mercredi 2 avril 2014

L'histoire, c'est dangereux, mais pour qui?


Avez-vous remarqué, à chaque fois qu'on relance le dossier constitutionnel et qu'on évoque des différends entre Ottawa et Québec, il y a toujours un fin-finaud pour nous dire d'oublier les vieilles chicanes et de porter nos regards sur le présent et l'avenir. Ce sont les mêmes fin-finauds qui se méfient de l'enseignement de l'histoire nationale dans les écoles québécoises. Ces gens, toujours les mêmes, toujours de la même idéologie, ont compris quelque chose d'essentiel... qu'ils peuvent plus facilement manipuler une population tenue dans l'ignorance.

La connaissance de l'histoire, ici comme ailleurs (mais tenons-nous en à ici), c'est toujours dangereux pour les forces du statu quo, et cela n'a rien à voir avec une armée imaginaire de professeurs péquistes prêts à endoctriner les générations futures. Non, une simple énumération chronologique des événements et des personnes qui ont jalonné le séjour de notre petite nation francophone nord-américaine suffit pour éveiller les consciences, susciter les interrogations, informer les choix, cimenter l'identité individuelle et collective. Comme le disent les vieux sages, quand on sait d'où on vient, on sait mieux où l'on va...

Notre aventure collective, des explorations de Jacques Cartier à la foire actuelle, ont fait l'objet de récits innombrables. Plus que bien d'autres peuples, notre vécu de luttes, d'échecs et de réussites a été transmis de génération en génération par des historiens, des journalistes, des poètes et des chansonniers. Il en est résulté chez nous une très forte identité culturelle et nationale centrée sur la vallée du Saint-Laurent et ses affluents, portant jadis l'appellation canadienne (française), désormais québécoise. Cette identité se révèle de plus en plus fragile et notre îlot francophone en Amérique du Nord rétrécit d'année en année.

De nombreux facteurs socioéconomiques contribuent à expliquer l'effritement linguistique/identitaire des Québécois francophones et des minorités franco-canadiennes, documenté dans plus d'un demi-siècle de recensements. L'éducation en fait partie. En Ontario français, sur les avant-postes culturels de notre francophonie, les écoles aux prises avec l'assimilation des jeunes Franco-Ontariens et à la recherche de solutions font ce qu'elles appellent de la «construction identitaire».

Au Québec, nous n'en sommes pas encore là. Même qu'à regarder la jeune génération, j'ai parfois l'impression que nous assistons les bras croisés à une forme de «déconstruction» identitaire. Les sondages récents semblent indiquer un groupe de 18-24 ans en dérive par rapport aux générations précédentes. Et les choses risquent d'empirer si les libéraux de Philippe Couillard relancent avec force l'anglais intensif de la 6e année du primaire et qu'on aboutit à une bilinguisation générale de générations de Franco-Québécois. Des jeunes de plus en plus coupés de leurs racines culturelles, dirigés par des bergers aveugles vers le précipice...

Quel lien, direz-vous, avec l'histoire? Simple. L'élan autonomiste du Québec de-plus-en-plus-français des cinquante dernières années se veut une continuité historique, un aboutissement, une réalisation de projets en marche depuis deux siècles et demie. Si on réussissait à convaincre un public apathique à «oublier» les «vieilles chicanes» comme on dit, on peut faire table rase et réécrire l'histoire pour créer une nouvelle continuité fondée sur d'autres valeurs.

On n'a pas besoin d'aller loin. Le gouvernement Harper a réécrit l'histoire de la guerre de 1812 pour nous faire croire qu'il y avait là une étape importante dans la gestation d'une belle collaboration entre francophones, anglophones et Autochtones du Canada. C'est essentiellement de la propagande, gobée d'autant plus facilement que les gens ignorent tout de ce qui s'est réellement passé à l'époque. Les événements qui se prêtent moins bien à la propagande des puissances en place - la rébellion de 1837 par exemple - sont passés sous silence sauf exception.

