vendredi 4 avril 2014

Faire sauter les verrous constitutionnels !


L’interminable débat identitaire a de nouveau empoisonné une campagne électorale. À chaque empoignade sur un éventuel référendum, à chaque esclandre linguistique, à chaque tollé sur l’imaginaire racisme ou xénophobie des francophones, l’attention est détournée d’autres enjeux majeurs – santé, éducation, économie, environnement, etc. – pour être rebraquée sur ce «nous» que l’on ne cesse de définir et redéfinir depuis plus de 250 ans.

Établis ici depuis plus de 400 ans sur un territoire d’abord immense, puis rétréci, mais dont le cœur a toujours été le bassin du Saint-Laurent, n’ayant jamais connu une liberté politique complète comme peuple, devenus peu à peu un îlot francophone dans un vaste continent anglophone, nous avons jusqu’à maintenant réussi à survivre et à faire croître en terre nord-américaine une société originale de culture française. Mais cette survie n’a jamais été et ne sera jamais assurée.

Pendant près de deux siècles, faute de leviers économiques et politiques suffisants, notre croissance a été essentiellement démographique. La conquête de 1760 avait déterminé le cadre dans lequel, en attendant d’avoir le droit de choisir, nous serions obligés de vivre : d’abord sous la domination de la Couronne britannique, puis dans une fédération où nous serions nécessairement minoritaires. Les rébellions intellectuelles et politiques ont été réprimées pendant 200 ans. Si nos arrière-grands-parents n’avaient pas fait tant d’enfants, nous ne serions plus là…

Le premier siècle de la Confédération a créé le gabarit juridique dans laquelle nous nous retrouvons aujourd’hui. L’une après l’autre, les neuf provinces à majorité anglophone ont persécuté leurs minorités francophones. Dans la seconde moitié du 19e siècle, les débordements démographiques d’une population québécoise en quête d’espaces, qui auraient pu peupler l’Ontario et l’Ouest canadien si on avait accepté d’y accueillir plus de francophones, ont pris la forme d’un exil massif aux États-Unis. Le rétablissement des droits scolaires et juridiques des francophones hors-Québec est arrivé trop tard pour sauver plusieurs communautés. Le nous resterait donc, par la force des choses, centré au Québec.

Les Québécois qui ont négocié les termes de la Confédération de 1867 y voyaient un pacte entre deux peuples, entre deux nations. L’histoire a démontré que leurs interlocuteurs ne voyaient pas l’union du même œil, et qu’ils avaient la majorité pour imposer leur vision. Le rapatriement de 1982 a consacré la domination d’Ottawa et le statut du Québec comme « un sur dix », ou guère plus. La reconnaissance d’une « nation » québécoise en 2006 par la Chambre des communes n’a modifié en rien cet encadrement constitutionnel.

Depuis la Révolution tranquille des années 1960, et notamment depuis l’élection de 1962 avec le slogan « Maîtres chez nous » de l’équipe Jean Lesage-René Lévesque, une nouvelle volonté d’affirmation collective a donné naissance au projet moderne d’indépendance politique du Québec. Depuis un demi-siècle, fédéralistes et souverainistes ont entamé un débat qui semble aujourd’hui dans l’impasse, devant un Canada anglais mal disposé et de plus en plus exaspéré par le caractère interminable de notre réflexion identitaire.

L’élément identitaire clé : la langue française

Le seul élément sûr de cette identité, la seule composante sur laquelle tous s’accordent, c’est bien sûr la langue française et jusqu’à récemment, tous, souverainistes, fédéralistes, libéraux, péquistes, caquistes et autres promettaient plus ou moins de faire la promotion du caractère français du Québec. Or, depuis 2011, avec l’introduction de son programme d’anglais intensif en 6e année, le Parti libéral du Québec épouse l’objectif d’un Québec où tous les francophones pourraient devenir bilingues. C’est une rupture radicale, et si l’objectif est atteint, l’effet identitaire et culturel serait désastreux.

Même sans tenir compte de cet élément nouveau, il y avait toujours eu un écart entre réalité et promesses. Le français recule dans le commerce et en milieu de travail, la Loi 101 est constamment violée, l’autorité judiciaire suprême reste fédérale et à majorité anglophone (parfois unilingue). Dans certaines régions québécoises, notamment l’ouest de l’île de Montréal et l’Outaouais, l’anglicisation inquiète depuis longtemps. D’ici quelques décennies, au rythme de l’effritement linguistique que documente chaque recensement, nous risquons de tituber jusqu'au bord du précipice.

Le Québec, s’il veut vraiment survivre et se développer comme nation francophone, s’il veut demeurer un appui solide pour les minorités franco-canadiennes, doit avoir les moyens de le faire. Fédéralistes et souverainistes s’entendent pour dire que le cadre constitutionnel actuel reste déficient (sauf peut-être les libéraux sous Philippe Couillard) et que le Québec a besoin de pouvoirs accrus qui doivent être négociés avec l’ensemble du pays. Mais il n’existe aucune volonté – à l’extérieur du Québec – d’entamer une ronde de négociations constitutionnelles. On voit même une très ferme résolution de refuser tout compromis qui pourrait augmenter les pouvoirs du Québec.

Entre-temps, au Québec, les forces politiques sont fragmentées. Les libéraux, tout en épousant le fédéralisme, ne semblent pas en comprendre les rouages et s’opposent à peine aux élans de centralisation d’Ottawa. La CAQ ne fait ni la promotion de l’indépendance ni la promotion du fédéralisme. La présence du Parti Québécois, de Québec Solidaire et d’Option nationale témoigne d’une profonde division au sein des formations souverainistes. Et dans la cacophonie d’insultes et de crocs-en-jambe, dans le chassé-croisé de sondages et d’interprétations tendancieuses, on n’y voit parfois plus très clair…

La question identitaire remonte constamment à la surface sous forme d’enjeux ponctuels spectaculaires (charte des valeurs, conflits linguistiques, citoyenneté, référendums, etc.) puis repasse pour un temps sous le radar. À chaque crise, on s’interroge sur ce que nous sommes, sur notre existence comme peuple, comme nation. Il faudra un jour débloquer cette impasse, et ça commence à presser. Le gouvernement fédéral actuel a été élu sans nous – voire contre nous – et notre déclin démographique, confirmé par plus de 50 ans de recensements, accentuera notre déclin politique.

Un vigoureux coup de barre !

Dans ce contexte, le Québec ne peut rien sans un gouvernement résolu à donner un vigoureux coup de barre, tant à l’interne pour affirmer le statut de langue commune du français, qu'à l’extérieur pour convaincre Ottawa et le Conseil de la fédération de faire sauter les verrous constitutionnels. Le gouvernement Charest avait démontré depuis 2003 qu’il ne faisait pas le poids à cet égard et Philippe Couillard semble à prime abord encore plus faible.  La CAQ, assise entre deux chaises constitutionnelles et idéologiques, n’a aucune stratégie cohérente. La seule formation majeure qui ait la moindre volonté d’effectuer une trouée constitutionnelle, dans le contexte actuel, demeure le Parti Québécois, et même ce dernier semble parfois bien hésitant...

Bien sûr, pour négocier avec Ottawa et les autres provinces, il faudra mettre sur table des positions précises. La souveraineté est exclue faute de confirmation référendaire, mais le projet possède des marges de recul appréciables, suffisantes pour proposer un arrangement raisonnable à long terme qui pourrait offrir au Québec une autonomie nationale substantiellement accrue, et ce, sans provoquer l’éclatement de l’ensemble canadien… Sur le plan international, par exemple, le Québec pourrait siéger aux Nations Unies et rester membre de la fédération canadienne. Cela s’est déjà fait ailleurs. Et rien, en principe, n’interdit au Québec de se donner une constitution républicaine et laïque, même à l’intérieur du cadre confédératif.

Le NPD fédéral, dans sa déclaration de Sherbrooke de 2005, propose une vision d’un fédéralisme plurinational qui oriente le pays vers une centralisation à Ottawa pour les provinces à majorité anglaise, et une décentralisation vers Québec pour la seule majorité de langue française. Voilà une avenue intéressante qui pourrait permettre aux deux « nations » d’évoluer à la fois en collaboration et en parallèle, tout en protégeant les droits acquis des minorités franco-canadiennes et anglo-québécoise. Reste à voir si un gouvernement néo-démocrate à Ottawa (est-ce possible à l'automne 2015 ?) honorerait ses engagements à cet égard...

Nous devrons subir le gouvernement Harper jusqu’à l’an prochain, mais avec un engagement ferme de l’Assemblée nationale du Québec, la semence constitutionnelle pourrait-elle trouver un terreau plus fertile si jamais le Bloc retrouvait ses appuis ou si M. Mulcair parvenait à convaincre le Canada anglais qu’il possède les meilleurs outils pour aborder la question québécoise? Je rêve en couleurs ? Oui, probablement. C'est mieux que rêver en noir et blanc... Quoiqu'il en soit, si rien ne change d'ici peu, nos années comme nation francophone m'apparaissent désormais comptées !







1 commentaire:

  1. Essentiel de lire ce texte brillant de Pierre Allard si l'avenir du Québec et des communautés francophones hors-Québec vous intéressent...

    gé.ottawa

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