mardi 11 février 2014

20 années perdues ?


Faire le ménage de ses vieux dossiers, c'est un peu comme voyager dans le temps. Justement, hier, j'ai trouvé, au fond d'un tiroir, une vieille chemise de coupures de presse sur la situation linguistique au Québec et ailleurs au Canada, dans les années 1990, que j'ai relues avec beaucoup d'intérêt. Or, ce qui m'a le plus frappé, c'est que quinze ou vingt ans plus tard, en 2014, on parle encore de ces mêmes problèmes, et qu'aucun d'entre eux n'a été résolu...

Dans un article du 13 janvier 1993 du quotidien Le Droit, le journaliste Michel Hébert analyse les données linguistiques du recensement de 1991 et fait état d'une anglicisation de plus en plus accélérée des francophones hors Québec, et ce, même dans la région frontalière d'Ottawa. On croirait lire (avec quelques variantes mineures) les conclusions d'un examen du recensement de 2011... Et, dans la même page du Droit, le Commissaire fédéral aux langues officielles, Victor Goldbloom à l'époque, propose d'assouplir la Loi 101 sur l'affichage et d'ouvrir les écoles anglaises du Québec aux immigrants...

L'année précédente, le quotidien La Presse publiait un article de la Presse canadienne dans lequel il était précisé, se fondant sur une étude du ministère ontarien de l'Éducation, que 44% des jeunes Franco-Ontariens de 8e année parlaient plus souvent l'anglais que le français à la maison.. Ces proportions sont-elle moins menaçantes en 2014? Il serait intéressant de vérifier...

Une seconde analyse publiée dans Le Droit en janvier 1993 par le chroniqueur Adrien Cantin reprend le thème de l'assimilation des francophones en Ontario et dans les autres provinces à majorité anglaise. Son jugement est plus lapidaire. «Il faut savoir que dans des provinces comme les Prairies et Terre-Neuve, on pratique depuis toujours un véritable génocide culturel envers les francophones», écrit-il. Le scribe aurait pu énoncer les mêmes conclusions aujourd'hui...

Quelques mois plus tard, le 19 mai 1993, le journaliste Paul Gaboury du Droit rapporte que dans les bureaux fédéraux situés sur la rive québécoise de l'Outaouais, la langue de travail reste l'anglais, et que les fonctionnaires francophones n'osent pas en parler publiquement par crainte de représailles... À lire le plus récent rapport du Commissaire fédéral aux langues officielles, Graham Fraser, je suis prêt à parier que les choses n'ont pas beaucoup changé...

Le même jour (19 mai 1993), dans Le Droit, la journaliste Dianne Paquette-Legault fait état de la publication du 2e volume d'une trilogie intitulée «La dualité linguistique à l'Université d'Ottawa», par l'ancien recteur Roger Guindon, inconditionnel du bilinguisme. La discussion sur le sort du français à l'Université d'Ottawa se poursuit depuis ce temps, sans solution pour les francophones dont la situation est de plus en plus précaire dans cette institution bilingue. Cette année, un projet d'université de langue française se précisera en Ontario et le principal obstacle sur son chemin restera l'Université d'Ottawa...

Pendant ce temps, le sort des Anglo-Québécois continuait d'alimenter des médias de langue anglaise qui dépeignent trop souvent la majorité francophone du Québec comme une nation xénophobe, intolérante et haineuse. En 1992, Josée Legault avait publié, en réponse, un livre intitulé L'invention d'une minorité, les Anglo-Québécois, dans lequel elle affirmait que c'était le français et non l'anglais qui était menacé à Montréal. Et que l'anglais attirait davantage les immigrants que le français... Il me semble que des propos tout à fait similaires continuent de noircir les pages des journaux de 2014...

Pendant ce temps, fin 1992 début 1993, des parents franco-manitobains s'adressaient à la Cour suprême du Canada pour confirmer leur droit de faire instruire leurs enfants en français dans des écoles «de même qualité et de même valeur» que celles mises à la disposition des enfants de langue anglaise, ainsi que la gestion et le contrôle de leurs institutions scolaires... Un droit élémentaire assuré aux jeunes Anglo-Québécois depuis la Confédération... Le combat des minorités francophones hors-Québec se poursuit encore sur plusieurs plans aujourd'hui...

Parfois, le combat des francophones se déroule en territoire québécois... En 1997, Le Droit évoque la lutte d'un groupe de pompiers de Cantley (municipalité rurale à 90% francophone au nord de Gatineau) pour instaurer le français comme langue de travail... Avec un chef et un adjoint anglophones au service des incendies de la municipalité, il y avait un usage systématique de l'anglais à l'ouvrage... Encore aujourd'hui, dans certains coins de l'Outaouais, notamment dans le Pontiac, l'anglais s'impose...

De l'autre côté de la rivière, en avril 1993, des municipalités à majorité francophone se voyaient interdire le droit d'adopter leurs règlements en français, même si tous les débats au conseil municipal se déroulaient dans cette langue. «Les francophones de l'Ontario ont moins de droits que les anglophones du Québec», affirmait alors le maire de l'ancienne ville de Vanier (maintenant un quartier d'Ottawa), Guy Cousineau.

La mesquinerie des médias anglo-ontariens, dans les années 1990, ne se limitait pas à pourfendre les maudits séparatistes du Québec. Des francophones avaient traîné le Toronto Sun devant le Conseil de presse de la province parce que ce dernier avait écrit qu'il en coûterait moins cher d'acheter une maison neuve au Québec pour chacun des 800 auditeurs torontois du réseau de télévision française de l'Ontario (TFO) que de continuer à payer 30 millions $ par année pour l'exploitation du réseau. L'inexactitude des chiffres, doublée d'un soupçon de nettoyage ethnique, ne dérangeait pas le Sun en 1993. Je pense qu'on en lit des pires en 2014...

En 1997, le Québec-bashing et le franco-bashing ont étaient tels dans les médias anglos que même quelques anglophones ont protesté. Le rédacteur en chef de l'hebdo Hour, Peter Scowen, allait jusqu'à écrire (citation du Devoir) : «Le dénigrement continuel de la réputation des Québécois francophones par le Canada anglais équivaut à l'une des entreprises de diffamation d'un peuple les plus outrancières et soutenues de l'histoire de ce pays.» Qu'écrirait-il aujourd'hui?

Je pourrais citer d'autres articles de la petite collection que j'ai retrouvée... L'impression que tout cela me laisse, c'est que nous avons perdu notre temps depuis 20 ans face à une majorité anglo-canadienne pour qui la moindre concession est devenue impensable... Nos trois chances de débloquer le contentieux constitutionnel (Lac Meech en 1990, Charlottetown en 1992 et le référendum de 1995) ont eu pour seule conséquence de renforcer un statu quo pourri...

En dépit de mes convictions laïques et de mon appui inconditionnel à la charte des valeurs, je commence à croire que le temps est venu de brûler quelques lampions à l'église paroissiale, ou d'entreprendre une neuvaine à St-Jude, patron des causes désespérées... Si on ne donne pas bientôt un solide coup de masse dans l'échafaudage, je risque fort de retrouver cette petite chemise de textes en 2034 (si je suis toujours vivant...) et de me voir obligé d'en arriver aux mêmes conclusions qu'en 2014...





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