.

L'État, par sa nature, est exceptionnel. C'est la seule structure qui représente tous les citoyens et citoyennes, toutes tendances, toutes opinions, toutes religions, croyances ou non-croyances confondues. L'État doit desservir toutes ces personnes qui ont des droits citoyens égaux, et ce, dans le plus strict respect de l'égalité hommes-femmes. Pour ce faire, il doit afficher une neutralité absolue - dans son affichage, dans les lieux publics, dans les services rendus et dans l'apparence des personnes qui rendent ces services.

Qu'une personne tienne à porter des signes religieux dans sa vie privée, dans le respect des lois, je n'y peux rien, même si certains de ces signes me déplaisent. C'est le droit de cette personne de s'exprimer et de pratiquer sa religion, dans le respect des lois, et je défendrai ce droit sans compromis. Mais il y a une différence fondamentale entre s'exprimer dans sa vie privée, à titre personnel, et s'exprimer en étant auréolé du titre d'employé ou de représentant de l'État. On s'exprime alors dans un lieu public et dans le cadre d'une fonction publique avec un mandat qui provient de l'État qui représente TOUS les citoyens.

Pour moi, il apparaît clair qu'il existe une différence entre M. ou Mme Untel qui vient me rencontrer avec sa croix, son kippa ou son foulard, et M. ou Mme fonctionnaire de l'État qui se présente devant moi avec les mêmes signes. Le premier s'exprime à titre personnel. Le second s'exprime vêtu de l'autorité de l'État. Je ne réponds pas au premier comme au second, surtout si j'ai besoin d'un service important - de santé par exemple - de ce second...

Le port de signes religieux par un membre du personnel de l'État, dans le cadre des fonctions qu'il exerce et de l'autorité qu'il représente, brime la liberté d'expression de son interlocuteur citoyen privé, qui pourrait ne pas oser dire ses opinions par crainte des conséquences... Il y a là un potentiel abus de pouvoir.

Enfin, c'est ce que je pense. Comme dirait une de mes filles, on jase là...

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