Le titre dans l'édition du quotidien Le Droit du 16 janvier 2014 m'avait fait sursauter: «Pembroke veut mettre en lumière sa communauté franco-ontarienne». Pourquoi diable une municipalité comme Pembroke, un des coins de l'Ontario où les francophones ont été les plus maltraités depuis la Confédération, voudrait-elle honorer ce qui reste de sa petite collectivité franco-ontarienne? Après avoir lu l'article, j'ai vite compris que les autorités de cette petite ville du Haut-Outaouais ontarien n'y étaient pour rien...
Il s'agissait d'un projet émanant d'un groupe de francophones de Pembroke, sous la gouverne de la régionale Champlain de l'Association canadienne-française de l'Ontario, qui proposent d'ériger à cet endroit un « monument de la Francophonie », surplombé d'un drapeau franco-ontarien vert et blanc géant. Il existe déjà 14 de ces monuments ailleurs, concentrés dans la région d'Ottawa. Si jamais celui de Pembroke voit le jour, j'espère que celui-là, plus que les autres, servira à rappeler les effets quasi génocidaires du racisme anglo-canadien. Un monument à ce qui aurait pu être, et qui a été étouffé !
Dans la seconde moitié du 19e siècle, la population de la vallée du Saint-Laurent explosait, avec un taux de natalité faramineux. Que serait devenu le Canada si toutes ces gens avaient pu s'installer, dans le respect de leur langue et de leur culture, ailleurs au pays? L'Ontario était voisin, et plusieurs y ont élu domicile. L'Ouest s'ouvrait à la colonisation, mais pas pour les francophones du Québec... qui, dans le sillage des rébellions Métis, n'y étaient pas les bienvenus. Alors nos gens ont traversé par dizaines de milliers la frontière américaine et aujourd'hui, ils ont près de 12 millions de descendants aux États-Unis.
Si seulement la moitié de ces exilés avaient pu trouver bon accueil en Ontario, dans le Manitoba alors bilingue, ou sur les plaines de la Saskatchewan et de l'Alberta, et si leurs droits n'avaient pas été piétinés partout, qui sait s'il n'y aurait pas aujourd'hui deux ou trois provinces à majorité française au lieu d'une? Et quelle serait la dynamique du pays si la moitié de la population était francophone, au lieu d'un peu plus de 20%? Enfin, cela appartient aux historiens du ce-qui-serait-arrivé-si... Et ces mêmes historiens pourraient alors se pencher sur la petite histoire de Pembroke.
Siège social d'un diocèse catholique qui n'a jamais favorisé les francophones, qui les a parfois ouvertement persécutés, et qui contrôle encore aujourd'hui les paroisses francophones du Pontiac québécois; municipalité située le long de la rivière des Outaouais, et dont l'influence a contribué à assimiler les francophones de la rive québécois, une assimilation qui se poursuit sous le regard indifférent du reste du Québec; Pembroke fut l'un des théâtres de la lutte contre le Règlement XVII du gouvernement ontarien. Ce règlement adopté en 1912 interdisait l'enseignement en français après la deuxième année du primaire.
En 1923, cela faisait déjà dix ans que les élèves franco-ontariens subissaient la répression linguistique. Et n'oubliez pas que cela se passe dans des écoles catholiques contrôlées par une majorité irlandaise anglophone. La seule institutrice capable d'enseigner en français, Jeanne Lajoie, venait d'être congédiée par la commission scolaire. À la demande de parents canadiens-français, Mme Lajoie accepte d'enseigner illégalement dans une école francophone « libre », que fréquentent dès la première année 55 élèves (combien sont restés à l'école anglaise? Sait pas...)
Jeanne Lajoie
Elle y ruinera sa santé, passant même ses étés à recueillir des fonds pour « l'oeuvre » de l'école. Épuisée, Cette femme qui devient « l'héroïne » de Pembroke se voit obligée de quitter l'enseignement trois ans plus tard et après cinq ans dans un sanatorium, meurt en 1931. D'autres figures légendaires du temps, dont le vieux Alfred Longpré, animèrent les efforts des francophones. L'époque a été marquée par des souffrances, des privations, et ces interminables quêtes de fonds auprès d'une population déjà pauvre pour offrir aux jeunes Franco-Ontariens une fraction de ce que les petits Anglo-Québécois recevaient en surabondance.
Leur combat, voilà ce qui mérite d'être souligné et honoré par un éventuel monument de la francophonie. Un monument et un drapeau à la mémoire de quelques héros du passé, de leurs modestes succès, et un rappel sans réserve de la persécution qu'ils ont subie. Aujourd'hui, le combat est à toutes fins utiles terminé. Selon le dernier recensement, il ne reste à Pembroke que 285 personnes (sur une population de 14 350) ayant le français comme langue d'usage à la maison. À peine 2% de la population. Ils sont encore près de 1000 en utilisant les statistiques de la langue maternelle (6,6%).
Mais quelle était leur importance en 1912 au moment de la tentative génocidaire du gouvernement ontarien? Il faudrait fouiller les recensements. J'ai pu reculer jusqu'en 1951, où près de 14% de la population de Pembroke était toujours de langue maternelle française. Si l'on compare à d'autres régions minoritaires de l'Ontario, on pourrait sans doute croire que le taux d'assimilation avoisinait déjà les 50%, et que près de 30% ou même le tiers des gens de Pembroke avaient des ancêtres francophones... On en voit tous les jours, même du côté québécois, dans le Pontiac, des gens aux noms français qui ne parlent plus la langue depuis quelques générations...
La région d'Ottawa et la vallée de l'Outaouais, en montant vers Pembroke, ont compté parmi les coins les plus racistes de l'Ontario, notamment à l'égard des francophones. Il existe encore aujourd'hui des relents de cette intolérance. Que le petite minorité de Franco-Ontariens qui s'agite toujours dans la région de Pembroke veuille aujourd'hui un monument de la francophonie, cela mérite l'appui de tous. C'est à la fois un moyen d'honorer quelques-uns des nôtres, qu'il ne faudra jamais oublier, et aussi une épine au flanc de la majorité anglophone, pour lui rappeler son passé raciste et souligner qu'elle n'a pas réussi à nous éliminer tous... Un doigt d'honneur...
Mais la question reste intéressante... De quoi aurait l'air la francophonie de Pembroke en 2014 si les Franco-Ontariens avaient eu les même avantages que les Anglo-Québécois?
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