L’interminable débat identitaire a de nouveau empoisonné une campagne électorale. À chaque empoignade sur un éventuel
référendum, à chaque esclandre linguistique, à chaque tollé sur l’imaginaire
racisme ou xénophobie des francophones, l’attention est détournée d’autres enjeux
majeurs – santé, éducation, économie, environnement, etc. – pour être rebraquée sur ce «nous» que l’on ne
cesse de définir et redéfinir depuis plus de 250 ans.
Établis ici depuis plus de 400 ans sur un
territoire d’abord immense, puis rétréci, mais dont le cœur a toujours été le
bassin du Saint-Laurent, n’ayant jamais connu une liberté politique complète
comme peuple, devenus peu à peu un îlot francophone dans un vaste continent
anglophone, nous avons jusqu’à maintenant réussi à survivre et à faire croître
en terre nord-américaine une société originale de culture française. Mais cette
survie n’a jamais été et ne sera jamais assurée.
Pendant près de deux siècles, faute de leviers
économiques et politiques suffisants, notre croissance a été essentiellement
démographique. La conquête de 1760 avait déterminé le cadre dans lequel, en
attendant d’avoir le droit de choisir, nous serions obligés de vivre : d’abord
sous la domination de la Couronne britannique, puis dans une fédération où nous
serions nécessairement minoritaires. Les rébellions intellectuelles et politiques
ont été réprimées pendant 200 ans. Si nos arrière-grands-parents n’avaient pas
fait tant d’enfants, nous ne serions plus là…
Le premier siècle de la Confédération a créé le
gabarit juridique dans laquelle nous nous retrouvons aujourd’hui. L’une après
l’autre, les neuf provinces à majorité anglophone ont persécuté leurs minorités
francophones. Dans la seconde moitié du 19e siècle, les débordements
démographiques d’une population québécoise en quête d’espaces, qui auraient pu peupler
l’Ontario et l’Ouest canadien si on avait accepté d’y accueillir plus de
francophones, ont pris la forme d’un exil massif aux États-Unis. Le
rétablissement des droits scolaires et juridiques des francophones hors-Québec
est arrivé trop tard pour sauver plusieurs communautés. Le nous resterait donc, par la force des choses, centré au Québec.
Les Québécois qui ont négocié les termes de la
Confédération de 1867 y voyaient un pacte entre deux peuples, entre deux
nations. L’histoire a démontré que leurs interlocuteurs ne voyaient pas l’union
du même œil, et qu’ils avaient la majorité pour imposer leur vision. Le
rapatriement de 1982 a consacré la domination d’Ottawa et le statut du Québec
comme « un sur dix », ou guère plus. La reconnaissance d’une « nation »
québécoise en 2006 par la Chambre des communes n’a modifié en rien cet
encadrement constitutionnel.
Depuis la Révolution tranquille des années
1960, et notamment depuis l’élection de 1962 avec le slogan « Maîtres chez nous
» de l’équipe Jean Lesage-René Lévesque, une nouvelle volonté d’affirmation
collective a donné naissance au projet moderne d’indépendance politique du
Québec. Depuis un demi-siècle, fédéralistes et souverainistes ont entamé un
débat qui semble aujourd’hui dans l’impasse, devant un Canada anglais mal
disposé et de plus en plus exaspéré par le caractère interminable de notre
réflexion identitaire.
L’élément
identitaire clé : la langue française
Le seul élément sûr de cette identité, la
seule composante sur laquelle tous s’accordent, c’est bien sûr la langue
française et jusqu’à récemment, tous, souverainistes, fédéralistes, libéraux,
péquistes, caquistes et autres promettaient plus ou moins de faire la promotion
du caractère français du Québec. Or, depuis 2011, avec l’introduction de son
programme d’anglais intensif en 6e année, le Parti libéral du Québec
épouse l’objectif d’un Québec où tous les francophones pourraient devenir
bilingues. C’est une rupture radicale, et si l’objectif est atteint, l’effet
identitaire et culturel serait désastreux.
Même sans tenir compte de cet élément nouveau,
il y avait toujours eu un écart entre réalité et promesses. Le français recule
dans le commerce et en milieu de travail, la Loi 101 est constamment violée,
l’autorité judiciaire suprême reste fédérale et à majorité anglophone (parfois
unilingue). Dans certaines régions québécoises, notamment l’ouest de l’île de
Montréal et l’Outaouais, l’anglicisation inquiète depuis longtemps. D’ici
quelques décennies, au rythme de l’effritement linguistique que documente
chaque recensement, nous risquons de tituber jusqu'au bord du précipice.
Le Québec, s’il veut vraiment survivre et se
développer comme nation francophone, s’il veut demeurer un appui solide pour
les minorités franco-canadiennes, doit avoir les moyens de le faire. Fédéralistes
et souverainistes s’entendent pour dire que le cadre constitutionnel actuel reste
déficient (sauf peut-être les libéraux sous Philippe Couillard) et que le
Québec a besoin de pouvoirs accrus qui doivent être négociés avec l’ensemble du
pays. Mais il n’existe aucune volonté – à l’extérieur du Québec – d’entamer une
ronde de négociations constitutionnelles. On voit même une très ferme résolution
de refuser tout compromis qui pourrait augmenter les pouvoirs du Québec.
