mercredi 6 novembre 2013

La persécution des Franco-Manitobains...

Les Anglo-Québécois n'ont aucune idée des injustices subies par les francophones hors-Québec depuis la Confédération. D'abord, ça ne les intéresse pas beaucoup et secundo, de toute façon, leurs médias n'en parlent jamais... À l'occasion, ils se font lancer quelques manchettes, avec des textes tout croche, qui ne font qu'augmenter leur hostilité à l'endroit des francophones. Des incidents tels ce Franco-Ontarien Michel Thibodeau qui exigeait de pouvoir se faire servir son 7up en français dans un avion d'Air Canada et qui a porté l'affaire devant les tribunaux, suscitant une colère haineuse...

Les Anglo-Québécois n'ont jamais vu leurs droits scolaires abolis, comme cela fut le cas pour les francophones partout ailleurs au pays. Ils ne peuvent s'imaginer ce que cela peut être, de se voir obligé d'envoyer ses enfants dans une école qui les assimile, au lieu les aider à consolider leur identité culturelle. Ils n'ont jamais été confrontés à un gouvernement provincial qui proclamait ouvertement son hostilité à leur endroit. Et ils n'ont pas eu à subir, pendant plus d'un siècle, dans leurs communautés, dans leurs villes et villages, les préjugés et l'intolérance de la majorité.

Pour les Franco-Ontariens et les Acadiens du Nouveau-Brunswick, plus près du Québec et en nombres supérieurs, la situation était sans doute moins intolérable. Mais plus on s'éloigne du Québec, plus la distance et l'isolement qui en résulte rendent les minorités vulnérables. Ce n'est pas un hasard si certaines des décisions les plus importantes pour les droits scolaires des francophones résultaient de contestations entreprises par des Franco-Albertains et des Franco-Manitobains dans les années 1980. Dans l'Ouest, les autorités provinciales ne faisaient pas de quartier...


                        Le drapeau du Manitoba

Cela fait d'ailleurs 20 ans, cette année, que la Cour suprême a rendu sa décision dans une cause amorcée en 1985 par la Fédération des comités de parents du Manitoba, et dont l'effet fut de confirmer le droit des Franco-Manitobains à des établissements d'enseignement distincts, gérés par un conseil scolaire francophone autonome. Il s'agissait par ailleurs d'un jugement qui eut force de loi dans toutes les provinces à majorité anglophone...

En contestant les revendications des francophones devant la Cour suprême, le gouvernement provincial conservateur de l'époque, dirigé par le sinistre Gary Filmon, lançait un message clair à sa minorité de langue française, écrivait un ancien directeur de l'information du quotidien Le Droit, Adrien Cantin, en décembre 1992.  L'intention était « de boucler à court terme la boucle du génocide linguistique et culturel entrepris contre la population franco-manitobaine en 1890 ».

S'il n'en tient qu'à M. Filmon, poursuivait l'analyste du Droit, les enfants et petits-enfants franco-manitobains ne parleront plus leur langue d'ici le milieu du 21e siècle. Mais doit-on s'en suspendre, ajoutait M. Cantin, « dans une province où depuis plus de 100 ans, on cherche systématiquement à éliminer les francophones »?

S'imagine-t-on comment cela a pu se traduire dans le quotidien de la collectivité francophone du Manitoba? Voici une lettre publiée dans Le Droit et signée Pauline Tétrault, à la même époque :

«Je suis née à La Broquerie*, au Manitoba dans un petit village à 98% francophone à l'époque. J'ai fait toutes mes études en anglais seulement... J'ai vécu mon enfance dans la crainte et la peur des inspecteurs anglophones protestants qui visitaient nos écoles régulièrement. Nous devions cacher tous nos livres et cahiers de français avant leur arrivée afin d'éviter de sévères sanctions.

J'ai donc décidé, il y a 25 ans, de venir vivre au Québec afin de ne pas m'assimiler. Je veux tout simplement dire aux anglophones du Québec qu'ils sont chanceux et devraient être très heureux de vivre dans un Québec accueillant où tous leurs droits sont respectés et non bafoués comme les miens l'ont été au Manitoba. C'est pour cette raison et beaucoup d'autres que je veux vivre dans un Québec français et bientôt souverain. »

Quelques semaines auparavant, un immigrant d'origine allemande avait ajouté son témoignage, rapporté dans le quotidien La Presse. Âgé de 76 ans, Sigfried Kleinschmidt avait quitté Winnipeg en 1991 pour venir s'installer au Québec avec une seule idée en tête : oeuvrer pour la souveraineté du Québec. Lui et sa femme d'origine française avaient habité au Manitoba de 1953 à 1991 :

« Là, disait-il, je dois vous dire que j'en avais plein le dos d'entendre les francophones se faire traiter de "crazy Frenchmen" et ma femme était fatiguée de se faire dire "speak white". Laissez-moi vous dire que je suis venu ici pour faire la souveraineté, ce qui signifie sortir de la Constitution canadienne avec honneur et dignité. »

Les réactions n'ont pas toutes été aussi « vigoureuses » que celles de Mme Tétrault et M. Kleinschmidt. La plupart ont soit souffert en silence ou ont choisi de lutter sur place, mais des milliers d'autres ont fini par adopter, de guerre lasse, la langue et la culture anglaises. En 1971, selon le recensement fédéral, il y avait environ 60 500 Manitobains de langue maternelle française, dont 39 500 conservaient le français comme langue d'usage à la maison.

En 2011, il ne reste que 42 000 Manitobains de langue maternelle française, dont à peine 18 000 indiquent le français comme langue d'usage à domicile. Heureusement, s'ajoutent aux parlant français quelque 60 000 anglophones bilingues, et la collectivité franco-manitobaine dispose d'institutions et d'organisations assez dynamiques. Mais la menace plane, et au rythme de l'érosion des effectifs, les sombres desseins de M. Filmon risquent toujours de se réaliser...

Et pendant ce temps-là, les Anglos du Québec se plaignent le ventre plein...


* La Brocquerie, selon le recensement de 2011. Population totale : 5198. Langue maternelle : anglais (2390), français (850), allemand (1420). Langue parlée le plus souvent à la maison : anglais (3075), français (660), allemand (1040).



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