jeudi 17 octobre 2013

Un commentaire intéressant, mais...

La Commission québécoise des droits de la personne et des droits de la jeunesse n'est pas le genre d'organisme qu'on peut aisément qualifier de partisan. Elle est, en principe, au-dessus de la mêlée politique. Elle l'a prouvée, à l'été 2012, dans sa tirade contre la Loi 78 du gouvernement Charest. Alors, quand elle attaque le projet de charte des valeurs, je dois croire que ses objections sont motivées par un réel souci de remplir son mandat et de protéger les droits et libertés des citoyens.

Or, comme je suis partisan des mesures proposées par le gouvernement Marois, y compris l'interdiction des signes religieux ostentatoires pour le personnel de l'État, je suis interpellé par cette dénonciation sans équivoque de mesures que je juge fondées et raisonnables. J'ai donc lu et annoté le document d'une vingtaine de pages dans lequel la Commission étaye ses analyses et jugements. Et j'en viens à la conclusion qu'il existe des failles dans le raisonnement qu'elle nous présente.

Le premier problème que je perçois est celui de la soi-disant « non-hiérarchisation » des droits et libertés de la personne. Selon la Commission « tous les droits ont la même valeur juridique ». « Aucun droit, dit-elle, n'est plus important que les autres ». Or, le texte de la Commission reconnaît du même souffle qu'il peut y avoir conflit entre ces droits, qu'on peut opposer un droit à un autre droit et que dans ces cas, les tribunaux doivent juger en prenant en considération les « circonstances concrètes » de chaque situation. Les tribunaux établissent donc une hiérarchie ponctuelle des droits et libertés. Les législateurs aussi, dans la préparation et l'adoption de lois.

Il existe, selon moi, une hiérarchie « de facto » des droits et libertés. La liberté de religion, par exemple, n'est jamais absolue. Même dans la vie privée, elle est réglementée par d'autres lois: un exemple facile, l'interdiction de la polygamie. Dans la sphère publique, dans les lieux citoyens, au sein de l'État, elle peut l'être davantage. Un exemple connu : l'interdiction du voile intégral (niqab) pour aller voter. L'article 9.1 de la Charte québécoise prévoit notamment que « les libertés et droits fondamentaux s'exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l'ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec. La loi peut, à cet égard, en fixer la portée et en aménager l'exercice. »

Je continue de prétendre que l'égalité reste le droit le plus fondamental, celui qui conditionne tous les autres. Les autres droits et libertés, y compris la liberté de religion, liberté d'expression, d'association, etc., n'existent réellement que dans la mesure où tous et toutes peuvent les exercer - dans les limites de lois qui s'appliquent également à tous et à toutes. Or, dans une démocratie, il appartient à l'État et à ses représentants, élus ou nommés, de déterminer la portée et d'assurer le respect de ces droits et libertés. Voilà pourquoi l'État se doit d'être neutre dans sa réalité ainsi que dans son apparence, y compris en matière de religion. L'État et ses représentants doivent être extérieurs aux factions.

D'autre part, la Commission des droits de la personne affirme que la liberté de religion inclut le droit de professer ouvertement des croyances religieuses, et que cela comprend le port de signes religieux ostentatoires au service de l'État. Si une personne est astreinte par l'État à une conduite que, sans cela, elle n'aurait pas choisi, « on ne peut pas dire qu'elle est vraiment libre ». Je trouve cela étonnant, puisque tous les jours, la quasi-totalité de la population est astreinte à adopter des comportements de respect de règlements et lois que, sans cela, elle n'aurait peut-être pas observés... Et pourtant elle reste libre, parce que ces lois et règlements ont été adoptés par ses représentants élus dans un cadre juridique constitutionnel.

Par ailleurs, la Commission présente le port de signes religieux comme s'il était évident qu'il s'agissait de pratiques religieuses légitimes et librement exercées. Cette question est débattue et non résolue, et la Commission ne semble pas tenir compte du fait que le port de signes religieux ostentatoires a été délaissé ici par une majorité de citoyens des religions les plus communément évoquées. De toute évidence, il ne s'agit pas ici de dogmes. L'État neutre, et donc laïc, a le droit d'exiger la même neutralité de ses représentants. Et le citoyen usager des services de l'État a le droit de ne pas se voir imposer des croyances religieuses, au moyen de signes ostentatoires, par des représentants de son État neutre. Ce droit, on en parle trop peu...

Je continue de croire que la neutralité de l'État et l'interdiction de signes religieux ostentatoires pour le personnel de l'État autorisent des limitations légitimes d'autres droits et libertés, y compris la liberté de religion, justifiables en vertu de l'article 9.1 de la Charte québécoise et de l'article 1 de la Charte canadienne. Je ne veux pas minimiser les problèmes que cela pourrait causer et les compromis, y compris une période de transition, qu'il faudra accepter en attendant d'en arriver à une situation stable. Mais n'oublions pas que cela concerne essentiellement l'État, et que les religions peuvent poursuivre dans la vie privée l'essentiel de leurs pratiques millénaires qui réduisent le plus souvent la femme à un état d'infériorité.

Je crois toujours, en dépit de cet intéressant commentaire de la Commission des droits de la personne, qu'un engagement ferme et immédiat en faveur des principes contenus dans ce projet de charte constitue la meilleure garantie d'ouverture et d'égalité pour l'ensemble des citoyens et citoyennes. Je me demande cependant, comme la Commission, si la Charte des droits et libertés de la personne est le bon véhicule pour un texte qui parle essentiellement de valeurs... que j'appellerais par ailleurs « démocratiques » plutôt que « québécoises »...







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