Entre-temps, au Québec, les forces politiques
sont fragmentées. Les libéraux, tout en épousant le fédéralisme, ne semblent
pas en comprendre les rouages et s’opposent à peine aux élans de centralisation
d’Ottawa. La CAQ ne fait ni la promotion de l’indépendance ni la promotion du
fédéralisme. La présence du Parti Québécois, de Québec Solidaire et d’Option
nationale témoigne d’une profonde division au sein des formations
souverainistes. Et dans la cacophonie d’insultes et de crocs-en-jambe, dans le
chassé-croisé de sondages et d’interprétations tendancieuses, on n’y voit parfois
plus très clair…
La question identitaire remonte constamment à
la surface sous forme d’enjeux ponctuels spectaculaires (charte des valeurs, conflits
linguistiques, citoyenneté, référendums, etc.) puis repasse pour un temps sous
le radar. À chaque crise, on s’interroge sur ce que nous sommes, sur notre
existence comme peuple, comme nation. Il faudra un jour débloquer cette impasse,
et ça commence à presser. Le gouvernement fédéral actuel a été élu sans nous – voire
contre nous – et notre déclin démographique, confirmé par plus de 50 ans de
recensements, accentuera notre déclin politique.
Un vigoureux coup de barre !
Dans ce contexte, le Québec ne peut rien sans un gouvernement résolu à donner un vigoureux coup de barre, tant à l’interne pour affirmer le statut de langue commune du français, qu'à l’extérieur pour convaincre Ottawa et le Conseil de la fédération de faire sauter les verrous constitutionnels. Le gouvernement Charest avait démontré depuis 2003 qu’il ne faisait pas le poids à cet égard et Philippe Couillard semble à prime abord encore plus faible. La CAQ, assise entre deux chaises constitutionnelles et idéologiques, n’a aucune stratégie cohérente. La seule formation majeure qui ait la moindre volonté d’effectuer une trouée constitutionnelle, dans le contexte actuel, demeure le Parti Québécois, et même ce dernier semble parfois bien hésitant...
Dans ce contexte, le Québec ne peut rien sans un gouvernement résolu à donner un vigoureux coup de barre, tant à l’interne pour affirmer le statut de langue commune du français, qu'à l’extérieur pour convaincre Ottawa et le Conseil de la fédération de faire sauter les verrous constitutionnels. Le gouvernement Charest avait démontré depuis 2003 qu’il ne faisait pas le poids à cet égard et Philippe Couillard semble à prime abord encore plus faible. La CAQ, assise entre deux chaises constitutionnelles et idéologiques, n’a aucune stratégie cohérente. La seule formation majeure qui ait la moindre volonté d’effectuer une trouée constitutionnelle, dans le contexte actuel, demeure le Parti Québécois, et même ce dernier semble parfois bien hésitant...
Bien sûr, pour négocier avec Ottawa et les autres
provinces, il faudra mettre sur table des positions précises. La souveraineté est exclue faute de confirmation référendaire, mais le projet possède des marges de recul appréciables, suffisantes
pour proposer un arrangement raisonnable à long terme qui pourrait offrir
au Québec une autonomie nationale substantiellement accrue, et ce, sans
provoquer l’éclatement de l’ensemble canadien… Sur le plan international, par
exemple, le Québec pourrait siéger aux Nations Unies et rester membre de la
fédération canadienne. Cela s’est déjà fait ailleurs. Et rien, en principe,
n’interdit au Québec de se donner une constitution républicaine et laïque, même
à l’intérieur du cadre confédératif.
Le NPD fédéral, dans sa déclaration de
Sherbrooke de 2005, propose une vision d’un fédéralisme plurinational qui
oriente le pays vers une centralisation à Ottawa pour les provinces à majorité
anglaise, et une décentralisation vers Québec pour la seule majorité de langue
française. Voilà une avenue intéressante qui pourrait permettre aux deux «
nations » d’évoluer à la fois en collaboration et en parallèle, tout en
protégeant les droits acquis des minorités franco-canadiennes et
anglo-québécoise. Reste à voir si un gouvernement néo-démocrate à Ottawa (est-ce
possible à l'automne 2015 ?) honorerait ses engagements à cet égard...
Nous devrons subir le
gouvernement Harper jusqu’à l’an prochain, mais avec un engagement ferme de l’Assemblée nationale du Québec, la semence constitutionnelle pourrait-elle trouver un terreau
plus fertile si jamais le Bloc retrouvait ses appuis ou si M. Mulcair parvenait à convaincre le Canada anglais
qu’il possède les meilleurs outils pour aborder la question québécoise? Je rêve en couleurs ? Oui, probablement. C'est mieux que rêver en noir et blanc... Quoiqu'il en soit, si rien ne change d'ici peu, nos années comme nation
francophone m'apparaissent désormais comptées !
Essentiel de lire ce texte brillant de Pierre Allard si l'avenir du Québec et des communautés francophones hors-Québec vous intéressent...
RépondreSupprimergé.ottawa
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