jeudi 24 avril 2014

La disparition de l'imprimé???


Je suis assis devant mon méga-iMac. Je jette un coup d'oeil occasionnel à mon iPod. À côté, reposent mon iPad, quelques clés USB. Et tout autour, des piles de papiers, de coupures de presse, des magazines, des bibliothèques remplies de livres, ma table tournante et ma collection de vinyles, seule musique admise dans mon antre de travail. Que dois-je en conclure? Que je suis un amas de contradictions? Soit.

Voilà sans doute pourquoi j'ai passé par la gamme des émotions en lisant deux de mes collègues, Denis Gratton et Patrick Duquette, chroniqueurs au Droit, ces derniers jours. Le premier lançait comme une évidence : « C'est vrai que les journaux papier sont en voie de disparition. Et ça ne prend pas la tête à Papineau pour arriver à cette conclusion. » Le second, frais de son chemin de Damas où il s'est converti au livre électronique, prophétise : « La bibliothèque de demain sera peut-être d'immenses serveurs de livres électroniques que les citoyens pourront louer et télécharger à distance. »

Loin de moi de renier l'ère électronique-numérique et les bienfaits de l'Internet et de ses dérivés. J'en raffole. Mais j'en raffole pour ce qu'ils ajoutent à la connaissance et à la communication, et non pour ce qu'ils ont ou auront la prétention de remplacer. L'Internet ouvre des portes vers de vastes sources d'information médiatiques, éducatives, musicales, institutionnelles et autres auxquelles nous n'avions pas d'accès instantané avant. Les réseaux sociaux contemporains ont surmultiplié les axes de communication entre parents, amis et même de parfaits étrangers qu'on peut croiser et apprendre à connaître sur Facebook, Twitter et tout le tralala. Merveilleux! Je suis accro.

Mais… Il y a toujours un « mais », n'est-ce pas? Je ne peux m'empêcher de penser à l'inhérente fragilité des appareils électroniques et de leurs périphériques, et que dire des serveurs et logiciels, comme assise du savoir et de sa transmission. Les ordis sont vite désuets, les générations de logiciels se succèdent, pas toujours compatibles les uns avec les autres. Les cédés, disquettes et clés se corrompent au fil des ans. Et tout le bazar d'info est entre les griffes de serveurs et de fournisseurs Internet, ainsi que sous l'oeil parfois indiscret des puissants, sur lesquels nous exerçons peu ou pas de contrôle.

On a tendance à oublier que pour le commun des mortels, l'Internet et dérivés n'ont que vingt ans. Les tablettes et mobiles encore moins, comme les réseaux sociaux. On y est tellement immergé que notre capacité de s'en extraire et de prendre du recul en souffre. Ce qu'on fait quotidiennement aujourd'hui sur nos écrans aurait été impensable il y a une seule décennie… Au rythme où les technologies se raffinent, qui sait vers quoi on se dirige dans quelques autres décennies? Et pendant ce temps, le climat change, le monde se pollue davantage, et tout notre environnement physique nous dit qu'il est presque minuit…

Notre planète surpeuplée en surconsommation de ressources ira de crise en crise, et on sait ce qui arrive en périodes d'instabilité. Les puissances, et notamment les gouvernements, tentent toujours d'influencer, de contrôler et, au besoin, d'étouffer les grands circuits d'information. La Chine le fait constamment. On a vu récemment le premier ministre turc couper le robinet à Twitter. J'ose à peine imaginer ce qui pourrait se tramer dans les officines de Stephen Harper si l'occasion se présentait. Quoiqu'il en soit, avec l'informatique, il existe toujours le risque qu'un grand patron « tire la plogue »… et nous nous retrouverons alors devant des écrans vides…

Vous me voyez venir, sûrement... Certains des livres que j'ai dans mes bibliothèques ont plus de 175 ans, et ils sont en parfait état… La plupart de mes volumes et magazines, du moins ceux d'avant 2000, ne seront jamais numérisés. Chacun est signé, avec la date de l'acquisition. Certains sont annotés. Je découpe mes journaux à tous les jours pour conserver dans des chemises, dans mes classeurs, les articles qui peuvent servir à consultation ultérieure ou qui, tout simplement, m'intéressent. Je regarde tous ces livres achetés depuis les années 1960 et c'est un peu ma vie que je vois et revois. Peu importe ce qui arrive à mes nombreux écrans et à leurs sources d'information, j'ai dans ma maison une petite partie de la civilisation humaine en documents imprimés.

Et je n'ai pas parlé d'autres composantes essentielles de nos vies… J'ai des albums de photos qui remontent à plus de 60 ans (ma mère en a des centenaires) et qui s'arrêtent sans préavis en 2002, l'année où l'appareil photo numérique est entré dans la maison. Mes photos, depuis ce temps, reposent dans quatre disques durs et j'ai commencé à en imprimer, par crainte de les perdre pour de bon… Quant à la musique, je continue de préférer mes vinyles aux importations iTunes. Le son est meilleur, et les pochettes constituent un excellent complément aux bibliothèques de livres. Avez-vous remarqué, d'ailleurs, que les magasins de disques ont depuis peu des sections vinyles?

J'ai beau aimer et utiliser les ressources électroniques, une petite voix au fond de moi, une voix très humaine, me rappelle le caractère virtuel d'une partie de cette réalité. Sa fragilité, sa perméabilité, sa capacité d'être manipulée à mon insu, sa croissance pour le moins instable. Son contrôle par des barons plus soucieux de leurs profits que de la qualité de l'information qu'ils véhiculent. Je continue à croire, et je ne pense pas être seul, loin de là, qu'un journal et un livre imprimés à l'ancienne restent plus conviviaux, plus réels, plus durables, plus permanents que les textes, les images et les liens qui défilent à l'écran. L'information numérique ne s'envole pas comme les paroles, mais elle ne reste pas non plus comme les écrits…

Je ne doute pas du bien-fondé des perceptions de mes collègues Denis Gratton et Patrick Duquette. Je m'inquiète cependant qu'ils semblent moins sensibles que moi - et c'est peut-être parce que je suis vieux - aux profonds dangers du remplacement possible de l'imprimé par le numérique dans le quotidien des gens. Si, un jour, dans les pires scénarios, l'espèce humaine franchit quelque point de non-retour et que les réseaux Internet et leurs dérivés flanchent, j'espère que d'autres comme moi auront conservé quelques livres, magazines et journaux pour l'humanité de l'avenir.














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