Le travail des médias, et j'en fais partie depuis 45 ans, c'est essentiellement de renseigner le public, de l'informer. Pour moi, cela signifie que le coeur de la mission de la presse écrite et électronique, c'est de suivre et couvrir l'actualité, de rapporter les faits aussi fidèlement que possible, puis de les décortiquer, de les analyser, de les interpréter et même de les commenter.
Voilà pourquoi je suis toujours mal à l'aise quand les grands médias, qui en ont les moyens, commandent des sondages et en font leurs manchettes, particulièrement en période électorale ou durant de grands débats de société. Là, l'organe de presse ne couvre pas l'événement, il le crée. Cela peut sans doute être justifié à l'occasion mais le seuil de l'abus est vite franchi.
Quand, à quelques jours d'un scrutin ou d'un référendum, un journal ou une chaîne de télévision fait sa manchette avec son propre sondage sur les intentions de vote, reléguant au second plan les activités des partis et candidats, cela ne peut-il pas constituer une ingérence indue dans le processus démocratique?
Le fait de donner un parti gagnant dans un sondage n'a-t-il pas un effet sur le comportement des électeurs indécis? Cela ne contribue-t-il pas à décourager ou démobiliser ceux et celles qui se croient déjà rejetés par leurs concitoyens? Et sur le plan de l'information, cela ne peut-il pas froisser l'éthique journalistique en repoussant vers les pages intérieures ou vers la fin d'un bulletin une nouvelle qui aurait dû être présentée en manchette?
Si ma mémoire est bonne, depuis l'élection québécoise de 1970, la première que j'ai couverte pour Le Droit, les plus gros titres à la une des journaux durant les campagnes électorales ont été réservés aux sondages maison...
Mais il n'y a pas qu'en période d'élections que les organes d'information fabriquent des manchettes avec des sondages. L'exemple de CBC, avec sa nouvelle sur les non-francophones québécois qui ont songé à quitter le Québec pour aller ailleurs, principalement vers l'Ontario, est un classique.
Je serais prêt à parier de grosses sommes (si j'en avais...) que depuis les premières sorties de René Lévesque contre la domination anglophone au Québec (en pleine Révolution tranquille) et la campagne de 1962 sous le thème « Maîtres chez nous », une part appréciable de la population anglo-québécoise songe de temps à autre à quitter le Québec, avec des pointes en période électorale, après des victoires du Parti québécois, ou durant les deux campagnes référendaires...
Nos anciens Rhodésiens au passé raciste n'ont jamais pleinement digéré que les vaincus, jadis jugés inférieurs, veuillent devenir « maîtres chez eux » en donnant au français, par surcroit, le statut de langue commune et de seule langue officielle. Encore aujourd'hui, on a des relents de ces attitudes dans l'hystérie de certains médias anglophones, qui ont le culot de « nous » traiter de racistes et de xénophobes... eux qui n'ont d'ailleurs jamais compris le sens de ces concepts.
Alors le réseau anglais CBC aurait pu effectuer son sondage n'importe quand au cours du dernier demi-siècle, je crois qu'il aurait le plus souvent obtenu des résultats similaires, adoucis par moments, exacerbés par d'autres. Les Anglo-Québécois et les allophones anglicisés ou en voie d'anglicisation sont généralement mal informés en matière linguistique et ignorent tout du sort, bien pire, que subissent les francophones hors Québec depuis que la Confédération existe. Ils se plaignent le ventre plein, et une simple comparaison avec les Franco-Ontariens mettrait vite fin à leurs jérémiades.
Il n'y a pas de doute qu'au cours de la dernière année, le débat sur la charte des valeurs a déclenché des passions et que l'opposition à la charte rallie proportionnellement plus d'anglophones et d'allophones que de francophones. Et on voit encore cette vieille attitude chez plusieurs d'entre eux: faute de jouer selon leurs règles, ils plieront bagages... C'est facile à dire, dans l'anonymat, à une maison de sondage... et ça n'engage à rien.
Mais je reviens au point de départ. Un média commande un sondage qui devient sa manchette. Puis tous les autres médias en font leur manchette. Puis quantité de partis, d'organismes et d'individus réagissent au sondage des médias et il en résulte d'autres manchettes. L'organe d'information est-il resté fidèle à sa mission première?
Bien des commentateurs ont reproché au gouvernement Marois d'avoir voulu régler un problème qui n'existait pas avec le projet de charte. C'est un argument qui mérite qu'on en discute, et qui a une certaine valeur, même si je ne le partage pas. Mais les médias devront eux aussi se demander s'ils ne propulsent pas en manchette, à l'occasion, des titres sur des « nouvelles » qui n'en sont pas, sur des informations créées et non couvertes...
Les sondages font partie de l'arsenal de la presse, et je ne réclame pas qu'on les censure. Mais un débat éthique sur leur usage serait pleinement justifié...
Ouf, cela fait du bien à lire une réflexion qui n'est ni criarde ni manichéenne
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