Voici quelques dates importantes, sans commentaire... La conquête de 1760 et ses conséquences pour les habitants français... La rébellion des Patriotes de 1837-38, ses causes, son déroulement et les représailles britanniques... L'Union de 1840 et l'interdiction du français... Les rébellions de Riel et des Métis en 1869 et 1885... L'abolition des écoles acadiennes au Nouveau-Brunswick en 1871... L'abolition des écoles franco-manitobaines en 1890... L'interdiction de l'enseignement en français en Ontario en 1912... Les crises de la conscription des deux guerres mondiales... La crise d'octobre 1970... Le rapatriement de 1982, suite de la nuit des longs couteaux... L'échec de Meech... Les référendums de 1980 et 1995.... Etc. Etc.

Pourquoi devrait-on oublier ces événements - ces «vieilles chicanes», diraient certains? Pour pouvoir mieux les réécrire et en faire, quand elles s'y prêtent, des instruments de propagande? Pour effacer la mémoire collective et mieux manipuler? Une personne qui connaît l'histoire de sa nation et de son pays ne gobera pas les mensonges et la propagande. Ses choix, quels qu'ils soient, seront fondés sur la connaissance des faits et sur les conclusions qu'il ou qu'elle en tirera, en accord avec ses convictions. Mais les classes dirigeantes ont toujours eu peur d'une population informée... et avec raison.

Pendant le débat sur la charte de la laïcité et durant la campagne électorale qui s'achève au Québec, l'électorat m'a plus que jamais paru vulnérable face aux campagnes de désinformation... et il y en a eu. Si on doit juger l'arbre à ses fruits, notre arbre du savoir est souffrant. Les repères identitaires sont ébranlés. Cela provoque des réactions excessives chez les plus engagés de tous les camps (mais surtout ceux qui se perçoivent comme perdants), ainsi que de la confusion un peu partout, un cynisme répandu et une indifférence croissante. Rien de très réjouissant pour notre démocratie.

Si ceux et celles qui voudraient nous garder ignorants pour mieux nous façonner avec leur propagande finissent par gagner, notre folklorisation graduelle, notre «louisianisation», ne sera pas belle à voir. Ainsi s'achèvera, comme l'écrivait il y a 50 ans le poète Paul Chamberland, «un peuple jamais né, une histoire à dormir debout, un conte qui finit par le début». Et nous ne serons, faute de mémoire collective, faute d'avoir appris à bien connaître notre passé, qu'«une page blanche de l'histoire».









6 commentaires:

  1. Depuis bientôt presque dix ans, les élèves du Québec apprennent l'histoire nationale à raison de 200 heures durant leur secondaire. Avant la réforme, c'était 100 h. Le temps consacré à l'apprentissage de l'histoire nationale a donc doublé. Cela est plus que n'importe où ailleurs dans le Canada ou en occident. Je trouve votre texte très pessimiste et bien mal informé. Et irrespectueux pour le travail des enseignants et enseignantes d'histoire du Québec! Incidemment, tous les événements que vous mentionnez sont d'ailleurs des connaissances prescrites dans le programme d'État. Elle est où la censure?

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    4. Je reprends pour la 4e fois, sans coquille cette fois, j'espère.

      «Je n'ai que le plus grand respect pour les enseignants et enseignantes, et mon intention n'était pas du tout de les viser. Si le texte a pu être interprété ainsi, je m'en excuse. C'est le pouvoir politique que j'accuse. Je ne mets pas en doute les chiffres que vous avancez, mais ma lecture accumulée du savoir populaire en histoire (acquis en partie à l'école mais beaucoup ailleurs y compris dans les médias) et mes propres échanges au fil des décennies, s'ajoutant aux débats récents au Québec sur la place de l'histoire nationale à l'école, me portent à m'inquiéter. Je crois que nous arrivons à un carrefour important, et ce que je vois me donne l'impression que notre savoir historique n'informe pas suffisamment nos choix. Si je me trompe, je serai le premier à m'en réjouir.»

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  2. J'ai une vision un peu différente, une qu'on ne met pas souvent en lumière au Québec lorsqu'on présente l'Histoire, une vision où la France a simplement décidé d'abandonner devant le travail ardu, le "combat" colonial qui aurait été nécessaire pour soutenir des colonies véritablement capables de faire face à celles établies au sud:

    http://philippekeb.wordpress.com/2014/01/14/le-quebecois-et-le-syndrome-de-cendrillon/

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