mercredi 4 juin 2014

Commémorer le 6 juin 1944. Leur nom vit pour les générations.



Au Centre «Juno Beach», à Courseulles-sur-Mer, en France, à quelques pas de la plage où les forces canadiennes débarquèrent le matin du 6 juin 1944, les gens peuvent visionner un film intitulé Dans leurs pas. Dans les dernières images du court métrage, une famille marche sur la plage Juno, entourée d'esprits de soldats qui y ont perdu la vie il y a 70 ans. La scène est émouvante, surtout si l'on vient d'arpenter la plage sablonneuse du Jour J, qui se prolonge à perte de vue d'ouest en est, entre les eaux grises de la Manche et les talus où se terraient les troupes allemandes.


                La plage Juno, au centre du secteur britannique

J'y suis allé avec mon épouse à la fin de septembre, l'an dernier, et on ne peut s'empêcher, au milieu de la plage - se tournant vers la mer, puis vers la pente qui mène à l'intérieur des terres - de penser à ces jeunes soldats qui devaient sauter des péniches de débarquement et franchir quelques centaines de mètres de sable, à découvert, sous le feu des mitrailleuses ennemies. Et Juno n'était pas la pire. Imaginez l'angoisse sur la plage américaine Omaha, où 90% des soldats de la première vague d'assaut ont été fauchés - tués ou blessés - avant de pouvoir se mettre à l'abri du feu nourri qui les attendait…



Au joli cimetière canadien près du hameau de Reviers, en plein champ (c'est d'ailleurs difficile à trouver), à quelques kilomètres de la plage Juno, plus de 2000 tombes sont alignées dans un décor fleuri et impeccablement entretenu. On y voit sur chaque monument le nom du soldat, son régiment, la date de sa mort et son âge. L'un des premiers que j'ai vus était celui du soldat L. Gignac, du Régiment de la Chaudière, qui n'avait que 19 ans. À peine sorti de l'adolescence, il avait quitté le Québec pour affronter les armes du nazisme hitlérien, et y avait laissé sa vie… Comment rester insensible à un tel sacrifice?

J'ai beaucoup lu sur la Seconde Guerre mondiale et ses grands affrontements, particulièrement sur le théâtre européen. Je suis pacifiste, j'aurais lutté contre la conscription aux côtés de Laurendeau et des autres, mais j'aime croire que je me serais enrôlé tout de même pour combattre ce que j'ai toujours considéré comme la plus vile idéologie de l'histoire humaine, le nazisme, et sa diabolique incarnation, Adolf Hitler. Le sort a voulu - les exigences du travail, les obligations familiales, le manque de fonds - que je ne puisse visiter l'Europe avant la mi-soixantaine, à l'aube de la retraite.

Visiter les plages du débarquement en Normandie - la patrie de mes ancêtres venus de Rouen au 17e siècle - comptait parmi les projets auxquels je tenais le plus. Aussi, quand l'occasion s'est présentée l'an dernier, mon épouse Ginette et moi avons décidé de passer une dizaine de jours en France, en voiture louée, à visiter la Bretagne, mais surtout la Normandie, en revenant par La Rochelle et l'Île de Ré, patrie des ancêtres Gaudreau de mon épouse. Fin septembre, début octobre, le temps reste à demi estival et on peut visiter sans les foules de la forte saison touristique.


À la mémoire du soldat John Steele, à Sainte-Mère-Église

C'est vers 13 h 15, le jeudi 26 septembre, arrivant de St-Malo, au volant d'une Peugeot 3008 diesel (magnifique voiture), roulant sur les routes pittoresques de la péninsule du Cotentin, que nous sommes arrivés à Sainte-Mère-Église, premier chapitre de notre tournée du secteur des débarquements. Les premières troupes aéroportées (la 101e division américaine, les Aigles hurlants) avaient été parachutées ici, dans la nuit du 6 juin 1944, et leur présence est commémorée sur l'église de la place centrale, où un parachute soutenant un soldat reste accroché au clocher, en mémoire du soldat John Steele (il y avait survécu).

J'avais vu des dizaines de fois, dans le film Le jour le plus long, cette scène où les parachutistes américains tombent au milieu du village et se font abattre avant même d'avoir atterri. J'avais imaginé les lieux, mais de s'y trouver… de fouler soi-même le sol de cette bourgade normande, le sentiment ne s'explique pas. Sainte-Mère-Église est située à proximité du lieu de débarquement le plus occidental du Jour J, Utah Beach. À notre arrivée sur la côte, juste avant de voir cette plage, se dresse un monument sur lequel on peut lire. «Voie de la liberté 1944. Ici ont débarqué les troupes américaines. 6 juin 1944.»



