mercredi 30 octobre 2013

Mourir en souffrant, dans la « dignité »...

Je ne suis pas contre l'aide médicale à mourir, et je me suis depuis longtemps rallié à l'idée que le moment est propice à l'adoption d'un train de mesures (comme le projet de loi 52 à Québec) visant à encadrer la légalité et la légitimité d'une certaine forme d'assistance médicale au suicide quand la mort apparaît inévitable et que la souffrance dépasse les capacités d'endurance.

Ce qui me trouble, cependant, c'est la suggestion constante qu'il existe une incompatibilité entre la souffrance, même extrême, et la dignité humaine. C'est comme si le dépérissement et la douleur qui précède la mort était indigne, comme si cela n'avait aucune valeur, que c'était, au fond, inutile. Je suis dans l'incapacité totale de partager ce point de vue, même si je dois concéder que confronté à l'issue fatale dans les pires circonstances, je ne sais pas quelle décision je prendrais...

Pour moi, la vie est sacrée. Lutter pour la maintenir sans acharnement thérapeutique me semble un choix noble et digne. Je ne sais pas ce qui nous attend après la mort, mais cela m'apparaît secondaire en réfléchissant à la fin de vie. Ce qui au fond de nous, par amour de soi, de ses proches et de son prochain (et de Dieu pour ceux et celles qui ont des convictions religieuses), nous pousse à lutter pour rester en vie dans notre jeunesse et à l'âge adulte, cela reste intact jusqu'à la fin.

J'ai vu mon père mourir et j'ai eu l'occasion d'échanger avec quelques autres, proches et amis, qui étaient à l'article de la mort. Ils étaient souffrants, mais encore des nôtres. Leurs paroles, l'occasionnel sourire, même leurs silences, laissent une profonde empreinte sur les survivants. Mon père, dans la dernière longue conversation que j'ai eue seul à seul avec lui, quelques semaines avant son décès, s'était excusé de sembler absent autour des siens, précisant que son regard était désormais tourné vers l'intérieur, vers le dernier droit qu'il savait sans doute amorcé.

Je persiste à croire que notre rôle, ainsi que celui du personnel médical, était de l'aimer, de le soulager dans la mesure du possible et de l'accompagner dans son ultime cheminement. S'il avait demandé qu'on mette fin à ses souffrances, j'aurais sans doute respecté ce voeu. Mais de ne pas avoir voulu qu'on l'aide à mourir reste un choix aussi digne et aussi estimable. Dans ses dernières minutes, même quand j'ai eu la conviction que son esprit était déjà ailleurs, son corps a poursuivi le combat jusqu'à l'épuisement final, avec quelques ultimes battements et un dernier soupir.

Que penser de cette autre membre de la famille qui, se sachant condamnée, continue avec tous les moyens disponibles à vivre à domicile et à poursuivre, aussi longtemps que possible, sans espoir, malgré le déclin, malgré la souffrance, son petit train-train quotidien pour encore quelques mois, quelques semaines, quelques jours, quelques heures de plus... jusqu'à l'avant-veille de sa mort. J'en suis toujours inspiré. Et les personnes qui l'ont aidée et accompagnée à la fin, n'ont-elles pas aussi participé à une noble et digne entreprise?

Et que penser de cet ex-collègue, cloué à son lit dans un centre de soins palliatifs, avec quelques jours à vivre, encore soucieux de s'informer des anciens amis, de se rappeler de bons souvenirs, et même d'échanger sur le présent et l'avenir... Personne ne lui aurait reproché d'avoir voulu mettre fin à ses souffrances prématurément. Sa mort était-elle moins digne parce qu'il a accepté de continuer de souffrir? La directrice de la Maison Mathieu-Froment-Savoie, un centre de soins palliatifs en Outaouais, disait récemment : « Lorsque les soins de fin de vie sont bien administrés, qu'ils soulagent la souffrance autant physique que psychologique, les personnes ne demandent pas à mourir. »

Et même en l'absence de soins de fin de vie, il peut y avoir la dignité. Dans l'histoire humaine, des milliers de personnes ont accepté de mourir dans les pires circonstances pour défendre leurs opinions, leur foi, leurs proches et leurs concitoyens. Je reviens d'un voyage en France et j'ai longuement médité devant le palais de justice de Rouen, encore troué de balles et d'obus de la 2e Guerre mondiale. Les membres de la résistance qui y ont été incarcérés et qui ont été livrés aux Nazis pour être torturés et exécutés sont des héros. La dignité était le lot des torturés et non des tortionnaires.

Je ne suis pas contre le suicide assisté. Je respecte ceux et celles qui estiment que c'est là la seule décision possible et suis d'accord avec sa légalisation. Mais mourir dans la dignité n'est pas réservé à ceux et celles qui choisissent cette voie. La plus douloureuse des morts peut aussi être auréolée de dignité.





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire