mardi 17 juin 2014

La raison d'être du Bloc...


L'accession inattendue de Mario Beaulieu à la tête du Bloc québécois suscite donc la controverse. L'élection de l'ancien président de la Société St-Jean Baptiste de Montréal comme chef des bloquistes semble avoir mis les coteries souverainistes cens dessus dessous, pendant que les anti-souverainistes feignent d'être intrigués ou jubilent ouvertement.

Pour ma part, peut-être parce que je vis loin de la métropole, dans l'ombre de la Tour du Parlement fédéral, à Gatineau, je peine à comprendre tout le brouhaha que cela semble causer. La présence de M. Beaulieu et des positions qu'il défend me semble, au contraire, opportune dans la conjoncture actuelle.

Le Bloc a été quasi rayé de la carte électorale en mai 2011 et le Parti québécois vient de manger une dégelée aux élections du 7 avril. On pourra toujours invoquer des facteurs très particuliers pour expliquer les deux dégringolades - le phénomène Jack Layton pour le Bloc et, plus récemment, l'effet «référendaire» de la candidature de Pierre-Karl Péladeau - mais au fil des décennies, la faiblesse et l'usure de l'argumentaire traditionnel avait créé un terreau fertile pour les adversaires.

Quelques mois après la défaite de l'équipe de Pauline Marois et un peu plus de quinze mois avant le prochain scrutin fédéral, le moment apparaît idéal pour une remise en question stratégique. Assez tard pour tirer les enseignements des défaites précédentes, et assez tôt pour rajuster le tir si les positions de Mario Beaulieu ne semblent pas annoncer les résultats espérés au sein de l'opinion publique. Une chose est sûre: l'élection d'octobre 2015 à Ottawa pourrait être la plus chaudement contestée depuis un demi-siècle, d'un océan à l'autre. Et pour le Bloc, ce sera le moment de vérité. La relance ou l'enterrement.

Les troupes de Mario Beaulieu ne commettront sûrement pas les erreurs de 2011. Le parti avait trop tenu pour acquis son 40% d’électeurs et sa cinquantaine de sièges. Cette fois, il ne lui reste que quatre députés. La poussée inattendue du NPD sous Jack Layton avait pris les ténors du Bloc par surprise et rendu nécessaire une remise en question en fin de campagne.

La dernière vidéo du Bloc québécois avant l'élection du 2 mai 2011, fort belle (voir http://bit.ly/1krsoBP) et tout à fait compatible avec l'approche de Mario Beaulieu, témoignait de cette prise de conscience tardive, de cette perte de contact avec sa raison d’être et avec sa base. La prochaine fois, il n'y aura pas d'excuse.

Une présence nécessaire

Il faudra rappeler que si le Bloc québécois existe depuis près de 25 ans, c’est qu’il était nécessaire. Et continue de l'être. Depuis 1867, les francophones de ce pays, regroupés très majoritairement au Québec, se considèrent à juste titre comme une nation. Or, dans le cadre du régime fédéral, et ce, jusqu'à la fondation du Bloc, les aspirations nationales des Québécois et Canadiens français ne s'étaient jamais incarnées dans un parti aux Communes.

Dans notre système, chaque électeur vote en faveur d’un candidat qui représente, peu importe son parti, tous les citoyens de sa circonscription. Comme la majorité des citoyens du Canada sont anglophones, la majorité des députés le sont aussi. Au sein des grands partis politiques canadiens, sauf exception (le NPD actuel p. ex), les députés francophones sont minoritaires. Ainsi, au palier fédéral, nos revendications collectives sont toujours soumises à l’approbation d'une majorité anglo-canadienne.

Au Parlement canadien, «nous» ne contrôlerons jamais notre sort collectif. Nous pourrons demander, négocier, menacer… mais pas décider. Cette prérogative appartient à la majorité. Quand francophones et anglophones se mettent d’accord, tant mieux. Sinon, les Anglo-Canadiens décident. C’est ainsi que fonctionne la démocratie. Le Québec, seul gouvernement à majorité francophone, peut incarner nos aspirations collectives dans sa juridiction (et encore…) mais à la table fédérale-provinciale, il n’est qu’un sur onze. Sur la scène internationale, un demi-État.

Depuis 1867, la discrimination, voire la persécution, dont les francophones ont été victimes dans les provinces à majorité anglophone a fait son œuvre. Érodée, la vieille nation canadienne-française est devenue aujourd’hui, par la force des choses, québécoise. Si le Québec réalise son indépendance, le grand enjeu national est plus ou moins réglé. Mais tant que les Québécois accepteront de vivre dans le régime fédéral, la question de la représentation «nationale» des Québécois – et des francophones des autres provinces – au Parlement canadien continue de se poser.

À titre de nation, nous pouvons revendiquer l’égalité, nous sommes «une de deux», même si nous restons minoritaires sur le plan démographique. Mais cette égalité binationale, les formations politiques traditionnelles ne l’ont jamais reconnue et ne la reconnaîtront jamais à moins d’une menace de rupture imminente du pays.

Réalités et illusions

Le Bloc québécois a incarné, à l’instar des autres partis, les attentes et les besoins de tous les électeurs des circonscriptions qu’il représente. Ses députés ont participé comme tous les autres au processus parlementaire. Ils ont défendu leurs dossiers dans tous les secteurs de juridiction fédérale : économie, environnement, fiscalité, relations internationales, etc.

Mais ils l’ont fait en français, et ont fait valoir la position qu’auraient prise les Québécois, eussent-ils été en mesure de décider seuls. Ils acceptent, à Ottawa, d’œuvrer loyalement dans l’Opposition tant que le régime ne changera pas. C’est une position tout à fait réaliste.

L’illusion, c’est de croire que la présence de trente, cinquante ou même soixante députés québécois au sein du Parti conservateur, du Parti libéral ou du NPD donnera aux Québécois et aux francophones un droit de décision additionnel. L’expérience du passé démontre le contraire. Jusqu’aux années soixante, jusqu’à la menace «séparatiste», les députés et ministres québécois jouaient le plus souvent des rôles subalternes. Ceux qui émergé depuis – Trudeau, Chrétien, Mulroney, etc. – n’ont fondamentalement rien changé au substrat du régime.

Le choix à Ottawa reste pour le moment le suivant : élire des députés fédéralistes obligés de composer avec une majorité anglo-canadienne ou élire des députés du Bloc libres de nous défendre et de faire la promotion de points de vue qui émanent de notre collectivité. Nous sommes différents et avons pleinement le droit d’exprimer cette différence au Parlement canadien. Si cela peut sembler irritant et un peu dysfonctionnel, tant pis. Nous concédons aux autres le pouvoir auquel ils auraient droit de toute façon, étant majoritaires, et nous contentons pour l’instant de participer avec honneur et dignité à un régime qui finira par se transformer… ou que nous quitterons.

Si tout cela semble bien abstrait, je vous convie au prochain débat important qui opposera le Québec au reste du pays, ou les francophones à la majorité anglo-canadienne. Quand le gouvernement en place – qu’il soit conservateur, libéral ou néo-démocrate – nous opposera une fin de non-recevoir, il dira au Québec : voyez, nous avons sur nos bancs des dizaines de députés que vous avez élus sous notre bannière. Ils ont la même légitimité que les députés de l’Assemblée nationale du Québec. Trudeau, Chrétien et les autres ont fait ça souvent depuis les années soixante.

Avec une majorité de députés du Bloc québécois aux Communes, ils n’avaient plus ce luxe. De plus, le gouvernement avait devant lui un groupe québécois qui s’exprimait librement au lieu de servir d’écho ou d’estampille aux décisions ministérielles. Et le Bloc s’exprimait en français. Pour la première fois peut-être, la Chambre des Communes est devenue véritablement bilingue... et biculturelle.

Portes entrouvertes, puis fermées

La vague orange a semblé un moment entrouvrir des portes jusque là fermées. Espoir de changement, avec le fédéralisme asymétrique proposé par Jack Layton. Mais les bonnes intentions du regretté Jack ont été très vite rappelées à l’ordre par une majorité anglo-canadienne pour qui la moindre concession au Québec est toujours une concession de trop. La Déclaration de Sherbrooke, assise de l'asymétrie néo-démocrate, a sombré dans l'oubli...

Avec le gouvernement Harper, c’est le retour en force de l’unilinguisme anglais, la résurrection des traditions royalistes britanniques et l’affirmation de valeurs sociales et économiques qui nous sont étrangères. Le Bloc a beau être au purgatoire (aux portes de l'enfer?) depuis 2011, il reste plus que jamais pertinent. Les problèmes qui ont suscité sa création demeurent, et les élus du NPD qui ont remplacé les députés bloquistes occupent une position affaiblie. 

Sur la scène fédérale, le Bloc correspond le mieux aux aspirations pacifiques et sociale-démocrates de notre petite nation en devenir et en péril. Sans lui, qui «nous» représentera à Ottawa en attendant, comme peuple, de pouvoir faire mieux? Il ne faudra surtout pas retourner trop de fois à la case départ ! Au rythme actuel de l’érosion de nos effectifs et de notre culture, le temps commencera très bientôt à manquer.

Avec l'arrivée de Mario Beaulieu, il me semble voir réapparaître ce sentiment d'urgence qui faisait défaut au débat sur l'avenir de «notre brave village encerclé» de l'Amérique du Nord. L'heure n'est-elle pas venue de briser pour de bon certains silences?

Par ailleurs, si le nouveau chef du Bloc a réussi à convaincre des milliers de membres du parti à appuyer sa candidature et ses idées, n'a-t-il pas mérité le droit de tenter sa chance auprès d'un électorat plus vaste?


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