mardi 5 novembre 2013

100 ans... 150 ans... rien à célébrer !

Il ne passe guère une semaine, ces temps-ci, sans que quelqu'un, quelque part, amorce des préparatifs en vue des célébrations du 150e anniversaire de la Confédération canadienne, en 2017. Dans la région de Québec, on parlait déjà, dans Le Soleil d'aujourd'hui, de « fêtes grandioses »... Quant à la région de la capitale fédérale - dont ma ville, Gatineau, fait partie - on peut sans doute s'attendre à un véritable déluge d'activités festives et de cérémonies de tous genres dans le cadre du centcinquantenaire...

Mais qu'allons-nous « fêter », au juste ? Je peux comprendre les anglophones qui voudront exprimer leur fierté d'avoir bâti un pays à leur image. Mais pour nous, francophones (Québécois, Acadiens, Canadiens français), que signifient ces 150 années d'histoire? Si on se donne le moindrement la peine de se renseigner, on ne trouvera pas beaucoup de raisons de se réjouir. À la limite, nous pourrions souligner avec beaucoup de force 150 ans de résistance et de luttes inachevées, au Québec et dans les provinces à majorité anglophone, et cela serait sans doute utile. Mais pas plus !

Je me souviens, il y a près d'une cinquantaine d'années, des préparatifs du centenaire de la Confédération. J'étais franco-ontarien et étudiant à l'époque. Les francophones de l'Ontario avaient subi toutes les injustices imaginables depuis le début du siècle. Nous n'avions même pas d'écoles de langue française au primaire, au secondaire, au collégial et à l'universitaire alors que les Anglo-Québécois avaient absolument tout depuis 1867.... Et pourtant, il se trouvait des tas de citoyens ontariens de langue française prêts à fêter ce que nous (un groupe de jeunes, plus militants) appelions sans hésitation « cent ans d'injustice ».

Un billet de banque de 1967 sur lesquels les mots «100 ans d'injustice» sont étampés...  

Au Québec, le centenaire de la Confédération a cédé l'avant-scène à l'Expo 67 et, avec la fébrilité de la fin de la Révolution tranquille, conjuguée à la montée du mouvement indépendantiste, l'engouement espéré par Ottawa pour les célébrations du centenaire fut passablement mitigé. Que se passera-t-il d'ici 2017 ? Encore une fois, Ottawa et ses alliés voudront nous embrigader dans des festivités tous azimuts, et de nombreux francophones se feront volontiers leur porte-étendard. Alors il faudra que quelqu'un, chez nous, soit vigilant et se charge constamment de donner l'heure juste.

L'opposition que je souhaite à ces célébrations ne doit pas seulement émaner des mouvements souverainistes. Les véritables fédéralistes ont aussi peu de motifs de réjouissance que les indépendantistes. Ceux et celles qui se disent partisans d'un régime fédéral doivent comprendre qu'une fédération vraie repose sur un respect des compétences de chaque ordre de gouvernement, sur le respect aussi des nations qui la composent ainsi que sur la protection des minorités. Or, ici, depuis le début, le pouvoir central s'immisce dans les juridictions provinciales et tente de jouer un rôle dominant; la nation québécoise/canadienne-française et la nation acadienne ont dû constamment lutter pour un semblant d'égalité; et la seule minorité qui a été largement favorisée par la Confédération a été l'anglo-québécoise.

Dans le demi-siècle qui a suivi la mise en place de la Confédération, les provinces à majorité anglophone ont toutes, sans exception, supprimé les droits scolaires des francophones sur leur territoire, et il a fallu près d'un siècle de luttes politiques et judiciaires pour les récupérer. Après des décennies de guerres d'usure, les minorités francophones avaient perdu la moitié de leurs effectifs à l'assimilation, pendant que les Anglo-Québécois assimilaient plus que leur part d'immigrants et même des francophones de souche...

Ottawa a utilisé ses forces armées pour réprimer les métis francophones sous Riel en 1869 et en 1885. Ils ont pendu Riel lors d'un procès où l'issue était ordonnée. L'armée a de nouveau envahi un territoire francophone, le Québec cette fois, durant la Première Guerre mondiale lors de la 1ère crise de la conscription. Et de mon vivant, j'ai vu - et couvert comme journaliste - l'invasion du Québec par l'armée canadienne en octobre 1970, et vu des centaines d'innocents jetés en prison sans procès. Tout ça pour une poignée de terroristes assassins du FLQ...

La capitale du pays, Ottawa, est un milieu anglicisant depuis 1867, tant au niveau municipal que dans la fonction publique fédérale où les francophones se font assimiler en douce tous les jours. Il a fallu des luttes pour avoir des timbres et de l'argent bilingue.... Incroyable ! Et encore aujourd'hui, d'année en année, le Commissaire fédéral aux langues officielles déroule sa litanie de lacunes... et comme par hasard, elles touchent invariablement les francophones...

N'oublions pas le rapatriement de 1982, et la nuit des longs couteaux qui l'a précédé. La Constitution de 1982, y compris la Charte, est dirigée contre la « société distincte » que même les fédéralistes québécois réclamaient. On en subit toujours les séquelles. Depuis ce temps, entre autres, le gouvernement ontarien a tenté de « fermer » le seul hôpital francophone d'Ottawa (l'affaire Montfort), la Loi 101 a été taillée en pièces, le gouvernement de Nouvelle-Écosse a aboli les circonscriptions acadiennes protégées et la Cour suprême - de plus en plus à l'image des conservateurs - se donne des airs menaçants pour la francophonie et le Québec.

Il y aura une élection en 2015 au fédéral, et sans doute une élection au Québec l'an prochain. Des choses pourraient changer. Il faut l'espérer. Mais entre-temps, foutez-nous la paix avec votre 150e anniversaire de la Confédération. Quand nous aurons une fédération authentique où la nation québécoise et la francophonie seront toujours respectées ou, mieux, quand nous aurons un nouvel arrangement constitutionnel où les deux nations pourront, sauf pour ce qui sera mis en commun à Ottawa, davantage voler de leurs propres ailes, alors peut-être, je célébrerai...


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