Se profile ensuite devant le visiteur un sentier sur le talus herbeux sillonné de barbelés, et deux mats où battent au vent le drapeau de la France et celui des États-Unis. Finalement, nous voilà sur la plage, notre première plage de Normandie! Il y a 70 ans, de jeunes GI américains avaient dû franchir, à marée basse, 700 mètres sans protection avant d'atteindre les positions allemandes. Heureusement, contrairement à Omaha, il s'étaient trompés de plage et les défenses ennemies étaient plus faibles. Tout de même… Le 6 juin 2014, quelques survivants de l'assaut, aujourd'hui âgés de 90 ans, y retourneront, sans doute pour la dernière fois. Le devoir de mémoire repose entre nos mains, désormais…

À Utah Beach, on peut visiter un excellent Musée du débarquement: une parfaite introduction à la grande offensive du 6 juin 1944 avant de visiter les quatre autres plages - Omaha, Gold, Juno et Sword - toutes situées hors du Cotentin, plus à l'est. Pour les voir de façon ordonnée et y apprendre quelque chose, l'idéal c'est de profiter des visites guidées offertes par le Mémorial de Caen (à 64 euros la personne). Le personnel est compétent et la tournée des plages se fait en fourgonnette - un guide pour seulement sept visiteurs. On ne peut demander mieux!


           Le monument «Les Braves» sur la plage Omaha

Les points forts de cette visite guidée sont évidemment Omaha Beach, dite «la sanglante», et le cimetière américain où 10 000 croix chrétiennes et environ 150 étoiles de David s'étendent sur un immense parterre verdoyant. Cela sert à nous rappeler que je jour du débarquement, ce sont les Américains qui ont subi les plus grandes pertes du coté allié. Sur la plage Omaha, regardant vers les hauteurs que les vagues d'assaut devaient atteindre et franchir, on s'imagine vite l'immense avantage des défenseurs et l'avancée quasi suicidaire des jeunes fantassins venus de la Manche…


           Au cimetière américain, des croix à perte de vue

Malheureusement, la tournée du Mémorial de Caen n'inclut pas la plage Juno et le cimetière canadien, plus petit mais plus attrayant que le vaste complexe américain. Pour s'y rendre, il faut se débrouiller et si la plage et le Centre Juno Beach sont faciles à repérer, on ne peut en dire autant du cimetière de Reviers. On peut se perdre à quelques reprises avant d'arriver au village et il nous a fallu demander des instructions à deux résidents. Le détour en valait cependant la peine, et si on peut se permettre une suggestion au gouvernement canadien, c'est d'investir dans l'installation de quelques panneaux bien visibles sur les routes autour de Courseulles-sur-mer, où est située la plage Juno.


          Au cimetière canadien, chaque tombe est fleurie.

La morale de cette histoire? Le 6 juin 2014 marque le 70e anniversaire un Jour J, sans doute l'un des derniers anniversaires de cette vaste offensive avec un nombre appréciable de survivants. La Seconde Guerre mondiale, l'une des rares guerres que j'estime justes de l'histoire humaine, sombre dans l'oubli chez les jeunes générations. Les anciens combattants toujours en vie atteignent la quatre-vingt-dizaine. Lors de rares cérémonies officielles, ils remettent leurs vieux uniformes, marchant, parfois d'un pas incertain, avec ce regard terrible de ceux qui ont vécu et revivent les horreurs du passé.

Dans quelques années, ces vieux traits ridés auront disparu, emportant avec eux le fil nous rattachant à une époque qui a marqué le monde à jamais. Cela peut paraître paradoxal que tant d'humains aient dû prendre les armes pour protéger ou rétablir la paix. L'humanité est ainsi faite. Oubliant trop souvent les erreurs du passé, elle est condamnée à les commettre de nouveau. Commémorer le 6 juin 1944 est un devoir collectif de mémoire. Pour s'en convaincre, il suffit de rester quelques minutes, les pieds bien plantés dans le sable, au milieu d'une des plages du débarquement. L'histoire - ou serait-ce la présence de l'esprit des soldats du 6 juin - y a laissé une marque indélébile.




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