mardi 18 février 2014

Je me souviens? Vraiment?



Ces jours-ci, je me dis souvent que jamais un peuple n'aura eu si mauvaise devise. « Je me souviens »... Ouais... Il fut peut-être une époque où nous étions davantage, et peut-être même trop souvent, tournés vers le passé. Pas aujourd'hui. La moitié du temps, comme collectivité, on ne semble pas trop savoir d'où l'on vient, ce qui fait que durant l'autre moitié, on ne sait plus trop où l'on va.

Le poète Paul Chamberland aura-t-il finalement eu raison quand il écrivait en 1964, dans L'afficheur hurle, que « nous n'aurons été qu'une page blanche de l'histoire », « un peuple jamais né, une histoire à dormir debout, un conte qui finit par le début » ? Pendant qu'on en finit plus de papoter sur le contenu de cette histoire qu'on enseignera ou pas à des jeunes (et vieux) qui en auraient bien besoin, l'histoire que d'autres fabriquent à notre place, souvent contre nous, finira par nous achever...

Le gouvernement fédéral nous assomme depuis deux ans et plus avec sa vision trafiquée à l'anglo-canadienne militaro-royale de la Guerre de 1812, et a volontiers consacré des dizaines de millions à une propagande dont, heureusement, le niveau d'efficacité semble avoir été presque nul au Québec. Mais comme dit le vieux dicton: mentez, mentez, il en restera toujours quelque chose. Le seul gouvernement qui aurait tant soit peu pu rétablir les faits, le Québec, n'a rien fait et quand on voit la dynamique des forces en présence, on sait pourquoi. L'histoire est un baril de poudre avec une mèche très courte...

En fin de semaine, le 15 février, quelques centaines de personnes ont souligné ça et là le 175e anniversaire de la pendaison de cinq illustres Patriotes de 1837-1838, dont Chevalier de Lorimier et Charles Hindelang, qui ont laissé d'émouvants textes écrits dans les jours précédant leur mort et même le matin où ils sont montés sur l'échafaud. La rébellion de 1837 est bien plus importante pour la démocratie et pour l'évolution du Québec et du Canada que le bicentenaire de la Guerre de 1812, mais Ottawa n'y voit pas de capital politique à engranger et Québec, comme toujours, est paralysé... Alors on oublie...


                            Warren Perrin

Qui s'imposera comme champion de la mémoire collective, comme incarnation du « Je me souviens » qui orne nos armoiries? Trouvera-t-on ici un Warren Perrin, cet avocat cajun de Lafayette, en Louisiane, qui a brassé la cage de la Grande-Bretagne pendant plus de dix ans, entre 1990 et 2003, pour arracher à la Reine des excuses officielles pour la déportation des Acadiens de 1755? Il n'a pas obtenu tout ce qu'il voulait, mais sa campagne a eu des échos en Europe, en Acadie canadienne, au Québec et au Parlement fédéral, et débouché sur une Proclamation royale de reconnaissance des torts en 2003, un an avant le 400e anniversaire de la présence acadienne en Amérique du Nord.

Y a-t-il au Québec un historien, un politicien, un juriste, un professeur, un militaire, un syndicaliste, un descendant de patriote, quelqu'un de crédible, ayant la couenne aussi dure que Warren Perrin, prêt à mobiliser les gens autour d'une campagne visant à commémorer de façon officielle et populaire des événements essentiels de notre passé?

L'ampleur des crimes contre l'humanité subis par la nation acadienne dépasse ceux perpétrés par le Vieux Brûlot et ses troupes durant la rébellion de 1837-1838. Mais la Grande-Bretagne a commis des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité au Québec aussi en 1837-1838-1839, avec des villages incendiés, des innocents emprisonnés, déportés et assassinés, des femmes violées. et toutes sortes de souffrances infligées à un peuple largement sans défense qui ne voulait qu'une reconnaissance élémentaire de ses droits humains et collectifs.


Que les 175 ans du 15 février 1839 n'aient pas été l'objet de cérémonies et de rassemblements populaires partout au Québec constitue une honte nationale. Quelques jours avant de monter sur l'échafaud, de Lorimier écrivait à un de ses amis : « Puissiez-vous rappeler quelquefois la mémoire de votre ami malheureux mort sur l'échafaud pour racheter son pays opprimé ». En 2014, l'oeuvre des Patriotes reste inachevée et Chevalier de Lorimier et ses compatriotes ne méritent pas de sombrer dans l'oubli collectif.

La monarchie qu'ils ont combattue reste en place, et Québec a tous les outils pour se transformer aujourd'hui en république, qu'il quitte ou non la fédération canadienne. La Charte des valeurs constitue un pas important dans cette direction. L'affirmation de la neutralité religieuse de l'État entraîne automatiquement le rejet d'Élizabeth II comme chef d'État du Québec puisque cette dernière doit, en vertu des règles de succession, être l'un des chefs de l'Église anglicane et que le trône britannique est interdit aux catholiques. Elle est un signe religieux très, très ostentatoire.

Quant au reste, le pays que souhaitaient créer autour du Saint-Laurent les Patriotes de 1837 a été étouffé dans l'oeuf par l'Acte d'Union de 1840 et la Confédération en 1867. Mais le rêve reste vivant et les projets d'État à notre image abondent. Quelle forme il prendra, entre le fédéralisme actuel et l'indépendance, reste à déterminer. Mais de grâce, ne préparons pas l'avenir avec des « coupes à blanc » dans notre passé.









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