Voici l'excellent commentaire reçu de Mme Tina Desabrais, en réponse à mon blogue précédent sur l'ACFO de Prescott-Russell et le bilinguisme. La longueur du texte ne permet pas de le présenter à la fin du mien (http://bit.ly/1lC2HVA). Je le propose donc à titre de texte de blogue autonome. J'invite tous et toutes à la lire. Merci.
Bonjour M. Allard,
Wow... Quelle belle façon
de se faire accueillir dans un nouveau mandat! Mandat que j’ai accepté
d’exercer bénévolement, par amour et engagement pour la francophonie... Je suis
ravie qu’un de mes collègues m’ait fait part de votre texte ; ceci me permet
d’engager un dialogue avec vous. Un dialogue, dis-je bien, car ce type
d’attaque ne correspond pas à mes valeurs et mes façons de faire (je dois être
trop « polie »), bien que je sois très capable d’en mener une, d’où l’origine
de l’expression « Une main de fer dans un gant de velours ».
Je vous demanderais d’abord
de peser vos mots. « L’ACFO n’a pas à promouvoir l’anglais... ». C’est fort.
Très fort. C’est sans doute par déformation professionnelle que vous avez
choisi ce titre, car tout bon journaliste se doit d’attirer l’attention du
lecteur. Bien, bravo, car cela a fonctionné. Mais ce titre est-il représentatif
de mes intentions, voire de la réalité? Serait-il exagéré, par pur désir de
sensationnalisme ? Ensuite, votre blogue présente un gros logo de la Ville de
Hawkesbury. Auriez-vous oublié que l’ACFO PR représente Prescott et Russell
dans son entier, et non seulement Hawkesbury? Cela a une influence sur
plusieurs facteurs et plusieurs décisions...
Je vous remercie des
informations que vous nous avez transmises au sujet de l’Est ontarien, en
matière de dynamique linguistique, car cela a peut-être été éducatif pour
certains de vos lecteurs. Je ne les résumerai pas ici et je n’y reviendrai pas,
car je dois vous affirmer que, pour ma part, je n’ai aucun besoin d’être
renseignée à ce sujet ; surtout pas de façon aussi superficielle. Comme vous le
dite, je suis originaire de Hawkesbury et enseignante de français à La Cité. Je
me retiens de vous faire parvenir mon CV pour vous démontrer à quel point je
suis, justement, renseignée au sujet de la francophonie de l’Est ontarien,
voire de la francophonie en Ontario, au Canada et ailleurs dans le monde. Non
seulement suis- je renseignée, je suis aussi très impliquée dans notre
francophonie.
Le sujet de l’affichage
bilingue est, certes, un sujet très délicat. J’en étais consciente avant d’en
parler. Par ailleurs, c’est un sujet parmi tant d’autres que j’ai abordés avec
le journaliste Samuel Blais-Gauthier. Je comprends que vous ayez des limites
d’espace, à titre de journalistes, donc je n’ai pas fait de cas lorsqu’il a
écrit que j’allais faire de l’affichage bilingue une priorité. C’est
effectivement un de mes objectifs, mais parmi tant d’autres, dois-je répéter.
Et n’allez pas croire que je vais me lancer dans cette histoire les yeux
fermés, par simple conviction personnelle. Je compte d’abord m’entretenir avec
les quatre autres municipalités qui ont adopté un tel règlement à savoir quelle
est leur réalité de vie linguistique depuis. Bien que tout ne soit pas parfait
dans leur coin, cela a sans doute apporté des éléments positifs.
Ceci dit, expliquez-moi en
quoi est-ce que demander de traduire des documents municipaux en français vient
encourager l'anglais? Je voudrais aussi sonder le reste de la population, qui
n’est pas encore soumise à ce règlement, à ce sujet. Je discute également, en
ce moment, avec un chercheur de l’Université de Moncton afin de faire une étude
comparative Hawkesbury-Dieppe. Et comme me le suggérait un collègue, on
pourrait aussi ouvrir la porte, dans le débat sur l'affichage, à un règlement
qui promeut la présence du français plutôt que le bilinguisme. Je ne suis pas
du tout en désaccord avec cela, bien au contraire. Ceci dit, rien n’est coulé
dans le béton, donc rien n’est prévu pour demain. Ce type de changement ne se
fait pas en claquant des doigts ; il nécessite une réflexion sérieuse. De votre
côté, si vous avez des solutions, sur le plan juridique et autres, je vous
invite à nous les partager, car ces enjeux sont de grande envergure et ont un
impact sur la vie quotidienne des gens. Ceci dit, mon point de vue sur une
politique de bilinguisme est qu’elle ne veut pas favoriser l’égalité de
l’anglais, mais l’égalité, point ! Il faut faire attention à comment l’on
interprète les choses. Mais bon, comme on le dit communément : Parlez-en en
bien, parlez-en en mal, mais parlez-en ! Cette approche ne met pas de côté le
fait d’affirmer, par toutes sortes de moyens (activités, revendications,
politiques, etc.), le visage des communautés francophones. « Un n’empêche pas
l’autre », comme on dit, une fois de plus, communément.
