dimanche 10 novembre 2013

La charte, encore la charte...

Je m'étais juré de ne pas revenir sur le sujet de la Charte des valeurs, ayant déjà fait connaître mon appui au projet du gouvernement Marois («Assez, c'est assez», du 28 août, à http://bit.ly/17lMWqT) et les motifs pour lesquels j'appuie le principe (et son application) de la neutralité et/ou laïcité de l'État. Je n'ai pas changé d'idée là-dessus et considère que la séparation totale de l'Église et de l'État constitue l'une des principales assises des libertés individuelles. L'histoire de l'humanité en fait foi.

Mais après quelques mois de débats remplis de dérapages, je persiste à croire que certains éléments des argumentaires sont abordés de façon trop facile et superficielle. Partons de la déclaration du chef libéral Philippe Couillard, à la suite de la présentation du projet de loi par Bernard Drainville. Les gros titres parlaient d'une attaque frontale contre les droits et libertés, et de l'absence d'une démonstration du caractère d'urgence pour justifier la présentation d'un tel projet. Ces arguments résument bien le coeur de l'opposition au projet de loi 60.

Droit, libertés et responsabilités

Encore une fois, j'ai déjà exprimé l'opinion que l'interdiction de signes religieux ostentatoires au service de l'État constituait une limitation légitime et justifiable de la liberté de religion. Mais au-delà du principe, je trouve qu'on oublie trop souvent que tout droit ou liberté s'accompagne de devoirs et de responsabilités. Le droit de vote s'accompagne du devoir d'aller voter. Et la liberté de religion s'accompagne du devoir de l'exercer sans brimer la liberté des autres, et ce, dans le respect des lois (à condition que ces lois soient légitimes et adoptées dans un cadre démocratique).

Les personnes qui représentent l'État, c'est-à-dire l'ensemble de la collectivité, et dont le salaire est payé à même les deniers publics, n'ont pas que des droits. Elles ont aussi certaines responsabilités découlant du fait qu'elles incarnent, dans leurs fonctions, l'ensemble des citoyens et l'autorité gouvernementale. Le citoyen qui veut faire son épicerie peut choisir son commerce en fonction de ses goûts et préférences. Mais s'il veut obtenir un service de l'État ou s'il doit communiquer avec un représentant de l'autorité publique, ce libre choix n'existe plus.

Quand je vais à l'hôpital pour un soin, quand je me présente à un bureau régional d'un ministère, quand je dois m'adresser à un policier, quand je rencontre le directeur d'une école ou un enseignant, je n'ai plus le choix que j'aurais à l'épicerie. La personne que je rencontre est investie d'une autorité que je dois accepter et que lui confèrent nos lois, et son salaire est payé par les taxes et impôts de tous les citoyens. J'ai par contre le droit d'exiger que cette autorité soit exercée de façon à démontrer l'ouverture de l'État à tous les citoyens, peu importe leurs convictions politiques, sociales ou religieuses.

Si je dois traiter avec Monsieur Untel ou Madame Unetelle pour régler un problème relevant de l'État, je le fais, c'est mon obligation. Mais j'ai le droit d'exiger que cette personne, vu l'autorité qu'elle exerce sur moi au nom de l'État, ne m'impose pas ses propres opinions ou convictions personnelles, tant par ses paroles, ses gestes que par les signes «ostentatoires» qu'elle porte. Qu'elle soit à l'image de l'État. J'a le droit d'exiger que l'État neutre (sur le plan religieux) en ait aussi l'apparence.

Et à ces personnes qui tiennent mordicus, pour toutes sortes de motifs, à afficher leurs croyances dans leur tenue vestimentaire, je tiens d'abord à leur dire que je crois qu'elles font erreur. La véritable expression d'une foi est dans le comportement et non dans les signes extérieurs qu'on arbore. Mais au-delà de cet élément du débat, je pose la question : est-ce trop demander à une personne qui représente l'État et qui se trouve au service d'un public varié, de toutes confessions, est-ce trop lui demander de laisser ses convictions personnelles à la maison? Non!

L'État et « nous »

Un autre aspect un peu escamoté du débat sur la charte des valeurs de laïcité et de neutralité religieuse est la conception que l'on se fait de l'État. Il y a à cet égard une différence culturelle fondamentale, du moins selon ma perception, entre la culture anglo-américaine et la culture franco-québécoise. Après la conquête de 1759, les conquérants ont fait main basse sur tous les leviers de l'économie et sur l'appareil politique. Graduellement, après deux siècles, avec la Révolution tranquille, la collectivité francophone a accéléré un grand virage de reprise en main, de laïcisation et de modernisation sur tous les plans.

Alors que pour les anglophones, l'État est souvent perçu comme étranger, comme un intrus qui vient chercher les impôts et qui vient s'immiscer dans les vies privées, et qu'on doit limiter par tous les moyens possibles (on dirait aujourd'hui déréglementer), pour « nous », l'État québécois était notre seul grand outil collectif, et ce, depuis la Confédération. Le « Maîtres chez nous » des libéraux en 1962 sous Lesage et Lévesque passait par l'État. On se reconnaît davantage dans « notre » État, qu'on souhaite donc, sans doute à « notre » image...

La perception même du rôle de l'État explique peut-être une partie de l'opposition fondamentale des visions des Anglo-Québécois et des francophones quant à la charte des valeurs et sa portée. D'une certaine façon, donc, si les valeurs proposées dans la charte correspondent à l'évolution des valeurs dans la société francophone (émancipée des ancien carcans du catholicisme intégriste), elle sera plus facilement acceptée par la majorité québécoise de langue française qui voit l'État comme son émanation et comme son traditionnel coffre à outils...

L'urgence...

On parle beaucoup de la charte comme d'une solution à un problème inexistant, que les personnes touchées par l'interdiction de signes religieux ostentatoires sont peu nombreuses et que l'attitude de laissez-faire reste la meilleure. J'ai de la difficulté à comprendre la justification d'un tel argument, qui me semble dangereux même. C'est comme si on disait : ouais, on préférerait peut-être (ou pas), que telle ou telle personne ne porte pas de crucifix, de voile, de turban ou de kippa, mais il n'y en a que quelques centaines, éparpillées, et au fond ça ne change pas grand-chose. Le problème, s'il existe, finira par se régler tout seul.

L'enfer de l'histoire humaine est pavé de bonnes intentions. La séparation de l'Église et de l'État est un combat de libération qui dure depuis des siècles et des siècles. Et malheureusement, les humains ont trop souvent la mémoire courte et un sens très local de la géographie. Une étude des grands courants d'intégrisme religieux démontre les horreurs commises par les États au nom des différentes conceptions de Dieu. Des croisades à l'inquisition, des anciennes persécutions aux intégrismes contemporains, ce qui a toujours commencé par un « petit » problème est souvent devenu tragédie humaine.

On a l'impression qu'ici, vu nos traditions de liberté et de démocratie, que nous sommes à l'abri du sectarisme et de l'intégrisme. Peut-être. Mais il n'y a pas de tort à bétonner les constitutions et les lois fondamentales pour s'assurer que les relents des anciens intégrismes disparaissent et que les tentacules des nouveaux ne prennent pas racine ici. Et l'une des façons, c'est d'affirmer sans équivoque la neutralité religieuse de l'État - ainsi que de ses représentants.

Et à ceux qui pensent que la question est largement réglée sans charte, je dirais qu'au-delà du débat pertinent sur le voile, le kippa, le turban et le crucifix, nous n'avons pas fini le ménage de nos vieux symboles religieux toujours accrochés à nos murs et à nos lois. La Constitution canadienne de 1982 affirme dans sa première phrase « la suprématie de Dieu », plutôt que la suprématie du peuple. Or, Dieu, auquel je crois, me considérant catholique, est un concept auquel une proportion appréciable de la population ne croit pas et dont aucun juriste constitutionnel ne peut prouver l'existence...

Par ailleurs, notre constitution nous impose non la souveraineté du peuple, mais la souveraineté d'un monarque, Élizabeth Windsor, qui est aussi chef de l'Église anglicane et dont le trône est interdit par la loi britannique aux catholiques. Et on tolère ça...






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