Croyez-vous que je n’ai pas
de pincement au cœur, en songeant à cette approche, par rapport aux commerçants
qui affichent encore uniquement en français ? Croyez-vous que je ne me sens
moi-même pas déchirée dans cette histoire ? Croyez-vous que je ne préférerais
pas, moi aussi, porter des œillères et me dire qu’Hawkesbury et ses environs
sont à l’abri de l’assimilation ? Si j’ai abordé le sujet, c’est parce que oui,
je le répète, l’assimilation est un phénomène pernicieux, et je dirais même
insidieux. Comme dit dans l’article de SBG, j’ai vu et entendu, de mes propres
yeux et oreilles, ma région s’angliciser. Je ne souhaite pas m’incarner en
diseuse de bonne aventure, mais je suis sous l’impression que d’ici 10, 15, 20
ans, le français sera au second rang dans notre région si nous ne faisons rien
présentement pour lui assurer la place qui lui revient et qu’il mérite.
Regardons tout simplement Ottawa, Orléans, puis Rockland, pour se rapprocher de
nous. Regardons même Montréal (qui est sous la Loi 101!) et ses commerçants
qui, de plus en plus, desservent et affichent uniquement en anglais – au risque
de se faire « pogner ». Nous ne sommes pas sous une coupe de verre ni sur une
île perdue au beau milieu de nulle part pour même rêver que le contexte
sociolinguistique, voire le phénomène de la mondialisation et, avec elle, les
grandes chaînes anglophones qui poussent comme de la mauvaise herbe, ne nous
atteindront jamais. C’est en fait déjà commencé. Au fait, par simple curiosité,
quand avez-vous séjourné dans la région récemment? Je dis bien « séjourné » et
non pas seulement y avoir été de passage.
Je cherche donc uniquement
à être proactive et prévoyante. C’est ce que j’entends par voir la forêt plutôt
que l’arbre (expliqué de façon bien simple, car je pourrais m’étendre sur trois
autres pages à ce sujet).
Au risque de me répéter, il
y a plusieurs facteurs à considérer et l'affichage n'est qu'un des sujets que
j'ai abordés avec SBG. Il faut aussi faire attention de ne pas mélanger les
pommes et les bananes (je fais référence à votre expérience scolaire, etc.).
Cela est un contexte unique en soi. Jamais je ne serai d'accord avec le fait
d’avoir des écoles bilingues (comme la candidate conservatrice dans l'Est
ontarien le proposait pour le Collège d'Alfred...), car l'histoire nous a bel
et bien démontré qu'il s'agissait de foyers d'assimilation. Vous vous adressez
à quelqu’un qui présente à ses étudiants, année après année, le documentaire De
la coupe aux lèvres. La lutte pour les écoles de langue française de l’Ontario
(produite en 2000 par l’émission Panorama de TFO). Vous vous adressez également
à quelqu'un qui s’indigne du réaménagement des cours de français (réduction de
50 %) dans une institution unilingue francophone (nous avons eu une discussion
téléphonique, il n’y a pas si longtemps, vous et moi, à ce sujet, au cas où
vous l’auriez oublié).
Pour terminer, le rôle de
l'ACFO est effectivement de promouvoir la langue française. Et cela, jamais je
ne le perdrai de vue. Je constate seulement que, malheureusement, un autre rôle
s’impose peut-être,
petit à petit, soit celui
de la prévention. Il faut penser aux générations qui nous suivent et la réalité
dans laquelle ils vivent (technologie, etc.). Il faut instaurer des balises. Il
faut sensibiliser. Je ne fais que penser à un de mes anciens étudiants qui,
récemment, en réaction à un commentaire que j’avais fait sur Facebook par
rapport au fait qu’à quatre reprises, dans l’espace d’un voyage, je n’avais pas
pu recevoir de service en français de la part d’Air Canada, m’a répondu (et je
cite) : « Tu parles pas Anglais? Tu viens d'Hawkesbury! ». Oui, je parle
anglais. Nul besoin de vous expliquer – je crois – que là n’est pas la
question... Voyez-vous donc la réalité dans laquelle nous vivons ? Et ce qui
nous attend si nous ne revendiquons pas une égalité ? Ceci ne se limite pas à
mon étudiant, mais aux francophones qui, d’ordre général, sont, comme vous le
dites, « polis ». La population francophone de l’Est ontarien, aussi
majoritaire soit-elle, terminera-t-elle par se dire : « Bof ! Nous parlons
anglais. C’est quoi le problème ? ». Si les citoyens de cette même population
ont un règlement sur lequel s’appuyer pour faire valoir l'affichage et/ou les
services en français, est-ce que cela risquerait d’inciter certains « branleux
» (pour reprendre une expression du documentaire de Panorama) d’exiger leurs
services en français ? L’avenir le dira peut-être, mais je suis sous
l’impression que oui.
Malgré tout, vous savez
quoi ? Cette discussion me réjouit, car cela témoigne qu’il y a une ouverture
au débat, ce qui veut dire que nous sommes vivants, vibrants et engagés. Comme
je suis « polie », plutôt que d’attaquer vos idées publiquement, je vous invite
à prendre le café afin de clarifier et préciser certaines choses. De plus, si
cette cause vous tient tant à cœur, au point d’en faire un article de blog, je
vous invite à contribuer et à m’accompagner dans ce défi. Votre expérience en
la matière sera sans aucun doute bien accueillie, à la fois par le CA et par la
communauté.
Bien à vous,
Tina Desabrais, Ph.D.
Présidente de l’ACFO PR
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